Sophie F*

Auteur/autrice : Sophie F.

CODES SECRETS

Comme souvent le dimanche, dès les premiers beaux jours, tout le monde est à bord.

Caramel, à l’arrière, scrutant les reflets argentés sous-marins, prêt à plonger une troisième fois, en cas d’alerte à la daurade. Maman, dont je sens le regard inquiet, regrettant sans doute d’avoir provoqué la veille un tacou, comme ils disent, équivalent d’un tsunami de mon système nerveux, lorsqu’on me force à me soumettre à une décision que je trouve nulle et qui ne les concerne pas. Elle crie, alors que je suis en train de jouer dans ma chambre. Viens ! Je le répèterai pas 2 fois, on va te couper les queues de rat. « On » je hausse les épaules, sourcils froncés, et réponds dans ma tête, « c’est un con ». Qui lui souffle toujours des idées à la con. Evidemment, je n’ai pas été concertée, mes frères jouent dehors et papa a annoncé quelques minutes plus tôt, je vais à la boulangerie ! Juste le temps qu’il lui faudra, à elle, pour faire un petit massacre. Comme si j’étais sa Barbie de contrefaçon, version roots, et qu’en appuyant sur le nombril, la mèche allait repousser en moins de deux.
J’ai essayé de lui dire, que c’est moche, tu sais pas couper les cheveux, que j’aime quand les cheveux me caressent les épaules, que la frange abrite mes yeux quand le soleil les pique, mais elle n’entend pas. Elle m’attrape en me faisant mal sous les bras, m’assied sur la machine à laver, que je ne puisse pas m’échapper, et c’est parti.
Elle tire sur les nœuds, mais bon sang, tu fais exprès de les emmêler la nuit ? Je pense au dicton de mamie. Pour être belle il faut souffrir. A croire que pour être moche aussi. Et c’est parti. Une heure plus tard, je me regarderai dans le miroir, contemplerai mes yeux rouges qui en deviennent plus verts, bien dégagés sous la frange courte pas exactement droite, et les larmes qui coulent comme d’un robinet qui fuit.

Depuis l’arrière de l’embarcation, où ça remue moins, elle m’observe à l’avant, a peur que je tombe, mais ne veut pas en rajouter. Aujourd’hui, elle se dit que j’ai vraiment l’air d’un playmobil, mais qu’elle est tranquille pour 6 mois, et que j’oublierai.

Elle se demande comment sa propre fille peut lui être si étrangère. Elle sent qu’un jour, je lui échapperai. Elle pourra répéter 10 fois viens là !, hurler, je serai trop loin pour l’entendre.

Dans cette cellule familial, où je me sens déjà à l’étroit, où la détente dominicale est invariablement éclaboussée par les cris des disputes de mes frères, les blagues de tonton et la voix de maman qui mécaniquement envoie des arrêtez, la prochaine fois j’te colle une baffe, je m’évade en figure de proue, tout au bout, d’où je guette la vague juste avant qu’elle glisse sous le bateau.

Prête à fléchir, à m’envoler, je les attends, ces masses d’eau. Une mer que j’espère plus forte, et qui m’obligera à m’agripper à la coque. Envie que tout mon monde soit secoué. Les flocons dans la boule à neige, la pulpe dans ma vie.

Fière sentinelle, j’imagine ce jour, un dimanche au coucher du soleil, où je les laisserai sur la plage, tous, sauf caramel. Devenue grande, à dix ans au moins, je prendrai le large. Avec mon fidèle compagnon, le vent dans les cheveux longs, nous ferons le tour du monde à bord du Suzana.

Suzana était le nom peint au pinceau sur sa barque par papi. On s’en moquait entre nous parce que le S était écrit à l’envers. Aujourd’hui encore, je doute que ce fût un parti pris.
L’histoire m’a été inspirée par un cliché qui ne m’appartient pas…

CHAPITRES

FLASHEE DE LA GUEULE

Clarisse me fait coucou. Je réponds. Elle est à son poste. Là où je l’ai rencontrée, derrière son bureau vitré en haut des marches, pignon sur rue, séparée par la vitrine décorée de stickers sur le thème coloré de l’enfance. Son job, aider d’autres femmes à en trouver un petit. Elle avait goupillé le match parfait : je m’occupais de Leïa quelques heures par semaine. Le courant était passé. Avec sa mère aussi, puis une autre proposition, venue d’ailleurs s’est imposée. Beaucoup d’heures, payées suffisamment pour boucler les prochaines fins de mois. Inconciliable avec la mission nounou, on a dû rompre le contrat fraîchement signé. Sa boss était contrariée, mais avec Clarisse, on reste copines. Elle sait qu’elle m’a donné de l’espoir, de la confiance, et que si cela ne s’est pas fait c’est que cela ne devait point. On se comprend. Elle aussi, famille des flashées de la gueule. Une insulte que mon ainée me balançait à l’époque, dans l’échange bruyant d’une embrouille, et qu’aujourd’hui, je prendrais presque pour un compliment et ma marque de fabrique. Elle incluait désormais mon compagnon, nous invectivait : vous ! les flashés de la gueule ! Je ne me souviens pas du chapelet de gentillesses balancé dans la foulée. Leur rendre visite seule, passe. Mais avec un hurluberlu de ma planète, ça explosait deux fois plus vite.

Le signe amical de Clarisse, simple petit geste joyeux, avec sa jolie bouille au dessus de la main, l’œil et l’étincelle furtive que j’y décèle, produisent alors qu’on a déjà chacune quitté le champ de vision de l’autre, un effet instantané. Comme si un petit filet d’air printanier se baladait sur mon cœur, soufflé délicatement, à l’aide d’une paille. D’aise, les zygomatiques se contractent.
C’est drôle comme parfois, à distance et avec une vue ultra déclinante, je vois comme en zoomant, très nettement, le détail infime, la vibration, l’électricité, un flash discret dans l’expression de l’autre. Comme si cette vision approximative laissait la place à une vue plus perçante et immatérielle qui permet de voir à l’intérieur.
Privilège de l’âge, sans doute. Accès à l’autre, à soi-même. Je commence à m’habiter. Quand un sourire s’affiche en façade, je constate que ça s’allume, se réchauffe à l’intérieur, ambiance sunset face au lagon, option brise douce parfumée au tiaré. Visiter, observer, déguster, apprécier, honorer l’invitation dans ce corps. Cocooner en soi-même.

Après tout ce temps à le détester, cherchant une pseudo conformité visuelle avec les modèles sur papier glacé. Ça a commencé par la pile de ELLE qu’on dévorait entre sœurs et cousines, depuis qu’on avait l’âge de regarder des images. Chaque été à la plage. J’avais beau apprendre, plus tard, que ce gabarit humain ne représentait que 2 pour cent des femmes, il me bloquait à la grille de mon propre corps. Videur implacable. M’interdisant l’accès. M’obligeant à le martyriser. A chercher cette clé, agitée sous le nez de la gente féminine, décrétée comme seul accès au bonheur. Aujourd’hui c’est bon. Démasqué. Le videur, c’est moi. J’ai le code. J’entre, je jette un œil sur le cœur, mon guide. Signalétique basique : joie, je fonce, angoisse, je vire, alerte intrus, oups du balais, tout le monde dégage. Je m’installe dans cet intérieur joyeux et douillet, sur mesure.

Pendant que j’y pense, un rayon de soleil vient me caresser les joues. Tiens, j’ai encore ça et ça pour toi, fin janvier, cette précieuse lumière, et comme l’onde de plaisir se propage, je croise une autre femme, qui me sourit dans sa capuche. C’est contagieux. D’autres sont immunisés. Ils passent à travers. Un couple qui doit comptabiliser entre 140 et 180 ans, tous deux affichant une expression de poisson pierre, sourire à l’envers. J’ose même pas imaginer l’ambiance là-dedans. Je presse le pas pour protéger ma vibe, espérant que vieille, je serais un palais des 1000 et une nuits. Un Klimt. Mon état en cet instant, puissance dix. Une belle grenade mure, rouge et généreuse qui offrira ses richesses, source de rubis. Intarissable.

A l’aube, quand je tenais sa menotte pour la conduire à l’école, j’encourageais mon petit phénomène : dis lui bonjour ! Bouclée et habillée dans un style très personnel, pouvant allègrement mélanger fleurs et carreaux, souligné la plupart du temps par une barrette rococo, papillon, hibiscus, pompon, elle croisait Nathan, son grand pote. L’été, ça barbottait dans une bassine d’eau à débordements dans le jardinet. Mais en grandissant, quelques mois plus tard, la timidité respective les passait simultanément en mode apnée dès qu’ils s’apercevaient. Elle obtempérait jour Nat !, lançant son salut un peu tronqué, en essayant de se cacher derrière mon bras. Un petit rire gêné la secouait, et je voyais son copain, sur l’autre trottoir accélérer, mais trop tard. Vu ! Son sourire de petites perles blanches qui éclairait son beau visage mat.

Toujours éprouvé ce besoin, au cas où je mourrais subitement. Transmettre en catimini tous mes petits trésors à ma divine héritière. Tu vois, le pouvoir d’un simple bonjour. Ça t’a fait quelque chose ? C’est comme un cadeau. Un cadeau pour vous deux ! Invisible pour les autres. Il est tout content, t’as remarqué ?

Ses silences sont éloquents. Elle écoute. Enregistre tout. Mais rebondit rarement. En paroles. Ce jour-là, elle fait le reste du chemin en sautillant.

La science sait peut-être déjà, ou nous l’apprendra. Certains sont shootés, sous produit non stop, sans rien gober, sans piquouse ni sniff. Un poisson qui me regarde fixement, les paillettes dans le goudron à la sortie de la gare, qui crépitent comme des flashs sur le tapis rouge à la montée des marches, en signe de bienvenue… les situations, décors, tant de choses ordinaires extraordinaires…Alors un demi verre de vin, que dis-je, quelques gorgées, imaginez la déconnade.

Un génial film, Drunk (Vinterberg) repose sur la théorie d’un psychologue, selon laquelle, il nous manquerait en général, une dose infime d’alcool dans les circuits. Celle qui ferait de nous des personnes heureuses, libres, épanouies. Le personnage principal expérimente scientifiquement selon un protocole fixé avec ses potes profs, les effets produits selon la dose, qu’ils augmentent progressivement. Quelques dégâts, du fun et du drama, une très belle histoire, un comédien fabuleux. De là à conclure que certaines exceptions sont dotées de la dosette d’alcool qui te met bien…

Lui pareil. Je le voyais, déambuler dans le quartier, un sourire permanent. Je le comprenais ce vieux monsieur, au pas tranquille et décidé, sous son béret à carreaux. Aujourd’hui, je saisis la chance d’en être. Une nature ? Un choix ?

Avec cette cliente de la chambre d’hôtes, on se pose la question. Plus que par sa béquille, elle semble portée par la foi. En s’installant dans sa chambre la veille, vue directe sur la cathédrale baignée de lumière orangée, elle plane. It was my dream. Elle roule les “r”, étonnée et joyeuse, reconnaissante. Illuminée. Je la quitte sur une vague angélique. En pleine extase, comme un tableau mystique de “jeune femme et Cathédrale”. Un peu sciée même, amusée, je ris toute seule en sortant de l’hotel, l’impression qu’elle est encore un cran au dessus, sur mon échelle d’allumée. Mais en pleine nuit, son côté sombre la rattrape. Elle m’appelle. Pas d’eau chaude. Catastrophée. Dans son anglais de roumaine et un étirant un peu les mots, comme des pleurs ou un hurlement contenu : but I need to wash my body, you understand ? Elle ne me lâche pas. Je dormais, suis à deux doigts de l’envoyer bouler. Même pour mon nourrisson, y’avait pas moyen. Le rot, sur papa. Et je soufflais, agacée, à chaque fois qu’une latte de parquet grinçait. Quand je dors, y’a plus personne. Juste un système nerveux en phase de régénération, à vif. Je me promets que plus jamais je ne quitte un hôte en faisant la maligne, n’hésitez pas, s’il y a le moindre problème… la prochaine fois : je donne le 06 du boss et de son fils. Plomberie, signal TV faible, rien à cirer !
On trouve un arrangement, elle me remercie, rebascule dans l’angélisme, et dès le lendemain, je choisis de m’y remettre. Douche froide matinale quotidienne. Je prends les devants. Dans le passé, j’ai tenu 365 jours, un lendemain de bonnes résolutions. Trop pathétique de chouiner pour une douche froide. Même si je compatis, la comprends. Hors de question que ça m’arrive. Y’a pas moyen.

Déjà cinq jours et à chaque fois, une expérience délirante. Le deuxième jour, je riais, tellement les sensations sont dingues. Ça vaut tous les manèges. Je remonte le jet glacé, depuis l’orteil gauche. Tout doucement. Parce qu’on dirait que passée l’agression, le coup de coude réflexe dans la paroi plexi, merde, panique, passé le choc, c’est l’anesthésie. Alors je reste, teste sur le plexus. Effet hyper bizarre. J’observe ce qu’il se passe là-dedans. Comme si la zone du cœur devenait métallique. Ou que quelqu’un tirait sur le coeur, accroché à un fil de pêche. Ou comme si ça se mettait à grincer dans la cage thoracique. L’impression également, qu’à chaque étape, le tronçon ciblé n’existe plus. En mode femme invisible, par tranches.

En supplément des promesses lues sur Google, défenses immunitaires blindées etc., bienfait collatéral assuré pour le compte en banque. Economies d’eau chaque matin. Aussitôt rincée, je coupe tout. Net ! Sa mère ! Un petit syndrome La Tourette ! Obligée d’évacuer cette secousse sismique par quelques injures. Le contrecoup. Auquel succède un petit air de saxo. Je passe dans une autre dimension. C’est parti : ralenti…, la meuf sort de sa douche, enrobée dans une barpapapa (pas collante, juste l’effet super smooth, odeur vanille citron), je peux prendre tout mon temps. L’air humide et frais semble tiède, température parfaite. La semaine passée, je m’envoyais les couches de fringues. Vas-y chaussettes, survet’, jupe. Précipitation, tentatives de mettre le haut et le bas en même temps. Trop froid. Manquant de me ramasser, empêtrée dans une jambe de collant.
Aujourd’hui, à poil, je me permets de masser tranquillement cet organe, peau assoiffée après trois mois d’hiver. En train de virer lézard. La dose de crème. Calme, déodorant, puis, marquant des temps zen, respiration. Je m’habille. C’est moi qui contrôle. Pas bousculée, emmêlée, tartée par le bain d’air frais et humide. Une fois prête, encore nuit noire, je sors. Incroyable. Quelque pas, et j’ouvre le manteau. Je mets tout sur le dos de la douche…mais la météo y a mis du sien. On vient de prendre une dizaine de degrés, c’est le sujet du jour qui parvient à mes oreilles, en passant devant le fleuriste du marché.

Bien reçu. Aide-toi, le ciel t’aidera.

CHAPITRES

ELS I : LE CHEMIN

Le Paradis est pavé de bonnes intuitions…

Je l’ai mise de côté.

Fallait d’abord évacuer la menace. Ce qui me blesse, me torture, tourne en boucle alors que je suis à tout à fait autre chose. A passer des coups de chiffon, de balais, de lavette et d’aspirateur, et à en prendre. Tabassée par la poutre, le coin de table, la fenêtre, alors que je secoue innocemment un drap. Poussée par un courant d’air, elle vient finir sa course en décharge électrique dans une phalange qui n’a rien demandé, déjà amochée à force de se crisper sur un torchon vinaigré.

J’en suis arrivée à un point où si je n’écris pas ce qui se bouscule dans ma tête, je me bousille, me fracasse dans le décor. Me doucher, me laver, extirper. Seulement alors, convoquer les fées, cueillir les étoiles, m’envelopper de brume apaisante. De Mugler, Angel… pur hasard, qui traîne sur le bureau de ma fille.

Je suis le process. Comme un poisson dans son banc. Flamand rose en rang, en voyage au dessus de la méditerranée. Protocole inné, gravé dans l’ADN.
Els m’attend. Sur quelques lignes posées à chaud après notre rencontre éphémère et enchanteresse, qu’elle ne m’échappe pas. Jusqu’à ce que tout me la rappelle.

