C H A P I T R E S

suivi de …LIBEREE DE L’INCONNU

Ça ne pouvait pas commencer plus mal. Un appel à 20 h 09. Pas le temps de décrocher le portable. Le message, sur un ton gêné et grave. Désolé, je ne peux pas vous donner le résultat par messagerie.

La bonne nouvelle, c’est que je ne risque plus de l’attraper.

Ce matin-là, je réalise le test. J’ai les As, passe-droit de premier choix, coachée par un médecin de choc, équipé de son badge d’urgentiste. Accompagnée jusqu’au prélèvement naso-pharyngien dans une petite salle secrète. Le plan est sûr, 1 risque sur 1000 qui se dissoudra probablement dans le flot des faux négatifs parfaitement incontrôlable.

Pas folle, je fais quand même du zèle. Contorsion dans la voiture pour m’emparer du Sopalin. Je me mouche, qu’il ne reste rien. Un nez irréprochable. Encore du zèle, exploration d’une seule narine, et pas plus loin qu’un piercing d’indienne quand la préconisation est d’aller chatouiller un bout de matière grise, tellement on piste loin dans les fosses nasales, ces antigènes indébuscables, responsables d’une panique paranoïaque mondiale sans précédent, la COVIDAMANIA.

Le même urgentiste, sapeur pompier en hélico, un Clooney version viking miniature, est clair. Depuis le début. M’a-t-il porté la poisse ? Est-il machiavélique au point de mener son plan contre une petite love story qui viendrait le détourner de son chemin ? …qu’il a perdu depuis un bail .

Il a pris les tubes, collé les étiquettes. Les a-t-il inversées ? A-t-il dit à un collègue de prendre un autre échantillon pour lui ?

On se connaît depuis quelques semaines, et déjà autant d’embrouilles au compteur_tu les nommes tes cartons jaunes_.

Je tourne les talons, démarre ma Twingo comme une Porsche Carrera, et déroule les textos tranchants de 15 km, souvent en conduisant sur la même distance qui me ramène à ma base.
– Ok, si tu veux, Tahiti est à tout le monde. Je trouve même ça assez couillu que tu veuilles y aller. Mais moi, j’ai mes plans depuis quelques mois. Et t’en fais pas partie.

– Incapable de faire un reset pour moi ? De t’adapter à ta nouvelle situation affective ? De m’inclure dans tes plans ?

Ovairue eut été plus adapté, encore que, ce ne sont ni des couilles ni les organes féminins qui me décident, juste un élan que je ne veux plus refreiner. Ok, reste sur ton projet solo. 3e carton jaune. On a la même lubie, envie de Pacifique, et tu ne me calcules pas dans la nouvelle équation? Ok ! fais comme si je ne venais pas de débarquer.

Moi aussi je marchais solo. Je me disait yes, zen, en couple avec moi-même, merci Marcela Iacub.

Comme si il n’y avait pas eu l’accident. Comme si tous mes plans n’avaient pas été changés par l’univers ! Ce restau, ça n’engage à rien, tout le club de voile y est, et toi en face de moi. Et ton regard qui me rentre dedans. Et moi qui donne mon 06, ça n’engage à rien, je le donne à tout le monde. Business d’agent immo, me justifiais-je. Et ton sms qui me dit que j’ai l’air d’être aussi belle dedans que dehors. Et comme je ne le sais toujours pas, quand saurais-je ? A 80 ans ? Qu’est-ce que j’ai loupé ? Je m’agrippe à ces mots, à ce joli regard sur moi. Et je deviens accro, amoureuse de l’amour, en redécouvrant que rire avec un autre, boire et manger, le manger, (nympho ? Mon corps est affamé), est une putain de drogue supersonique, qui te met raccord avec l’énergie des vagues, la musique à fond, mon corps qui danse, la fête, la vie.

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Depuis quelque temps, le mouvement va crescendo. Envie de vivre en bord de mer. Peur, bien sûr. Parait que nombreux en parlent, peu sautent le pas. Certains, me félicitent, statistiques à l’appui, sûrement relevées dans « Capital, changer de vie», un dimanche soir bluesy, avant de repartir pour un tour de périphérique le lendemain matin. Seule ? Tant pis. Avec le recul, je comprends pourquoi.

J’étais déjà seule, perdue, une partie de moi à l’abandon. En partant je retombe sur Sophie, et petit à petit, on se retrouve. Gilles est toujours là. Il continue de m’accompagner, vas-y ma puce, t’as qu’une vie. 26 ans main dans la main et on s’éloigne comme 2 petits nuages éclairés par un lever de soleil à l’aube de nos nouvelles aventures, poussés chacun par des brises contraires.

J’en suis venue à élaborer ma petite théorie récemment, sur ce qu’on appelle la trahison dans le couple. A admirer celui qu’on pointe habituellement du doigt. Le courage est clairement dans son camp. Un traître ? Héroïque, je dirais, de sortir l’épée sous l’œil réprobateur de ses congénères, de la planter dans un contrat jauni, scellé dans un tombeau, surplombé par un autel à la gloire d’un amour endormi, quand il n’est pas mort.
S’envoler par la fenêtre pour aller, de nouveau, entendre battre son cœur contre celui d’un autre.
Auto-trahisons répétées. On s’éloigne de soi, de cet être vivant, vibrant d’élans, de désirs, de rêves, à qui on ferme la gueule depuis toujours. Les parents, ta gueule, l’école, ta gueule, les magazines, la société, ta gueule….et on grandit et on apprend à se l’auto fermer. Et pour couronner le tout, la muselière symbolique du corona. Pas bouger ! Ta gueule.

Alors dans le mouvement, je m’installe, un pied à terre, l’autre à la mer, résidence Le Pacific, petit studio cosy. Je reprends la voile, (mets les voiles ?) après 37 ans hors de l’eau, hormis javellisée ou rationnée sur 15 jours de congés annuels. Et je rencontre Zorro Clooney, Ragnar le Viking. Bon, je mets 2 ou 3 ans à me rejoindre, mais nous y voilà. Méditerranée à volonté, la vie renaît. En All Inclusive….palpite aussi côté myocarde et s’écrit en duo. Fantômette et Ragnar.

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Un zorro qui a plein d’amis, plein d’esprit, plein de vie, de folie. Je me reconnais, dans sa maison, sur son piano, chez ses potes, dans ses projets, m’installe dans sa vie.
Parée d’un nouveau pseudo lors d’un 4e épisode carton, rouge cette fois, quand froide-bouillante et furax, je m’invite chez lui, suite à un énième bug.

Bien sûr que j’irai. Et s’il te faut 15 jours pour t’organiser solo en débarquant à Tahiti, je te propose de prendre tes 15 jours, direct, là, maintenant, à Montpellier, avant le départ. Tant pis pour tous les jours où tu n’es pas de garde. Oublie tes dîners en amoureux proposés pudiquement et sans grand tact sous forme d’ invitation à finir tes restes. Feu de cheminée, bon vin, excellente cuisine que tu concoctes avec amour et légèreté, un verre jamais loin, ou le mien, parce qu’il se vide moins vite, pendant que je pianote. Comment vas-tu liquider le contenu du frigo pendant les 2 semaines avant le départ ?

Je disparais de ta vie. Te demande sur 3 messages rageurs sans réponse, de laisser les clés. T’ « oublies ». Porte fermée, je passe par la cuisine pour récupérer mes affaires. M’en fous j’irai seule en Polynésie. En passant par le toit s’il le faut. Tous les obstacles sont des tremplins pour Fantômette.

Ton projet, partir 3 mois. T’en parles, fort, à chaque soirée, et tu regardes la bave des convives qui tirent la langue, se noyant dans la première vague Covid, t’imaginant déjà sur ton île, leur envoyant des selfies pour les achever. Le jour où on se rencontre, t’es à J-90 de le réaliser. A J-50, tu m’annonces j’ai une bonne nouvelle, j’ai mon billet. (Sérieux ! même sensation qu’en entendant le message du médecin contrit du Labo n’annonçant pas le résultat du test PCR). Ton offre : « laisse-moi 10-15 jours et tu me rejoins là bas ».

Ben voyons.

Ma petite flamme me propulse. Fusée à réaction. Quand ton billet ? Du 28 Octobre au 9 décembre ? Je sors de ton champs de vision, me jette sur ton mac, air France, merde-merde, quel siège, on s’en fout….même pour un vol vers Tahiti, j’exècre ces putains de formulaires qui te bloquent dès que, telle Zézette, tu loupes un champ, et où quand tu confirmes, tu te demandes si tout est ok , ou si tu ne viens pas de prendre 2 aller-retours, avec 2 débits CB et à la mauvaise date.
Un formulaire qui peut, au moment de l’embarquement, si t’es une burne sur les écrans, Zorro pourrait en témoigner, te laisser sur le carreau du tarmac, regardant s’éloigner ton avion, dernier vol avant 3 mois de confinement.

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Un moment extraordinaire.

Parce que la vague que j’entends au loin, puissante et régulière est celle qui forme, au soleil, un rouleau bleu turquoise sur la barrière de corail. Elle me rappelle l ‘intro de cette nouvelle vie, la rumeur de la rive du Grand Travers, à l’entrée de la Grande Motte.

Le bateau en vrac, un des 2 espaces « WC-salle d’eau » est réservé aux 20 bidons d’approvisionnement d’eau. Alors je foule la petite passerelle pont-levis, et depuis mon quai, rejoins les toilettes, armée du pass.

Caressée par un air parfumé au tiaré, qui au fur et à mesure que j’approche des sanitaires du port, développe ses arômes, je ne sens plus le poids de ce corps si longtemps vécu comme un fardeau. Sous mes pieds nus, des petits ressorts. Je me demande même si mes épaules se redresseront après avoir fait le dos rond 53 ans, en attendant d’aller nager au dessus des coraux.

La silhouette majestueuse du cocotier qui se lit en ombre chinoise la nuit, m’indique l’arrivée aux toilettes. Signalétique paradisiaque. Les LED bleus, passent au vert au contact de mon badge. Je suis reconnaissante de vivre ces instants-bonus, dérobés au sommeil.

Parce que les magnifiques bateaux à quai me font une haie d’honneur accompagnée des chuchotements des clapotis.

Parce que la lune presque pleine et les caméras me suivent de leur regard bienveillant dans cette traversée nocturne du pont. Je pense à la mauvaise rencontre qui pourrait faire basculer ce rêve, et je chasse cette pensée. Mon premier psy m’avait dit un jour, à peu près en ces termes, vous avez droit au bonheur, n’ayez pas peur qu’il s’accompagne forcément d’un drame. Comme lui, Lila (mon superbe spécimen de  fille,  « merveilleux appel de la vie à elle-même », Khalil Gibran) me surnomme drama queen, parce que c’est l’éclairage que je donne naturellement à mon existence. Mon réel est aux antipodes ; bien obligée ce 31 octobre 2020 de me rendre à l’évidence. Je mène ma vie sur le chemin opposé à celui de mes troubles, de mes angoisses.

En remontant sur le voilier qui me bercera jusqu’aux îles paradisiaques, je marche déjà comme une funambule sur les petits picots de râpe à fromage de l’échelle suspendue. Ce matin, premier jour sur l’île, je l’abordais encore à 4 pattes.

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Logistique. Point rapide. Pour ne pas rester à l’aéroport de Montpellier, fin du voyage.

Carte vitale en opposition. Passeport périmé. Carte d’identité tout juste valable pour aller retirer mes colis à la poste. Carnet de santé et pages vaccination ? Je retrouve celui de Bébé. Survivra-t-il à 5 semaines sans venir ronronner en pleine nuit blotti contre mon oreiller pour entretenir mes allergies au cas où il n’y aurait pas assez d’acariens dans l’oreiller ? Celui de Néfertiti aussi, qui apparaît une fois par jour pour distribuer ses petits ordres. Des mois que je dévalise le rayon gelée pour chats stérilisés pour lui obéir. Néné chérie, ma petite sorcière. Remplumer son mini corps squelettique de chatte égyptienne, marqué par ses crises de gingivite.

On a trouvé le remède. L’une des vétérinaires refuse catégoriquement. La même qui 30 mn avant de piquer Tigrette s’acharnait sur une veine. Elle transpirait comme quand j’essaie de gonfler ma roue de vélo en plein cagnard, et que j’ai oublié le mode d’emploi de ma pompe dernier cri. Quel orifice ? Mais putain, rappelle toi Sophie, tu ajoutes l’adaptateur ou pas ? Et pourquoi ça se dégonfle le temps de dire merde ! Chier ! Comme Bacri (RIP) dans Subway devant l’ascenseur. Elle est arc-boutée sur Titi agonisante. Pareil. Et merde ! Oh pardon Madame. Non mais regardez aussi ! sa veine est comme un cheveu. A un cheveu de passer de l’autre côté. Que j’arrache d’un coup sec. Arrêtez c’est bon ! Vous voyez bien ? Qu’est-ce que ça peut lui faire de savoir que son taux d’urée est dans le rouge ? Pas d’acharnement thérapeutique, comme avait dit papa dans un sanglot, le jour où on a débranché maman. Instantanément radoucie, elle déclenche le protocole euthanasie.

En ce qui concerne la reine mère du trio, c’est réglé. Pour Néfertiti, sa fille, à un stade plus précoce, on a trouvé la parade. Il suffit de prendre rendez vous le mercredi, avec l’autre vétérinaire. Piqûre de cortisone et pendant 1 mois et demi, 2 mois, la petite sorcière famélique reprend quelques grammes et se gave de gelée, avant de ressortir et d’engueuler au passage frèrot, Bébé-la-crème. Lui, pour entretenir son surpoids que les enfants prennent pour un état de mise bas imminent, est toujours présent à l’heure où Néné vient passer sa commande V.I.C. (Very Importante chatte).

C’est reparti pour des semaines de vadrouille. C’est sûr, elle connaîtrait son taux d’urée, elle ferait moins la maligne avec son frère.

Je prends rendez vous. 15 jours plus tard, je suis vaccinée contre le tétanos et l’hépatite A. Rien d’obligatoire, mais je n’adhère pas avec les symptômes que me décrit, pour information, l’infirmière. Foie éclaté, tout ça, pas fan.

Aucun regret, j’étais sensée douiller 3 jours. Je n’ai senti ni la piqûre, ni la réaction au produit. Et cet organe n’explosera pas…de ça.

J’en mène pas large à 20 h 15, quand toute la famille de Ragnar se précipite sur les masques avant de trinquer au champagne. Calés sous le menton, comme nos appareils dentaires d’antan. Le jour est bien choisi. L’anniversaire ET pot de départ en famille de mon nouveau chéri. En une fraction de seconde, après réception du message téléphonique énigmatique, la nouvelle petite amie de papa passe d’étrangère à pestiférée. Dans cette grande maison, on double les distances préconisées en gestes barrières, quatre mètres pour se croiser quand on va chercher l’essuie tout. Sous ses airs ravis et détendus, se dit-il, « oh merde, son test est planté, on est contaminés tous les deux, probablement par un de mes patients » ! ou alors « super, chacun sa merde, le plan se déroule nickel, j’avais bien dit, laisse moi 15 jours et rejoins moi ! » Toujours est-il qu’il a renversé la sauce soja sur la nappe.

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Des soirées à siroter ses meilleures bouteilles, peinards en amoureux, devant le feu de cheminée. Là, avant-veille de départ du daron-baroudeur, ils viennent le célébrer en famille.

On ne la lui fait pas à Céline. Pendant que Félix, son frère pianiste de jazz, beau et sale gosse, tousse dans son coude _ pas vraiment asymptomatique, lui _, elle nous explique, en aînée bien rangée et jeune médecin comme papa, comment le système immunitaire sidéré, se déglingue.
Nos défenses réalisent la puissance du virus. Elles déploient alors l’artillerie lourde. Alerte lancée par des globules en folie : Nous mettons tout en œuvre, chômage technique pour tous s’il le faut, oui tous les organes ! Quitte à mettre les mécanismes vitaux en péril et à vider les Ephad, où tous les anciens à bout de souffle et séparés de leur source d’affection lâchent. Tirez à vue. Dommages collatéraux, on s’en fout ! Tout ce qui dépasse le taux d’usure. Grand ménage.

Je comprends l’injonction dans son regard. Ma vieille, tu peux commencer ta quatorzaine ! Si c’était ok, le labo ne t’appellerait pas à l’heure de l’apéro. Et oui, vous avez beau vous mélanger depuis 90 jours avec papounet, lui est doté d’un organisme hors du commun.

Elle n’imaginerait jamais qu’un mec borderline, qui pisse pieds nus, la queue au vent dans son jardin sans portail, pourrait, lors de l’auto-prélèvement, omettre quelques précautions et faire sciemment basculer des résultats. Qui comme elle le rappelle, sont fiables à maxima 30 %.
Je la laisse sous-entendre et théoriser.
En mode fast and furious dans ma tête, j’élabore plan B et plan C et D au cas où. Dans 48 h, il me faut le Sésame.