Mon époux et âme sœur jumelle, première pichenette avec ses histoires poétiques de créatures célestes. Oui, jumelle, parce que sœur-frérot, c’est l’évidence. La preuve par trente et un ans. Mais il nous arrive de surcroît, des synchronicités bizarres de monozygotes. Toujours plus fréquentes. Sur le plan physique, chute du pivot de la même dent, à quelques jours d’intervalle, et on enfonce le clou, domaine dentaire, abcès sur la 43 à une semaines près. On s’entaille le pouce main gauche le même jour, et chacun coup sur coup à la mi-aout, se prend une tornade, facture dégât des eaux, 1 K en pleine tête !!! Nos deux logements, comptes lessivés, à sec.
Ou des coïncidences plus subtiles, comme ces pensées identiques qui nous traversent dans une même journée passée séparément. Voilà qu’il me raconte, ému, petite larme jaillissant, son moment marquant du jour. Au boulot, un livreur atypique avec qui il partage un gros feeling et échange quelques mots. Salut, et attention à vous, lui dit-il prévenant, vous faites un métier dangereux.
_ »D‘ange heureux« , lui répond l’homme au chignon en short en février, à Vélizy, pointant un doigt vers le ciel.
Ce même jour, Netflix, je clique sur « les Ailes du Désir »…. Un peu longuet, j’abrège, mais le film continue de m’accompagner pendant ma marche. Avec la sensation familière, de ne pas appartenir tout à fait au monde des mortels. Pas trop sûre de ma mission, même si profondément convaincue d’en être investie, je cherche. J’y vais, sans trop savoir où. Envoyée spéciale en repérage, pour un film qu’on ne m’a pas pitché, dont je découvre et écris les scènes au fur et à mesure.
Mon univers, à l’inverse de celui de Wim est hypercoloré, limite fluo. En plein Times Square où que je me trouve. Comme si j’étais dotée, la plupart du temps, d’un cerveau polarisant. En particulier, lorsque je suis amoureuse ; tout est sursaturé et luminescent.
J’évolue ainsi, dans mon monde cartoonesque, pourtant affublée d’un corps qui n’hésite pas à me faire redescendre, à se mettre en travers de ma planante naturelle. Attaqué en ce moment-même par les puces de Smoking, mon divin gros chat qui m’utilise comme matelas ou bouillotte, comme oreiller parfois, ou échappant à tout self-control lorsque l’addiction tenace aux chips vient apaiser un trouble, une ancienne blessure qui se remet à suinter. Supposée ou réelle, l’idée d’appartenir à un autre monde, peuplé d’êtres différents, les gentils, purs, queers, sensibles, les sans carapace, coquille, épines et autres venins, m’aide parfois à supporter ces petits ou plus gros désagréments. Comme quand enfant, on se croit adopté, rien à voir avec notre famille, même si on nous ressert régulièrement la légende : nourrisson, t’avais la tête de l’arrière grand-père

Sur le bord du chemin, je m’interroge et pioche quelques réponses.
Ce corps, cette âme blessés, parfois englués dans l’ennui ? Des épreuves initiatiques. Mes drogues, chips, noix de cajou, louches de miel ? Pommade anxiolytique et carburant. Divagations et théories en vrac. Heureuse par ailleurs de m’être toujours rabattue sur des produits de la pharmacopée Oui-Oui.. Avant que je fasse une overdose de frites, ça me laisse du temps pour donner un sens à ce sac de nœuds qu’est la vie, la mienne déjà. Largement doublé la longévité de ceux qui n’ont pas eu ce temps : je pense à l’halleluyah chanté par Jeff Buckley, à Pascale Ogier, Pauline Laffont, Amy, Janis, aux cordes d’Hendrix et leurs cris de Munch. Toute cette beauté, l’humanité sublimée et… Cassos ! Adios humanos ! Assez douillé. Sont allés se reposer en paix, se marrer ensemble de cette farce, jouée par cette horde d’handicapés vaniteux en gestation qu’on appelle les hommes, avec en tête, tous ceux qui essaient de se hisser un peu au-dessus de la mêlée. Dont je fais partie évidemment, avec mes ailes imaginaires et ma mission en bandoulière.

Doucement-sûrement poussée, par une cliente de l’hotel, cette fois, qui m’écrit : « bien arrivée !  » signant d’un émoji papillon, faisant écho à l’histoire d’Els et des « three black butterflies »…

A droite, à gauche, violence et rage s’éloignent, les signes se multiplient, pourtant l’élan n’y est pas. Plantée là, j’attends, main ballante, que le désir l’attrape. Que je comprenne où j’ai été touchée en faisant sa connaissance. Comme si je devais au préalable résoudre une énigme. Anges messagers, papillons…

Ça clignote sévère.
Ultime moment de la journée ; nouvelle lubie pour me distraire alors que le sommeil ne me trouve pas, lui qui habituellement m’assomme d’un coup sec. Et si je changeais de prénom chaque jour ? Puisque je suis une autre, modifiée par la journée vécue. En cherchant mon pseudo du lendemain, une façon comme une autre de compter les moutons, me revient à l’esprit Charles. Pourquoi ? Parce que les pensées arrivent comme ça. Sans prévenir. Je pourrais le zapper, poursuivre mon jeu, mais je prends. Je ne laisse plus filer. Ce qui me traverse, c’est pour moi. Ce que balance le grand metteur en scène. Point. Et pour cause. Je colle tout sur le mur. Profileuse.
J’observe. Cherche le pourquoi du comment. Prénom d’un ami, presque amant. On s’est tourné autour deux ans, et je suis revenue vers mon amour, mon tout ; frère, psy, mari, ma mère, grand-mère, arrière-grand-mère. Mon sage. De presque toujours.

Avec Stephen, on fait connaissance lors d’un job d’été. Plutôt comme si on se reconnaissait. Et tout le décor, quartier Bastille main dans la main, vire au flashy. A l’époque, même en présence de ma meilleure amie, j’avais besoin à un moment de respirer seule mon air. Avec lui, j’en avais d’avantage. Il ressemble à celui que j’attendais en pleurant sur Françoise Hardy, craignant d’être déjà passée à côté, à travers, qu’il n’existe aucun modèle sensé me correspondre.

Charles Demestephen. C’est son nom ! L’évidence me frappe, sidérée, tête dans le traversin.
Séparée de Stephen, définitivement, croyais-je, lorsque je le rencontre. Jamais je n’ai percuté. Forcément, j’appelais rarement Charles par son nom. Même pas par son prénom. « Cha », « Charly », cœur ambulant qui me confiait son blues. Le rôle de confidente, amie me convenait. Lui me voyait dans le rôle principal, poupée-princesse, dans un épisode qu’il espérait assez proche. Dans l’idée, j’étais radieuse et épanouie, croulant sous ses montagnes d’attentions et de cadeaux. J’ai reculé au premier smack, suivi d’une longue journée tenue affectueusement en laisse via WhatsApp. Message sur message. Transi. Comme un ado, première Boum premier slow.
Dans mon biopic démêlé, ma légende retricotée sans trous, chaque maille à sa place, Cha, cher Demestephen devait, comme le père au bras de la mariée, me reconduire à tous mes Stephen, Mon Stephen, après ce break quadriennal.

Les mots d’ Els : on ne voit pas. Dans le noir. Tout flou. Puis tout à coup, c’est là. Décodé, souligné, encadré. Regarde, on dirait de la déco, là. Mais si tu sais, tu décryptes. Et là….c’est lumineux !

Par ces signes, hasards, coïncidences et autres synchronicités, qui m’ouvrent les yeux, me tirent les oreilles, interpelée par toutes ces bizarreries qui s’agitent sur mon tel, mon PC, les anecdotes de mon amoureux, mes obsessions d’insomniaque sous la couette, je reviens à elle, à la magie de notre rencontre à ce qu’elle a inscrit en moi. Confirmé. Consigné. Validé.

Je réouvre enfin le dossier. Le jour où Rianne, compatriote vient me bousculer à l’accueil. Ça y est ! Trouvé ! Plus qu’à poser la pièce dans le puzzle.

CHAPITRES

ELS II : COMMUNION ET CONFIRMATION

Le téléphone vibre et sonne. Coté Cathédrale? J’arrive.

Détendue, les mains libres, elle me donne son nom que je ne comprends pas. Seule hollandaise à passer la nuit chez nous, sous le giron de Notre-Dame, je repère sa clé et l’embarque. Je l’aurais vue dans la chambre des Chérubins, mais elle a choisi la suite Rose Ecarlate. De prime abord douce et lumineuse, sa beauté forte et chaleureuse s’impose malgré sa réserve, s’accordant finalement parfaitement avec le rouge vif du magnifique fauteuil seventies qui trône aux premières loges, poste privilégié pour admirer cette merveille architecturale.

Dans mon rôle d’hôtesse, je déroule la visite guidée, mini-bar et wifi, qui dérive instantanément. D’autres ondes plus subtiles détournent la présentation basique sur un plan plus mystique. Face à face, échangeant sur cette force mystérieuse qui nous attire ici. Elle parle couramment le français, mais entre la musique de son accent, la perfection de son visage et ce qui émane d’elle, je suis distraite, troublée.

Elle balaie le thème de l’architecture comme on gratterait le vieux vernis d’un tableau. Quatrième passage dans cette ville médiévale, elle sait que le nom de l’hotel a pour éthymologie “le Paradis”, comme je l’ai récemment découvert en interrogeant mon précepteur Monsieur Google.

Ici, cet édifice, c’est pas un temple de l’architecture. Oui, bien sûr, c’est. Mais. L’énergie de la terre. Tu vois ? Un temple de la nature. Cette puissance, dont les anciens, druides et autres personnes éclairées savaient. Des lignes, un lien avec l’égypte. Comme si on avait traduit dans le jargon du coin, les mystères, secrets et connaissances au paroxysme de la science et autres dimensions plus spirituelles, légendaires.

Je regarde ce visage, l’harmonie qui se dégage de cette blondeur cendrée ; des traits de madone contemporaine, entre Sharon Stone et Jane Fonda, son jean Birkin et sa taille mannequin, l’éclat de ses yeux de prêtresse hollywoodienne, et la tendresse de son sourire. Envie de peindre. De capturer cette magie.

Un frisson nous parcourt quand elle lâche : c’est l’intuition qu’on suit. Qui nous guide vers la connaissance. De cette construction, mais aussi en nous.

La conversation est moderne, presque futuriste. Comme si on communiquait dans une autre dimension. Embarquées par ce circuit de vibrations qui nous entraîne. Un dialogue secondaire, tissé de mots qu’on débite un peu dans le désordre.

Elle arrive prems au petit déjeuner du lendemain. Droite, et d’aplomb, comme son bonjour franc et limpide. Commence alors notre échange plus approfondi.

Elle évoque ce papillon noir qui a été un déclencheur sur sa route.

Elle vient en messagère. Me conforte dans ce qui m’est familier depuis mon voyage à Tahiti. L’une parle, l’autre approuve, et vis versa. On s’extrait de cette salle de petit-déjeuner dans une sorte de duo mélodique.
Oui, c’est indiqué, comme une signalisation. C’est ça ! Tu laisses tes peurs à distance, et t’accomplis, tu avances. Naturellement.
C’est invisible, pas vrai ? Quand on cherche à le voir…puis ça se met en route, comme un tapis roulant, aussitôt qu’on se laisse porter.
Suffit d’être un peu attentif, c’est inscrit en nous. Perceptible, tout compte fait. Sans effort.
T’arrêtes juste de tout verrouiller, de te boucher les oreilles et d’avancer les yeux bandés.

On se regarde. Etonnées de voir nos propres paroles résonner si nettement, sortir de la bouche de notre interlocutrice.

Chacun son mode d’emploi. Le temps de se retrouver, de se connecter. Ça parait des mots tout ça. Du bla-bla Jusqu’au moment où ça devient ta langue. Tu comprends le sens. La notice dans ta langue maternelle, non…ta langue universelle !

Avant la Polynésie, dans un creux, il ne se passe plus rien. Ma vie en solo. En tiédasse. Tous les voyants éteints. Pour ranimer l’ambiance, je m’offre cours de piano, poterie, chant, m’inscris au club de voile. Toutes ces envies qui passent, reviennent, me draguent, soufflent sur la petite flamme moribonde. Six mois plus tard, on secoue le shaker, et je me retrouve à l’autre bout du globe, avec un amoureux qui porte le nom de l’école de Jazz, qui mets les voiles sans moi. Je plonge avec les requins et les tortues, pour le zapper, tourner la page. Aventure amoureuse ? Tremplin ? La romance explose en vol. L’expédition me mène… à moi ! Celle que je découvre là-bas.

Avec les copines, collocs, rencontres, voyageuses. On s’échange les mots pour se réparer, les bouquins, les podcasts … »le cœur sur la table ». Et on danse, toute la nuit, on picole, rit, crie, on nage dans le lagon, oh les baleines ! Ohlàlàlàlàlàlà ! Lâchées ! Déchaînées.

On regarde s’éloigner de nous cette fille paumée, perdue dans le regard de l’autre, aspirée par les ambitions, caprices, rêves, projections, exigences de l’entourage familial, et autres injonctions plus vagues et tout aussi oppressantes. Curieusement, on accueille notre être qui flottait tout ce temps, qu’on trimballait comme un ballon rempli de gaz hilarant, qui nous réintègre soudain. On switche. Euphorie. Retrouve enfin notre place. On réalise alors que fantômes, ombres de nous-mêmes, on marchait sur la tête à côté de nos pompes. Egarées, vidées.

Heureusement des petits morceaux, encore en éveil, hibernent dans les recoins secrets, se rappellent à nous, viennent nous chatouiller. Sonner. Cette fois, on répond à l’appel.

Il était dans la chambre d’Els la première fois. Un grand papillon noir. Etrange. Comme elle n’en avait jamais vu. Impossible de le faire sortir. Sinon, elle l’aurait ignoré. Il a joué un peu avec elle. S’est promené dans la maison et s’est envolé le lendemain seulement par la fenêtre ouverte.

Deux semaines plus tard, il réapparait dans la journée. Celle de la mort de son père. Dans la pièce où il tombe d’un coup pour ne plus se relever. Same black butterfly. Ou son cousin. Son clone. Elle raconte. Simple. Zéro pathos. On rit à l’idée de la bestiole qui en ce jour grave, à peut-être préféré envoyer un sosie.

Une quinzaine de jours passent lorsqu’Els s’assied dans une librairie ésotérique d’Amsterdam “the Embassy of the free mind” pour y étudier. Le mystérieux visiteur réapparait.

Avec ses jolies mains qu’elle retourne, paumes ouvertes, elle me raconte face à son petit déjeuner que cette troisième fois elle devait accepter. Ok, je te suis.

Peu de temps après, elle a reçu un livre, écrit par un vieux monsieur. Passionné par la ville et ses secrets. Voilà pourquoi elle revient régulièrement ici, fascinée par le labyrinthe et ses mystères.

Elle me montre sur son téléphone, les indices glissés dans l’architecture. De simples motifs décoratifs qui deviennent pour les initiés, l’histoire passée, présente et future, de l’humanité. Le cheminement vers notre accomplissement.

Ai-je été attirée par l’énergie qui m’a retenue dans cette ville improbable. Certes, j’y ai retrouvé mon espace dans le nid, au creux de mon amoureux, venu s’installer ici par hasard. Un popup sur son PC, une location dans son budget. Mais en écoutant Els, l’idée d’avoir été guidée jusqu’ ici ne parait pas déconnante. Quelque chose qui me dépasse.

Je vois ces reptiles dorés qui rodent autour des rosettes. Elle évoque ces cycles qui se lisent dans la pierre de la Cathédrale, du verseau qui est en train de laisser émerger toutes ces forces, on sera naturellement portés jusqu’à l’ère du lion. L’age d’or.

Son fils à l’âge de ma fille. Madame est Psy. Nos chemins se croisent et on semble, bien qu’étrangères, étrangement en phase. De passage dans ma vie la semaine où je pose un texte sur mon père, tirant une dernière balle sur notre relation toxique agonisante. Une mise au point. Déclaration d’indépendance. J’ai récupéré mes billes et croise cette féée. Au dessus de mon petit comptoir de réceptionniste, elle m’enlace. Doucement, m’infuse de chaleur maternelle. J’ai l’impression qu’on fête mon diplôme en auto-psy, après l’autopsie de cette relation paternelle clarifiée.

Les papillons sont venus la chercher au moment du décès de son père. Oui, très dur comme père. Avec ma mère, horrible. Mais on s’est réconciliés. Voilà. Notre pseudo fusion cosmique lors de son séjour vient graver ces messages de confiance, foi, guidance, le moment où on « tue » le père au sens réel ou psychanalytique est probablement crucial dans le timing de notre réunion.

Les antennes rafistolées, GPS cœur opérationnel, libre de monter à bord du carrosse de mes intuitions. Encouragée par Els experte. Qui signe un constat de rémission.

CHAPITRES

ELS III : LE FLAMBEAU DE RIANNE

C’est au moment du check out que ça a craqué en moi. Comme du bois mort.

J’ai regardé ce petit couple, jeune, charmant, et pourtant sans vie. Figé dans ses gestes, ses expressions, ses attitudes. On échangeait banalement ce qu’il y a à échanger entre un réceptionniste serveur de petit déjeuner et des clients d’hotel lambda. Voilà ! Tout est en ordre, au revoir… à une prochaine fois. Les voyant de dos, s’éloigner avec leurs valises, je pensais Quel gâchis.

Ils repartaient tels deux petits glaçons, ensemble, et je me sentais neutre. Comme si on n’existait ni les uns, ni les autres. Songeant à toutes les émotions échangées avec quantité d’hôtes durant les neuf derniers mois, qui continuaient à résonner bien après les adieux, j’ai réalisé que depuis quelque temps, imperceptiblement, je glissais sur une voie stérile, déviée malgré moi du chemin fertile et luxuriant, sur lequel je me baladais en sautillant et sifflotant la plupart du temps.

Souvent, sur le départ, les voyageurs m’encourageaient en chœur, en refrain, en écho, ne changez rien, restez comme vous êtes. Alors qu’être autrement me paraissait totalement improbable un temps, ces remarques commençaient à m’inquiéter. Dans les moment critiques où je résistais, jetant dans la benne rouge (produits toxiques), les tas de consignes croissantes, répétitives et oppressantes de mes employeurs, je m’efforçais de me consacrer à la clientèle, la chouchoutant malgré tout, la servant comme il me plaisait de le faire. Désormais, ces simples appréciations semaient un doute. So helpfull, so kind. Le silence qui suivait, comme une crise d’hypoglycémie, me laissait fébrile, une fois seule. Panique. Vertige. Merde. Comment ça ? Comment je suis ? Comment je ne dois pas devenir ?

Venue des Pays-Bas, Rianne était passée à l’hotel, un mois plus tôt. J’étais déjà en mode veille. Une saison à tenir bon, certes, supportant une douleur dans le dos, dans le pied, enfantin pour les experts en “mots des maux” : Plein le dos des casse-pieds. Et ras les couettes, pour les plus affûtés, spécialistes de la “coupe des cheveux en quatre”, notant mon choix de coiffure récurrent pour affronter joyeusement les assauts de la direction, l’ennemi envoyant quotidiennement sa liste interminable de tâches absurdes, inutiles et plombantes.

Rianne revenait titiller ma gaieté, ma passion, mon élan naturel pour la vie et son foisonnement de leçons et mystères. Les larmes aux yeux, face à moi, hôtesse à peu près aussi émue qu’une ampoule grillée, elle racontait comment une douce chaleur l’avait traversée alors qu’elle se positionnait en plein centre du fameux labyrinthe de la cathédrale, si spécial et intrigant que Sting se l’est fait tatouer dans le dos après l’avoir parcouru.

Serrant son homme dans les bras, elle décrivait une sensation dans les jambes. Un faisceau les unissant. Comme dans un dessin animé japonais, quand ils en deviennent phosphorescents.

Elle n’osait pas trop mais montrait vaguement aussi le bas du ventre, étonnée, l’œil rieur. Une énergie de fusion, sexuelle, d’union, d’amour.

Je lui parlais d’Els qui m’avait confié des impressions similaires, et je percevais en moi une lueur. Délicatement, sa ferveur me touchait, me réanimait, me secouait gentiment alors que je commençais à m’engluer dans cette posture de mood en demi-teinte, un peu paumée sur le sentier boueux qui semblait mener à l’issue de mon contrat. Après tout, me consolais-je, de la vase sort le lotus. C’était probablement inscrit au programme, pour une suite qui n’en serait que plus belle. Succession logique de phases : salissage, lavage, essorage… bain de boue régénérant.

Mais le temps se figeait, devenait interminable. L’argile devenait béton. Alors, saisissant l’occasion de cette rencontre, je m’extirpais de cet état, secouais mes plumes pour écrire, et me replongeais enfin dans la bulle où Els et moi avions séjourné alors, en ce petit voyage spatio-temporel féérique. En échange, je passais à Rianne le numéro de sa compatriote, histoire de ne pas briser la chaîne.

Pendant qu’elle jouait à la fermière dans les Pyrénées, elle la contactait entre deux mises en pot de confitures. Els lui faisait part d’un problème qu’elle rencontrait pour avancer dans ses recherches. Innocemment, perchée sur les sommets enneigés, Rianne en parlait à une personne, comme ça, lançant une bouteille à la mer, version montagne. L’homme lui indiquait alors, en brossant le cheval, l’ouvrage clé, précisément la pièce qui manquait à notre amie commune. L’apprentie montagnarde me conterait ce nouveau chapitre mystique à son retour, ayant réservé une chambre pour boucler en beauté ses vacances.

Entre ses deux visites, s’écoulaient les semaines nécessaires pour constater, grâce au non-échange avec le couple “neutre congelé”, la façon dont ma déception et frustration d’employée avait modifié ma nature.

De joviale, joyeuse, déconneuse, fraternelle, je passais à robot à l’ancienne. Pas ceux qui grace à l’IA sauront donner le change, nous faire sentir à l’aise, certains d’être en présence d’un humain augmenté, vraiment au top, efficacité et good vibes. Non, je suis devenue la borne jaune parlante du siècle dernier, science-fiction des seventies, qui débite sinistre, de sa voix métallique les instructions et formules de politesse lorsque tu appuies sur le bouton gris : veuillez patienter, insérez votre ticket, attendez votre monnaie. L’hotel vous souhaite une agréable journée et espère vous revoir prochainement.

Voilà comment, en me mettant sur pilote automatique au boulot, je me suis tiré une fléchette anesthésiante dans le cœur. Ne plus briser la glace et la sentir me gagner.
Alors que je marchais tranquillement vers mon sweet home après une matinée de travail morose, j’avais eu un flash en pensant aux patrons de l’hotel, ruminant ma croix, mon boulet. Shooter dedans et juste après, l’état de mon pied amoché. Double peine si je jouais leur jeu, celui de l’équipe adverse qui te pousse à la faute, au coup de boule, t’encourage insidieusement à t’auto-trucider.

L’urgence, comprendre l’issue du match, fatidique. Partie perdue, les patrons gagnant par défaut, et venant me narguer avec la coupe, à travers les barreaux.

Après le départ du petit couple de touristes surgelé, j’appuie sur reset. Repars dans la déconne, valse entre les tables, fais connaissance avec mes convives. Comme le vélo, ça revient direct. Bouquet final ! All you need is Love. Instantanément, Colette urbaniste, curieuse et cultivée, vient vers moi. Un échange stimulant, réconfortant. Le service se prolonge mais passe en un éclair. Des adieux sous une pluie de compliments. Sans oublier, la piqûre de rappel : surtout ! Ne changez rien. Si elle savait !

Lovée sous ma couette, je me repasse le film de cette journée parfaite. Si simple ! Comme si j’avais enfin trouvé la recette, débusqué l’ingrédient mystère du bonheur.

Jouer, s’amuser, chercher le plaisir. Dans tout. Partout. Les miettes dispersées, l’essence qui gicle de la peau d’orange… J’ai testé, sceptique au départ, du bout du rouleau. Sans conviction, sur la première tablée du service. Le sel sur le vampire. Yeux plissés, pensant que c’était mort, trop tard, attendant le générique de fin déguisée en Sarah Bernhardt. Puis réouvert un œil, l’autre. L’impression bien réelle que l’ascenseur remonte doucement, le curseur joie, énergie, applaudimètre, en flèche.
S’il suffisait…ben oui ! Tout vivre avec amour. Une matinée à parler, sourire, savourer l’odeur du café, enfiler la chaussette pailletée qui épouse la cheville comme dans un conte d’Andersen. Et imaginer, amusée, la tête des boss harceleurs qui subitement, penauds, retrouveraient la cage vide… Presque envie de leur offrir un hug gratuit.

Demain, la liberté, et pour conclure en apothéose, Rianne me rappelle qu’elle arrive. Pile le dernier jour de mission. Je m’imagine cette dernière séquence, montée sur ressorts, comme quand en fin d’année, on allait à l’école juste pour se courir après et se jeter des bombes à eau dans la cour de récré ensoleillée de juin.

Ça vibre. D’une main, j’attrape le portable. Rianne s’annonce On se voit au petit-déjeuner ! et conclue par un message énigmatique, évoquant un certain « livre de l’Amour » de Marie-Madeleine, suivi d’un gros Gif animé cœur rouge palpitant.

Saisie de stupéfaction. Je montre à Stephen. Non mais nan ! Tellement à propos. En ce jour J !… Allongée, et sonnée, pas le temps d’enquêter. Elle valide ma découverte, l’amour …livre testament. Le réveil est programmé dans 7 heures. Je me jette dans le sommeil. Frisson. Larmes aux yeux avant de les fermer.

Bientôt le clap. Fin des neuf mois de mission. Rianne apparait en bas de l’escalier sombre. Immobile. En levant la tête, deux ou trois crans au dessus de la mienne, mon regard aimanté par ses yeux vifs, je perçois son long corps aux teintes de verts bleutés, surmonté du joli visage encadré d’un chignon flou, comme une douce lanterne éclairée, avec un sourire chaleureux, ému.

Tellement de choses à se raconter. Elle m’appelle soul sister. Me propose une fois la ronde des cafés-croissants terminée, de m’asseoir en face d’elle.

Se confie. Un burnout l’année précédente et cette décision ferme. Même si financièrement, elle n’avait pas le choix. Je ne travaillerai plus. Jamais. Fini Niet. Quarante morveux de cinq ans scolarisés en batterie avaient eu sa peau. Jusqu’au jour où, se recueillant dans Notre-Dame, un cierge éteint, les yeux fermés, une petite fille s’était approchée avec sa propre bougie, pour rallumer sa flamme. Sa décision en béton armé pulvérisée par le geste de la fillette, elle savait que le barrage avait cédé. Le flot poursuivrait son cours librement. A son retour, sans lever le petit doigt, elle se voyait proposer un nouveau poste ailleurs, en charge d’une classe à échelle humaine, poussins bios élevés en plein air, après trente ans dans la même école-usine. Elle signe. Son compagnon, plus timide, en retrait, propose en contrechant des mots d’une justesse capitale. Acceptation, dit-il en rosissant. Il faut savoir aussi accueillir ce qui vient.

Dès leur départ, je reçois des salves de sonneries du couple maudit de directeurs. De leur fils, de la bru, gérants et Big Brothers ». Messages audio, écrits, WhatsApp. SMS. Le revers de la médaille. La meute qui essaie de déchiqueter la proie avant qu’elle ne s’échappe. M’ordonnant, contre-ordonnant, me pressant, priant autoritairement, me commandant.
Je laisse le téléphone sonner, puis vibrer. Alors que les appels pleuvent en sourdine, je dépose les clés et franchis lentement la sortie. Sans me retourner, embrassée par l’air printanier et le soleil.

CHAPITRES

SANTE

I – Gros lot

La 47, la 35… elle module le ton : la 34, ah ! la 43, comme quand je m’appliquais au tableau, pour réciter la poésie. On n’est pas sur l’estrade, pas au casino. La dame a une charlotte, un masque et elle fait l’état des lieux. Pense probablement au confrère prothésiste qui a touché le gros lot.

Avant qu’elle ne se réjouisse pour lui, j’annonce en articulant comme je peux, bouche grande ouverte : j’ai zéro, en ce moment. La dèche. L’abcès arrive trop tard. En tirant dans le tas, il a fait deux victimes. A une semaine d’intervalle. D’abord Yannick, puis ce fut mon tour.
Même dent ! la 35. Côté bugs de santé aussi, on est âmes sœurs jumelles.

Si on avait été blindés, l’implantologue faisait son chiffre annuel. Allez ! et de 5 pour la dame, on arrache aussi ces trois là ! Quant à Monsieur, ben, il en reste une sur 2 si on avance un peu vers le fond. On aurait tous ri en chœur.

Persuadée jusque là d’être hypocondriaque, je me ravise en l’entendant : je suis bien en deçà ! Limite au stade « déni plus plus ». Quand j’avance l’éventualité d’une molaire peut-être un peu borderline, j’apprends qu’elle cache la forêt. Ravagée par les flammes !

Une année est passée. Je tente un spécialiste à Chartres, ville qui, je le constate depuis quelques temps est un désert médical. Deux mois s’écoulent avant ce rendez-vous avec un spécimen de charmant assistant d’Amérique du Sud, moi c’est ploutôt domaine esthétique me précise-t-il tout sourire, aïe, l’étincelle ultrabright dans mon œil. Selon lui, on devrait se lancer dans un joyeux chantier. Mais en voyant le peu d’enthousiasme que je manifeste, il précise… des travaux qu’elle va valider …ou pas, oh pas loin, d’ici, dé o troiz pétites mois, vos verrez avec la doc en chef.
Venue pour 1 implant, on me propose le kit mâchoire complète. A confirmer…un jour…peut-être.

Des délais de malade, devrais-je dire de mort….désolée, attente de 6 mois, ben ça fera un impatient en moins dans le paysage d’Eure-Et-Loir, quand tu n’es pas refoulée d’entrée…Impossible Madame, ne prend pas de nouveaux patients. Revêche, te raccroche au nez avant que t’aies le temps de te plaindre, de t’offusquer ou de l’insulter.

Au taquet et l’hiver s’annonçant, je songe à court-circuiter, coupler passeport et carte vitale. En surfant, je clique sur un organisme de tourisme médical. Ça rappelle illico. Oui, Hongrie, ah en Roumanie aussi ? Cette dernière destination ne m’avait pas effleurée. Parce que : Nadia Comaneci. Qui dès qu’elle à pu, à fait triple salto vers la frontière. Je tente des zones plus fun et ensoleillées : j’avais entendu parler de Barcelone, des Canaries…Ah vous non. Plutôt l’Est. Bon d’accord, oui 50% c’est intéressant, dites moi tout !

A très vite, on se rappelle lundi. Il a l’air ravi, prenez soin de vous ! Bon week- end ! Le dernier à planer sur mes illusions de magie médicale ensoleillée.

Le téléphone. Dix heures pile. Le devis chiffré est arrivé dans ma boite mail.Toute ouïe, je réponds assez calmement. Je comprends. Mais est-ce une raison pour enlever la 36, Célian ? On s’appelle par nos petits noms puiqu’il le propose.

D’où ? La 36 ! Qu’il sort sans préambule de sa roulette hongroise. Je jette un coup d’oeil. La note un brin salée. Ah ben, la 36, ce que vous voyez dessous. Vous voyez le nuage noir ? Il commente la radio que je lui ai envoyée, faite chez mon latino spécialiste du sourire.
Je lève la tête parce que sur le cliché, affiché sur mon pc, je ne vois que ça. Des nuages grisâtres. Même si le chirurgien parisien dira plus tard que ce nuage suspect peut être innocenté direct, qu’une simple image 2D ne permet pas de s’avancer à ce point. La 3D ok ! Mais là mmh..non. Dans le ton, je capte le sous-entendu : charlatan, va ! J’adhère. Je préfère. Sachant que tout ce qui n’est pas blanc est noir-gris….A en croire Célian, je suis une lasagne, infectée, une couche sur deux, avec quelques dents mal alignées en garniture centrale…

Oui je vois, enfin, non, toutes les dents restantes flottent sur un petit nuage noir à priori. Comme moi. Je commence à déchanter. Avant l’appel, je me voyais à Ibiza, poche de glace sur le transat entre deux séances sous le projecteur du dentiste du futur hypracompétent, pendant que le prothésiste peaufinait les couronnes prêtes à être vissées…le tout nappant sur l’agenda, une petite semaine de farniente en bord de mer.

Ah non, là c’est autre chose. Moi je vous parle de la poche. Il explique qu’il faut la vider.
Embarquée dans mes pensées qui traduisent : Les poches. C’est clair. Tout compris. Dents qui partent en cacahuète, vider les poches, les fonds de tiroirs. C’est le deal de l’époque. Mais il enchaine. Parodontale. Les grands mots. Il développe : Si on ne fait rien, les bactéries attaquent l’os.

Dire qu’en majorité absolue, on flippe du cancer ! Mais parce qu’on ne connait pas encore LA poche parodontale. T’imagines ? L’armée de bactéries en train de te grignoter la mandibule, poursuivant le festin avec tes dents, pendant que tu mâchouilles tranquillement ta roquette aux marrons et roquefort en regardant les derniers docs de Canal ?

Alors qu’il parle, je réalise que dans le panel de scénarii proposés les perspectives se réduisent. Purée-compote. Parisienne ? Hongroise ?

Dire qu’il y a un mois, je lâchais le dentier. L’appareil à 2 dents. Comme quand je me débarrassais enfin du soutien gorge. Plus gênée que soutenue. Et hopla ! Terminé. L’appart vendu, à moi les implants.2 max, une broutille. Prise de rendez-vous. J’étais presque impatiente, petits coups de visseuse et quelques liasses de billets, je pourrais croquer mon chocolat sans risquer de remporter le championnat de dominos. Strike !