Même s’il n’a pas d’uniforme, je fais carpette devant l’employé de Mairie. Ah non madame, ça ne fonctionne pas comme ça. Vous prenez rendez-vous, et avec ce numéro et le dossier complet, vous vous présenterez. Voici les consignes. Au revoir Madame, je n’ai pas le temps, j’ai encore 3 numéros derrière vous.
Dans un autre monde, le mec. Pendant que les blouses blanches bossent 48 h d’affilée, Monsieur du guichet, derrière son plexi blindé et sa serviette hygiénique anti-postillons calcule : si je lui consacre 5 mn de plus, le temps de ranger mon stylo qui traîne en travers du bureau, je risque de finir à 16h34. J’ajoute une minute pour atteindre la sortie de la Mairie…
Heureusement pour lui, j’ai remonté le masque jusqu’aux lunettes. Il ne voit pas la fumée, les durites qui pètent, l’index sur la gâchette.
Trois semaines, madame. Désolé, au revoir. Tout à fait, Madame, sans passeport, vous ne pouvez pas partir. Ah oui, désolé, si le dossier n’est pas complet, (début d’érection), nous devrons reprendre rendez-vous, oui. Oh non, c’est pas immédiat, vous pensez, dans la semaine qui suit.
Attention à la photo, vous devez respecter les règles. Vous me dites ? Départ dans 5 semaines ?

Il a trouvé le ressort comique. Faut pas vous louper alors ! C’est un billet échangeable et remboursable ? Je me force à rire un peu, pour ne pas vomir et le remercie poliment en lui crachant dessus mentalement.

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Est-ce la 4e dispute ? Il me sort de but en blanc ah non, moi c’est un vol direct. La vapeur sort de mes oreilles. Je nous imagine chacun à bord d’un avion différent parce qu’en bon égoïste, il a mis le coude sur sa copie, que je ne pompe pas le numéro de vol. J’aurais dû me douter qu’il se plantait. Il fait le malin. Le mec qui maîtrise.
Ben je croyais que c’était simple pour toi. Un vol par jour. Même ma fille, sous entendu, pas très dégourdie merci pour elle, sait réserver ses billets en ligne.
Pas lui en revanche. Tout par téléphone, et la nunuche au bout du fil lui a bien confirmé, ah, celui-ci est sans escale. Et il se lance dans sa théorie chez nos amis, oui, comme l’avion est allégé par la chute des réservations, pas d’arrêt, moins de carburant. Bien sûr Jamie. Quand j’y pense ! Incapable d’envoyer un WhatsApp et il aurait capté les modalités de ravitaillement ? Ma pote d’air France se marre et me rassure. Mais n’importe quoi Obligé le contrôle technique sur un vol de 24 h . Du coup je demande qu’elle le place à côté des chiottes pour la peine ! Dommage, elle est réglo.

Ça commence à sentir le roussi. Couvre-feu à 21h. Quatre mois qu’on parle de la seconde vague. Cette fois, ils innovent. Très créatifs ! Continuez à bosser. Mais à 21h, au lit. Le reconfinement plane. Bien problématique pour organiser nos folles soirées. Dan, Maître de cérémonie, ne se laissera pas enfermer dans sa maison. Vide et en ce début d’automne, elle s’apparente selon lui à un tombeau. Il fait ses plans. Trois chambres et un canapé, ça peut faire sept à dix personnes selon la façon dont dégénère la fête. Ça ne sera pas la première fois qu’ils se retrouvent à trois dans le lit. Ça doit ressembler à l’ambiance à l’époque de la prohibition. Je ressens le plaisir de transgresser. Pour notre dernier week end, Dan veut son couple chouchou chez lui. Décidément, il y tient à son petit covid. A moins qu’il ne l’ait contracté la semaine précédente, persuadé qu’il subissait le contre coup de sa dernière rupture ? Plus faim sa petite carcasse d’un mètre quatre-vingt treize, petits malaises vagaux, s’endormant avant la fin des films qu’il m’invite à voir chez lui quand je suis séparée pour la cinquième fois. Il plaide pour chacun. Aide au rabibochage. Premiers sur la liste d’invités. Il sait que son pote casse-cou s’en bat. Gestes quoi ? Barrière ? C’te blague ! Le masque, s’en bat. Ton verre ? Ah pardon, j’ai tout bu. Smack, et triple dose de corona pour toi.

Moi aussi. Roue libre. Vivre ! J’étouffe ! Ras le bol des capotes, casques, combis, cloches, masques et des consignes BFMtv.

Autre détail à régler avant le départ. Néo, mon bébé, mon ombre. Un mois que je me creuse les méninges. Mais qui va l’adopter ? Ma petite luciole déjantée. Je lance des perches dans toutes les directions. Avec l’aide de cette petite boule de poils en vrac. Mon york version punky se jette en pelote sur pattes à la rencontre de toutes les âmes. Et j’entends en m’approchant. Ooooh qu’elle est mignonne ! Elle sent que j’adore les bêtes !

Non seulement il le sent, mais lui aussi les adore.
C’est le chien le plus sociable de l’univers. Et si en pleine séance de caresses, distraitement, tu ralentis le rythme, il te pousse la main avec sa petite truffe moelleuse.

Des semaines à me dire, t’inquiète. Si lui ne trouve personne, c’est que tu ne comprends rien au karma.
Ok, Narciso mon ex-boss, sans que je pose la question me dit avec sa légendaire générosité affectueuse : en tout cas compte pas sur moi ! Ricanement. T’inquiète mec, je cherche quelqu’un de sympa, de cool, qui a du cœur et de l’amour à prendre et à donner. Tu ne coches aucun critère.
Il y a bien Mado, qui veut se faire un peu d’argent pour ses études l’année prochaine. Sa mère parle pour elle, sourit pour elle, négocie pour elle, l’accompagne au rendez-vous d’adaptation . Mado garde son masque, scrupuleusement. Bizarrement, Néo ne semble pas avoir de feeling. Une chance sur cent. Sur mille. La première fois, il la calcule à peu près autant qu’un…je cherche, car il s’intéresse à tout. Disons, un panneau publicitaire à 3 m du sol. Je m’interroge également sur le fait que Mado a les cheveux gras et est sapée comme un sac poubelle plein qui fuirait, avec plusieurs épaisseurs de sacs. Comment une personne qui se néglige à ce point peut prendre soin de mon trésor ?
Charly ma superpote serait la bonne option. Sauf qu’elle a Zoom, son Berger Allemand adoré et dix amoureux. Sans oublier qu’elle bosse à 4h du mat, vit dans 20 m² qui font quarante mètres cubes de fumée de ganja à partir de 16h…peur que Néo ne meure de rire.

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Invité d’honneur chez Dan, Néo se laisse papouiller. Léonard est extraverti, charmant, drôle, affectueux. Architecte, pianiste, avec qui la fièvre fait exploser le thermomètre lors de notre première boum. Ce jour-là, Zorro était absent, distant et bossait.
Lui aime danser, me serre dans ses bras et exprime son désir au point de me tirer les cheveux au troisième slow entre deux pelles. Ultra sensuel, drôle et fou. Il semble vouloir postuler. Pour Néo aussi.
Ça se passe toujours en dansant. Un peu moins langoureusement cette fois. Je n’ai rien caché de cette vrille sensuelle, au premier intéressé, et à toute la joyeuse clique. Mais les semaines passées m’ont assagie. Et refroidie aussi. J’ai vu le même Léo avec un Tinder, sexy certes, mais pas très flatteur pour mon égo. Jolie petite bimbo bling-bling, tout le matos en vitrine. Elle régurgitait des conseils en développement personnel, en laissant loucher sur son décolleté. Stratégie probablement, pour éviter qu’on soit trop regardants sur la profondeur ou l’exactitude des propos.
Moi je le garde ! S’exclame Léo avec une moue de séduction, et je l’aime jusqu’à ton retour. Eclat de rire avec son sourire de tombeur déjanté.
On est bien alcoolisés, alors, même si l’idée me plait, je laisse passer la folle nuit. Qui jouit ? Avec qui ? Amy ? Chris ? Tous ? Pas nous. Je joue aux devinettes.

Arrivé en fin de soirée, sympa mais sans plus, tu danses avec une autre Sophie sur ma chanson préférée, et une fois couché, joues au con. Plus personne…à moins que tu ne joues pas. Tu me tourne le dos. Petite partition sadique que je ne connaissais pas.
Encore qu’en me repassant le film, il y a eu pas mal de soirs où, confortablement installée et flottant sur un nuage poussé par un doux vin et une brise de beuh, au moment où je sens une tendre chaleur me mordiller, tu t’approches, me plaque dans l’oreiller sous un gros smack passionné, et tu fais volte-face « bon’nuit Ma Mie ». Interloquée, je n’ose même pas penser : Bonne nuit papi.
Une larme coule sur l’oreiller. Je me demande comment je peux me retrouver dans ce piège. Il y a 2 mecs plutôt canons de l’autre côté de la porte, plutôt partants, et je t’ai choisi ? Et tu fais le mort ?

On finit par se déchaîner. Depuis notre rencontre, je suis passée en mode « instant présent ». Programme rumination en off. J’encaisse mais aussitôt annule la fonction blocage automatique. J‘avance. Moi, et l’Instant présent, unique, volatile. Reset. Et décollage immédiat.

Au matin, décalqué, Léo reprend le sujet adoption où on l’avait posé. Sur le canapé du salon où il a dormi.
Dans 4 jours ? Vas-y je le garde. Sobre cette fois, même si les vapeurs d’alcool circulent encore.
Pars tranquille…on s’aime déjà.
Et Néo quitte la fête avec Léo. Je ne l’ai plus revu qu’en vidéo, en photo et en rêve !

Les amis le chambrent car Néo tombe à pic. Miss Tinder-micro-sac-Kardachiante vient de le larguer, avec l’élégance de sa panoplie. Par sms. Parsemé de petites touche homophobes.

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J’aimais malgré tout ce mec dingue qui courait partout perdait ses clés, celles de son hôte sur un parking d’hypermarché, fumait ses pétards en se sifflant de très bonnes bouteilles de blanc, sec.

Pourtant, il parlait non stop de l’ex, Caroline. L’obsession. Je le consolais. M’informais sur la dépendance affective. Il me disait que je lui faisais du bien. C’était presque une mission pour moi et croyais-je, un début comme un autre.
S’il arrêtait de la mettre sur un piédestal, commençait à s’intéresser à lui et à s’aimer, ça pouvait être beau. Et si je m’aimais pour deux, pas trop besoin de marques d’affection. Selon mes théories et avec tous ces « si », ça aurait pû.

De gros doutes, quand même. Je me barre avec ma valise à l’aéroport, en mode « adieu Very Important Pigniouf », parce qu’il court dans tous les sens avec son téléphone, en parlant trop fort, (oui, à cause de son problème d’oreille, je sais), sans me calculer, alors :
– qu’il se fait embrouiller par une agent immo,
– que c’est mon justement mon job,
– que je tente de lui donner les règles du jeu,
– qu’il piétine et se fait piétiner.

Il me repêche encore in extremis. Version Louis de Funes. Mais non, voyons, viens ! Et vas-y qu’il m’arrache la valise. Va faire un petit tour, achète toi des tax free, et je t’attends dans la VIP room. Des semaines qu’il évoque la pièce magique et me promet à chaque fois de voir s’il pourra m’y inviter.
Un peu phobique des galeries marchandes, je lui achète une carte SD, contente d’avoir obtenu un signe, une réaction, et de venir boire une dernière coupe de champ’ avec lui avant d’embarquer. Illusions et bulles, cul-sec !

Sous les Tropiques, comme partout dans le monde, il est obligatoire. Dans les mêmes Carrefour qu’en métropole. Presque. A quelques tiarés près, jonchant le parking, et aux annonces micro, hilarantes : Le masque on le met sur le nez et sur la bouche, dit le gars limite fâché, entre 2 promos, sinon, ça sert à rien. Et vous avez les tongs en promotion 978 Francs

Ce message m’est adressé, et je ne l’entends toujours pas. Le nez, la bouche. Pas sur les yeux !
Ici on se tutoie, et on s’aime tous. La dame de la caisse me dit viens on va voir. Tu dis de l’acide oxalique ? Question posée sur trois octaves.
Oui c’est pour enlever la rouille sur le pont d’un bateau. Elle prend chaque bidon d’acide chlorhydrique, cristaux de soude et on lit ensemble les notices. On commente. Ben au moins, si un jour on a du calcaire quelque part, on saura qu’il y a le choix. On pouffe en bonnes copines. Nana !…Maruuru, nana je réponds. Elle semble désolée, mais finit par un petit rire joyeux et bienveillant.

J’ai juste un soucis avec iorana, ia orana, kapunka, aiarana. J’essaie de laisser venir le bonjour naturellement, et le ponds toujours à côté. J’ai même sorti un Sayonara.
Tout le reste est parfait ici. On dirait que je suis arrivée chez moi.

Tu pouvais ne pas me calculer, ne pas m’inviter dans ton voyage initiatique, être content que ça se goupille comme ça malgré tout sans avoir levé le petit doigt, que je te suive, te porte, te supporte, fasse la conversation à ton hôte qui nous liste toutes ses astuces de diplômé en radinerie troisième cycle. De la sauce tomate, tu mets de l’eau et voilà ! Un bon jus de tomate.
Comme il a pour voiture un tas de ferraille avec coffre, disons particulier, je casse trois bouteilles de sauce tomate en l’ouvrant. Voilà. Oups. Pas fait exprès de me venger des leçons du « Carrouf pour les nuls » que je dois suivre, en otage. En option uniquement pour les enfoirés qui se cachent derrière un journal pendant que je suis au front, plusieurs fois par jour.

Et tes talents ne s’arrêtent pas là. Mieux qu’une simple éclipse ! Quand je t’annoncerai dans quelques jours « la nouvelle », tu te rendormiras. Le Xanax de trop.
Pour que je continue à apprendre à t’aimer, tu aurais dû au minimum ne pas replonger. Aérer tes aisselles pour envoyer des phéromones à haute dose ne suffira plus. Je crois que cette fois, le charme est rompu. Masque en place. Sur les oreilles. Imperméable au baratin et autres négociations et délais.
Trois mois. Je crois que c’est ton record en quinze ans.

C H A P I T R E S

Ça y est. Joyeux anniversaire !  Après les sushis, la tâche de sauce Soja et la tarte, tu déroules ton plan B. Jouable. Je te demande de l’appeler, là, maintenant. Pas de temps à perdre. Ton pote est urgentiste lui aussi. C’est un mec sympa qui a retapé un mas où j’ai eu la chance d’être invitée, comme à toutes tes sorties d’ailleurs.

Mais oui, viens, c’est super facile ! Avec des petites remarques de gros beauf misogyne sur l’orientation. Tu oublies qu’en venant chez moi la première fois, tu as tourné quarante minutes à la Grande-Motte. 
Tu avais un nom d’immeuble, de rue, et un numéro.
Là, c’est une adresse floue et des indications en mode chasse au trésor. Tu vois le Zénith ? (oui, à Paris, pas à Montpellier, Mas des officiers ?, idem). Et un petit taureau, et là, non là vraiment, écoute ! tu peux pas les louper, trois grands cyprès.
Des cyprès, y’en avait partout ! 

Encore une fois, le ton sincèrement contrit et mea culpesque sur tes deux pour cent de batterie m’a rechoppée quand j’allais renoncer à errer entre les vignes à la tombée de la nuit.

Le collègue ami de garde, sur haut-parleur, confirme. Elle est positive, toi c’est bon. S’il ne l’a pas fait exprès, il a vraiment le karma du mec qui doit planter sa meuf. De bonne volonté, cette fois, il me donne toutes les infos. Oui on peut accéder à l’ordi, oui, il peut me sortir la feuille, oui on peut refaire un test foiré rapide. On va donc cumuler le plan B et un plan C que je maîtriserai, cette fois, de bout en bout en bonne experte de Photoshop.

Seize heures plus tard, retour à la case test. Je vais récupérer le pass après le couvre feu. J’ai mon « motif impérieux », et si un flic m’arrête en voiture, je lui tousse dessus. A l’aube, je montre mon résultat tout frais finalement négatif, au jeune employé de l’enregistrement Air France. Admiratif, il souligne qu’il a vraiment été fait in extremis. Heureusement qu’il n’a pas la matinée pour étudier le prescripteur du test, en en-tête. Qui se trouve être le charmant excité à qui il vient de proposer une rangée de sièges pour sa nuit en avion. Idem pour madame si vous voulez. Ça vous va la rangée derrière ? Je range avec précaution le premier faux test, réalisé dans les narines de mon chéri, qui s’est scrupuleusement passé les contours du nez au gel bactéricide, assèchement des fosses nasales par brèves respirations saccadées. Bref, qui s’est fendu de son protocole de la dernière chance, pour me sortir de cette mauvaise passe. Des remords ? Je me suis demandée si en bel enfoiré, il n’avait pas échangé les tubes, quand il est allé saluer ses potes derrière la vitre, histoire de partir seul selon son petit plan moisi depuis des mois.
Sa fièvre de super cas contact, au moment de boucler ses valises, laisse planer comme un doute dans mon esprit.
Je présume qu’ il avalera discrètement la dose de paracétamol avant de passer sous les portiques de contrôle de température.
Petite pochette rouge, je glisse délicatement la preuve irréfutable de mon état de santé irréprochable, contre le deuxième faux, réalisé sur le logiciel de retouche, avec ma maîtrise intacte d’ex prof graphiste. Je le présenterai à l’embarquement, histoire qu’ils ne tiquent pas sur le court délai de réalisation du test.