Jusqu’à ce que mon guide dentaire se mette lui aussi à jouer les speakerines euromillions depuis Budapest. ….et conclue : la 36, avec la 47 manquante, qui nous font 5 effectivement ! Il s’attend à ma réponse…Go !

Au lieu du feu vert, je lui passe un savon. Non mais vous vous rendez compte de ce que vous me dites ? Célian semble interloqué. M’écoute impassible en préparant sa meilleure formule de politesse pour mettre un terme pacifique à cet échange.

Je suis lancée : Ce que vous me dites, c’est que je me fais un petit séjour dans une semaine, on m’arrache 3 dents, et circulez madame. On se voit dans 4 , 5 mois….puis les vis….et encore 2, 3 mois ! Je rentre donc chez moi édentée, c’est ça ?…en attendant que les bestioles de la poche dégagent et que je cicatrise ? Peut-être ! Car je cicatrise super mal, moi Monsieur !
Le dermato m’enlève un grain de beauté à 18 ans et je garde la trace à vie ! Imagine ! Triple extraction ! On plante les supports en titane dans 18 ans, c’est ça ? Sur mon urne ?

Il y croit encore : Ah et l’hotel. Je peux vous le réserver, mais non, ce n’est pas compris.
Dans Capital à l’époque où je découvrais le tourisme dentaire, ça l’était !

Voilà. Il me laisse réfléchir. Sur Youtube, je regarde la dame qui a du refaire le tout. Infection….En Allemagne cette fois. L’addition ? Une multiplication. Par 2 ou 3 par rapport au devis de départ dans le pays où c’est plein pot.

Demain, je tente l’aller-retour à Paris. Prête à signer cette fois. Avec ordonnance antibio, compotes et cagoule pour cacher ce sourire à tomber.

CHAPITRES

POREUSE

A mi-parcours de mon safari médical, me voilà ;  deux vis dans la mâchoire, dégonflée après 1 semaine inquiétante où je voyais dans le miroir mon sosie raté, morose, avec doubles joues double cou. Un petit bout de menton toujours anesthésié 3 semaines plus tard…chaque jour un peu plus sensible…no stress. La paralysie faciale en a juste profité pour venir s’agiter dans mes pensées, histoire de saupoudrer mon état post-traumatique d’un léger supplément d’angoisse.

Quant au robot téléphonique qui me contacte régulièrement pour un test d’audition, je raccroche dignement. Touche rouge. Vade retro. Je note que je deviens une poule aux œufs d’or pour toutes les branches de la médecine.

Dans la colonne des plus, je viens de découvrir les lentilles souples, le bonheur de ne plus ramasser, au moindre éclat de rire, emportement, ou mouvement de danse furtivement improvisé dans la chorégraphie paisible de mes journées, les lunettes serre-tête, d’interrompre ce cauchemar light mais récurent où je les cherche rageuse, alors qu’elles sont cette fois, toujours sur ma tête. Moment de désespoir fugace, parce que tu sais bien que tu les mets toujours ici, ah, ou là, ah bon, attend, alors peut-être là-bas ? Alzheimer ? Au fur et à mesure que les recherches progressent, tout endroit, aussi incongru soit-il, devient parfaitement plausible. C’est ça ! Au sol, à côté des toilettes. Posées avant la douche ? Non ! Sur le porte savon ? Tu recules, parce que tu viens d’apercevoir, en te jetant un regard subliminal dans le miroir, en diadème, l’accessoire narquois devenu vital.

Merci et bravo à l’inventeur de la lunette plaquée sur l’œil. Le périple santé, de ce point de vue, commence à avoir de la gueule. Avec une carotte de taille dans deux ans : j’aurais atteint l’âge où la sécu rembourse les yeux de la tête (du moment que la case cataracte est cochée), avec, la possibilité de porter, intégrés, des cristallins de synthèse, ou de jongler avec les lentilles, avec lesquelles j’ai un contact idyllique.

Tout n’est pas parfait, la nuit tombée, je vois des halos, parfois les gens qui arrivent en face se dédoublent légèrement, mais au moins je les reconnais !

Alors je poursuis, étape par étape. Doctolib, me laisse entrer direct. Mot de passe enregistré. S’il parlait, ça donnerait : Au programme aujourd’hui ? Tes petites chatouilles dans le dos ?

Vous êtes sérieux, Docteur ? Ne suis-je pas un peu jeune ? Pas l’impression que Monsieur ait l’habitude de faire des blagues à ses patientes. J’empoche l‘ordonnance d’ostéodensitométrie, parée pour une première étape d’investigation. Dire que jusque là, je traitais cette sensation en demandant à Yann : Tu peux me caresser le dos, please. Non, pas là, juste, attends, ah, plus haut. Ça fonctionnait.
Si on avait été calés en anatomie, j’aurais pu le guider, comme une banque prudente, système anti-fraude : case D9, carte personnelle numéro 2.

Confiante. En culotte sous la grosse machine, prête à être photocopiée, l’opérateur me félicite. Pas fumé depuis vos 34 ans ? Chapeau ! Il me ferait une standing ovation si je lui listais tout ce que je fais de bien ; arrêté les laitages depuis un bail, parce que ça me bouche le nez, exfiltré les aliments industriels avec liste d’ingrédients à rallonge, colorants et conservateurs au taquet, prêts à doubler les neuromédiateurs, désormais impuissants, incapables d’atteindre leurs récepteur, de faire le job. Vous disiez ? Santé mentale ? Ces petits autistes qui marchent sur la pointe des pieds, jusqu’à ce qu’on supprime le colorant bleu des bonbons schtroumpfs…. Avant ça faisait ricaner les médecins, qui sur un septennat d’études, ont deux jours de cours sur la nutrition, tant pis pour Hippocrate.  Ils regardent les mêmes pubs que toi et te demandent : combien de fruits et légumes par jour ? Ah, c’est très bien. Ils ne te disent pas combien ça t’a rapporté en pesant de pesticides. Aujourd’hui, ils m’encouragent. D’autant que certaines études pointent du doigt les lobbies laitiers et agroalimentaires qui entretiendraient perte osseuse et diabète pour tous, pour la plus grande joie de l’industrie pharmaceutique.

Et pourtant, verdict dégueulasse. Auquel je ne m’attendais mais alors pas du tout. Ostéoporose à traiter sans délai.

Je lui demande de m’expliquer. Score pourri. Gros risque de fracture.

Quand je passe à la radio. Je l’entends commenter. Tassement de la D9. Nous y voilà.

Je ne me suis pas tassée par hasard. L’an dernier, j’attends ma livraison calée sur mon seul jour de repos. Arrêté devant le numéro 24, le livreur appelle, il ne voit pas mon nom. Bis, Monsieur, le 24 bis. Un quart d’heure plus tard, soit à la vitesse de un mètre par minute, il apparaît. Le gars chouine. Me raconte ses misérables conditions de travail, sa sciatique, se trompe de canapé que je  remballe avec lui, poussage du second canapé, je le motive, le booste parce que pour lui tout est impossible. La grille passera pas, la porte passera pas, ah demi-étage….silence, il secoue juste la tête avec une moue résignée. Il le monte en ascenseur.

Finalement, ça passe. Ça repasse. Rerepasse.
Et moi, je casse. J’ai envie de l’expédier avec son diable par la fenêtre. Qu’est-ce qu’il fout. Au téléphone pendant que je poireaute. Qu’il le récupère son engin.

Ni une ni deux, je l’attrape par les cornes. On roule, le diable et moi, jusqu’aux 3 marches. Et là, pour ne pas abimer l’escalier, je tente de contenir l’élan de la bête…. Qui ne pense qu’à plonger, et je sens mon dos qui révèle des propriétés inconnues jusque là : en autonomie, il plie, se comprime comme un accordéon. Trop tard.  Le niais me dit, ah oui, c’est très lourd. Il disparait et là je serre les dents. Les jours suivants je continue… Journées de travail d’esclave comme hôtelière-femme de ménage-serveuse de petit dej et hôtesse d’accueil, 5 lits à changer, avec matelas de deux tonnes et la patronne sur le dos. Brandissant son fouet.

Alors, quelques mois plus tard, la radio confirme.

Réflexe du doc, il rédige impassible une lettre de recommandation pour son confrère rhumatologue.

Et pour le spécialiste, y’a pas à tortiller. Je lui dis…peut-être l’anorexie-boulimie. Adopté. Il a trouvé sa coupable. Se jette dessus. Quelques semaines plus tard, il me le rappelle. Aucun doute, les privations alimentaires. Petit cours sur le capital osseux qui se fabrique avant 20 ans. Il occulte complètement le versant « boulimie », accroché à sa pointe d’iceberg. Des camions de fromage blanc, laitages et autres plaques de gruyère et comté ingérés. Si ces produits avaient vraiment été mes amis pour la vie, je devrais tout bonnement être un os aujourd’hui. Calcifiée.
Quelles qu’en soient les causes, il ne s’en émeut pas. La première évoquée fait l’affaire. L’important, c’est sa solution. Confiant, il déballe son traitement. Oui, lui aussi est pour les trucs naturels, dit-il lorsque j’objecte, mais là, non ! Avec moins trois virgule huit, si vous voulez vous retrouver le dos en bouillie dans une chaise roulante
Trop pas. Je sors de chez lui sonnée, laisse la pluie me pleurer dessus. Glisser puisque je suis en cristal.
Je cogite, me repasse la consultation en boucle. En m’assurant à chaque pas que le choc ne va pas provoquer ma chute en tas de miettes.

Seul hic, ses piqures. Je dois me shooter au stylo. Chaque jour. Un an et demi. Et on finit par une perf.  Neutraliser les molécules mangeuses d’os. J’accepte l’idée cinq minutes. Me vois dans un Tarantino en train de me planter un Bic rose dans la cuisse au réveil. Jusqu’à ce qu’il évoque le risque. Possibilité de mort de la mâchoire. Ostéonécrose. Alors il avertit le dentiste. Elle en est où ?

Terrain à risque ? Miné de chez miné, pas besoin de demander l’avis du chir. 2 nouveaux implants, avec des nuages chelous qui planent sur les panoramiques. Flottants et non identifiés. Sont-ce juste des séquelles d’anciennes inflammations, des bâtons de dynamite en sommeil ?….

Je lis tout sur le web. Le risque existe. Mais à priori uniquement aux doses prescrites pour les cancers….

Va savoir. Je vais donc devoir me lancer ? Et si ces molécules ne mangent plus les débris d’os, alors j’aurais des vieilles briques, mélangées aux nouvelles ? Des questions que je me pose. Auxquelles je réponds par :  Ça ne m’emballe pas.

Et si je zappais ? Faille-spatio temporelle. Du tout, je n’ai jamais rencontré ce médecin. Je tourne la tête. Et si je partais par là ? L’autre voie. Soufflée par l’autre voix en moi.

Ce score catastrophique. Certes, je suis mauvaise sur la courbe. La pire des femmes de mon âge. Tout en bas. Mais ne suis-je pas partie d’encore plus bas ? Avec l’anorexie théorie number one défendue par le rhumatologue, catégorique. Les anti-lobbiistes de l’industrie agro-alimentaire pointeraient du doigt la boulimie, avec des preuves, toute cette glutenerie qui durant des décennies à joué les abrasifs. Intestin microporeux. Docteur Wallet, depuis la  Californie dirait : ces litres de lactose…évidemment ! Acidifiée, évasion massive du calcium. J’adhère complètement. Parce que l’an dernier encore, je m’approvisionne au rayon laitage, comme si je croisais mon dealer. Rechute fatale. Trop de pression, de stress, de relations horribles au boulot, je me rabats sur des maxi yaourts de brebis. Lendemain, même rituel. Avec le miel, la potion opère. Toute une semaine. Je retrouve mon zen pour passer une soirée potable avant d’enchainer avec le lendemain. Après quelques soirées de cette routine anti pétage de plomb, une nuit, je suis réveillée par mes os. En prenant appui sur le matelas, je constate que mes mains douloureuses ne sont plus vraiment articulées. Chaque jointure est élargie comme un osselet, un squelette d’alien se substitue au mien. Je rerestoppe les laitages. Et retrouve l’usage de mes mains. Comme si j’avais fait un saut dans ma quatre vingt treizième année et avais droit à un retour vers le présent.

Je la tiens ma théorie, et oui, c’est moi la patronne, même si le ton du professionnel est ironique. Alors je te dis niet, Monsieur le sachant. Comme ces nutriments précieux, qui tout ce temps, voyant l’ambiance, bifurquaient avant d’atteindre leur poste…Vas-y on se casse, trop stressée la meuf, ici on fond comme des aspirines.

Là haut, au QG on commence à s’organiser : télécharger les listes d’aliments alcalinisants. Revenez ! Restez les K, les C, les P, …jusqu’au Zinc ! Soyez les bienvenus !  Petit compromis : ok pour la dose massive de vitamine D. Dix-sept euros l’analyse quand c’est le généraliste qui passe commande, remboursé à 100 % quand le rhumatologue ordonne. Va aussi pour les petits sachets de calcium. 2 sniffs par jour. Ah non, voie orale.

Je me demande s’ils n’on pas échangé mon dossier. A vingt ans je me trainais, mais aujourd’hui, regardez ! Je glisse, me rétame et rebondis, dans la foulée comme si de rien n’était. A part quand le diable s’y met.

Sans cette chatouille dans le dos, j’aurais tracé tout droit. Pas d’ostéo, pas de rhumato, pas de piquouzes.

L’an dernier. Deux chutes mémorables. Une osteoporotique se serait fracturé le fémur le premier jour, le poignet le lendemain, au second épisode. Certes, le crane a percuté l’arbre. Mais, parait-il, l’os du crane n’est pas embarqué dans la dégringolade du capital osseux. Imagine. Oh ben la tête cassée en deux. Là, ça finirait mal.

Plouf-plouf :  risquer les fractures ? Toute la colonne ? Handicapée ? Ou une mâchoire nécrosée ?
La balance penche. Très largement. Berroca, vitamine D, Klamath, Quinton. J’ai des copines incollables en naturopathie.

Après les annonces, verdicts, prescriptions, condamnation, questions et quasi-acceptation, mon esprit continue à lister les hypothèses  :  
Et si j’étais dans cet état depuis toujours ? Que cette porosité était ma nature. Juste poreuse . Une éponge. Organisme non délimité, à vif, sans barrière intestinale, des os en gruyère. J’assimile mal. J’absorbe. Je capte. Laisse passer. Transpercer. Ressens excessivement. Réagit en mode drama. Allergique à presque tout. Une sorte d’entité subtile, au sens de pas solide, un peu à l’état gazeux. Vaporeuse. Au point que je peux entrer dans l’autre, et voir à l’intérieur. Jeanne pose sa fourchette, me scrute. Rends ta casquette d’agent immobilier et ouvre un cabinet de thérapeute. Tu me scotches. Comme si à leur tour ils devenaient poreux pour moi. Lisibles. Mais comment tu sais tout ça ? Dix ans que je le connais et en une soirée, t’en sais plus que moi ?

Et si c’était eux, pontes de la médecine, qui à force de m’irradier, me transformaient en chips ? A un an, on entame mon album radios, aujourd’hui épais comme un bottin.

Passons ! Le jeu consiste à trouver. Pas à chercher. Des réponses sans questions. Ferme-la symptôme. On s’occupera des effets secondaires et autres dommages collatéraux le moment venu.

Ce matin, prise de sang, pourvu qu’on ne trouve pas d’autres marqueurs déglingués, puis demain, je passe dans un aimant. Il m’a juste dit : claustrophobe ? Pas que je sache. Espérons que les implants et autres broches restées prisonnières de mes fémurs depuis le temps ne me scotcheront pas à la paroi de l’engin… IRréMédiablement…

CHAPITRES

A l’heure ou l’IA est sur le point de concevoir, pour t’accueillir en fin de journée, un intérieur adapté au mood du jour, on se décide avec mon équipe maritale pour l’achat d’un nouvel aspirateur. Intelligent.

Un site, proposant son modèle, m’explique que ce serait parfaitement ridicule de  payer un tel prix à la concurrence. J’avoue, ailleurs, c’est pas donné. Atterrissant pourtant sur le marché une décennie après que tout le monde en soit équipé, j’imaginais un prix plus près de ceux des balais, voire seaux essoreurs. Loin du compte.

Alors je m’imprègne de l’argumentaire sans faille du site. En effet, à quoi bon ces fonctions superflues ? Cette marque propose un smart robot qui ne fait pas de chichis ; je clique.

Carte bleue, date, cvc. Et là : rien.

Habituellement, même quand il s’agit de quelques euros, la banque s’interpose. S’ouvre la page autorisation, avec un dessin moche d’homme sérieux me proposant deux options : « Je paye » ou « Je refuse de payer ». Dans le cas numéro un, re-code confidentiel ! et enfin, après cette série de haies, réapparition du site marchand qui me félicite.

Cette fois. Pas de popup banque. Silence du marchand.

Comme je viens de me réveiller, je rassemble toute mon énergie pâteuse, concentrée sur l’écran. J’enquête : barre de recherche : « Flash Vente arnaque ». Et là, des témoignages, en cascade, qui semblent assez raccord. Entre celui qui n’a jamais rien reçu et celui dont les prélèvements se poursuivent aléatoirement. Sabbah me racontera plus tard qu’elle a finalement reçu, à la place d’une pendule murale, une fausse bague Cartier. Viens pas te plaindre maintenant, vraie horloge, vraie bague Quartier. Ya quoi ?

Je retourne sur la banque qui cette fois, n’a pas tilté, et de rubrique en rubrique, je fonce, index de compétition sur mon écran, direction « cartes ». But ! Opposition réussie. Je n’irai pas grossir les rangs des victimes. Je réalise alors que je n’ai pas de chéquier, pas d’autre moyen de paiement. Je fais taire l’angoisse naissante, lui opposant ma réponse à tout, leitmotiv du moment : « on verra bien »…

Ainsi, Je zappe. Même si l’incident se rappelle à moi à longueur de journée. Je pense à Layala, ma fille, fraîchement installée à Paris :

_ ça va ? Tu t’en sors ?
_ Mouais. Même si à dès que je respire je dépense 50 euros.

En attendant le délai nécessaire à la fabrication de ma nouvelle carte de crédit, je reste bloquée une demi-heure dans la file d’attente du guichet RATP pour acheter deux malheureux tickets de métro. Pendant qu’on n’avance pas, je scrute les tourniquets, et mouline : j’y vais ? J’y vais pas ? Lui me laisserait : 1/ passer ?  2/ me coincer dans les portes clap ? Les contrôleurs acceptent-t-ils le cash ?
Si je les croise, adieu mon rendez-vous.  Je patiente. Impassible en façade, à l’intérieur envie de dégainer un mégaphone et de pousser ma gueulante. IL VOIT PAS QU’IL A DES CLIENTS JUSQU’A L’ANNEE PROCHAINE, MONSIEUR MOLASSE  ! L’employé est zen, ou lobotomisé. Un vague sourire, le geste lent, la masse du troupeau ne l’affole pas. Un des deux guichets est fermé. Si je pouvais, j’irais assurer l’intérim 10 mn, histoire de ne pas prendre racine dans le béton.

Tout devient tarabiscoté. Paiement en binôme. Ok, je te fais le virement et je te whatsappe dès que j’ai payé avec ton numéro de carte, (que j’ai noté et caché dans mes affaires, dont je mets dix minutes à retrouver la cachette, le lendemain). T’as 128 secondes pour valider l’opération. Suspens. Plus que vingt. Je réserve la veille mon train régional comme si je programmais un voyage aux Maldives. Chartres Montparnasse. Ma technique d’achat, très sophistiquée lorsque je voyage en TER, et lorsque je suis en possession d’une carte de crédit, consiste, depuis peu, à prendre mon billet une fois à bord. Les portes tintent, en mode, on démarre, saute ! Essoufflée jusqu’à ma place où je ne me cogne plus la tête, piège imparable pour tout voyageur sur cette ligne, débutant ou distrait. Et pas un petit poc. Non, Littéralement assommé. L’étagère est redoutable. Une fois installée, je réserve.  En adoptant cette technique du paiement en ligne sur place, j’évite le passage à la borne ; pas celle-ci, cassée, ah ! l’autre aussi, file de malade pour réserver. Ainsi, dans vingt minutes, si je persévère,  j’aurai le sésame pour voyager, mais plus de train, ni de rendez-vous-dentiste à Paris puisque j’aurai pris une heure de retard dans les gencives, empruntant en règle, le Rémi suivant.
La toute première fois, pour me dédommager pour la gêne occasionné par ces pannes, et la perte de précieuses secondes en me rangeant derrière les voyageurs dociles, ayant choisi de rater leur train, je décide, d’écourter le trajet réservé. Station n+1 au départ, n-1 à l’arrivée. Je gratte quelques euros, satisfaite, m’offrant une fois à quai, avec ces économies, le luxe d’un passage aux toilettes, et la possibilité, si l’envie me prenait, d’inviter 4 voyageurs à en faire de même. Contente d’échapper au racket, de refuser ces tarifs dignes du business model « Proud to pay ». Excessifs. Prohibitifs, alors que tu luttes une fois sur deux, bosse sur le crâne, contre la clim déchainée ou le chauffage abusif. Les contrôleurs surgissant en bande, à chaque aller, cherchant des noises aux séniors n’ayant pas capté toutes les subtilités de leur réservation, juste au moment où tu commences à te détendre, à t’évader dans les plaines de la Beauce,  billet  réglo, puisqu’ils n’interviennent généralement qu’entre la deuxième et l’avant dernière station.
A fourbes, fourbe et demie.

C’est presque une nouvelle vie. Je réapprends à compter la monnaie, à la voir m’échapper des mains entre deux caisses de supermarché, improvisant un jeu de chat et de souris avec le client suivant qui se met à twister pour faire obstacle à la course de la pièce, l’écrasant de toute ses forces comme si la bête pouvait lui mordre le pied ; des scènes bientôt obsolètes, comme celles des cabines téléphoniques, quand on paiera avec notre tête, en regardant la caméra dans les yeux.

Une semaine pour récupérer un nouveau bout de plastique pucé. Ça commence bien. Activé dans le sas même de la banque, je retire dix Euros qui me résistent, pincés par le distributeur. Piquée, je tire vivement, et envoie cette fois le billet dans les airs. Le regarde plonger dans la corbeille à papier.

Cherchant à comprendre, décortiquer tout incident, aussi anodin soit il, je ris bêtement. Personne n’a vu. Je ramasse discrètement le papier rouge dans la corbeille. Et le plie dignement en me disant. Ben qu’est-ce que tu fous ? T’es pas bien ? Ton bif, direct dans la poubelle.
_Oui ? me dit la psy en moi.
_Pfff. Aucune idée. Peut-être que toute cette gymnastique de codes, accès guichet autorisation commencent sérieusement à me courir ? La psy ne répond jamais. Elle veut juste que je me pose des questions. Peu importe lesquelles.

Tout est rentré dans l’ordre. Nouveau paiement sur le web. Même plan. La banque ne se formaliserait-elle plus ? Accepté direct sans me demander dix fois si je suis ok ou pas. C’est reparti. Barre de recherche : Etsy arnaque ? Non. Cette fois, totale confiance.

Période bizarre, nuit soudaine en plein après-midi. Un peu en demi-teinte, pas ouf. Quand tout à coup, une copine me sollicite. Rencontrée l’an dernier aux abords de la Cathédrale, fan de ses secrets, et de la géographie du sacré, situant Chartres sur le même plan mystique que le monastère du Dalaï Lama à Lhassa. En m’informant, j’apprends que 16 autres points sur le globe seraient traversés par des énergies comparables, mais inaccessibles, au fin fond des océans, ou sur des terres hostiles….
Cette Stella _ ça ne s’invente pas_, me demande si je suis ok pour participer à une cérémonie du solstice, dans ce lieu remarquable, à quelques minutes de chez moi. Vla autre chose ! Quand mon quotidien, actuellement, consiste à hiberner, enchainant les documentaires sur la planète, les jeunes guerrières du changement climatique, investigations sur la société, les richesses, les migrants, les destins d’artistes,  en crochetant furieusement du fil à paillette, histoire de saupoudrer des journées de météo maussade d’un max d’étincelles, seule activité me transportant, avec la confection de boites pyramidales dorées pour la préparation des cadeaux de Noel, produisant sur mon mental, les mêmes effets légèrement euphorisants.
D’emblée je chasse l’idée. Elle s’y reprend à plusieurs fois. Suffirait de guider les personnes souhaitant y participer, d’allumer un cierge dans ce lieu qu’elle vénère….cérémonie pour fêter la lumière.

Pas emballée, mais n’imaginant aucune excuse valable, je me laisse convaincre. De 10 h21 à 10h40, l’occasion de retourner dans ce monument remarquable, en se laissant porter par sa voix intérieure…Je cède.

On est 3, la quatrième inscrite n’ayant pas entendu son réveil. Mine de rien, je tiens mon rôle. Ça vous dit ? On passe par là ? Ne souhaitant pas suivre le protocole envoyé par le groupe et en ayant averti mes nouvelles copines, je les guide au gré de ma fantaisie. On l’allume ici et on promène notre flamme dans la Cathédrale. D’accord avec chacune de mes décisions, le mini cortège évolue. J’aurais aimé être « j’irai dormir chez vous » pour filmer nos têtes investies d’illuminées à la bougie. Les trois messagères de la lumière errant sans but précis, sur le pôle miraculeux de Chartres ! Avec Elisabeth, on s’accorde sur l’endroit où ou déposera la bougie.

Je discute cinq minutes avec la vierge qui me fait face. J’aime bien son feeling, elle semble assez ouverte, le manteau déployé, stylée, les petites loupiotes tout autour, alors je liste un peu tous ceux à qui je pense. La paix, l’amour, rien de très original. Je pense aux conflits, cette amie qui a quitté sa maison en attendant que la situation s’apaise au Moyen-Orient, mes guéguerres intra-familiales. Vas-y. en fait je n’ai rien d’autre à faire comme vœu. Je me reconnecte à la mission. Me concentre, comme si une fois sortie de la bâtisse, la représentante du très-haut n’aurait plus de temps à me consacrer. J’ajoute en conclusion de prière : Voilà c’est ça, permet qu’on soit tous guidés par une lumière, que tout soit facile pour tout le monde, qu’on soit tous dans le cool. Bon ben c’est tout je crois…Je sèche.

L’une de nous trois dit, c’est marrant, sur tout ce parcours, qu’elle nous indique, j’ai ressenti une grande joie. Pas moi. Rien de spécial. Mais je suis contente pour elle.

Perso, je trouve que leur chantier permanent casse l’ambiance. Bâche grossière et colossale éclipsant l’orgue majestueux cette fois. Comme ce curé qui apparait subitement, et sonne sa cloche, en nous matant un bref instant.

Je n’ai aucun code, et je ne cherche pas . Je regarde ce qui me plait, et observe ce que ça me fait.

Elisabeth décroche son tel, oreillette. Elle non plus ne semble pas être très à cheval sur les lois des lieux.

L’autre participante nous quitte et alors que je suis seule, me prend l’envie d’aller sur ce point central du labyrinthe, où je me suis rendue une seule fois en deux ans de vie ici.

J’achète une prière en espagnol, adressée à la petite vierge que j’avais spontanément choisie pour papoter un peu plus tôt. Sa photo en illustration, se trouve au dos du texte. Je paie les Cinquante centimes, tarif conseillé, pour mettre toutes les chances de mon côté ;

Je me plante en plein centre et lis mentalement la prière.
Là, j’entends une voix. Masculine : vous ne pouvez pas rester là, au centre, vous gênez le passage. Sans se retourner, l’homme, massif, me dépasse.

Choquée. Il m’est arrivé à peu près la même expérience lors de mon premier tcheck avec ce célèbre labyrinthe. Je lui dis merci en pensent crétin. Toute l’allée est dégagée. Un dingue ? Un signe ?
Je bouge, mais décide de me replanter exactement au même endroit, en espérant une autre manifestation, plus subtile.

Posée avec le petit stress de « imagine il raboule », je résiste quelques minutes, et ne sentant absolument aucun appel, ni passage du flux d’énergie attendu, je bouge.

Arrivée chez moi, j’ouvre la boite aux lettres. Un colis ; Impossible. Jusqu’à ce que je l’ai vraiment déballé, je n’y crois pas.

Il est vrai que malgré l’opposition et tout ce foin depuis la transaction douteuse, j’avais remarqué le débit de la somme sur mon compte, et avais aussitôt lancé la procédure de réclamation à la banque. A quoi bon sinon ! Une fois le blocage fait, d’où se sont-ils permis d’accepter cette opération semi-frauduleuse ?

Je déballe l’appareil. Mignon, très petit quand même. Avec une réserve de poussière pas plus grande qu’un étui à cigarettes. Sceptique, je fais les petits montages, clipse deux pièces, jeu d’enfant, et le mets au boulot. S’il n’a pas toutes les fonctions superflues, je remarque qu’il fait un petit bruit de film d’horreur qui à mon avis, n’était pas vraiment indispensable.

Ok, il ne prend pas le fil, ah, le poil de chat non plus, pas plus que le confetti. Je vérifie l’aspiration. Pas violente en effet. Je comprends que le prix à 10 pour cent de ceux du marché est conforme à ses capacités.

En fin de journée, décidée à retenter le coup, je le charge avec son mini cable usb. Une fois à bloc, je le relance. Voyant qu’il n’est pas plus motivé sur le cheveu qui traine et autre bidule sur lequel il est pourtant resté quelques minutes, je reprends mon aspirateur classique, beaucoup plus bruyant, mais qui ne lésine pas sur le panel de spécimens à aspirer. Smarty nous suit avec sa jolie lumière bleue, en se cognant un peu partout, et je me surprends à lui trouver une fonction . Par son passé chaotique d’objet non désiré,  et l’inefficacité remarquable de ses performances,  il m’amuse, m’attendrit. Me voilà, à deux jours de Noel, avec un aspirateur de compagnie !

CHAPITRES

Que ta parole soit impeccable !

Bifurquer. Adopter une autre attitude. Comme quand Picasso saute le pas, nous immerge dans sa réalité, inédite. Secouer toutes nos belles fondations développement personnel. Sensées nous fournir la notice de la vie, des relations harmonieuses. T’es sûre ? Et en prison, ça marche aussi ? La cerise sur le ghetto !

Le mec d’UFC Que Choisir me dit : faut apprendre à mentir, bluffer, tricher. C’est comme ça qu’ils avancent, vous voyez bien, chantage, intimidation, menace. Ça m’excite cinq minutes, comme si tout à coup, je me disais allez, faut bien mourir de quelque chose, testons l’héroïne !
Que ce soit le syndic, l’agence immo avec la fuite d’eau, ou à l’autre bout de la France, le plombier véreux qui m’extorque 900 euros pour changer un flexible…De quoi basculer en version dark ?
Pourtant, une nouvelle fois, j’obéis à mes règles de Sainte Sophie. Dire ce que tu fais, faire ce que tu dis. Au boulot ! Je pourrais souffler après ces neuf mois de travail à la chaîne, fouettée par une déséquilibrée, m’appuyer sur les allocations chômage pour continuer de régler mes dettes, mes crédits. Pourtant j’y retourne. Puisque malgré mon CV impressionnant, ils ont accepté ma candidature au poste de servante. Recevoir un énième bon point, pour un bulletin de note impeccable. Pas envie d’aller me déguiser en garçon de café dans un hôtel de la zone, industrielle, artisanale, appelle ça comme tu veux. Coincée entre un bowling, une enseigne de bureautique et un Buffalo grill, j’ai l’impression d’avancer à reculons. Mais je me suis engagée. Condamnée ? 2 mois à tirer. Fermes.

Alors je me retrouve au milieu de nulle part, m’éloignant de ma Cathédrale, lui tournant littéralement le dos, quarante mn à pieds, dans un panier de rampants. Parce que coincés là depuis des années, faisant partie des moquettes, ils s’octroient le privilège de balancer des petits ordres à la nouvelle. Comme si t’arrivais en taule. Tu poses ton téléphone ici. Pas là. Pas ton cul. Debout quand le client entre. Yvonne ? C’est différent, Six ans d’ancienneté. Même poste même fonction : elle peut. Toi pas. Mange là. Mange ça. Pas là. Avec nous. Même si on parle entre nous. Pas avec toi. De toi. Dès que t’as le dos tourné.

Alors après quelques jours impassible à me protéger, refuser de jouer les cibles, je mélange toutes mes règles et jette en l’air voir comment ça retombe.

Heureusement, une fée dans cette décharge. Je me retiens cinq minutes. Ne pas lui parler de ce qu’il se passe. Trop négatif, tout est crado. Peur de la miner. Elle est fraiche comme une rose. Paupières vertes en mode seventies et ça lui va super, comme la feuille dans la continuité des épines. Un eye liner à la Nina Hagen acidulée, qui sur elle fait une virgule, une respiration à la menthe. Elle ironise sur son mètre cinquante, mais c’est celui de Betty Boop, ses formes ont la saveur d’une fraise Tagada. Et je ne vois aucun papier froissé dans son regard, une âme de papillon, de luciole, piquante et trash dans son franc-parler mais limpide comme son rire, sa pensée, sa façon d’avancer. Le tout dans la douleur d’une endométriose dernier stade, inimaginable quand on se prend son sourire dans l’œil.