Avant même de connaître « son ami de Tahiti », il s’est érigé en obstacle et en sujet d’embrouille favori. D‘autres, parfois jouaient au pied levé ce rôle. Fabienne. Une soirée où je ne connais personne. Tablée de douze bobos réunis pour se raconter leurs vacances. Mon petit speedy man s’affaire autour d’un poisson qu’il grille au barbecue portable. Il ne perd pas grand-chose, et une fois la mission finie, se met à pêcher une sirène. Sa voisine de table. Pas transcendante, mais je le vois frétiller, ah, un Thermomix, c’est dingue ça, comme si elle lui racontait qu’elle avait fait le tour du monde en une semaine.
Et le voilà qui s’emballe en toute fin de soirée au moment de remballer.
La mission, ramener la table en marbre chez Madame Thermomix. Je le vois si bien lancé que je décide de tenir un bout de table pour voir jusqu’où il est capable d’aller. Et le voilà qui s’extasie devant le bassin gonflable archi dégueu, aaah mais t’as une piscine !? Et fais voir ton jardin, un vague terrain mal entretenu en bord de nationale, ah c’est derrière ? Et ils disparaissent.

Ça me scie. Un mois qu’on se connaît. Souvent, il manque d’appétit, alors je reste sur ma faim, et le voilà maintenant qui louche sur l’assiette d’à côté. Pendant que je poireaute.

Fin de CDD. Il me rattrape au vol, jubilant de m’avoir rendue jalouse. Je le préviens en claquant la portière façon crash test. Prochaine fois, si prochaine fois il y a, on y va avec ma voiture, et tu te démerdes pour rentrer.

Pendant qu’il conduit, je continue sur ma lancée. En fais du pâté. Il adore. Me dit comme s’il était Gabin et moi Michèle, t’as un sacré caractère !

Nuit mémorable. Contre toute attente. Même si je fais des piqûres de rappel régulières, histoire qu’il ne s’imagine pas une seconde avec sa pétasse au robot multifonction.

La date approchait, la tension montait, et dès que l’occasion se présentait, je déterrais la hache de guerre.

Mais tu ne connais pas ce mec, ah pardon, tu l’as vu 3 fois, ah 3 fois et vous étiez bourrés tous les deux. D’accord. Et tu veux partir avec « ton Ami de Tahiti » que tu ne connais pas et qui est alcoolique. Ah non, plus alcoolique depuis quatre mois.
Je confirme, nous achetons sa bière presque sans alcool par packs de cinq. Approvisionnement en vue de la croisière. Après quelques cannettes, il semble avoir sa dose. Il en imbibe les tortillas chips bio qu’il achète par paquets de soixante cm de hauteur, qui m’évitent de voir sa gueule quand en fin de parcours Carrefour, je ne peux plus l’encadrer. Il les trempe dans ce qu’il appelle le guacamole, ses avocats trop murs écrasés à la va-vite, dans lesquels il fait tomber des objets qu’il ramasse en plongeant sa main pleine de cambouis. Vu une fois, je n’invente rien.

Ainsi, mon nouveau compagnon ne veut pas parler de nous à cet homme qui bourré lors d’une fête lui a dit ah ouais, Tahiti c’est ton rêve ? Mais viens, moi j’ai un bateau (poubelle, a-t-il évité de préciser. Enfin, entre poubelle et débarras). Je t’emmène aux Iles-Sous- Le-Vent, et tu passeras des degrés de plongée. Il se fait plein de plans sur la comète le Clodo.
Et l’autre zouave ne se sent pas le droit de m’imposer.
Faire comme si je n’existais pas. Pas de « reset », pas de nouveaux paramètres…Oh, une nouvelle copine. Et alors ? Qu’est-ce que ça change ?

Tracer. Droit dans le mur en solo. Pour finir la gueule en steak haché, comme l’abruti secouru en quad. Défoncé, Il s’est pris un mur dans un pauvre lotissement un dimanche après midi. J‘irais pas jusqu’à te le souhaiter. Ou jusqu’à l’écrire. Ben voilà, c’est fait.

C H A P I T R E S

Mais la copine fantomatique a malgré tout pris son billet. Et grâce à elle, Zorro arrive à destination.
Apprenant que Monsieur n’a pas l’Etis (encore un document éliminatoire _ à la con _ à compléter avant le départ), le commandant de bord gèle l’embarquement, et débarque nos valises de la soute. Loin d’imaginer que le passager ne sait tout simplement pas valider un formulaire, il en déduit que le laisser-passer lui est refusé.
Voilà comment je me retrouve à toquer à une porte d’avion verrouillée, avec ma meilleure tête de Sainte Sagesse, le pilote en chef de l’autre côté du hublot. Je lui mime notre dernière épreuve de l’Etis, résultat à l’appui sur mon écran de portable.
Oui bien sûr, je remets le masque mon Capitaine. Tout ce que tu veux gros, du moment que t’ouvres cette putain de porte et que tu raboules ma valise.
C’est Dieu dans son avion. Pour peu que tu tousses, il déciderait de te jeter par dessus bord en plein vol. J‘ai pas vu, champs de vision réduit sous le masque, si j’enjambais des cadavres en cavalant dans les passerelles. De cardiaques. Aucun ne peut survivre à un tel parcours.

Voici donc le petit couple, au complet, accueilli par Clovis. Absolument pas étonné ou acteur de génie. Bavette, leur amie commune a probablement gossipé.
Eux l’appellent Babette, si gentille, leur organisatrice de soirées arrosées à l’origine du voyage, confidente et plus quand, avant « nous », ils se pleuraient dessus en évoquant leurs relations foireuses.
Grand seigneur, notre agent d’accueil me pose deux colliers de fleurs blanches autour du cou. Belle coutume. Très opportune cette odeur, après trente heures de voyage. Il nous fallait bien la centaine de tiarés en brochette pour ne pas pourrir l’ambiance olfactive de sa petite auto qui annonce déjà la couleur du bateau.

Bien sûr, tu viens avec nous. En roulant sur la nationale avec vue panoramique sur le Pacifique, je me vois déjà à la barre, cap sur Maupiti.

Alors, avec « Top chef », son titre en vacances, sa cape de Zorro ayant été pulvérisée sur le tarmac, on sautille en tongues dans les rayons de l’hypermarché. Joyeuse, je le laisse au rayon poisson pour continuer de cocher les listes de Clovis, qui au moment de les dresser, s’embrouille allègrement : doublons, oublis. On fait du zèle, prêts à passer nos journées dans le labyrinthe bariolé pour remercier d’avoir décroché le gros lot : croisière dans les Tuams en amoureux avec notre skipper amateur passionné. De météo et de ravitaillement. Je peux faire deux fois, cinq fois le tour des rayons bios en lisant toutes les étiquettes, je retrouve invariablement mon feu-follet qui sautille sur place au rayon poisson, en train d’halluciner sur la fraîcheur, les pièces de thon rouge, blanc, Mahi-Mahi.
Litres de bière, bidons d’eau, on pousse hilares, le caddie sur le trottoir oblique, jusqu’à la Marina. Même pratique que dans les ghettos du Neuf-Trois, mais ici, encouragée par l’enseigne qui se gave avec les voileux. On se prépare pour 1 mois de croisière. Surexcités, on paie tout même si on divise, à la demande du skipper, la note en trois colonnes. Et on tient compte de ses préoccupations pour économiser des centaines de francs. 120 Francs, 1 Euro. Et bim ! Au moins deux euros d’économies en buvant de l’eau de tomate ! Il va être content.

Top chef se coltine la vaisselle une fois, commentant son attitude exemplaire. Je mets un point d’honneur à la faire parce que j’ai conscience (oui l’expression orale, c’est son kiff à Maître es Blabla), qu’il s’agit là de la tâche la plus rébarbative et il faut bien le dire, nullement gratifiante…Et que chez les hôtes, c’est toujours très apprécié… Préambule à sa thèse qui se prolonge durant toute l’activité, qu’il pratique en novice absolu, avec le plus grand soin et toute la méticulosité nécessaire pour forcer l’admiration de l’observateur. Qui l’entend d’une demie-oreille, et semble s’en contrecarrer.
Et ça dérape direct, il devient cuistot attitré. Clodo n’en rame pas une. Toujours occupé à chercher une demie heure la pile qu’il a laissée tomber dix minutes plus tôt en déplaçant une boite pleine de câbles coupés et de demi outils rouillés. Et entre deux recherches, il force sur un carburateur grippé sur lequel il philosophe, étalant sa science de la fusion des matériaux catalysée par l’eau de mer.
Du coup, entre les avocats et les pomelos il reste une poire pour faire la vaisselle matin, midi….et soir, et la laisser sécher dans un bac qui sert de machine à Palu, non ajourée, probablement récupérée et moins chère qu’un égouttoir qui permettrait d’égoutter.

Puis toutes ces activités, ça le crève le bricolo. Bon, j’ai un sacré coup de barre. Il disparaît dans sa cabine où tout son dressing de chemises trouées sert de surmatelas.

Le lendemain, on doit faire notre autotest. Dans tous les trous. Nez bouche. L’idée de le faire autre part te traverse forcément l’esprit saturé ! Ras le bol de ce flicage. L’imaginaire s’emballe. Si je suis positive, va savoir si je ne vais pas me retrouver en taule à la Midnight Express, ou en camp comme quand tu allais docile, te faire référencer pour avoir le droit de te coudre une petite étoile jaune sur le col.

Point météo après la sieste.
Programme du boss. Demain, on nettoie. On reste dans le port. Trop de vent au large.
_ Ok ! Et moi, je fais quoi ?
… ligne et coque, marmonne-t-il.
Ligne de coke ?
… vigne …taisons.
Gros effort de traduction. Pas son fort la diction.
_ Aaaah ! Ligne de flottaison.
Je pensais que c’était de l’humour. Petit remontant pour la mission.
Super. Prête. Au taquet. Même si le port…si je ne m’abuse, c’est quand même là où vont nos excréments quand il pleut trop pour aller aux sanitaires ? Je garde ma remarque. Peut-être n’y ont-ils pas pensé …

Voilà, l’annexe est colmatée. Elle prenait l’eau par tous les coins.

Super, c’est moi qui conduirais quand ils iront plonger dans les îles, et passer leurs degrés pour aller ensuite frimer au yatch club en France. Oui, excuse-moi, (ton faussement modeste) je suis 4e degré, oui, je l’ai passé aux Iles-sous-le-vent, pendant que l’autre bavera, en repensant à son mono et à l’eau lavasse de Palavas.

Je réveille Cuistot, caresses chastes après sa sieste. Le bandeau sur les yeux, que je lui ai volé depuis, juste par vengeance car je suis toujours éveillée quand il fait jour.

Il me dit. Plein soleil ? On le jette à l’eau ? On pouffe. Bien sûr qu’il est relou vieux grincheux. C’est pas dû à l’age. Juste une excuse. Probablement un ancien con de base, en passe de devenir vieux con. Il fait le mec détendu, qui simule des sourires en montrant ses dents toujours blanches, limite jaune fluo d’ancien dentiste, mais ne peut se retenir de bougonner, de parler à sa clé à molette qui ne dégrippe rien du tout, de gueuler sur son nouveau mousse pour qu’il lâche le boot, non tire, merde, pardon. Il s’embrouille tout seul, cherche même ses mots des heures, parle d’Alzheimer mais ne sait plus si c’est Parkinson ou Alzheimer, il confond.

Vers 16 h, resieste de Clodo. Merde. Le couple covidique se regarde. Oui j’ai de la fièvre je crois. Ben nous y voilà.
Il se tire une balle avec son pistolet à fièvre qui lui sert à vérifier la température du pain. Il énumère le processus : 20 mn de pause. Puis 20 mn. Puis j’allume le four. Trop fier de sa recette avec sa farine kit pain libre. Bref, il appuie sur la gâchette. Drôle de geste. A l’aéroport aussi. On te shoote dans la tête pour prendre ta température. 34 °, ça m’aurait étonnée aussi. T’es sensée naviguer 28h jusqu’à Maupiti avec un mec qui n’a pas un appareil en état de marche?

Le fou-rire n’est pas loin.

Je lui passe mon thermomètre nounours. Ok, un petit 38…mais le thermomètre a 20 ans, l’âge de Lola.

Il est couché. Un moustique, peut-être dit il, ça lui est déjà arrivé. Ouf sauvés par Alzheimer. Ou Parkinson. La planète pense Covid, lui, à un insecte.

Bonnie and Clyde. Je nous vois finalement hériter du bateau et partir ensemble.

Ou avec Jacques et laisser Géo Trouvetou à sa quarantaine Corona à Papeete.

C H A P I T R E S

Jacques a une dégaine d’indien qui monte aux cocotiers. Une dentition à la Freddy Mercury en moins prononcée, un corps sec et agile, tanné par le soleil, le cheveu poivre et sel en bataille avec bouclettes. Le mec qui quand il grimace au soleil, ne paraît pas, mais a une belle gueule.

Je ne le capte qu’après dix jours. Beaucoup de soleil en pays tropical.

Il porte toujours sur lui, une mangue pêchée avec son filet télescopique, une coco marron, peu de jus mais une chair épaisse et écarlate, et sa râpe pour agrémenter notre riz au le lait de coco….succulent !
On partage quelques repas avec lui. Au cours de la conversation, il évoque sa quête d’une pote ou plus si affinité pour naviguer avec un des bateaux dont il s’occupe.

Le ciel se couvre. Pas le petit grain. Le cyclone s’abat sur le couple.

Jour J pour l’auto test Covid. Sa mère la chauve comme disait Lola. Nous y voilà. Dernier piège avant le départ vers les Îles.
Mon plan. L‘esquive. J’ai repéré le Tahiti pas cher, et demande à Cloclo en pleine forme ce matin, dans le rôle du chauffeur, s’il y a un bazar dans le coin. Monsieur le champion du « tout a dix balles » frétille. Je me justifie, au risque de paraître suspecte. Mais il est à mille lieues. Je crois que la plupart du temps, son air con n’est pas une composition.

Innocente : Je dois m’acheter de quoi écrire avant d’aller au Labo (pas un stylo qui écrive à bord).
Tout fier et joyeux : T’as le Tahiti pas cher. C’est juste en face du labo ! Je vous dépose, après y’a plus qu’à traverser.
Surprise : Ah, ça alors ! ça tombe bien dis-donc !
Qu’il dégage ….et nous juste après. On passera devant la file d’attente comme des voleurs. Juste un coup d’œil pour apercevoir parmi les badauds qui se sentent utiles en se prêtant au nouveau passe-temps à la mode, deux flics en uniforme. J’accélère.

Petite divergence de stratégie dans l’équipe. Zorro voudrait aller demander ce qu’il risque s’il ne le fait pas. Ben tiens, tant que t’y es, demande leur s’ils ont des menottes aussi, pour les faux réalisés avant le voyage. Pas de négociation, je reste ferme. J’arrive à le rallier à mon plan : zapper directement. Assez joué avec les tests. Les lents, les rapides, les dans mon nez, dans le sien.

Je respire, me reprends et fais une répète : j’étais en mer Messieurs. La gerbe, la météo, on n’a pas débarqué, et le jour J de l’autotest-de-mes-deux est passé. Voilà ce que je dirais à Interpol s’ils viennent me chercher. Faut arrêter les conneries. Zorro est ok. Mais grincheux. Putain, ce bruit, la pollution. Moi, je vois la mer, les palmiers, les gens cool allongés sur l’herbe. Ils n’ont pas bougé depuis Gauguin. Alors je lui attrape l’épaule et le secoue. Il m’enlace maladroitement, se rend probablement compte qu’il est grave et doit se dire, si j’interprète bien sa façon de m’écraser les pieds dans son petit élan de tendresse, comment une nana aussi cool peut-elle me supporter.

Justement, dans un quart d’heure, elle ne pourra plus.

Zorro dans sa vieille cape délavée : Non, viens par là.

Xena (reine du Google Map Papeete depuis l’enquête Tahiti pas Cher) : Naan je vais pas faire demi tour, la Marina est de l’autre côté.

Monsieur Xenius (le pendant Arte de Jamy) a sa théorie.

Si ! Par ici, c’est le centre ville, on trouvera plus facilement. Il bloque. Caca nerveux. Je crois même qu’il tape du pied.

Je lui dis, ok, va vers ton centre ville, on se retrouve à la Marina toutal. Et m’abstiens de rajouter. Ça me fera des vacances. Loin de m’imaginer que c’est le début des grandes vacances.

Levé à 5 h, Clodo sait que Ducon dort jusqu’à neuf heures minimum. Je suis convoquée. Tu viens sur le pont ? Allons bon. Je le sens mal.

L’homme courageux dans toute sa splendeur. Entretien impromptu alors que tout Tahiti, toute la Polynésie dort. Clovis porte parole :
Ma femme (commence-t-il_en France, ils ne se sont pas vus depuis 6 mois_), ma femme ne veut pas d’une femme sur le bateau.
Silence de la guerrière.
C’est comme ça, insiste-t-il pensant sûrement que je crois ce qu’il me dit. Je le regarde. Ah d’accord ok. Sciée. Sidérée. Interloquée. Calme. Glaciale. Je l’emmerde ce pauvre type.
Il a posé son cul sur le banc pour mentir. De ma hauteur, je réponds d’une voix détachée. Ah d’accord, c’est ta femme. Bien sûr pas de problème.