A la seconde où on se voit, on se jette sur nos quinze minutes de passage de relais pour vomir ensemble l’infâme mauvais moment qu’on passe avec nos co-équipiers. 
A quoi bon, parole impeccable… Paloma est la seule à ne pas manger de cadavres ici. Plus que par éthique, je m’y suis résolue il y a quelques semaines, parce que je n’en peux plus d’éternuer plus souvent que je n’inspire, de devoir écarter mes narines manuellement pour laisser passer un filet d’air. Alors je me décide. Grand ménage digestif. Du légume et de la graine, des fruits. Je regrette de ne pas m’être radicalisée avant. C’est coloré, festif, varié….et je me sens grave mieux.

Dans ce contexte, où je ne suis plus vraiment certaine que soit venu le temps des Cathédrales, je me retrouve donc littéralement dans un tas d’ordures. Un an plus tard, je comprendrais qu’il fallait emprunter le local poubelles pour enfin, respirer l’air pur, savourer ma liberté.

En attendant, je coule lentement vers le fond. J’entame une longue séance d’ennui de réceptionniste n’accueillant personne,  à m’empêcher de regarder mon téléphone ailleurs qu’aux toilettes où je vais m’éclipser fréquemment, aussitôt un verre d’eau vidé. C’est alors que je me décide à sauter de l’autre côté. M’attaquer aux accords Toltèques, les secouer. Et si j’appelais un pauvre mec un pauvre mec. Oui jugement. Oui, subjectif : son pire profil puisque c’est celui dont il me régale depuis des jours.

Un coup d’œil dans le miroir, l’humain dans les rétros. J’ai l’impression, parfois fugace mais récurrente, que je commence à mieux m’aimer, les autres pareils, même les plus fous-dangereux, je les comprend….ils font juste ce qu’ils peuvent, seul moyen, n’ont plus la force de créer construire fabriquer, alors ça casse, détruit, persécute… Pendant que d’autres avancent, se ramassent et se relèvent, et parfois s’indignent. Lui, l’abominable exterminateur ! On le pointe du doigt. Cas psychiatrique, évidemment ! Sa maman l’a abandonné parce qu’il ressemblait déjà à un pruneau sec et caractériel. Puis il a raté son concours. Failli être Dali, à un poil de moustache près. Mais nous, nous accrochant à la barre pour rester du côté des normaux, cultivés, évolués…Ben tu parles. Cinquante nuances de noir. Jonglant avec nos petits pouvoirs. Toi, je te condamne à mort, toi, libre, toi, pas de porte pour tes toilettes dans la cellule ; tes besoins en public. Ton fœtus, tu le gardes, karma, même si t’es seule, pas finie, que ta vie est un enfer et que tu ne veux y entrainer personne. C’est nous, qui décidons, ce que tu fais de ton vagin, de ta vie. Que tu souffres ? Ça s’arrêtera bien un jour. Trop jeune pour décider. Et toi ? Pareil : trop vieux pour décider.

L’autre qu’on désigne en monstre grossit à peine le trait, fait juste comme nous, en pire. Sans cette caricature, on continuerait en sifflotant, l’air irrespirable mais dégagé, entre deux gâteaux d’anniversaire, nos petites tortures acceptables, à cultiver les condition abjectes imposées au nouveau, à l’étranger, aux minorités, aux différents, femmes, enfants, animaux, végétaux….jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un, sur le poteau, avec l’eau jusqu’aux oreilles alors qu’il est sur l’Everest…atteint à la nage.

C’est compris tout ça. Alors rien n’empêche la déconne. Sans partir dans le gros vice, le gros mensonge, séance de cubisme, de tachisme : délie la langue, libère ton Pollock !

Comme exutoire. A cinq ans, tu disais prout avec les copines en hurlant sur la plage. Ça suffisait comme rigolothérapie pendant une bonne séance et ça marchait à tous les coups.

Même adulte et mère, quand Bulle était petite, facétieuse, elle adorait me voir partir en fou rire. Ce qui m’amusait c’était de voir sa bouille, atteignant à peine la hauteur du bureau, me provocant, alors que sérieuse, j’essayais d’étudier. Elle me fixait droit dans les yeux, et articulait PI-PI ! entre ses fossettes, le regard inspiré. Puis prenant un air encore plus deep, mystérieux : c-a…c-a, en attendant ma réaction. Son intention de provoquer l’hilarité était tordante. Et de refuser de croire que c’était elle qui me faisait rire. Pas ses quatre syllabes magiques.

Quand on se lâche aujourd’hui avec Paloma, ça nous lie, nous soulage, nous rapproche. Dans la cour bétonée, à l’arrière du restaurant, qui sert de fumoir à ciel ouvert, on touille nos potins-poubelles en y énumérant les crasses.  Ce pauvre con, hier, il s’excitait en mode drama nous accusant de ne pas avoir traité le mail de Delaroute. Bah voyons ! Ça va être de notre faute s’il se prend un mur. Seul au volant. S’y prend trop tard comme un cake. Il était temps qu’il percute. Problème insolvable, je t’en foutrais…

Tout ça pour se raconter qu’il est trop fort, génial, quand il aura évité le soi-disant désastre annoncé, largement ébruité, avec photos épinglées de ses deux coupables désignées.

On se défoule à base d’excès de points d’exclamation. D’éclats de rire.
Nooon !!! Il t’en a pas parlé ? Tout ce foin hier après-midi, juste pour moi ? Me faire flipper ? Culpabiliser.  Quel baltringue. Hahaha !
Pas de couilles, juste une grande gueule. Un homme quoi ! Hohohahaha !

On pouffe une dernière fois en se regardant. Plus que 3 mn avant de sauter sur mon poste. On est chronométrées, surveillées, testées. La clé de la caisse dans la poche parce qu’à un moment, ils en rament tellement pas une qu’ils vont dans ton dos, te piquer un billet juste pour voir ta tête. Te regarder compter dix fois tes pièces. Prolonger ta fin de journée interminable. Scruter ton front voir si la sueur perle. Compter les gouttes. Te faire griller le plus de neurones possible, sous pression, et te donner une bonne fessée. Pardon, leçon, la prochaine fois tu prendras ta clé. Alors, j’anticipe.

Tous nos déplacements sont filmés. Ça me donne envie de danser dans les couloirs, de tester la démarche de Marilyn. Celle consignée dans ses carnets, minutieusement travaillée. Tête immobile, comme si t’étais suspendue à un nuage, touchant à peine le sol. Et toute ton anatomie danse en marchant. J’ai testé, appuyant sur les muscles de mon cou, tout bouge. Micro contractions des deltoïdes à chaque pas. Inimaginable.

Le bien qu’elle me fait. Paloma, mon petit shot avant d’entrer en cage   !
Quel bonheur, cette complicité. Comme quand on faisait la tournée des boites entre 15 et 25 ans, un peu bourrées, parfois carrément, nous esclaffant pour rien. Sans pouvoir nous arrêter, même quand on ne se souvenait plus du pourquoi. Porque ? Nos regards se croisaient, et ça repartait.

Ok Toltèque, alors la parole impeccable, c’est à voir. Quelques emprunts à la langue du pays. Caméléon. S’adapter au milieu, jongler avec leurs codes. Arrêter de leur donner une fleur à chaque fois qu’ils te lancent une crotte de nez. Et puis tant pis, si ce qu’on dit des autres, c’est aussi ce qu’on se dit à soi, sur soi. Soit ! Une bonne raison dans ce cas de dégager à la fin. Du balais moi ! Franchement, si je vaux ce que je vois chez ces tâches poisseuses, si je ressemble à ce wagon de limaces, autant laisser la place. Aux suivants !

CHAPITRES

RENCONTRES

Elle arrive en haut de l’escalier chaque matin, comme le lever du soleil. Ou comme une fleur qui s’ouvrirait à l’aube. Une grande fleur. Kau Lana mesure un mètre quatre vingt deux.

Je la vois au début comme un simple sourire de l’accueil à la capitainerie, représentante de cette douce vibration bienveillante presque enfantine, qui inonde la Polynésie. Partout. Y compris au supermarché. Lorsque je demande s’ils ont tel produit, la vigile, en copine, me conseille la bonne bouteille de rhum à partager avec mes amis. Quand je pédale, entre la Marina et Papeete, je ne sens plus l’effort car des dizaines de mains me saluent.

Kaulana, officiellement secrétaire a une licence en langues étrangères. Elle me rembourse les 900 francs avalés par la machine qui en échange m’a rendu mon linge sec et sale. Gentille mais rigoureuse, elle écoute le message. Le numéro de secours inscrit à la laverie a validé le remboursement sur mon répondeur. Son œil est doux, mais intense. Il te scanne en mode smile.

Elle est jolie, mais on sent que sous le vernis fleuri, il y a un autre monde. A l’abri de ses cils qui font un kilomètre, et longtemps dissimulé sous une cascade de cheveux aussi beaux que sur les gravures et le cliché de la vahiné.

Elle a toujours des tenues parfaites, souvent locales, mais parfois une touche surprise. Mini-robe salopette en jean. Un air classique avec une belle queue de cheval, mais un clou planté dans l’oreille, comme une petite épée. Un indice.

Le fil de notre conversation s’est déroulé à partir des allergies dues au chips aux crevettes. Surprise par son naturel en racontant sa lèvre gonflée au réveil, et la panique, comme si elle avait une morsure d’alien. On ne perçoit rien sur une jolie bouche, lèvre ourlée et symétrique.

Je reconnais cette montagne. Celle qu’on se fait, en partant d’un point noir que personne ne voit. Un peu comme si je voyais la poutre dans mon œil, la paille chez l’autre….en tout cas pour ce qui est des défauts physiques.

Je peux voir quelqu’un criblé d’acné et la trouver jolie. Je pense à une jeune femme en particulier, qui porte également et très naturellement un appareil dentaire. C’est normal aujourd’hui, à 20 ans, 30 même, ça passe. En revanche, si moi, j’ai un spot, un œil rouge, j’ai toujours la crainte que la personne en face de moi soit lourdement incommodée, ou au minimum surprise. Comme si elle voyait un sapin de Noël, clignoter sur la plage en plein mois d’aout, ou une benne à ordures vidée sur le sable blanc d’une plage de Bora-Bora.

Alors on se lance sur le système immunitaire, digestif, je raconte ce que j’ai appris en nutrithérapie sur la micro-porosité intestinale, et avec son accent qui glougloute comme une source d’eau fraiche, elle me dit bingo ! J’ai été opérée, en roulant le R.

Puis la conversation dérive gentiment vers Raiatea, d’où elle vient, et où sa mère dirige l’école de danse, Hula Vahiné. Son père y est prof de ukulélé.

Elle me donne tous les plans, 2500 francs par le cargo Taporo. Tu t’y prends à l’avance.

Oui, ça pourrait faire un but de voyage.

Mais quand je la revois, j’ai envie qu’on parle d’elle. Le monoi, le ukulele et la danse, c’est bien, mais non merci. Je lui rends la carte postale parfumée au tiaré.

Ravie, elle se prête au jeu, et on se pose pour l’interview.

Il faut gratter délicatement le top coat. Elle n’a que 22 ans et en a passé presque autant à hiberner.

Oui, j’ai compris que je devais travailler sur moi. Non, personne, c’est juste moi, comme ça.
Aaaah si, Papa ! Mon ancre
. A l’encre sur sa cheville gauche, tout est côté cœur. Et lui, c’est la base.
Ah oui ! Elle a su trouver des alliés. Mon copain aussi, de Makemo. Eux, toute la famille de mon copain, ils sont fins. Pêche, poisson cru. Ils vivent juste dans la nature et mangent que du healthy. Et font plein de sport. Il voudrait qu’on aille là bas. S’ il y avait du travail, j’irais.

Et Mister John. Là ça pétille carrément. Son parrain, de cœur. Ou elle pourrait dire sa marraine.

Un Mahu. J’adore quand elle glisse des mots, comme cucul la praline pour les films un peu nuls. Tu vois, surtout les films de sorcières, mais pas les trrucs bébé lala.

C’est elle qui m’a appris « c’est fiu » ! Pas envie, fatiguant, relou….flemme.

Les amis de toujours, aussi. Les sunset, ça c’est depuis longtemps, tu choisis un spot, et t’es là avec ta bande. Ah oui, non seulement on mange, mais c’est souvent l’apéro aussi.

Les cheveux, les ongles prendre soin d’elle….c’est comme ça qu’elle a commencé. Et raccrocher au nez. De sa mère, puis respirer. Parler avec son père, oui je sais c’est moi qui mets la fourchette, pas elle. Trop de pression.

C’est dans la famille, le gène de l’obésité. Jusqu’à 130 kg. Je les ai tous essayés. Aucun régime n’a marché. Finalement, j’ai mis du temps, mais j’ai décidé de me faire opérer.

Tout n’est pas réglé, elle est devant la machine à café et couine. Oh, nooon, je voulais les chips. Rrupture, nooon.

J’ai aussi englouti mon paquet samedi. Après 35 km de vélo, ne voyant pas la fin de cette expédition, aux nombreux intermèdes pluvieux. Immobile à la station Mobil, en attendant que la pluie cesse. Croquer machinalement en respirant le gasoil. Trouver dans ce puching ball masticatoire et endorphinique, la force de faire les 25 km supplémentaires, alors que c’est déjà au-delà fiu !

Se caresser les cicatrices, et remercier l’univers, et lui demander aussi. Autre de ses rituels, que j’ai adapté et adopté depuis.

Et ton copain ?
Je décolle, comme ça, juste dans ma tête.
Elle ferme les yeux. Et je suis juste là pour moi, il sait.

J’ai compris un jour. J’ai dit, ma vieille, maintenant c’est d’abord ta gueule.

J’ai voulu prévenir, au boulot, que si j’étais prise ailleurs, j’allais les quitter. Qu’ils ne soient pas dans l’embarras. On m’a poussée directement dehors, alors que finalement, j’étais pas prise dans l’autre job.

Elle veut me parler de ses cheveux. Mais je crains que ce soit comme moi, quand je parlais de tout ce que j’avais englouti.

Le psy s’impatientait, parce que les symptômes, le produit, c’est une chose, un arbre. Ce qui l’intéressait, c’était la forêt.

Justement, elle a peur des rencontres qu’elle y fera.
Elle ne sait pas encore qu’elle est une sorcière. Que blanche neige et la sorcière, c’est la même personne. Sa pire ennemie, et sa force quand elle l’aura apprivoisée.

Petite, elle chantait et dansait. Tout le temps. Et elle continue, quand ça ne va pas, à utiliser sa salle dans l’école de danse. L’exutoire.

Les costumes, une idée, mais pas sûr que la graine germe. Parce que même si t’es manuelle, tu sais au fond, qu’une sorcière à bien plus que des mains de fée.
Kaulana, en Hawaïen, c’est « famous ». Ton truc serait carrément la scène. Eclat de rire. Avec Mister John, maquilleur, coiffeur.

T’étais boulimique ? Non hyperphagique.

Ça se trouve moi aussi. Hypo, puis hyper. On a ressenti le même apaisement, et la même honte, la culpabilité, l’angoisse. Que tu mets à distance avec ta facette gothique. A mon époque c’était les punks.

Cet anniversaire des 22 ans, c’était la répète.

L’an prochain, tu préviens, menaces même. Ceux qui viennent juste en noir, ils repartent chez eux. Se changer. En remettre des tonnes !
Tu veux back to black. Deep black. Pour tourner la page.

C’est surtout le côté esthétique, cosmétique, pour marquer ta désapprobation, contre certaines conventions.

Moi j’aime Mister John. Comme elle le mime, je lui pose la question clairement. Ah oui, exactement, un homosexuel vraiment bien assumé. Coiffeur et maquilleur, et il a l’air déluré comme ça, mais il est zen. Super zen. Et c’est grâce à lui si je vais mieux. J’aime les homosexuels, ils ont le droit ! C’est ça mon côté gothique. Et l’écarteur tu vois, je vais laisser comme ça. Comme une petite créole, mais dans le lobe.
Elle est mesurée. Juste pour marquer le coup. Ecarteur, mais soft. Pas de rites lugubres. Juste un visage de divinité sereine, yeux fermés, jolie main sur les marques laissées quand ils sont allés réduire l’organe. Et l’appétit.