Ça ne la dérange pas sa femme que j’ai payé le Gasoil, les bières, la moitié des courses avec Ragnar qui a dû plonger, équipé d’une bouteille défectueuse avec laquelle il a failli se noyer à un mètre de profondeur, en se faisant traiter d’handicapé par le génie aux dents jaune vif.
Ça ne la dérange pas, sa femme que j’ai passé une heure à nettoyer sa ligne de flottaison dégueu dans le port dégueu, mes jolis cheveux blondis flottant dans les particules de merde de son valeureux époux.

Oui, ok, le couple s’est fait la gueule tout l’après-midi, parce que je n’allais évidemment pas acquiescer quand Xenius réécrit une version, à son avantage. Lui malin et judicieux, optant pour un merveilleux parcours bordé de roses et d’autobus, alors que bête et renfrognée_ il me mime, ou il mime sa mère, ou il mime son père mimant sa mère_ je m’entêtais vers la quatre voies polluée.

Clodo aurait du se réjouir, je n’en étais que plus charmante avec lui, riais a ses blagues d’abruti juste pour mieux zapper Zigoto coincé dans son armure de mec trop futé. Pour retrouver ma joie, je chambrais Jacques, qui passait, alors, ta coéquipière, elle saura danser et chanter ? Je tâte le terrain. Je partirais bien avec lui. M’a l’air beaucoup plus subtil et frais que Vieux Croûton Moisi.

Le voilà le Xanax de trop. Je lève son bandeau. Qu’il assiste à mon départ, au moins. Mais il a beau répéter souvent et cette fois encore. Ah c’est vrai t’as raison. C’est dingue ! Comment tu vois tout ça ? J’y aurais même pas pensé ! Non mais t’as trop raison ! J’ai rien vu venir.
Je lui plante le décor du final. La convocation de renvoi de Clodo. Il s’offusque et illico repique du nez.
Personne ne voit avec un bandeau sur les yeux. Personne ne voit en se noyant tous les soirs dans l’happy hour, deux bières pour le prix d’une, 6 pour le prix de trois, en s’enfilant toute la presse en comprimés, en se cachant derrière un journal.

Oui, c’est ça. Je répète alors qu’il est déjà reparti dans son demi-coma. Il me vire. Je suis virée du bateau.
Vingt-quatre heures plus tôt on échangeait de la tendresse. Yeux bandés, il me suppliait. Non, pas maintenant le café. Reste contre moi. Et je le malaxais comme un petit pain au lait tout chaud.

La rancœur de la veille fond et je le smacke. Je crois à l’effet Belle au Bois Dormant. Mais regrette aussitôt. Non, ah non. Qu’est-ce qu’il se passe ? Questionne-t-il pour la forme. Deux minutes plus tard, son bandeau tiré sur les yeux, il replonge. Coma profond. Mort cérébrale ?

En moins de deux, me voilà seule et SBF .

C H A P I T R E S

Je cale sur un banc. Impossible de revenir sur mes pas. Pas de touche rewind. Personne ne me verra à la pension Gauguin, attendant que Xanax Ducon rentre de sa croisière. Je veux rester sur l’eau. Y dormir, y naviguer. C’est pas comme si j’avais le choix.
Une force me cloue là. Peut-être le pendant de leur faiblesse, de leur lâcheté. Résister. Continuer. Et espérer. Je bosse sur ma foi. Quelque chose de mieux doit être écrit. La petite lueur réveille ma curiosité de joueuse. Envie de savoir quelle sera la prochaine main, prochain flop.

Je vois arriver sur son vélo, un petit bonhomme rouge et rond qui roule toute la journée quand il n’est pas sur son bateau en face du notre. Il me sourit. J’entame la conversation, et je pitche si efficace qu’en quatre minutes, il capte le tableau, imprime et disparaît, me laissant en couverture de survie son empathie comme un paquet XXL de chamallows.

Je cherche une issue. Pense à Jacques, avec qui on pourrait partir en trio.
Quand trois longues heures plus tard plus tard, Gueule Enfarinée s’excuse de la part du Xanax qui l’a englué, qu’il me prend la main quand je pleure, me dit qu’il va lui parler, l’angoisse se dissipe. Puis revient puissance dix quand je l’entends à mon retour au bateau, planifier leur départ, oui, demain, 10h, ça serait bien.

Je m’effondre dans la cabine comme dans un feuilleton des sixties, et Maître Traître me dit mais non, tu n’as pas tout entendu. J’apprends en effet que Clodo enfonce le clou rouillé, elle ne fait pas la vaisselle (jour off post engueulade en effet, quand le cuistot aussi a fait sa grève et qu’on a mangé mes chips et du Cacamole au cambouis du taré. Il se permet de surcroît de me baver dessus).

Je laisse tout mon merdier dans la cabine et demande à l’empaffé-capitaine de me laisser le temps de m’organiser, le droit de squatter jusqu’à leur départ. Il acquiesce, la queue, en a-t-il une à défaut de couilles?, entre les jambes. Grande âme.

Juste avant le rideau de pluie. Nick arrive écarlate sur son vélo, à toute vitesse. Go ! On the dock, Vent Charmeur !

Un mec vient d’arriver il est ok pour te prendre.

Ai-je bien compris ? Mon english n’est pas fabuleux, et celui du messager Danois a l’accent allemand.

Il s’évapore. Pluie. Zorro a attaqué la série de bières. Une fine mousse chimique commence à envelopper son esprit. Ici, on lutte fièrement contre Covida en interdisant la vente d’alcool le week-end au supermarché, mais on te sert autant de bières que tu veux jusqu’à vingt heures, et double dose à l’happy hour.

Dès que la pluie cesse, je pars en direction de Vent Charmeur.
Un sourire frais, un mec calme, pacifique. Yeah, yeah, it’s ok for me. I show you.

Ça me paraît si soudain que m’échappe en tcheckant : j’espère que t’es pas un psychopathe ! Et il me renvoie le compliment en rigolant.
J’ai le choix entre deux cabines. Il m’indique la meilleure. Oh my god, mais je ne me cognerai donc plus la tête sur l’angle en bois qui me microfissure la boite crânienne à chaque fois que je sors du lit ?
Je lâche mon sac à dos soixante-dix litres, heureusement presque jamais porté. Une fois pour voir ma dégaine dans le miroir en France. Un escargot handicapé. Même allure, quinze jours plus tard avec bouteille d’oxygène, gilet, détendeur, manomètre, (pas nanomètre ça les fait rire) pour aller m’asphyxier dans six mètres de fond et faire rire les poissons multicolores de l’Aquarium. Nom donné à cette zone du lagon, où les bêtes curieuses sont les plongeurs, que peut observer une faune paisible, animée et joueuse.

Bagage cabine, sac de sport qui appartenait à maman, comme la larme d’émeraude que je porte autour du cou, petit sac à dos que Jo m’a passé la veille du départ, pour que je l’emmène en pensée à Tahiti et lui rapporte des magnets. Et mon édredon du pap, super pratique. Tous avec moi. Et on pourrait encore mettre un corps dans cette couchette, si je refermais mon sac à dos qui déborde de cette multitude de riens indispensables qui ont parcouru la moitié du globe.

C H A P I T R E S

Enfin posée, je prends une nouvelle claque au réveil. Pas vue venir. Répudiée par ma fille de vingt ans, parce que je raconte ma vie. C’est si choquant la vie. Tellement pas raccord avec ce qu’on attend les uns des autres. Je commence à caresser l’idée de m’installer au paradis. Evoque le projet sur le groupe. Elle n’adhère pas. Ou a-t-elle entendu que je partais en « vacances »?

Je prévoyais 5 semaines parce qu’il fallait bien donner une date de retour. Le fallait-il d’ailleurs ? Lors de la réservation, une question me taraudait : pourquoi pas trois mois ? Six?

Dans le groupe WhatsApp, une bulle avec texte en italique s’est intercalée, comme un nœud dans la gorge [« Lola mon Amour » à quitté le groupe.]
Comme si tout à coup, je me baladais avec un nuage gris sur la tête.

Mon sac de bordélique chute (savon, piles, chargeur, brosse à dent, déo, clé usb, cable orange, cable blanc, pochette pleine, autre pochette qui déborde, fermeture cassée, porte monnaie, porte billets, ordi…). Comme lui je suis en vrac. Son contenu maintenant répandu au sol.
Odeur sublime. Le flacon de Nuxe coupé en deux, net. Equation dans ma tête. Nuxe égal Nina. Une de mes amies proches. Lola rompt brutalement avec moi, en évoquant le coup de fil de Nina qui a suivi mon post. Celui annonçant l’idée de devenir tahitienne.

Les signes sous cette latitude te percutent si fort. Impossible qu’ils ne t’échappent. Ou est-ce une aptitude qui se développe sous l’effet de la survie.
C’était Nina, l’aventurière.
On se connaît depuis que son fils Noah et Lola ont 3 ans. Elle bosse comme une dingue, chef d’entreprise, moi je lui confie souvent mon mal-être, mon père, mon boss, mon Amour qui ne me rejoindra plus en bord de mer. Elle trouve toujours que c’est ok. Genre, ça va aller. Pas trop d’états d’âme. Toujours tout droit. Elle fait ses voyages, Brésil, Thaïlande. Viens avec moi, je viens de prendre mes billets, je fais le Brésil. Viens, j’ai réservé pour Bali. Là c’est moi qui parle Polynésie et le ton change. Un peu en mode, mère casse-bonbons de la lotion Jouvence de l’Abbé Soury*. Cocotte, prépare toi à vider ton compte en banque.

*(https://m.youtube.com/watch?v=exL7Sw9vSy0)


Elle sait que je suis toujours ric-rac et que c’est une de mes angoisses. Voilà. Puis, quelques semaines plus tard, tu pars toujours ? T’as fait ton Covid ? Je dis oui, du coup, tout est ok ! Etonnée par ses rafales de questions. Je réponds en ping-pong, sans rentrer dans les détails. Et la voilà qui appelle Lola, sans m’en parler, pour bien lui expliquer que même si sa mère l’abandonne, elle sera toujours là.

Depuis petite, elle récupère des chiens et chats abandonnés. Et me raconte en long en large et en travers ses visites pluri hebdo chez les vétos. Quand on est allées en Thaïlande, elle embarque les filles de la belle sœur, dont elle me décrit tous les travers de mauvaise mère. Elle ne s’en occupe pas. Et elle fait une troisième gamine ! s’indigne-t-elle.
Sauveuse des enfants de mères indignes.
Et grosse consommatrice compulsive, grâce à ses achats en doublon, j’ai eu une salopette Wrangler, un flacon Nuxe, tiens ma chérie, j’adore cette marque, un T shirt rigolo Monsieur-Madame. Et bing, tout le contenu du sac à dos se fracasse au sol. En fait, non, ordi nickel, téléphone nickel, juste le flacon scindé en diagonale.

D‘ailleurs, elle aussi a quitté le groupe depuis un bail, discrètement. Pas vu. Ou pas voulu voir.
Malgré le nœud en déglutissant, je crois que je suis prête. A rompre quelques liens pour me trouver, me retrouver ici. Seuls les vrais, les solides tiendront ou se rafistoleront.

Puisque Zéro s’en va sans moi, je pars avec Jacques.
Mais Jacques est libre et fou, dans le sens où il n’est pas gérable. Un cheval fou. Qui finalement reste à terre.

Alors dans ma lancée, je rencontre Daniel. Qui lui m’embarquerait bien. Avec ses faux airs de Dubosc (le charme et l’humour en moins). Sur son superbe catamaran, gratuitement. Mais cette gratuité est trop chère pour moi. Le chœur des envieux résonnedont Miss Nuxe, mais oui ma chérie, tout se paie. « Jouvence de L’Abbé Soury, ça fait deux-cents ans qu’on vous le dit ».*
Têtue, je crois toujours à la liberté, l’échange, le partage, mes rêves.

L’accompagner dans les rayons du supermarché pour acheter tous les aliments industriels auxquels j’ai renoncé depuis dix ans, programmer un marché, en complément, pour ne pas être privés de tomates pendant la traversée. Un aventurier qui ne peut pas partir sans ses coussins faits sur mesure, ses caisses de vin, ses deux oreillers à mémoire de forme. Je m’aperçois in extremis que je me trompe d’équipier.
Le déclic étant le moment précis de la préparation des boots.
L’activité ressemble à un atelier enfilage de capotes. Qu’il tient absolument à m’expliquer, à dix centimètres de mon visage. Avec des gestes très suggestifs, en restant à travailler sur la même pièce que moi, alors qu’une dizaine de bouts de boots sont à faire.
Pour répondre à ma façon, je prends la grande aiguille utilisée la veille et la plante fermement dans la capote et la queue, technique qui s’avère super efficace pour cette tâche et le refroidit instantanément. Voilà, une piqûre double effet, vaccin et rappel. Il m’avoue, lorsque je l’invite pour mettre fin à notre projet, qu’il a eu envie de se tirer sans me prévenir. Et part, en gentleman, sans payer sa bière. Je m’abstiens de lui confier que j’ai failli passer la veille, récupérer mes courses à bord sans son autorisation, pendant sa visite chez le dentiste.

C H A P I T R E S

Une fois à terre, ne crois pas qu’on va t’aider, te rembarquer aussi sec, ni te relever. Certains pourraient même, d’une pichenette, te pousser dans un trou. Ou à l’eau.
Impossible d’anticiper. A d’autres moments, ceux qui s’apprêtent à te faire le croche-pattes se ravisent. Ils enfilent le déguisement de super héros : ah tu sais, tu n’es pas la première à débarquer comme ça, on peut bien se soutenir un peu. Tiens mon vélo, il sera mieux qu’au garage. Ou la variante voilier quelques semaines plus tard. Tiens mon bateau, j’en ai trois, il sera mieux entretenu avec une charmante femme à l’intérieur.

Te voyant trébucher, le comportement vrille, comme la mère qui voit son enfant se blesser et dit, c’est bien fait, t’avais qu’à pas courir. Ils en ont marre de te voir te relever, montée sur ressorts. Assez joué Zébulon. Dégage !

Dans la famille « Nouveaux-Copains », je demande le père !
Oreille attentive, fier de son poste de Dieu du port, il roule pimpant dans son t-shirt rose, sur un mini vélo blanc modèle femme, dos bien droit, fesses moulées dans son jean immaculé. Il me raconte les anecdotes de son fief, la Marina. Ma préférée, une dame mariée, tombée amoureuse d’un octopus. Il trouve un jour, cette élégante femme allongée sur le quai, un bras immergé jusqu’à l’épaule.
Elle descendait chaque jour de son bateau, pour passer un instant avec sa pieuvre. Au moment de prendre l’avion, elle a refusé. Attendant que son nouvel amour quitte cette vie, pour rejoindre son mari compréhensif et son pays.

Il me fait parfois comprendre qu’il n’arrive plus à débarrasser son territoire de certains spécimens.
Des femmes, jolies et un peu allumées, dont une qui avait décidé de ne jamais mettre de culotte. (Du coup j’essaie une journée, c’est rigolo, et pas faux, tu respires mieux sous ces latitudes). Elle vendait des bracelets aux plaisanciers et vivait, comme ça, d’amour et de perles.

Lolly est très jolie ! Même avec son appareil dentaire. Notre boss de la capitainerie m’a déjà expliqué avec un sourire et en retenant un petit filet de bave, qu’elle sait très bien y faire, et peut liquéfier n’importe quel mâle.

Il lui a donc cédé provisoirement et exceptionnellement, un emplacement à la Marina là où il n’y en a pas.
J’apprends la nouvelle aux aurores, lorsqu’il vient prendre sa petite dose quotidienne de caféine et se mettre à jour sur les derniers épisodes de mes aventures tahitiennes, tout en faisant le mec détaché, philosophe, et heureux en ménage.

Mais je comprends, Rodrigo, que tu jettes un peu d’huile sur le feu de mon bûcher. Je connais ta Doudou, comme tu l’appelles. C’est rassurant les doudous. Belle nordique quinqua. Mais je vois aussi, son expression un peu éteinte.

Un jour, je déjeune avec Chris, un de vos anciens amis très intimes.

Version Rodrigo : a voulu sauter ma femme, l’enfoiré,

Version Chris : elle aurait voulu mais c’est moi qui n’ait pas voulu,
Je croise la principale intéressée, et lui communique l’info fraîche de la présence de l’ex-ami du couple dans les parages.

Version 3 : silence, elle rougit sous ses tâches de rousseur, et sourit d’un air espiègle que je ne lui connais pas. Je la vois pédaler en paréo, en nage, plusieurs fois ce même après-midi, sur le circuit habituel de son mari où flotte la présence de son « non-amant ».

Ainsi, expert en vie de couple, et friand de comédies romantiques tu n’as loupé aucun chapitre de mes mésaventures.

A ton tour de jouer, tu as placé la jolie anglaise baguée à côté de l’anneau du bateau qui trimballe mon branquignol, qui adore les filles qui ont des bateaux. Petite erreur dans ta stratégie, il ne craque pas, bizarrement, pour les filles qui ont l’âge des siennes.

Dans trois jours, il rentre et moi j’aimerais bien me téléporter vite fait sur une autre planète.

Dans la famille « Bonnes-Amies », je pioche la sœur de cœur.

Le chœur des « ex-copines » commence à dérailler : oh vas-y, si tu veux prendre le large, fais un effort ! Mène l’autre en bateau sur son catamaran. Un petit aller retour à la casserole. Loin de tous. Tu ne seras pas grillée, même pas cuite. Et au moins, t’auras navigué.

Merci les filles. Traite des blanches, bon plan aussi, pour une navigation à l’œil !
J’ai droit à la traduction, en langue masculine, même esprit glauky, même idée. Avec lourd sous-entendu sur l’âge avancé des femmes périmées. Il est temps de faire un peu de tri côté relations.

Puis musique céleste. Arrive une dinghy qui n’avance que par l’opération du puissant esprit tahitien. Aux commandes, face aux bancs de vautours et autres charognards, la première représentante de la brigade des anges.

A-t-elle vraiment prononcé ces mots ? Ixan, navigatrice en herbe de trente ans belle comme une Ursula Andress, une James Bond Girl, m’a-t-elle vraiment offert ce petit Haiku ?

Quand même, tu te rends bien compte
que certes, tu as ton age,

mais t’es méga bonasse !

C’était avant d’entamer notre Ricard.

Comme si je venais de gagner au loto. Bien sûr que je ne me rends pas compte, et que je dois me pincer, après le cyclone que je viens de traverser. Même si je suis un dixième de ce que j’ai cru entendre, ça efface tout.

Nick, membre éminent de la même armée, me regarde fixement. Contrastant avec ses joues Pink Lady, les yeux bleu océan s’enfoncent dans les miens. Stay away.

Il ne rigole pas du tout. Il répète. Saowfiii , s t a y a w a y ;

Karen, sa compagne, belle Danoise discrète. Première fois qu’elle m’hypnotise, à son tour. A moins qu’elle ne me scanne ? Comment n’ai-je pas vu cette beauté ? Elle aussi apprend à s’aimer. Elle me donne ses petits outils. Ne se sent pas hyper légitime, s’excuse, humble. Je prends, je prends. J’ai peur, une peur panique de paniquer, de m’effriter quand je vais le croiser. Le gentil couple coach me rassure.

Eva, une amie de Jacques fait une entrée fracassante au port. Telle Marilyn. Elle écarquille ses yeux dans ce corps de pinup de l’Est. Il en est fou. Il court. Les yeux exorbités. Que je lui arracherais bien quand il me fait des remarques désobligeantes sur mon âge. Le sien. Toi, regarde ta date de péremption ! Avec ta belle, le marathon ne fait que commencer.
Auréolée de ses airs méga sexys dont elle joue en virtuose, elle me prend aussi sous son aile. Tout compris. Mieux que moi. You take that guy and put a shit on it, and to the garrbage ! Je crois que son anglais de tchèque est aussi bon que mon tchèque. Mais l’idée est limpide. Pas besoin d’interprète.

Soirée cocooning pour mon petit palpitant amoché.

Grâce à ces soirées, regard bienveillant de Nick et Karen, l’accent d’Eva, la question se pose au réveil.
Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Comment as-tu pu suivre pendant 3 mois jusqu’au bout du monde, une âme perdue, qui n’a pas donné de nouvelles pendant deux semaines, t’a larguée au poste d’essence pour s’embarquer avec un fou-furieux, qui te dit une fois rentré, se trouvant là par hasard, ah t’es là toi ?

C H A P I T R E S


Le seul mec que je croise dans toute la Marina. C’est donc écrit comme ça ? Allez me chercher les scénaristes !

Ce moment que je redoutais tant. En allant rejoindre le bar où mes amis ne sont plus. Pas un figurant. Aucun autre des personnages principaux qui sont toute ma vie depuis que ça tangue. Tout le monde s’est volatilisé. L’univers s’est vidé de toute entité vivante.
Excepté lui. Et moi.
Dans la pénombre, je distingue un mec. Que je prends pour le propriétaire de l’école de plongée, à contre-jour devant l’enseigne de la boutique. Poliment, à sa question surprenante, je réponds, oui, et toi, ça va ?

Et là, je le reconnais. Il s’habille hors de la douche, comme si c’était normal. Dans la pénombre, me dit que j’ai bonne mine. Dans le noir ! Comme s’il croisait sa voisine devant le parking. Rien sur nous. Blablate sur ses mésaventures de navigation dont je me plus que tamponne.

J’ai suivi un fou au bout du monde. Qui, après m’avoir parlé de son ex pendant une éternité, puis silence radio, me parle d’un autre fou.
3 mois et 3 semaines.

Une minute d’échange insipide déclenche le réflexe du vélo. Pendant qu’il monologue en mode banalités cordiales de voisinage, la pédale s’enfonce sous mon pied, interrompant net cette non-conversation.
Dans mon état de sidération apocalyptique, je fends l’air lourd jusqu’à mon refuge.

A distance, j’envoie mes flèches pointe curare, messages qui comme depuis des mois tombent à l’eau et coulent. De pauvres bouteilles mal bouchées.
Le seul bouchon hermétique, l’insulte. Je me défoule. Et oh surprise, j’ai enfin droit à un message, presque aussi long que le mien.
Et je ne t’ai jamais trahie, blablabla, c’était clair depuis le début, projet solo, blablabla, et je suis disposé, (et pourquoi pas je daigne, ou, je m’abaisserais bien), à me balader dans les Tuams avec toi.
Et quoi encore ? Pour que tu montes à bord, avec le premier compagnon d’happy hour, et que tu me proposes qu’on se rejoigne dans 3 mois ?

Je te laisse ramer, pédaler. Et malgré tout réponds.

J’hésite, entre deux propositions : un plan avec mes amis ou un dîner avec binôme d’enfoirés. Je vais faire la plouffe, je te dirai.
J’essaie de me tenir à distance. Me débats pour ne pas être aspirée par le trou noir, et comme une ballerine-plume en plein porté, déploie toute mon énergie pour rester légère. Ne pas basculer.

Pour que je te les casse, encore faut-il que tu en aies, et que tu leur ai fait faire le voyage. Frani Taioro, puisque tu ne réponds que quand on t’insulte. …Oreilles bouchées face aux mises en gardes angéliques, j’attends toujours les réponses. Silences diaboliques.

C H A P I T R E S

Les échanges continuent. En numérique. Pas de salamalecs. J’essaie de nous voir en face, et de tourner la page. A l’horizon, d’autres amants potentiels.

J’essaie de redresser la couronne sur ma tête. Assise sur mon trône bancal, j’étudie les candidatures.
Renaud, qui dégouline en pédalant à contre-sens sur la voie rapide, tout sourire, la soixantaine juvénile, l’œil bleu. Mental, quatorze ans et demi, il pétille. Un rêveur, procrastinateur. Une cabine libre. Veut se tirer dans les îles, et dès qu’il est prêt _ça fait deux ans qu’il avance doucement_, il m’emmène.
Léger et enfantin, il tombe presque de son vélo en me voyant et s’exclame à la cantonade, ah ! la plus jolie de la Marina. _One point ! _ Puis lourd comme les quatre tonnes qu’il conduit quand il chausse sa panoplie de chauffeur : Tu vas prendre ta douche ? Petit sourire charmeur et accent du sud. Tu pues ?
Une seconde d’apnée. Mes sourcils remontent. Répartie : …trouve pas.
Il insiste, c’est ça ? Si tu te douches pas tu pues ? Et il développe.
Je tourne le bouton, change de canal. Enlève le point. A mistake, sorry. Le replace au dernier rang dans la file des prétendants. Voire sur la touche.
Jacques fond pour Eva mais je sens bien qu’il me kiffe aussi. Qu’il me parle d’elle, mais aime notre connexion, et tenir à distance mon ex-Zorro, qui prend trop de place dans nos conversations.
Il martelle subtile. Un chuchoté hyper-articulé. Il est pas a-mou-reux. Oui, il a des sentiments. Mais il n’est pas a-m-m-ou-reux !
En bon binôme de bras cassés des relations amoureuses, on partage aux dîners, nos salades de théories et conclusions fumeuses.

Xavier erre dans les rayons de la supérette. Pieds nus, masqué, casque de moto sur la tête. Drôle malgré lui, son air toujours sérieux et sa cicatrice de bad boy. Un petit pincement, mais je l’élimine d’entrée. Trop fracassé chaque soir, quand il met un bon quart d’heure à monter dans son annexe pour aller cuver le rhum qu’il commence à siroter à l’heure du goûter.

Roger, lui, joue sur d’autres cordes. Humoriste séducteur et rebelle complotiste. Qui met son masque sur la pomme d’Adam pour ne pas avoir le « cou vide ». Drôle, mais suffit pas. A deux cabines à me proposer, en comptant la sienne.

Tex, ce mono, la trentaine psychorigide, proposition de love-story sado-maso. Tente de me rabaisser parce qu’il a cru que j’allais craquer avec mon détendeur, lâcher le boot de la plongée pour snorkeller. Puis fond quand je déballe mes aventures sur le zodiac, en rejoignant le spot du jour. La moitié de mon âge, je vois son regard décoller l’étiquette « relou-flippée » qu’il remplace par « couillue-sexy ». Alors il essaie de me facturer des leçons supplémentaires, pour s’assurer que je ne vais pas refaillir. Mais je fais la cancre. C’est lui qui paie. Cher. Une bonne séance de stress pour Monsieur. Tête en bas, je joue avec les poissons, descends deux mètres de trop, le zappe sous l’eau et il est obligé de cogner rageusement dans ses mains à vingt mètres de profondeur en crachant toutes ses bulles, pour me rejoindre et me rappeler à l’ordre. Accroche-toi bébé, je suis déjà inscrite dans l’école d’en face, et c’est Klaus qui m’initiera. A la source, ou la vallée blanche, entre deux requins, quand ton rêve était de m’emmener pour la cinquième fois à l’aquarium regarder le coussin étoile que tu me montres à chaque fois.
Il essaie les ronds dans l’eau. Comme les ronds de fumée version bulle d’air. Raté. Tu récidives sans succès. Impossible d’imiter ton collègue, zen et beau gosse. Ton petit numéro à 100 francs polynésiens, huit centimes d’euros. Rayé de la liste.

J’ai abandonné Eva sur le chantier, Néo chez Léo, deux chats chez moi, Zorro à Papeete, Lola en métropole, mon âme sœur à Paris.

L’abandonnée abandonneuse.

Il le fallait. Pour me trouver. Qu’en bouquet final, je m’abandonne à lui, qu’il parte sans moi, et réalise qu’en fin de compte je n’ai peut-être… besoin de personne.

Je connais maintenant la couche gratinée de la Marina. Rodrigo le boss me déroule le tapis rouge, Melchior me filerait bien un bateau, mais Patrick, veut m’aider lui. Il va trouver le plan. Je vais laisser venir. Depuis la terrasse de la capitainerie où je viens à l’aube chaque matin, écrire et partager le petit café gossip.

J’accepte l’invite au restau de Zozo qui refait surface. Gênée parce qu’évidemment, je croise mes alliés Danois au moment où on passe la porte d’entrée.
Mes thérapeutes de sevrage. J’entends leur regard désolé : ok, tu replonges. J’ai envie de les rassurer. Mais ils savent. Je joue avec le feu, drogue dure. Ils voient probablement déjà des petites flammes au fond de mon regard d’addict, ou l’étincelle, trop tard, dans mes cheveux couleur paille.

Madame connaît tout Tahiti ! S’agace-t-il.

Alors, passant devant le comptoir où il a siégé, ne ratant aucune happy hour depuis son retour, il fait la compète. Veut me montrer que lui, il connaît tout le staff. Salue obséquieusement chaque membre du personnel en se plantant sur un prénom sur deux. Bouffon.

Le numéro est un peu grotesque, mais me touche par son côté désespéré.

Ça ne m’intéresse pas de te faire courir. Même si elles me disent toutes que c’est ça le truc.
Tu fais le con parce que t’es encore plus fragile que ce que je crois l’être. Et en comparaison, je me sens assez forte finalement !

En plein révisionnisme, je me raconte l’histoire autrement. A base de « Et si…. »

Et si …tu m’avais juste abandonnée pour te trouver, toi aussi.

Et si …finalement, la came était juste un bon moyen de se relaxer ? De planer. De se libérer ?

Je t’écoute. Te plaindre. Pas de ton ex. De ton coéquipier cette fois. De t’être retrouvé sur le bateau d’un dingue caractériel.
En pensée, j’observe les séquences parallèles. Moi, sous pavillon Danois, où on me dit, make yourself at home. Accueillie comme une reine.
A part toi, j’attire de bonnes personnes. T‘es mon erreur de casting. Peut-être parce que c’est toi qui m’a choisie. Flattée. Si votre ramage se rapporte à votre plumage. C’est comme ça que tout a commencé.

Une bonne leçon, Maître Zorro.

C’est mon regard que je dois changer sur moi. Me prendre pour une sdf, alors qu’ils sont tous témoins : le pied feat direct dans la tong de vair. Malgré les bosses, l’hallux valgus. Voie royale. Mon monde est peuplé d’âmes merveilleuses. Ou drôles. Dégagés les dingues, qui te larguent, te virent. Te broient.

Eva, saoule, retourne sa veste n’importe comment. Me dit que je ne peux pas compter sur lui. Ni lui sur moi car je n’ai pas voulu respecter son projet solo. Mais ça c’est Eva qui le dit. Elle dit aussi qu’elle rend tous les hommes dingues sur le chantier, quand elle nettoie le pont du bateau en bikini. Là dessus, aucun doute. En rajoutant encore quelques verres, et un peu de rhum, avec son T-shirt ultra fin qui souligne ses tétons nus, elle se rapproche et me susurre c’est cool avec girls.
Elle me regarde comme si j’étais un cheese cake nappé de coulis de framboise. C’est sympa de caresser d’autres bubbles. Me scrute. Elle doit voir mon épiphyse. En double.
Un palier supplémentaire d’éthanolémie franchi, elle se confie, je me sens coupable. Ai-je donné de l’espoir à Jacques ? Et maintenant je veux marry Vent charmeur. Il y a 2 jours, elle disait, no man. Men sucks. Garrbage.
Le diadème chute. Ralenti… au fond du port.

Je réponds des trucs convenus, qu’elle aura oublié demain matin. Ken est un grand garçon. T’agites ton petit corps de pinup sous son nez, alors qu’il n’a pas mangé depuis des mois, normal que son estomac gargouille .
Tu me regardes amoureusement, you know I love you, and you‘ll have to try. If you die, you will know….bubbles.

Elle a raison, je devrais essayer les filles. Mais là, comme ça, ça me paraît incongru.
Elle trouve que mon anglais est so improve. Mais je commence à avoir des doutes sur le sien. Et moi aussi, je me demande si j’aimerais la caresser. Mais Eva est comme une pâtisserie, d’un autre genre. Pas trop envie de tester de nouvelles intolérances.

Alors selon elle, mon « couple » serait basé sur la trahison ! La théorie d’Eva bourrée, qui voudrait que je caresse ses nichons alors qu’elle se sent aspirée par Ken. Je sens que ça part en vrille.
Je salue la caravane. Laisse passer. Rendez-vous avec Karen demain, pour plonger aux aurores. Dans les eaux limpides du lagon.

Plus subtile, deep, dirait Lola, elle résume ce que je lui explique. You grow up. Et on part en fou-rire quand je m’assois distraitement à l’arrière de la barque. Dans le vide, disparaissant de sa vue.

Restau plié. Sympa. Drôle avec un bon Chardonnay. On marche bras dessus bras dessous. Même s’il joue au gros con. Teste jusqu’où j’endure.

Ah oui, j’avoue, elle c’est quand elle veut ou elle veut. Marine la Bordelaise, Elise l’infirmière.

Et là je souffre. Aucune résistance à la provocation.

Je me rassure comme je peux. M’accroche à mon mantra. Moi, l’instant présent.
Aux preuves fugaces de mon attrait sur la gente masculine. C’est moi que Bob, qu’il me présente, regarde fixement avec ses yeux vert menthe lagon. Si je m’aimais un peu plus, ou m’amusais avec d’autres, je saurais que je peux les siroter. Tous.

Il consommerait, certes, ses infirmières au Bordeaux….Mais l’ennui… Un petit tour de vélo autour du lac ? Je vois ses clichés, vie trépidante sur Facebook. Et n’oublie pas le bonnet sous le casque, pour la piscine. Elise adore la piscine. Les longueurs dans l’eau tiédasse, en bande, avec d’autres têtes de glands siliconés.

Ma frénésie, boulimie, collait parfaitement avec sa speederie de fuite permanente….C’est ce tourbillon dans lequel j’avais besoin de m’envoler. Même rapidité, mêmes échelles de vibrations un peu déconnantes. Deux déboussolés.