Oui elle sait, dans son ancienne vie. Son petit ami était un arbre et elle, une sorcière. Nous y voilà. Elle seule et son père entendent les grands-parents. Ils reviennent chanter. Déguisés en cousins de cigales, que personne n’a jamais vu. Et que peu entendent.
Maman, elle, n’entend pas.

Comme la voix de la mienne. A 5h41, quand elle quittait son corps, à bout. Elle m’a interpelée. Fort. Clairement. Un truc banal comme, Sophie, t’es là ? que je n’ai pas compris, surprise qu’elle soit là alors qu’elle était à l’hôpital. Peut-être qu’elle m’a juste dit Sophie, c’est moi. Au revoir ! Ou j’y vais. Elle aimait la sobriété. Pas d’effusions.

Tatouages côté gauche. Pourquoi ? C’est comme ça, côté droit j’arrive pas. La sorcière révèlera un jour ses secrets.

Et les cheveux, sacrifiés parce qu’ils étaient devenus une carapace, et qu’elle avait besoin de muer. Offrande du rideau de scène, qui la coinçait dans les coulisses. L’arbre à tailler, pour aller explorer son royaume.

Il arrive dans la salle où je sers les petits déjeuners. Juste avant, j’échange quelques mots avec deux jeunes commerciaux.

Vous travaillez dans le coin ?
L’un d’eux relève le nez de son téléphone :
Dans la pomme de terre.
A-t-il compris “ le coing ?” Je m’esclaffe sous cape.
Connexion neuronale en essuyant la vaisselle derrière mon bar, je poursuis…
– Hier sur mon paquet de chips, était inscrit, “un goût à tomber dans les pommes….de terre”.
Vraiment à propos, même si je ne suis pas sûre que l’échange ait un réel intérêt.

Nos conversations se limitent alors au basique poli :
– Parfait-parfait, on a tout ce qu’il faut. Ah, avez-vous du beurre ?
Oups. Un chouille distraite la serveuse.

Il m’arrive aussi d’oublier la tasse. J’apporte la théière fumante, les petits sachets avec choix Daarjeling, Black, Green….récolte les ouahou, mercis, de personnes aimables qui ont juste envie de manifester le plaisir qu’elles éprouvent à être chouchoutées…et … ah sorry. On rit, ils me pardonnent, me disent vous êtes adoraybeule, merci, vraiment sympa l’accueil, on se serre les quatre mains, ravie-ravi-ravis de vous avoir rencontrée. You are my Kaikaina…me dit Nanci de Hawai. Sister, traduit-elle en m’enveloppant dans son joli regard. On s’est vues seulement quelques minutes, un contact franc, intense, mêmes chignons perchés, ce sourire… porté sa petite valise, pris ses bouteilles d’eau vides qu’elle veut recycler que j’ai déposées, pour respecter sa volonté sous un couvercle jaune sur le chemin du retour, alors qu’au restau, toutes les autres vont direct à la benne.

Puis avant de partir elle me demande si je suis ok pour que Teri nous prenne en photo. On dirait bien, Teri, Nanci, qu’à Hawaï on ne s’embarrasse pas de « Y ». L’essentiel. On se comprend à peine, mais on se comprend à fond. On se connait, ou on se reconnait. Elle me serre dans ses bras, et je suis touchée. Son billet laissé sur la cheminée me rappelle qu’ici, je travaille, certes, alimentaire, survie, mais avant tout, je m’enrichis. J’amasse un petit trésor d’humanité.

Couple de Lituanie, ou Englishman solo de passage en Van, entre les Canaries et Calais, pour y rejoindre son sweet home d’hiver. Nos mains s’étreignent, comme une graine de love story qui sèchera sur ces lignes, me rappelant que le champ de fleurs bleues ne fane jamais.

Je m’évade, quelques heures plus tard, en accomplissant les taches ménagères, spray de vinaigre et chiffon en main, les pensées au volant du Van Vert d’eau. Au retour de préférence, si vous repassez par là, Joe. Côté pluie, on a ce qu’il faut à Chartres.

Quand il arrive dans la salle, c’est une entrée spéciale. Comme s’il arrivait sur des roulettes au ralenti, ou flottant, sur coussin d’air. Léger, très calme. Un peu comme une ombre qui oserait à peine demander où elle doit s’installer.

Lui parle français. Mais surtout une langue…lumière plutôt que son, qui allume un petit led à la pointe du myocarde quand il vous cible. Chacune de ses manifestations est un baume. Un sourire, une dosette effervescente. Il évolue dans un halo vibrant, une bulle irisée.

Instantanément enchantée, j’essaie de le mettre à l’aise.

Une fois assis, il sort un petit carnet et gratte.

Je bavarde avec une rêveuse. En couple. Jolis yeux bleus, elle aime les sets de table rose et verts, et s’enthousiasme pour tout. Avant de partir, la conversation check out tourne autour de “s’assumer en tant qu’artiste”. J’ai accepté de dire que je suis peintre grâce à ma petite de 5 ans. C’est elle qui m’a validée. « Toi aussi mamie, t’es une artiste ».

Sa joie émue est lisible. Spontanément en lui rendant sa carte bleue, avec facture de La Bleue, petit nom de la chambre, je lui prescris “Tout Le Bleu Du Ciel” que je suis en train de terminer. De savourer lentement.

Nathalie me répond qu’elle est maintenant dans l’accueil. De tout ce que la vie lui offre. Elle prend. Note. Me salue depuis la rue, mon 06 en poche.

Quand je lui apporte enfin son café, tartines et menu presque complet du breakfast, il lève un regard doux, me remercie avec un air d’enfant dont j’aurais exaucé un rêve.

Troublée, j’en oublie la charcuterie.

Ma collègue, appelons-la “#Balance ton Porc », sensée me préparer les assiettes saucisson-fromage la veille, m’a laissé des assiettes pourries-dégueux, que je ne présenterais pas à mon chat. Et un message (ou est-ce une blague ?), comme chaque début de semaine, pour me moisir la reprise du boulot : “ Penser à bien nettoyer la plonge et la cuisine, c’est plus agréable pour celle qui prend le service le lendemain”. L’hôpital qui se fout… de tout. Madame Crado qui fait la leçon à Madame Maniaque flippée….qui traque la goutte à sécher dans l’évier quand elle, avant d’écrire ses consignes de bienséance, laisse son cul de bouteille de coca, verre vide, fond sec à côté et chiffon en boule jeté dans la flaque de mousse de lait caillé, statufié.

Du coup, le voyant si doux, je ne prends pas la peine de lui proposer un assortiment dressé par mes soins. J’ai l’impression, fausse, car le lendemain, il fera honneur à la rosette-camembert, qu’il se nourrit uniquement de mets fins, aux sauces exotiques et subtiles.

Il ne réclame pas non plus de confiture le premier jour, où là encore, on m’a « préparé » des pots qui débordent, de marmelade séchée qui a dégouliné sous le gruyère…Lorsque j’ai nettoyé le pot, et dépoissé le périmètre, j’imagine qu’il a déjà fini ses tartines.

J’apporte fruits et yaourt et reçois, en cadeau, un joli sourire, dans le mood Alain Chamfort.

Le lendemain, même entrée sur son tapis volant, je me lance.

Ni dans le coing, ni dans la patate, envie de savoir.

J’ai en tête ce petit tableau qu’il a posé sur la coiffeuse de sa chambre. Sorte d’image mystico-punk. Tête de mort accoutrée en cow-boy, ambiance fête mexicaine. En signature, un message … « sur notre passage« , en latin ? Je ne veux pas être indiscrète. A côté, un roman de James Joyce. Chambre soignée, lit refait.

Je sors rapidement, change une petite serviette. Histoire de.

Il hésite encore, me demande s’il doit se mettre à la même table. Comme vous voulez. Je suis heureuse qu’on soit seuls dans la salle.

Le monsieur qui bosse dans l’aviation civile et fait du kite surf vient de partir. Sympa. Soixante ans pile, plus que deux ou trois ans à tirer avant la retraite, mais pas l’éclate. Quarante ans qu’il trace un même sillon. On dévie sur la voile, les cours qu’il a suivi au Maroc, la sécurité, je confirme, initiation risquée qui m’a valu une commotion cérébrale au 3e cours. Nos chemins, goûts, semblent proches. Lui serait la version avec parachute et casque, moi, sans. Je lui raconte la vague de Teahupoo sous laquelle j’ai fait un looping improvisé, façon machine à laver, frayeur de ma vie.

Alors qu’il se dirige vers sa table de la veille, passant son visage dans un rayon de lever de soleil comme s’il goûtait l’eau d’une rivière en la caressant, je pose ma question indiscrète : si c’est pas trop indiscret… Avant d’y répondre, il suspend le temps. Se tenant bien droit, il s’allume comme une petite lampe, se tourne vers moi, la main sur le cœur, semble sortir d’une poche virtuelle une carte professionnelle tout aussi immatérielle, et son sourire articule : artiste, je suis artiste auteur. Plasticien.

Ouf. La réponse que j’attendais. Que je connaissais sans savoir. Artiste. Ou mystique. Religieux. Parce qu’il me fait l’effet d’un moine bouddhiste camouflé en occidental gris-noir passe-partout.

Des portraits. Mais vous ne verrez rien. Ne joue pas le jeu des réseaux. Photoshoper ses oeuvres pour les rendre instagramables… Moue qui dit bof-bof. Sans développer, on est d’accord. Sacrilège. Flemme… Résistance !

Pas eu besoin de se vendre. A exposé pour l’Etat après avoir beaucoup travaillé. Tout mis en oeuvre pour. Et surfe depuis. Ils ne laissent pas tomber leurs artistes. Me suivent. M’accompagnent. Parfois je fais de la restauration d’oeuvres, de la dorure. Pour rester libre dans ma création. Il ne montre jamais. Mais comme je raconte ma fille et ses débuts dans la feuille d’or, il sort son téléphone et me fait découvrir le magnifique théâtre de Cocteau sur lequel il travaille. En plein air. La mer en décor. Les pins.

J’entends presque le chant des cigales, alors qu’il est remonté dans sa chambre quand je me dis. Aïe. Les 3 euros à encaisser. 2 taxes de séjour. Vais-je toquer? Il réapparait. Abracadabra. Aimerait laisser son sac, son train est dans l’après-midi.

Et on repart pour une nouvelle conversation. Tant pis. Celui à destination du ménage me passe sous le nez. Je prendrai le prochain. L’avenir de ma fille prime. Ou ce petit déj spirituel dont je me délecte. Des conseils précieux. Elle est bien partie, son karma est nickel. Tout est en place pour une belle voie royale internationale. Mais je me rassure dans les confirmations de cet ange artiste, comme s’il la bénissait.

Au fur et à mesure que j’avance, derrière mon petit bureau de réceptionniste, le chemin fait sa mue. Le paysage se transforme. En echo à ce que je découvre. En moi. Quelques clients remarquables me tendent un indice, une carte, une pièce de la mozaïque.

Que je communique avec Nanci, Nicolas, mon âme se nourrit. A cette place étonnante, depuis ce poste étrange de « femme de chambre-réceptionniste-serveuse-gérante », ma couverture, je progresse en agent spécial, dans l’exploration de cette vraie dimension. Celle avec laquelle je résonne, où je me sens vibrer.

J’essaie d’analyser sa grâce, mais ça me dépasse. La retenue, l’éclat de l’enfance dans la douceur de ce regard. La timidité dans le sourire. Les petits rires et l’enthousiasme lèger.

S’impose alors l’idée du portrait. Garder quelque chose de cette rencontre. Je ne le connais pas. Lui découvre mon blog et me pose une énigme : en vous lisant, j’apprends à vous connaître, mais pas tout à fait. Cette remarque flotte et toujours en quête de réponses, vient un début de quelque chose…En écrivant, j’apprends à me connaître…mais pas tout à fait…Peut-être un jour, au moment du grand départ. Le petit film en accéléré, grande rétrospective dans le tunnel vers la lumière.
« Tout peintre se peint lui-même ». Alors, je reprends les perles enfilées en Polynésie. Je suis Kau Lana, je suis Emma, L’étoile du Casa. A Chartres, je me découvre Nanci, Nicolas, Merina…Lettre après lettre. Chaque facette de la boule prend forme et me révèle par flashs.

Assise au Casabianca, je déguste ma sempiternelle citronnade sans sucre. Le meilleur compromis trouvé en 2 mois, en solo ou pour accompagner toutes les blanches, rousses, ambrées, les simples, doubles puis quadruples bières de l’happy hour de mes amis. Dérogation parfois, avec ma copine la belle Sas, pour un Ricard.

Salut ma chérrie ! Entre le « Sa » et le « lut », une octave. De dos, je peux la reconnaître entre 1000. Signature vocale, dirait le jury de la Nouvelle star. Et une aura qui t’enveloppe à 5 mètres à la ronde.

Avant qu’elle n’arrive, on sent le même vide qu’avant la sono. Et au son de sa voix ou lorsqu’elle apparaît, le déclic se produit. Comme quand la petite brunette, serveuse masquée avec sa télécommande, balance LA playlist qui envoie du lourd dans les grosses enceintes lumineuses.

A l’intérieur, ça commence à pulser, à titiller l’envie de bouger sur le beat, presque de chanter, en scred. On vient de prendre une décharge d’énergie. De joie et de sensualité. Une décharge de vie.
De la même façon, Emma recharge les batteries du lieu. Elle porte sa muselière comme un loup, et quand son regard te percute, c’est comme si elle te balançait un smack.

Je vois alors toutes les petites serveuses s’animer autour d’elle. Elles évoluent en réalisant une chorégraphie subtile d’affection, de joie, d’espièglerie. Les menottes s’agitent, posent un plateau sur le bar, virevoltent et exécutent un piqué sur sa taille, la pinçant furtivement. Je perçois des dialogues minimalistes, doublés de micro-rires. Et Emma, comme une maman poule au milieu de ses poussins les capte, se laisse palper-rouler en faisant semblant d’esquiver, mais accueillant les papouilles chaleureusement. Elle évolue, majestueuse sur ce petit nuage de papillons et de sons qui crépitent, ajoutant le scintillement des bâtonnets incandescents, à la lumière qui émane d’elle.

Elle est un peu plus. Un peu plus tout. Plus grande que les autres, et pulpeuse, très chatouilleuse, partout, elle a dû le leur confier aussi. Elle se tient mieux et se meut avec plus de grâce que toutes les filles qui l’entourent. Tonique et nonchalante, elle va discrètement dans le jardin, derrière la terrasse, et plie son corps en 2, tête vers le bas pour refaire son chignon, qui vient encore la grandir, comme si elle répétait un pas de Beyoncé. Who runs the world. Girls.

C’est exactement ce que je perçois chez elle, la longueur d’avance. Plus qu’un homme et plus femme qu’une femme. Un humain augmenté, comme on les rencontrera en 2051.

Au départ je me posais la question. Ah ? Tu crois ? C’est un homme. Gros doute. Puis on m’a raconté les « réré » ici. Mais impossible pour moi de réduire sa gamme sur plusieurs octaves à une seule note, et 2 lettres, même si on montait d’un ton et triplait la syllabe.

La seule chose que je n’aime pas, elle pointe sa main manucurée, ongles roses, ongles argent, incrustations de strass, c’est là. Où convergent ses longues jambes, élégamment croisées. Si je gagne au loto, une maison pour ma grand-mère, et après j’enlève « ça ! ».

Dans ma tête il existe déjà pas. Il est sur moi par hasard, par accident. Et si mon amoureux s’aventure, c’est stop, pas touche. J’ai du plaisir par tout le corps. Ce machin, c’est une erreur.

Ah oui ! si j’avais mon vrai sexe, bien sûr qu’il pourrait continuer. Mais il peut me chatouiller partout…

Elle se tortille, et je vois bien que la créature est dotée d’un corps orgasmique, pas besoin d’appendice ou d’organe désigné.

Ses seins en revanche, elle touche, vérifie, en est contente. Je lui fais remarquer qu’après tout elle en a plus que moi. En arrivant, la serveuse m’a interpelée en riant derrière son masque. Je portais mon sous-tif comme un poisson d’avril. C-o-m-m-e-n-t me suis-je débrouillée ? Je ne le fais pas exprès, mais Pierre Richard à côté de moi, c’est pas « le grand blond avec une chaussure noire », c’est « le blond » de Gad Elmaleh.

Pour clore la parenthèse, elle balaie le sujet d’un revers de main en éventail sur son cœur : avec un peu d’hormones c’est réglé. Ah pas con, je vais y penser pour moi. On pouffe.

Elle me montre ses photos de quand elle était un petit garçon. Un regard puissant qui répond, au rejet des siens : j’ai la bouche pulpeuse, des yeux comme des ailes de papillon, et je vous emmerde. Ne me dites pas que je suis un caillou, parce que je suis une fleur. Mieux un bouquet, un arbre en fleur. Et un jour, je serai flamboyante !