Pareil pour moi. Si je couchais avec Vent Charmeur, gaulé comme Ken rugbyman. Je serais obligée après de boire tout mon pastis. Et un autre, parce que j’aurais hate de remettre ça, juste pour fuir notre laborieuse conversation . A l’écouter citer Verhoven comme Godard, so crazy, à la belle étoile, j’ai cru qu’on décollait, Gaspawd Noyé, très hot, avec l’accent…Mais après avoir dressé la liste et chiffré son stock de films dans l’ordi, rien. Crazy, hot. Deux adjectifs. Comme lors de nos dîners. Il se gave de bons films en pleine mer, et maintenant, de cette chantilly bleue, et rose qu’il s’enfonce violemment dans le gosier. En pschittant direct comme s’il s’agissait d’un spray bonne haleine….et il adore raconter que quand un autre te le met, ça ressort par le nez. Arrête, Ken, trop exciting !!!! Bon ça me donne le mal de mer. Sommeil très tôt. Ah, ah, ah, si je ris malgré l’ennui, c’est juste parce qu’il m’héberge. Et que ça c’est nice. Et que ça le rend fier et touchant aussi. Une cabine libre sur un bateau qui n’est pas à lui. Quel gentil garçon. Je vis l’épisode 4385 de Beverly Hills. Et je m’endors dedans.

Donc toute cette mélasse à la crème fraiche et sirop de glucose déprimant me ramène à lui. Qui remonte son bermuda en string, se tire sur un poil de la cuisse… Depuis petite, je rêve d’avoir un petit singe. Je l’ai trouvé.

Et je lui file des petites taloches dès qu’il me blesse.

Tu devrais voir ma pote en chirurgie réparatrice, qu’elle reprenne ta cicatrice.

Ah bon, ça serait meilleur, tu crois ? Et quoi d’autre.

Tes seins.
 Il met le paquet, adore me piquer, me tourner le dos, parce qu’il me trouve trop à croquer, dit-il. Et moi qui marche, démarre au quart de tour. Boude.
Pas cette fois. Je l’emmerde. Calmement.
Je t’emmerde. Toi, refais-toi la bite. Et je pars là dessus, sans lui faire de smack.

FIN – CHAPITRES

LIBEREE DE L’INCONNU

*CHAPITRES

Il est à la Marina, le jour où Charles quitte le port. Sans moi.

Mon objectif, trouver un bateau dans lequel rester à quai, histoire d’éviter d’être à la rue à Tahiti. Même si, on est d’accord, « SDF en Polynésie » est un concept exotique. Il y aurait bien l’hotel, mais je refuse. Ce serait comme accepter l’échec. A la base, je me voyais naviguer. Point. Seul plan B envisageable, un bateau statique, mais sur l’eau, aucune envie de retourner à terre.

Jean-Marie, sur le ponton, m’aborde. Il attend une fenêtre météo. Se fiant à ma tête d’experte, et pensant que je prépare mon bateau pour partir, il monologue sur le thème, à propos de vents propices pour un départ vers l’Est.

Dans les cinq minutes, apprenant que j’ai été larguée avec les amarres par mon équipage, il me dit qu’il m’embarquerait volontiers pour les Marquises. Il va y passer la saison des pluies. Un couple démarre le périple avec lui, mais envisage de le quitter à Fakarava. L’idée serait de le rejoindre là-bas, en avion, et de poursuivre avec lui, la longue traversée au dessus des Tuamotus.

Je reprends espoir.

Six semaines plus tard, résidente d’un bateau sans mat, qui d’après son propriétaire, est honoré d’abriter une belle femme en attendant l’opération qui lui rendra son appendice, il me relance. Via Whatsapp. Le couple reste effectivement à Fakarava, ne supportant pas la navigation. Version officielle. Tu es la bienvenue si ton envie de t’amariner est toujours d’actualité.

Plus que jamais. En marchant, j’étudie différentes options. Je me donne encore neuf mois pour choisir mon sweet home. Loc ? Colloc ? Gardienne ? Proprio ? Logement de fonction ? Container ? Bungalow ? Hotel ? Bateau ?

Dans les tests de passage, si je choisissais la dernière option, il est impératif de naviguer. Même si je pourrais me contenter de dormir sur un bateau ancré, et savourer le bercement de l’océan abrité dans une coque de noix.

Me voici, à Air Tahiti, m’apprêtant à faire mes réservations. Ou à m’informer. Ou on verra. 6H du mat.
L’avant veille, avec Charles-Ulysse, revenu de son périple dont il m’avait exclue, on y est passés en fin de matinée. Histoire de recoller les morceaux de notre jeune relation déjà bien amochée.
Charles est alors, pour énième fois, sans que je le sache encore, mon futur-imminent ex. On vient y pêcher des infos, concernant le Pass inter-iles, ou Pass lagons, choisir le plus adapté pour re-re-re-re-repartir sur des bases cool, friends, sexfriends, ou juste potes, cousines….Pas très motivés et découragés par 2 bonnes heures d’attente, on quitte l’aéroport bredouilles, en notant l’horaire d’ouverture, pour une prochaine fois, qui n’aura jamais lieu ensemble.

Ce même après midi, je le déclare officiellement comme ex, après un ultime et définitif clash, un rendez-vous foireux de trop, où il arrive, avec 45 mn de retard. Une faille spacio-temporelle nommée « bière de l’apéro », qu’il a casée là, au moment où il devait démarrer sa voiture pour me rejoindre. Cette fois, à mon tour de le larguer. Définitivement. Proprement, au sens figuré.

C’était écrit. Pas d’archipel en amoureux, quelle qu’en soit la formule.

La seconde île, après 1 mois et demi à Tahiti, c’est Moorea. Lendemain de la rupture. Je me suis enfin décidée à prendre le Ferry, puisque tous mes plans voile tombent à l’eau.

Sur le vélo direction Papeete une nouvelle chanson s’écrit, s’écrie dans ma tête à tue-tête :

I can go, wherever I go
I can do, whatever I do

I can be whatever i want

I am soooo…..freee….

I am soooo….independant….

Independantly free…

Oohooh…..

Je passe une journée en solo, libre et légère, à la découverte d’un petit bout de cette terre que j’ai si souvent observé, coiffée de nuages, depuis sa grande sœur Tahiti. A mon rythme, lagons, baignades, vélo, photos, déj en tête à tête avec le pacifique sur une plage déserte. Seule cliente du snack, servie avec bienveillance et générosité, je déguste une portion royale de poisson frais grillé.

Au retour, l’improbable rencontre a lieu.

J’ai pourtant changé mes plans. Comme celui qui prend le vol précédent, et se crashe. Au lieu de rentrer avec le dernier Ferry, je décide, en milieu d’après-midi, de quitter l’île pour mieux venir la redécouvrir bientôt. Je sais que Charles a prévu de passer quelques jours ici. Suivant un programme flou. Arrivée à l’aire d’embarquement, une pensée me traverse l’esprit. Imagine que tu le voies débarquer. Et l’image se substitue à la pensée. Je vois une voiture blanche. Un profil au volant. Sa coupe unique de mini-viking du sud de la France.

Lui en voiture, moi en vélo. Il débarque, j’embarque. Il me voit, suit la file de véhicules pressée par l’agent. J’essaie de rejoindre sa voie, puisqu’après tout, la vie le remet sur ma route. Puis me ravise. Après 4 bleus en me faufilant entre les voitures à côté de mon vélo, et ne le voyant pas s’arrêter un peu plus loin, je décide d’embarquer. D’arrêter d’aller à contre courant. De ne plus l’attendre. De ne plus lui courir après. De ne plus espérer des heures des réponses laconiques, aux sûrement trop longs sms que je lui envoie. Comme lui, je me laisse porter par le flot qui me porte dans la direction opposée.

Le lendemain à l’aube, je suis dans le peloton de tête pour prendre des infos à l’aéroport de FAAA. Ticket 197. Tout comme le mois dernier, Jean-Marie a un impératif, sa fenêtre météo. Au plus tard le 23. Conditions idéales. Certifiées.

On est le 19 décembre.

Après une heure, je ressors de l’agence avec heures et tarifs de vols. Et autant de doutes que de possibilités. Un pass ? Aller simple à Fakarava, retour depuis les Marquises ? Peur de me lancer, je quitte le guichet sans réservation. Puis reviens sur mes pas et prends un nouveau ticket au distributeur. Le 208. Appelle Jean-Marie. Bavard. Abrège la conversation parce que paraphrasant les renseignements que je lui transmets auxquelles il mélange les siens, obsolètes, il ne fait qu’augmenter ma confusion.

10 mn plus tard, pas plus avancée dans mes décisions, me revoilà au guichet. Avec un autre employé. Un peu plus pressant, il me pousse à me mettre sur liste d’attente, sur 3 vols.

Trop fébrile, je monte le dossier mais ne fixe rien. Pas de places avant le 25, hors cadre de fenêtre météo. J’en déduis le signe évident que je dois rester, non ? Répondez ! Silence assourdissant en réponse à mon vacarme interrogatoire mental.

5 mn sont passées, ça s’accélère. Je repasse avec le numéro 213. Cette fois, je réserve. Ok, liste d’attente dimanche et lundi. Si ça foire, c’est que c’est karmique. 5 personnes dimanche, 3 mardi. Aucune chance à mon avis.

Dix kilos de bagages ? Pardon ? C’est pas vingt-trois ? Ah ok, dix-dix-dix-d’accord. Et les 13 excédentaires ramenés de France, j’en fais quoi ? L’employé hausse épaules, coin de bouche et sourcils, compatissant.

Casse-tête de la mort pendant les vingt-quatre heures qui suivent. Je fais et refais mes sacs. J’écrème. Ok, pas besoin de la jolie robe, j’y vais en matelot roots. Que mon colloc’ ne se fasse pas de films.

Et pour la pesée ? Comment savoir si le sac fait 10 kg, 18 kg ? 48 ? J’enfourche le vélo, prête à faire le tour de la Marina. Je demande à ma voisine de bateau qui fait la gueule depuis que ma pote Eva, à mon premier apéro, est tombée à l’eau saoule, « as-tu un pèse personne » ? On se tutoie tous à Tahiti. Même quand t’es une mauvaise voisine de bateau. Ok, merci. Elle a l’air faussement désolée et vraiment satisfaite de ne pas pouvoir m’aider. Henri non plus n’en a pas. Lui conduit des engins pour déplacer des bateaux. Il mesure les poids en tonnes. Il est sincèrement navré ! Et espère peut-être secrètement que je ne trouve pas, ne parte pas. On se salue 10 fois par jour et j’ai l’impression que ça va lui manquer.

Ken, un de mes premiers amis rencontrés à la marina, skipper faisant halte avant de repartir vers l’Australie, est la 3e personne que j’interroge. Yes ! Et il me sort comme par magie, un pèse bagages. Je découvre par la même occasion que cela existe.

Demande et on te donnera. Même un truc super pointu et incongru….Frappe aux portes. Comme dans les contes.

Troisième petit cochon.

Ah oui, alors du coup, je voudrais une robe en eau de lagon pour Noël.
Tiens, et surtout, pas besoin de repassage. Ouvre donc cette bouteille le 24 décembre, souffle trois fois et tu porteras la plus belle tenue de réveillon jamais créée.
Merci la fée.

Un pas de plus vers le vol Papeete-Fakarava.

Ah ouais 10 kg, ça fait encore moins lourd que je pensais. Nouveau tri.

La chauffeure de taxi avec qui j’ai fait un deal à l’aéroport s’appelle Philo…Philo-mène Sophie vers son destin. Philo+Sophie. Amour de la sagesse. L’association me rassure un peu. Même si pour l’instant, tout me paraît plus flou et fou que sage.

Et me voilà, chargée comme une bourrique. Flippée total de partir, de laisser quatre robes, deux carnets de brouillon, et mon début de nouvelle vie tahitienne, nouveaux amis, ex-petit-ami à la Marina Taina. Dans mes bagages, le piano en silicone rollup, et le ukulele, pas en silicone, qui prend sa dose de chocs, du bateau au taxi. Douze heures quinze : Philo est ponctuelle.

CHAPITRES

* Pub « Hollywood chewing-gum » du siècle dernier :

Fraîcheur de vivre
Hollywood chewing-gum
Chewing gum au goût très frais…

Hollywood chewing-gum
On en prend un
On se sent bien !

Direction l’enregistrement. Excédant de bagage, malgré tous mes efforts. Supplément. Pas grave. Au point où j’en suis, rien n’est grave. Masque sanitaire étouffant obligatoire, deux heures d’attente, à réfléchir au retour, trajet Aéroport-Marina.
Je pose les données comme un problème de maths de CM2.
Le bagage cabine étant devenu bagage soute à cause des dimensions :
5 kg + mon sac à main blindé (PC, boites de sardines pour la traversée Fakarava Marquises ): 5 kg + dix approuvés par le pèse-bagages,
qui font 20 kilos.

Le plan, si personne ne se désiste sur les vols : rentrer à pieds. Journée sport. Ou calvaire. Mes bagages, ma croix, sous trente degrés Celsius avec trois cent pour cent d’humidité. Et le bas du dos bloqué. Depuis le matin du départ à Moorea.

Là encore, j’ai cherché à comprendre. Plein le dos ? Fin de la love story ? Peur de partir alors je m’auto-bloque ? Devrais m’écouter ? Vite rentrer m’allonger ?

Quelqu’un me fait signe au guichet, liste d’attente Madame ? Tu te mets là ! J’adore, même les gens au boulot, en uniforme, te parlent en cousins.
Ouais gros, compris !
Non, pas de familiarité à ce point, mais pas loin.

A peine rangée dans ma file, je vois un couple embarquer devant moi. Mince, alors… Je commence à y croire. Mon pouls s’accélère.
Trente minutes plus tard, on m’appelle. Mille cinq cent francs pacifiques pour le bagage soute qui ne serait pas conforme. Carotte. Il le sera au vol retour, avec exactement les mêmes dimensions, même compagnie, mêmes règles.
Je convertis le supplément en citronnades : quatre. Ok. Ça les vaut.

Peur qu’ils décollent sans moi. Bagages scannés, dernière à passer le contrôle, après la dame en fauteuil roulant. Mais non, Sophie, tu vas pas la doubler ! Je vois l’avion, guette la passerelle. Téléportation ! Dans le futur, si je peux choisir une option, ce sera celle-là. Degré de stress qui frôle la limite Accident Vasculaire Cérébral.

Palpée, la pression monte encore d’un cran. Les pressions bipent. Sur la salopette, au moins dix boutons qui affolent le portique. La dame souriante fait le job de la fouille, suivant son protocole chorégraphique. Comme un karaté doux de cosmonaute en mission, où elle contrôle, avec la tranche de la main, tous les contours et volumes de mon corps. On rit. Soupape de sécurité.
Je cours et sautille, allégée de quinze kilos de bagages, et de mille cinq cent tonnes de doutes.
Si tout se passe comme ça, c’est que ça doit ! Suspens au max, j’entends ma fille, en pensée. Elle m’appelle Fast and Furious. Ou Drama queen. Les deux mon capitaine.

J’embarque ! Préviens tous mes contacts whattsapp ! Et passe en mode avion.

Évidemment, il y a un fond de peur. Stagnant, marronasse, comme un fond de veau.

CHAPITRES

J’ai échangé en tout et pour tout deux heures avec cet individu, et là, je suis à bord de son voilier.

Liste d’attente, avion, escale à Rangiroa, auto-stop, ratatouille-purée, orange en provenance d’Australie, et me voilà. Dans la cabine d’un bateau que je n’ai jamais vu.

Nickel, propre, beau. Dans un lagon de rêve, émeraude, turquoise, bleu pétrole. Il m’explique les règles, le fonctionnement à bord. Tiroir précieux à bloquer sinon obligé d’en refaire un sur mesure, très cher, douche en plein air, manipulations de la chasse d’eau pour les toilettes. Parler avec un inconnu de la logistique PQ, à déposer chacun dans son petit sac poubelle perso, on est lancés. Porte de la cabine ouverte, exige le capitaine, pour que l’air circule.
Super l’intimité. Première petite déconvenue. Que je garde pour moi.

Couchée, porte ouverte, je l’entends faire des cliquetis. Au pire de mon éventail des scénari possibles, il se branle et va me sauter dessus d’une minute à l’autre. Au mieux, il fait une manip avec un appareil de navigation que je découvrirai demain. A moins qu’il n’exécute un geste avec un cure dents chelou…je ne cherche pas à vérifier.

Deux jours plus tard, je tombe sur sa réserve, pour les trois années à venir, de fil dentaire.

Je me méfierai toujours de lui, parce que la première fois, lunettes noires, casquette, moustache, voix monocorde, je me suis quand même dit, putain, il est chelou. Et j’étais contente que le couple embarque à ma place direction Fakarava.

Lorsqu’il m’a recontactée, je me suis interpellée. Hé ! Rappelle toi. Mauvaise première impression. Toujours s’y fier. Mais je n’avais plus le choix. Raconter à tous vents que tu veux acheter ton bateau et devenir capitaine, quand tu sais pas si oui ou non tu seras une machine à vomi une fois ballottée par l’océan, il était temps de passer l’épreuve du feu. De l’eau.

Alors, quand on se met, dans la conversation et à son initiative, à parler de psychopathes, je pose un avertissement l’air de rien, raconte que j’ai vu Dirty John. La petite qui déteste d’emblée le beau-père, retourne l’arme contre lui à la fin, et le massacre sauvagement. Avis aux amateurs, y’a pas de petite femme fluette sans défense. Quand on nous cherche, on est des monstres de bêtes sauvages.

Je vois dans son regard qu’il me croit.

D’ailleurs, argumente-t-il dans mon sens, il est assez bien placé, car sa défunte épouse travaillait en psychiatrie, et a eu affaire à une petite mamie qui a tué son mari de 13 coups de couteaux, raconte-t-il en souriant bizarre. Il observe ma réaction.

Dans la même rubrique puisqu’on se dit ces choses, (sa façon comme une autre de faire connaissance), à peine deux heures après mon arrivée, sa femme qu’il aimait passionnément dit-il, est morte, cinq ans après l’attaque d’un patient. Agressée, son dos massacré. Son cœur a lâché après des années de douleur et de morphine, vers la cinquantaine. A peu près ton âge aujourd’hui me précise-t-il.

Je me demande si là, à cet instant précis, je n’aurais pas dû dire, au plaisir, gros malin. Peux tu maintenant me ramener à terre ? Je crois que je vais aller dans une pension, faire un peu de plongée, et rentrer à Papeete d’ici quelques jours .

Silence rempli d’images horribles, est-il le « patient » de sa femme aimée et tuée « passionnément », « passionnellement » ?

Il remarque un bleu sur mon avant bras et enchaîne, naturellement sur une histoire de femme battue, qui comme moi, insiste-t-il, avait des bleus qui se sont avérés être….ce qu’ils avaient l’air d’être. Glaciale, je réponds que ce n’est pas un sujet sur lequel je plaisante. Basta ! Sous entendu, pas avec toi, et tu me touches, 13 coups de couteau dans ta gueule. Je commence à avoir sacrément ma dose d’histoires glauques.

CHAPITRES

J’annonce direct la couleur. Dès les premières conversations louches. Je ne caresserai pas dans le sens du poil pour aller naviguer. Si ça s’arrête là, je reprends mes billes et retourne à la Marina. Pour l’instant, pas d’attaque. Je mets le son off, encaisse et réplique en sourdine. Non, tu ne me masseras pas le bas du dos, même si je douille. C’est gentil de proposer, mais merci. Non. Vraiment. Lourd…

J’espère que tes blagues sur le concours T-shirt mouillé, la fessée à la troisième bêtise se raréfieront quand tu auras bien compris que t’as pas affaire à une pute. Ou une fille qui pourrait un peu putifier pour un mouillage aux Marquises.

Tu m’as précisé par téléphone, je n’attends rien de toi, juste les quarts, pour dormir peinard la nuit. Je serai un gentleman.
C’était le contrat. Navigation. Collocation. La base. T’as oublié.

Chacun, de son côté, a pourtant reçu un avertissement. On se flingue le dos au moment où s’amorcent les plans du voyage. Moi, le jour où je décide d’aller à Moorea, et Jean-Marie en fin de cycle avec son couple de Fakarava.

Une énigme. J’essaye de relier les éléments, de transcrire, d’interpréter. Sa femme morte dos bousillé….Je cherche. Vois pas.
Me repasse le film, essaie de mettre en parallèle les séquences.

Larguée à la première ébauche de navigation. Trois jours après mon arrivée en Polynésie, j’avais nettoyé la ligne de flottaison du bateau. Celui avec lequel j’étais sensée naviguer avec mon amoureux et le skipper. La tâche fût accomplie au port en eaux troubles. Expédition avortée, débarquée et séparée avant le départ.
Tout à l’heure, on nettoie la coque. Cette fois, au mouillage. Eau limpide. On a commencé l’approvisionnement à la supérette.
Tout semble enfin bien engagé. Météo favorable pour un départ au plus tard le vingt-trois décembre. Mais ça glisse, ça dérape.

De longues plages horaires à attendre la petite tâche de préparatifs suivante, et à subir non stop, un flot ininterrompu d’un verbiage convenu et atone qui au fur et à mesure qu’il se déverse me devient insupportable.

Ça commence par un échange civilisé. On plaisante, se confie sur des moments plus graves de nos existences.

Puis le sujet dévie, sur les rapports hommes-femmes, ce que cherchent les hommes selon lui. Inquiétant. Il désigne les gènes, défend une théorie scientifique… Les femmes dont il parle, rien à voir avec moi. Je me débats, me sens asphyxiée par l’avalanche de platitudes, banalité, vacuité.
Prétention. Suffisance ; ah mais tous les experts te le diront ! Attends, je vais t’expliquer et tu comprendras, articule-t-il comme il le peut sous sa moustache.

J’ai trouvé le maître es beauferie, et on est dans le même bateau. En tête à tête.
Que faire ? Semblant d’acquiescer ? Sauter par dessus bord ?
Alors je choisis, ou pas le choix, de dire ce que je pense. Cash. Aller au clash, s’il le faut.
Et évidemment, il trouve ça dommage, aimerait me tartiner de sa pâte à penser grasse, en continuant à admirer mon joli (dit-il) sourire (pourtant éclipsé). Il trouve, parce qu’il a un avis sur tout y compris sur comment je devrais me comporter, que j’aurais intérêt à y mettre les formes. Concernant mes projets aussi, s’il était moi… Stop JM ! Quel rapport ? Toi. Moi. Conseiller, coach de vie, de Ma vie, qu’il éclaire de Son gros spot visqueux, comme si en même pas vingt-quatre heures, et trois monologues, il pouvait me classer dans une petite case de son catalogue de Dupont-Lajoie et appliquer sans se fouler, ses recettes d’ahuri farci de préjugés.

J’ai bien envie de lui fermer sa grande gueule alors j’essaie Cioran « n’a de certitudes que celui qui n’a jamais rien approfondi ». Aucun effet. Il acquiesce, probablement par politesse. Sans chercher à comprendre. Ne se sent pas concerné. Comme si j’avais fait un pet et qu’il faisait semblant de ne pas l’avoir entendu.

Deux jours, pendant les préparatifs, à supporter un fan de Laurent Gerra, qui commente chacun de mes faits et gestes, jusqu’à les rendre poisseux. Un coéquipier qui, quand je vais respirer sous l’eau, et me rincer de toutes ses opinions poussiéreuses, me conseille en ricanant, d’économiser mon énergie pour aller nettoyer sa coque vaseuse.
Alors qu’il ronfle au milieu du bateau, épuisé par son jeu de séduction produisant sur sa cible un effet répulsif, squattant tout l’espace commun, un grain bastonne le décor de carte postale. Trois heures ininterrompues de déluge, rendant impossible la mission vase, qu’il repousse chaque demie journée à la suivante depuis mon arrivée.

Coincé, il étudie tous les sites de météo, et essaie de me vendre un départ décalé d’une semaine. Toujours en son off : euh, tu veux dire… rester bloquée dans ton bocal, avec nos boites de conserve et tes blagues moisies ? Sans moi, je serai loin mardi prochain. Et si c’est pas aux Marquises, alors à Papeete à picoler avec Eva et Ken ! Je lui sers une part de mes pensées avec un pot d’édulcorant. Et une jolie grimace. Parce que je n’arrive plus à sourire.

Pour ajouter à cette ambiance pesante, maintenant qu’on est confinés, avec le vent qui hurle en fond sonore, il me demande mon avis sur les soins dentaires. Son plombage à sauté. Monsieur se déglingue. Couronne, carie, pivot, tourisme dentaire ? En voici un nouveau sujet passionnant, frais et léger.

Dès le réveil, au lever du jour, il annonce la couleur. Poliment, mais sans me laisser le choix, pendant que je prépare mon café : « ça ne te dérange pas, je vais mettre les infos », et se justifie, « ça nous fera des thèmes de discussion ».

En réponse, je prends direct mon bol de café, mes amandes et mes pruneaux et vais respirer et petit déjeuner sur le pont. Et comme ça ne m’éloigne que de deux mètres cinquante, j’ai la chance et le grand privilège de l’entendre apostropher sa télévision : « Ah non, là je l’éteins. Lui c’est un connard intolérant, je le déteste ». Je crois d’abord à une caricature, petite pointe d’auto-dérision matinale. Une tactique pour réamorcer un semblant de complicité. Que dalle. Comme il n’entend pas d’échos à ses commentaires constructifs et positifs, il patiente trois minutes et rallume son poste. J’apprends alors que Claude Brasseur est mort à 84 ans. Lui en a 67. Machinalement, je calcule. Je me demande si quelqu’un est déjà décédé, foudroyé par une rage de dents.

CHAPITRES

Bon ben j’arrête de discuter, décrète JM, quand je le renvoie dans les cordes. Parce qu’avec toi c’est impossible. Il a raison, la fille est incapable de faire semblant de s’intéresser à la vaccination des personnes de plus de soixante-cinq ans, dont Monsieur fait partie. Prioritaire et volontaire en chef pour jouer les cobayes pour le labo qui doit lancer son antidote et sauver la planète. Non, la même fille n’a pas envie d’entendre la bouillie servie au journal de cinq heures, régurgitée par un cerveau lobotomisé qui s’octroie, en prime, le droit d’émettre son avis très personnel et affligeant sur les projets et l’avenir de sa coéquipière, sur les trois prochaines décennies.

Incroyable que je n’ai pas vomi durant cette toute première navigation. En plus de la mer qui me secoue, me projette dans la banquette suite à quoi je crois m’être déboîté l’épaule, je reçois des salves de propos insipides et bourratifs. Enumérations techniques, parsemées de vannes mielleuses. Comparatif détaillé des différents frigos et glacières de mon futur hypothétique bateau. Ça donnerait mal à la tête au colocataire le plus patient et tolérant. A minima, des haut-le-cœur.

Faisant abstraction de mon expression fermée, il teste sa dernière blague :
Tu m’as prévu un cadeau pour Noël ?

Monsieur rompt déjà sa résolution. A moins que parfaire son humour n’entre pas dans le cadre « discussions » ? Je devrais dégainer ma Blanche Gardin, y aller cru et sanglant pour le mettre KO également quand il s’aventure dans le rayon des blagues Carambar.

Ah Noël, bien sûr ! Six mois que j’y pense, ironisais-je. La répartie, un de mes points faibles. Et la mémoire aussi. Jamais réussi à restituer une histoire drôle dans l’ordre. Capable en voulant citer l’humoriste, de dégainer la chute d’emblée, de l’oublier….Effet produit, l’interlocuteur reste mi-sourire pincé-gêné, y mettant de la bonne volonté. Mais je vois bien dans son œil, à ses sourcils. Le malaise, et l’envie de zapper direct si j’étais télécommandée.
Abstention salutaire, du coup. Je me cantonne au registre pochette surprise.
Là encore, niveau CP, je bois un peu la tasse, mais persévère.
Tellement capital pour moi, tu vois, les fêtes de famille, tout ça…Si je suis à 20000 km des festivités, de la famille, bien la preuve que c’est vital et central dans ma vie.

Il insiste. Je manque d’inspiration, continue à ramer.
Trouvé ! J’utiliserai un bol en plastique pour mon repas de réveillon. Ce sera ton cadeau.

Quelle créativité, je m’épate. Plaisanterie nulle, mais ciblée. Car le JM est maniaque. Il me piste, quand je prends telle vaisselle. Sécurité ! Pas de verre ! Ou quand je suis sur le point de rentrer dans les toilettes. Si le bateau gîte du mauvais côté, j’ai droit à un cours. Intégral. A deux doigts de me faire dessus, il m’intercepte.
Attends-attends !
Topo sur l’arrivée d’eau de mer rendue plus délicate car l’angle des cales bla bla bla. Je me bouche mentalement les oreilles pendant sa démonstration qui semble sans fin.
Pour un peu, je renoncerais à mon objectif.

Quelques instants plus tard, résolument installée sur la cuvette : Sophie !

Je smash en aboyant.Trop tard ! Heureusement, porte verrouillée.

J’avais pourtant essayé d’anticiper. Suite au cours de plomberie, et la mission petite commission accomplie. Bonne élève, je surfe sur sa logique : si l’arrivée d’eau et patati, je lui ressers sa théorie et le vois tout jouasse que j’ai capté le sens profond de la discussion pipi-caca-chasse-d’eau. Je suggère que nous gardions une bouteille d’eau à portée de main pour avoir une réserve et tirer la chasse que ça gîte dans le bon sens ou pas.

Il ne comprends pas. Lui aussi semble avoir des problèmes de tuyauterie. Ou de connexions neuronales. Pense que je veux saccager nos réserves d’eau potable. Content que je lui offre enfin un motif d’offuscation.
Ah, non !
Monsieur calcule notre consommation d’eau au millimètre cube et m’a fait hier la vanne délicate, ah ben dis donc, tu y vas pas mollo avec la douche. Réplique de gentleman….alors que je me rince avec trois gouttes de flotte, après savonnage à l’eau de mer.
Je te charrie. Il tente la complicité mais me donne envie de défoncer les stocks. Sauf que je ne suis pas folle. Avec une brêle pareille, je préfère ne pas mourir de soif en mer quand on en sera au dixième jour de moteur. Obligé. Pollution auditive et olfactive, parce que c’est comme ça. Pas de vent égal moteur.

Volume off. Tu m’as pressée de venir pour un départ au plus tard le vingt-trois, pour une fenêtre météo. T‘avais pas prévu qu’elle allait se refermer d’un coup sec sur ton imparable projet de navigateur aguerri…Voire ne jamais s’ouvrir.

Il conclue sur une info fraîche. En haute mer il n’a pas l’intention de se doucher. Je sens que je vais augmenter les préconisations Covid de distanciation sociale. Nouveau challenge : ne pas être dans son vent….

Soit. S’ il n’adhère pas à l’idée de la bouteille de Sophie, il s’en inspire méchamment, version seau, qu’il aurait trop aimé me passer en grattant à ma porte des toilettes, pile au moment où je pousse.
De justesse !

Réveil de sieste. Il les enchaîne par peur de fatiguer la nuit, et de ne pas voir qu’il n’y a rien à voir parce qu’on fait une traversée du pacifique désert la veille des fêtes. A chaque fois qu’il émerge, la même question :
Alors, ça te plaît la mer ?

Une révélation. Même avec un boulet. Au point que je serais prête à le supporter deux semaines. Bon si ça pouvait être cinq jours de traversée, je signe immédiatement.

Et t’entendras plus jamais parler de moi ! Promis.
Essaie de compter sur d’autres « amis », puisque tu m’as présentée comme telle à tes voisins de mouillage, pour te rapporter des pièces mécaniques. Tu as beau essayer de réfléchir à mes dates de voyage, compagnies, tarifs de billets, poids des bagages. Faire tous tes plans sur la comète et imaginer un retour vers toi (course au ralenti Un homme une femme, ça se trouve) les bras chargés de matériel de bateau pour alléger ton budget bricolage, ne compte pas trop sur nos retrouvailles.

Tu m’as prévenue le premier jour. Tous des menteurs. Bien sûr qu’ils ont tous une idée derrière la tête. Et je ne me rends pas compte que tu parles aussi de toi à ce moment là.

Plus je passe de temps à bord, plus je m’aperçois que je ne veux plus de pollution. Ni sonores, ni affectives, ni même olfactives ! ni mentales, ni philosophiques, ni alimentaires, ni….je protège ma forteresse de tous les assauts. Et ils sont incessants. Et d’autant plus stupéfiants de la part d’un gars autoproclamé « gentleman, équilibré, cool, simple ».

Premier jour au mouillage, alors que je chante au piano. Il surgit dans les quatre mètres cubes habitables. Il se pose près (trop) de moi, sur la même banquette. M’écoute amoureusement.
Tu as une jolie voix.
Sourire poli, je me décale d’une fesse. Au moment où je baisse un peu ma garde, gagnée par la pitié, il enchaîne.
Tu sais ce que je vais te demander ?

Comme je ne réponds pas, il pose quatre fois la question. Quatre fois, en se rapprochant sournoisement. Je continue à pianoter. Coolitude apparente.
Peu engageante, paupières lourdes. Vas-y ! Demande toujours !
Et son visage, en gros plan près du mien. En apnée, je pense : il s’approche encore, je le mords.

Du chocolat ! Il éclate de rire. Ah, t’as pensé à autre chose 
M.D.R (Mais.Dégage.Relou).
Et t’en prends avec moi.

Dans tes rêves. Je m’éloigne et lui dis de se servir. Toute la tablette si tu veux. Cadeau, que je me tape pas l’épisode à chaque fois qu’il rêve d’un carré en amoureux.

Je ris seule en imaginant sa réaction. S’il savait que quand il dort, je détache ma laisse. Obligée de m’harnacher pour qu’il repose en paix. Alors quand ça ronfle sur le dos, pattes écartées en grenouille, je chevauche le bateau et, à moi la mer, l’air, la lumière. Tu vas pas me ligoter dans ta petite boite pour ta tranquillité.

Je demande, juste pour chambrer comme ça :

T’as pas une ou 2 anecdotes sur ceux qui ont été emportés à la mer, avec une balayette et une pelle ? Je prends les devants. Parce qu’à chaque initiative, il me liste les accidents. J’abonde dans son sens. Tu sais, un mec est mort une fois en s’étouffant avec un pois chiche ? J’imagine que ça a déjà dû arriver.

Et puisqu’il sait que tout peut vriller en un claquement de doigts, je lui parle dans sa langue. Le voyant m’espionner, je mets bien en évidence le gobelet, et annonce :

Gobelet en plastique ! 

S’ensuit un ping-pong verbal. Et balle de match.

C’est obligé, ça ou le fouet.
Un coup de fouet et t’es mort.

Et comme il ne s’arrête jamais, il dit non, je n’ai jamais frappé une femme, c’est pas aujourd’hui que je commencerais….Sauf exception. Il se trouve malin. Alors je lui renvoie sa boule puante. Moi pareil, jamais tué quelqu’un sauf le jour où ça arrivera.

Je n’hésite pas à me montrer inquiétante. Je me demande si quand on sera pas à portée de wifi, à Raroia, je ne vais pas me jeter à l’eau avec son BIB pour être secourue. Je demande des précisions sur le mode d’emploi du canot de sauvetage.

J’en rêve, mais en réalité, j’en profiterai juste pour regarder les billets retour depuis Nuku Hiva, notre destination !

CHAPITRES

Je me ravise. Surfe comme une désespérée sur la vague wifi !

Lui aussi a enclenché le turbo. Direction plein Nord. Après avoir pondu une encyclopédie des réseaux : ….Edge c’est de la merde, et la 3G, la 4G, on captera pas ici. Ronchon et négatif. Samsung c’est plus sensible. En fait je le préfère grognon et taiseux, là, euphorique, je flippe. Le sens prêt à me piquer mon telephone et me priver des messages de la famille qui se téléchargent en torrent silencieux, pour se fournir sa dose de bulletins météo. J’ai droit à un comparatif gros futé sur tous les appareils, opérateurs, travaux d’installation 3G, 4G, 5G par Archipels, Motus et par année … Et le voilà qui capte aussi, télécharge vite les infos, et avant que j’ai eu le temps de recevoir tous les joyeux Noels de France et de Tahiti, il fonce à 3 nœuds, quelle patate, au moteur, direction les Marquises et s’éloignant de ce fait de l’antenne hebdomadaire. Ça y est. Coupure. Tant pis pour le billet retour et les transferts CIC. Ou tant mieux, car là aussi théorie de JM parano. Tu sais si tu fais ton transfert …les hackers…

Ben voyons. Tu sais pas faire marcher ton mac et tu vas m’expliquer les sites sécurisés.

Pas de vent, pas grave. On mettra 7 jours au lieu des 4 prévus initialement annonce-t-il joyeux, et espérant me voir déconfite par l’annonce de ce long séjour en sa compagnie ! Et 2 ou 3 jours de moteur qui pue. Ça m’apprendra. Je le sens passer en mode gros con. Je me dis un de plus, un de moins, j’en ai croisé des bataillons, je devrais résister.

D’ailleurs je passe la journée à fouiller dans sa biblio. Rétention d’info pour me punir de ne pas être une bonne pute de compagnie ? T’inquiète, j’en apprendrai plus dans les bouquins. Du coup ton sourire de ce matin, quand tu te réveillais et retirais la main de ton caleçon, et me disais « salut la pin up », effacé. Toi aussi, t’as un livre à lire. Et je te vois, sans expression, ou celle d’un mec qui vient de se prendre une droite, mâchoire décrochée, absorbé pour la première fois dans un roman… « L’homme qui voulait être roi « . Roi des beaufs, mode d’emploi ?

Tu t’attaches ! Et tu commences pas à désobéir. Voilà. On a franchi un échelon.

Ça à commencé par. Tu vas dormir ?

Dix huit heures, j’ai pas sommeil.

Ah mais tu vas être crevée pour ton quart 21h minuit.

Oh, c’est bon ! Je verrais bien. Si je suis crevée, demain, je dormirai avant.

5 mn après il se venge.

Tu regardes dehors là !

Faudrait savoir. Tu vas te calmer. Mon quart c’est 21h. Je dors ou je regarde. Faut me lâcher maintenant !

5 mn plus tard, je ressors de la cabine. Tu t’attaches, là !

Il l’a cherché. Clash.

Je lui rappelle les bases. Le contrat.

Depuis le début, il trouve que je me comporte de façon dégueulasse avec lui. Qu’il ne peut pas parler plus de 10 mn avec moi parce que je pète un cable.

Je lui enverrai mon journal. S’il veut que je mette des points-poings sur la gueule de ces I.

Oui ! S’excite-t-il, Monsieur j’ai une grande maîtrise de mes nerfs. Le bateau, (petit index pointé), c’est un révélateur de personnalité. Je m’abstiens de répondre que depuis 2 mois dans le monde des voileux, j’ai entendu ça, disons bien 10 fois, si c’est pas 100. J’ai envie d’ajouter « na ! ». Tellement le vieux garçonnet immature en bermudas qui pique sa crise est pathétique. Ton comportement avec moi est dégueulasse. J’ai envie de répondre Dégueulasse, c’est quoi dégueulasse, mais à part Laurent Gerra, je ne connais aucune de ses références culturelles, et je ne sais même pas s’il sait qui est Godard. Et tu commences pas à désobéir, c’est compris ? Si on n’était pas dans le noir, je le verrais, tout rouge, avec un ou 2 postillons suspendus à la moustache.

CHAPITRES

Je réponds que tout ça n’était pas convenu au départ. Et je serai un gentleman, et je n’attends rien de toi, et je veux juste que tu fasses les quarts pour dormir. Puis une fois à bord, c’est tu t’attaches dès que je dors, et l’eau par ci, et les chiottes par là, et le tiroir, ok, je le retiens, parce que s’il tombe, t’en retrouveras pas un identique, ou tu devras le commander à un artisan d’art, et là, t’es pas radin, t’as toujours eu les moyens, mais tu parles quand même beaucoup d’argent, et aux Marquises, tu te souviens que le thon est à 500 francs, et le budget du pilote automatique neuf ou d’occase, incollable ! Sauf sur le prix des couronnes en céramique. Et celui à payer si tu commences à trop me chercher. Combien ton tiroir s’il tombe par terre ? Oh dommage …ça gitait du mauvais côté.

Tu t’essaies aux représailles ; un règlement où plein de petites astérisques fleurissent. On arrête le chargement des piles parce que ton tableau multiprise a des problèmes ? Je ne dois pas utiliser, pardon, trop « jouer » avec Navionics, ton appli GPS de la mort parce qu’elle peut bloquer ? Alors que tu te branles, pardon, branches, H24 dessus ? Alors que j’ai besoin d’une ficelle, tu me sors une vieille truelle attachée avec ficelle et nœud calcifié.
Non seulement je défais ce nœud que tu crois impossible à défaire, mais je n’en ai plus besoin. Je te rends ta cordelette du moyen âge, des fois qu’on vous mette au musée tous les 2.

Un reset tous les matins. Après chaque embrouille. Lui n’y arrive pas. Devient de plus en plus silencieux. Se ranimant quand l’idée d’un petit coup bas le traverse.

Tiens, toi qui es très à cheval sur la bouffe, tu sais que c’est du maïs OGM.

Et dans ta purée, sûr qu’il y a du lait. Pas possible autrement.

Bien sûr. J’imagine qu’il a aussi une théorie sur un complot de listes d’ingrédients incomplètes.

Grâce à ma commande reset, je me libère de jour en jour. Je chante avec mon ukulélé, plus fort que le moteur. Pas gênée puisqu’il m’y encourageait le premier jour. Alors je progresse. Chant, compo, photos de ce milieu extraordinaire, je lis, écris.

I can do whaterver I do
I can go wherever I go (bon même si là, encore bloquée quelques jours à bord)
I can be wathever I be
I can feel whatever I feel
I feel free
I feel independant
I feel independently free

Ça tourne nickel sur le ukulélé acheté au marché à mon arrivée à Tahiti, il y a 2 mois déjà. Et c’est pas un mec dans le public, qui fait la gueule, qui va entâcher le paradis dans lequel je navigue. Tout l’univers est avec moi. Les lunes qui se couchent en pyjama orange, les étoiles, les étoiles filantes qui plongent, les petites et grandes constellations, ourses…les nuages qui me racontent des histoires, les soleils qui se lèvent, nous couvent, nous distraient se voilant de camaïeux d’orangers, puis de mauve.

Alerte évènement, après 2 jours de moteur. La chasse d’eau ne posera plus de problème. On gîte désormais côté remplissage des toilettes ou côté coucher de soleil selon l’angle sous lequel on voyage.

Je vais regretter ce temps où un inconnu pouvait se présenter à la porte des wc pour proposer un seau d’eau !

Il ne répond pas quand je dis bonjour. Vais-je avoir droit à une journée de silence ? De paix ?

J’ai le droit de rêver. Cinq minutes et il commence à dérouler les prévisions météo et ses petits souhaits comme si cette science inexacte allait en plus prendre en compte ses désidératas. On dirait un joueur de poker débutant qui tente toutes les mains en se disant que cette fois, ça pourrait.

A chaque fois qu’il réouvre le chapitre, ma réponse est plus concise, jusqu’à ….on avisera le moment venu.

Le voilà qui commence à jouer sur les prévision de planning ; et si la lune, et si pas la lune. Résultat, on est passés de 4 jours à 5, puis 6, et aux dernières nouvelles, 8 jours à cocher.

Si c’est pas de la provoque, car à moins de continuer à la rame, on est à 10 h de l’arrivée. Bon, possible qu’il débute en bateau à moteur, et son penchant pour sa mécanique de tracteur marinisée dont il est si fier, bloquée sur 1800 tours pour économiser le carburant.
Ma réponse brève entre 2 siestes, car mes journées sont désormais rythmées par un empilement de siestes, seule issue possible pour échapper aux conversations soporifiques. On verra bien.

Il se rase tous les matins, mais si j’ai bonne mémoire, pas pareil pour les douches. Du coup, je lutte entre l’air qui refoule du moteur et l’air qui capte l’empreinte JM. Motivée pour m’intéresser aux masses d’air et aux vents.

Impossible de baisser ma garde.
T’as un chien ?
Oui, et je l’ai laissé à un ami, l’ami est génial et Néo très content.

L’enfoiré, alors que j’entrouvre mon petit cœur peiné d’avoir dû quitter mon fidèle compagnon, se jette sur ma tristesse. Je le comprends, dit il en ricanant. Mutisme, sieste. 2H minimum.

Autre stratégie pour gagner du terrain, les techniques de voile, problèmes de capitaine, en profitant pour saupoudrer son discours d’une pointe de misogynie masquée. Tu ne devrais pas avoir de problèmes avec la mécanique, certaines femmes, quand elles sont seules s’en sortent même très bien.

Je rétorque sèche comme une claque. Si les hommes peuvent, les femmes aussi. Pas besoin d’une bite, que je sache, pour bricoler le pilote automatique. Avec tes gros doigts, t’as réussi à mettre la rondelle à l’eau, tu mets 3 plombes à comprendre dans quel orifice tu dois glisser ta vis…

Alors il essaie de se venger. JM professeur. Cours de driss à base de devinettes. Et ça ? Je t’écouteL’écoute, justement, l’écoute de grand voile. Je le zappe. Aucune envie de jouer à ça. Alors, comme si on était en pleine régate, en tête, il se lance dans les manœuvres. Attends pousse toi, je vais avoir besoin de place. Non, le temps que je t’explique….points de suspension. Alors qu’il vient de le faire.
Alors j’attrape le ukulele et satisfaite, finis de noter les accords d’hallelujah. Là, il se retourne et passe en mode skipper. Attrape ! Le winch ! Il a dû voir ça sur les reportages de courses.

Il me tend sa manivelle, que j’insère dans la cavité prévue à cet effet, qu’il pointe du menton. Et là, il se met sur mon dos en mode, plus vite ! Plus vite ! Vas-y.

Il ne m’a pas donné de technique, pas prévenue, je suis en total déséquilibre avec lui dans les pates. Je lâche tout et lui dis, vas-y toi. Plus vite ! Et me casse.

Quand il a fini de s’exciter tout seul sur ses boots, tout fier, il vient me chercher. Alors ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

Fin du cours, je commence à faire ma popotte et par réflexe, pose une question. Tu utilises ton bateau combien de temps à l’année ? Il a les stats, et il est dans les stats. 20 % de l’année. Puis il détourne la conversation avec son cerveau malade et m’informe que certains l’utilisent 0 % en tant que bateau, 100% baisodrome. Je regrette encore une fois d’avoir tenté une conversation.

CHAPITRES

Le vent se lève. Celui qu’on attend depuis 2 jours Est, c’est Est ! Regarde.

Nous voilà lancés à 4,6 nœuds. Wah ! Décoiffé le capitaine.

Dès que ça retombe, au coucher du soleil, pour me convaincre de m’attacher, il égrène son chapelet d’anecdotes glauques. Tabarly noyé, pas de Harnais de sécu. Et tous ces mecs qui pissent depuis le bord, que les gardes côtes retrouvent braguette ouverte.

Petite auto-prière…Plus que 2 nuits. Ne fais pas ton Tabarly Sophie.

Il se lance dans une histoire pince-mi pince-moi. Un pote, qui emmène un coéquipier. Coéquipier tombe à l’eau. Qu’est-ce qu’il reste ? Pote qui tombe dans l’alcool.

Je chambre. Alors il me rassure. Ah mais t’inquiète pas, si tu tombes à l’eau, moi je ne deviendrai pas alcoolique. Ouf ! Comme j’ai eu peur.

Pour me débarrasser de lui, je propose de faire les 2 quarts consécutifs de nuit. Il prend un air détaché pour dire, comme tu veux, mais je vois le petit JM à l’intérieur du vieux mesquin, se frotter les mains, en baver un peu de joie, et se jeter sur son lit, comme un gosse, trop content de se vautrer dans sa toile anti roulis. Toile fabriquée en catimini, un jour où je l’ai uppercuté. A l’occasion d’une nouvelle clause dégainée : quand tu fais ton quart désormais, je prends ta couchette. No way, personne dans ma couchette.

6 heures de paix. Quelques ronflements. Mais c’est toujours mieux que sa voix.

Il argumente qu’un de ses super coéquipiers qu’il a adoré et avec qui insiste-t-il ça c’est super bien passé, lui proposait, tellement il aimait les quarts comme moi décide-t-il subitement, (sachant toujours ce que j’adore, ce qui est bon pour moi et ce que je dois faire les 10 prochaines années), de faire la nuit non stop. Il ne le réveillait pas. Casque branché sur les oreilles avec Miles Davis en continu. Voilà ! Intelligent le gars avait tout compris.

Protéger ses oreilles, abritées, qu’on ne s’en serve pas en benne à ordures.

Pour une purge complète, je devrais jouer du ukulele avec le casque sur les oreilles.

L’autre avantage, aux quarts nuits successifs, il devait probablement dormir toute la journée et ainsi, réduire le temps de cohabitation.

Il y a eu ce moment, magique, où on a enfin vu une ombre, une masse floue, la terre. Où la mécanique a commencé à lâcher. Je tenais la barre pendant qu’il bricolait des instruments de fortune. Je m’envolais sur les vagues et me cramponnais, heureuse, les yeux plantés sur la montagne.

Une journée entière à barrer jusqu’à ce que la lune nous guide, longeant la roche noire de nuit, pour arriver jusqu’à la passe. Ses frayeurs avec les belles vagues de finir fracassés, tu vois (dans l’obscurité), là bas, on restera au large, très dangereux, piège final.

Je suis les instructions, garde son cap, et en ce 30 décembre, on rejoint à minuit, moteur coupé, les voiliers de la baie, encerclés par les silhouettes rocheuses.

Heureuse d’être arrivée, j’envisage presque au réveil de partager une coupe de champagne pour le réveillon. Lorsqu’à la simple question ça va ? Je me ravise. Le croisant sur le pont alors que je pense être seule à découvrir cette terre au lever du soleil ? Il me fait la liste de ses emmerdes avec la banque, ses mails, malentendus avec les assurances. Stop ! Je le coupe. Lui demande s’il peut me déposer à terre dans la demie-heure.

Je fais gaffe comme jamais. Que le pc ne tombe pas à l’eau, mes sacs bien calés dans l’annexe. Déjà loin, l’esprit à quai, j’entends ses derniers reproches. N’a connu aucune personne ne pouvant tenir une conversation de 15 mn…sans s’énerver.

J’imagine ses longues journées d’échanges profonds avec son radar. Quand plus personne ne tombera dans le piège du coéquipier. Il s’y prépare, aura pour équipe, le modèle qu’il a coché. Et là, JM pourra ronfler des nuits complètes, pendant que le moteur du voilier tourne. Quand je m’intéresse à son cas de marin, je me demande ce qu’il aime, dans la navigation, à part prendre des otage pour avoir un peu de compagnie. Il déteste tirer les bords, décide à la moindre contrariété météo de tracer au moteur, et lucide parfois, se flagelle. C’est une navigation minable. Je reste silencieuse, l’approuvant.

Si je faisais mon Jean Marie, je dirais. Tu sais ce qui serait bien pour toi ? Ou, la meilleure chose à faire pour toi ? Vendre ton bateau, et acheter un bateau à moteur, ou attends, non, un studio en bord de mer, et prendre l’avion pour aller d’un point A à un point B. Tu battrais tous tes records !

Silencieuse, je regarde le quai m’accueillir.

Il me demande si j’ai pris des cours pour être aussi méchante.

Et toi, pour être aussi inintéressant ?

Au fond j’exulte. Dans 2 mn, mes oreilles sont à terre.

CHAPITRES