Aujourd’hui, les larmes coulent sous les ailes, quand elle voit les enfants d’Afrique à la TV, boire dans les flaques d’eau. Bon, quand y’a des flaques. D’accord eux, ils ont l’amour, mais nous ici, on a TOUT ! Bon ok, pas l’électricité, ou depuis peu avec les panneaux solaires à Moorea, mais on a la rivière, ça suffit. Le linge, boire, la toilette.

Ici, si t’es sans abri, c’est parce que t’as pas envie de planter. Ou juste te planter, toi, sous le manguier ou le cocotier. Là bas, ça ne pousse pas. Rien à ramasser. Et ça, ça me fait trop pleurer.

Plus tôt, à 15 ans, ce qui la fait pleurer, c’est de se retrouver seule sur le trottoir. Sa copine est montée dans une voiture et ne lui a rien expliqué. Un peu comme ses parents quand elle est née. Elle se retrouve comme une jolie vache en bord de route aux Marquises, même pas déguisée en fleur. Moi j’aime être simple reprécise-elle dans son pantalon rose Chamallow, T-shirt blanc sur ses belles épaules de rameuse de vaa’a. Elle effleure son double collier de perles noires, peut-être sorti pour fêter avec moi ses 25 ans. Manuia !

On trinque. Deuxième cocktail, chargé, Baileys mixé au coco, ananas et autres alcools. Je ne retiens pas la liste car j’en ai déjà sifflé un, passé sans efforts mêlé au tourbillon de la vie d’Emma.

La copine l’a juste embarquée. De l’île paisible à l’agitation de Tahiti. Parce qu’étant mineure, quand t’es fâchée avec la famille et que tu t’échappes du foyer, faut manger, hein ?

Sa bonne étoile lui envoie direct un beau gosse. Premier client. Il devient son mec. Son deuxième amoureux.

Le premier ça a duré deux ans, en classe de 6e et 5e.
A l’époque où elle vivait sa première love story, j’avais encore la coupe au bol et un débardeur- drapeau-américain, tricoté par maman, modèle Phildar. Le seul rapport que j’entretenais avec les représentants de l’autre sexe, qui nous pourchassaient à la récré, c’était de se courir littéralement après, de s’insulter et de se pousser.

Parfois violent aussi. Je me suis ouvert le poignet sur la boucle de mon cartable.
Emma elle, s’est explosé le genou, en enfourchant à 12 ans, la moto du propriétaire, qu’elle a surpris en train de faire les mêmes choses qu’ils faisaient ensemble, avec sa meilleure amie.
Les cicatrices sont toujours là.

Le client se transforme en ange gardien. Il la protège, lui offre un téléphone, l’argent dont elle a besoin, et la laisse libre les premiers mois.

Elle vit parfois chez lui, parfois chez sa pote, qui finalement lui dispense une vraie formation. Naturellement, dans son domaine : pute. La copine ramène de l’argent à la maison. Toute la famille est d’accord. Ok, c’est de l’argent sale, si t’écoutes les cancans à la messe, mais tu sais, Dieu il s’en fout. Tu peux te pointer à l’église en short, et faire « ça » pour être libre et manger ou nourrir les tiens.

Si t’as pas l’âge légal, ou que ta famille est raciste anti femme suréquipée, que le protecteur devient possessif, et que t’as plus aucune attache…Ben ouais, enfin, à la sueur de mon front. Enfin, tu vois, comme n’importe quel boulot.
J’ai toujours choisi. Moi aussi j’avais du plaisir. Bien sûr ! Les moches, je disais, ah non t’es fou ? Je me promène ! Nana !

Ma grand-mère, elle était tout pour moi. Mère, père, frères et sœurs. Mais à un moment, elle en pouvait plus. Je lui ai tout fait.

Fallait couper le cordon.
La grand-mère a toujours été là. Sauf là.
C’est elle qui s’est battue, t’arrache aux services sociaux, quand sa fille veut faire adopter le nourrisson. Elle, contre qui tu peux te débattre quand t’as besoin de grandir. Les parents ne sont toujours pas là, alors elle encaisse. Deux ans fermes à te pleurer parce que la DASS locale est de retour. Tu sors trop du cadre. Cette fois ils lui retirent son bébé. Elle n’a aucun droit, même pas celui de savoir que tu es en foyer, ou échappée, ou pire.

T’arrêtes ce travail le jour où vous vous réconciliez. Pour ton anniversaire. 18 ans. C’est elle au téléphone. Tu refais la traversée, un détour par l’école. Dans ses pas, et parce qu’à 4 ans, tu savais déjà faire du riz sans le cramer pour ne pas recevoir la claque qui va avec, tu choisis la restauration. Une évidence au figuré. Parce que tu es un monument abîmé, mais qu’une fois retapée, t’as pas fini de shiner.

Emma connaît tous les hôtels de luxe. Elle y passe 24 h, quand elle a besoin de reprendre son souffle entre 2 services. En cuisine, poste chaud, froid, et enfin en salle, en public. A chaque étape, elle négocie son cachet de guest star.

Enfin seule, chez elle, dans son monde. Dans ses paradis, elle pose le téléphone sur un rocher, et vient laisser son empreinte sur l’horizon turquoise.
Son père se réclame maintenant le droit de lui ressembler, mais elle lui trouve une tête de chinois. Rien à voir. Regarde, moi j’ai pas des yeux comme ça hein ?

J’adore ses airs et ses manières. Son regard. Qui dit, dans un battement de cils au ralenti. Dans ses rêves !

Je m’interdis de le faire pour ne pas stopper son élan. Réprime mon envie de la photographier, avec son sourcil d’Ava Gardner, qui a du mettre cet homme à terre. Avec son doigt pointé vers lui, assez saoul lors d’un mariage pour venir se confondre en creuses excuses bafouillées, elle lui porte l’estocade : «  t’es rien pour moi ».

Rien, il aurait beau ramper jusqu’à sa mort, et même après, il ne serait jamais son père, même pas son géniteur extrapole-t-elle. Juste le pauvre type qui pose aujourd’hui un toit sur sa tête, avec la famille qu’il a bricolée pour se racheter. Elle apprécie le foyer malgré tout, parce que même avec 25 ans de retard, c’est toujours bon à prendre. En attendant de trouver un amoureux, un vrai juste pour elle, et de devenir indépendante. Ça aide à recoller les dernières paillettes, définitives, qu’on ne lui arrachera plus.

*Who runs the world. Girls
*Le blond. Gad Elmaleh

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Dans le cahier, pendant le service petit-déjeuner, je regarde les arrivées du jour.

Reste ce couple atypique, encore attablé. Un homme au visage juvénile, nez en trompette et yeux bleus, mais le tout donnant un personnage en demi-teinte. Calme, sérieux, posé. La veille, lorsqu’il a compris comment accéder à l’hotel, parcours du combattant avec les travaux en ce moment, il revient en voiture avec la personne qui l’accompagne, sur la place que je leur réserve. Au volant, je vois vaguement une silhouette qui ne me semble pas être lui. Un homme plus fort.

Ils se garent, et je me dis, super, couple gay. D’emblée j’aime tous ceux qui sortent du cadre. Puis de la place conducteur, s’extrait une femme. A quoi le sait-on puisqu’elle a la carrure d’un homme ? Un visage très rond, mais affirmé, des traits gracieux, un peu Botero, assumant totalement son air de jeune apprenti charcutier de gravure. D’un autre temps, ou peut-être du futur, cheveux presque rasés, rouflaquettes, béret. Et les ongles rouge. Pas le vernis permanent bling-bling, en résine qui semble n’être jamais sec tant il brille. Un beau rouge sombre, posé avec application, parfait comme elle-même est parfaite et unique en son non-genre.

On parle graphisme, cinéma, de Raphaël Quenard dans Cash, tourné à Chartres, et lui m’explique la puissance de la source énergétique que représente le lieu. Ce monument y sert surtout de caisse de résonnance. Autrefois, une plaque de cuivre amplifiait le phénomène.Elle a été fondue pour fabriquer des canons... Il a besoin d’y revenir, depuis Strasbourg, deux pèlerinages minimum par an, pour recharger ses batteries.

Je plaisante en voyant un nom. Réservation de la chambre Marie-Madeleine. Si c’est pas un pseudo ! Je le leur lis à voix haute : Dario Kenji Nakamura. Ils approuvent, amusés. On se sent pourtant tous assez éveillés et conscients, mais la vie, farceuse, nous révèle toujours des facettes de nos prismes, encore brutes et un brin “beauffes”.

Il m’appelle vers onze heures. S’excuse d’arriver si tôt, mais pourquoi pas, j’étais en train de finir sa chambre et lui propose de s’installer directement. Ravi, doux, il m’explique que Kenji est son nom japonais. Tellement évident. Il incarne la délicatesse, gentillesse, un sourire et les yeux très mignons, vifs, bien ouverts, en forme de noisettes foncées comme des olives, qui m’inspirent immédiatement de la tendresse à son égard. Satisfaite de l’avoir accueilli avant l’officiel check-in. Il s’installe discrètement, et lorsque je l’entends ressortir, je sens une odeur inédite qui m’intrigue positivement.

J’ai beaucoup de mal avec les parfums, ils me dérangent souvent, presque unanimement, m’écoeurent facilement. Ma mère adorait les parfums capiteux aux noms de drogues dures, qui en voiture, avec l’odeur des sièges et de la fumée de cigarette, ont irréversiblement traumatisé mes récepteurs olfactifs.

Là je sens comme du thé vert avec une fraicheur inédite, pas de la menthe, ni du citron, quelque chose de suave, de rafraichissant.

Aucun autre passage dans l’hotel ne m’a interpelée dans ce sens. Alors, mes pensées s’enchainent, logiques. Demain au petit dej, je lui demanderai. Dès que l’odeur subtile se présentera.

L’après midi, je reçois un couple passionné par les énergies du lieu. Décidément. “Le code de votre boite à clé 5555”. Ils se regardent, surpris, rient. “C’est notre chiffre de vie ! Le 5 !” Je me joins aux éclats de voix joyeux. Un frisson me secoue l’épaule. Elle a l’impression de m’avoir déjà vue. C’est si dense, 5 minutes à peine qu’on se connait… Je mets un tour de mousseur dans la conversation, histoire d’alléger d’une boutade, la mayonnaise qui prend comme par magie : “dans une autre vie, sûrement ! ”. A force d’en apprendre, de fréquenter les initiés aux nombreux mystères de cette cathédrale, je propose à mon amoureux d’y faire un saut quelques heures plus tard.

On s’y balade. Ça foisonne de tout. Portail aux dorures sublimées par les bougies et cierges, sculptures sur des dizaines de mètres, un orchestre semble s’accorder, ou illustrer le récit d’un conteur de l’autre côté de la nef. Un bordel, éclectique, assez gai, même si le lieu est relativement sombre. Et un flot de curieux, de bigots, de dévots, une artiste dans un recoin dessinant une statue, et parmi cette foule, apparait Kenji. Juste avant notre sortie, lui entre. Je lui dis coucou ! Il est concentré, je m’attends à un vent. Il m’envoie instantanément un petit salut amical et chaleureux.

Le lendemain, alors que d’autres tables déjà servies dégustent le copieux petit déjeuner, il s’assied juste en face de mon poste à l’accueil, après avoir demandé la permission. Accordée avec joie, je suis contente de sa présence. Seul visiteur à être en solo. Je zappe complet le sujet du parfum.

Concentré sur son téléphone, il me demande, en anglais, toujours, d’une voix douce, s’il pourrait rester une nuit de plus.

Ravie de pouvoir le accéder à sa demande, je l’inscris, et en oublie son café que j’ai déjà fait couler. Emotive. On en plaisante et en le servant, il me confie qu’il a presque pleuré aux abords de la cathédrale, qu’il est vraiment heureux de rester parce qu’il sent qu’il le doit. Il est en mission. Ne sais pas trop laquelle, me dit-il. Peut-être revient-il sur des lieux qu’il aurait déjà fréquenté. Dans d’autres vies. On rit parce qu’on sait bien que tout ça nous dépasse. Mais que plus on avance sur nos chemins respectifs, plus ça nous rattrape. Boomerang. Hier, alors que c’est son premier voyage ici, il a reconnu un bâtiment. Quant à moi, en discutant avec un autre couple génial, beau, attentionné, aux allures de Jésus version féminine et masculine, je lance….oh là là….trop de choses à voir dans ce monde ! Il me faudrait plusieurs vies. Et “Jésus-homme” du tac au tac me dit, ça tombe bien, puisque c’est le cas. Evidemment ! J’y pense et puis j’oublie. Puis ils sont 2, 3, 4 à me le rappeler. Qu’est-ce que le sort s’amuse avec nous ! Machine à balles de tennis ! Et plus je progresse, plus la cadence s’emballe. A ne plus savoir où donner de la raquette.

Alors on part dans des conversations animées avec mon interlocuteur japonais, né au Brésil, qui s’est dit, attends, où aller ? Et son doigt s’est posé. Voilà France, Paris, Chartres. Les signes, t’y crois ? Je lui réponds qu’avant de venir ce matin, j’ai lu une ligne de Virginie Despentes qui m’a tellement plu : dans “Cher Connard” que je lui traduis n’importe comment. Dear Bastard. Lol. Un passage où elle dit que “plus vous êtes cons et sinistrement inutiles, plus vous éprouvez le besoin de vous reproduire”. Juste au moment où je viens de me friter avec l’employeur, (l’exploiteur?) qui me prive de jours de repos parce que ça ne colle pas avec sa visite des petits-enfants. Qu’il programme après trois mois de glande tropicale. Transcription par mes circuits : Bosse ! Quatorze jours d’affilée, tant pis si tu crèves, parce que nous on doit voir nos précieux petits tas de morve.

Rien de personnel, les enfants, mais pas quand vous servez d’outils favorisant l’esclavagisme, et que je suis directement concernée… D’où jubilation en lisant l’auteure. J’aime sa façon de distribuer des gifles. Même si les crétins ne la liront jamais. Je décide de publier. Plus tôt que prévu. Si je peux faire rire une seule âme sur terre au réveil, et lui donner le courage d’aller se bastonner un jour de plus avec les abuseurs de tout poil. Go ! Of course Dario Kenji. Je les suis tous. Balancez les signes !

Le couple « chiffre 5 » se présente pour le règlement. Lui ancien éditeur, elle, prof de lettres, s’auto édite. A la queue leu leu, les indices. C’est tout bénef. Aucun éditeur ne vous proposera jamais une telle marge. Un pas de plus. Une autre cliente journaliste m’avait conseillé le blog. Je finis cette fournée sur la planche et je m’auto-édite !

On se salue…A la prochaine… Vie !

Dario me demande si la religion et moi….je lui raconte, dans mon anglais qu’ils disent bon, mais que je perçois un peu brouillon. Just “connected”, for my “retraite”, at 11 years old, for the “comunión” (irruption soudaine de l’espagnol puisque sa langue natale est le portugais), we were singing all the day, and one lunch, a picnic in a nice big garden, i felt like I was a necked statue, alive, but connected with nature. We smile. Je développe, qu’il comprenne que je ne suis pas barge, que je ressens juste des choses, disons, un brin surnaturelles. …ces “religions” qui ont servi à tuer plein de monde etc, c’est pas mon truc, mais je crois au sacré, à l’univers, aux vibrations, connexions, l’humanité….of course. Attention, pas à tous les humains. C’est là où j’ai encore du boulot. Savoir que certains ont le mauvais rôle, celui de l’enflure, qui permet aux “good people” d’évoluer. Je tombe hélas systématiquement dans le panneau. Pas compris que le crétin ne porte pas d’étiquette, ni le menteur, de tablier vert pomme…

Il comprend tout. Quand le mot ne vient pas, j’en lâche un en castellano. On se capte. Ça se trouve même sans parler, on se comprendrait. Mais on prend plaisir, comme quand petit, avec les copains de récré, on met le butin au milieu : billes, perles et autres intuitions qu’on se partage, comme une petite communion d’intuitifs sensibles qui s’offrent leurs récentes trouvailles.

Yes, you trust too much. I know. Me dit-il empathique.

Intitulé de ma leçons du moment : “naïveté, crédulité, ou comment sauver ta joie, ton énergie, quand tu te prends la réalité dans les dents, ou en pleine tête, comme ce platane qui t’a percutée, le jour où tu glisses sur la neige en trippant sur le paysage multicolore éclairé aux guirlandes de Noël”.

Oui, le titre de la leçon est long, comme le temps que je mets à assimiler son contenu.

Le lendemain matin, je me dis que c’est dommage, parce que cette nuit, la chambre sera vide. L’hotel entier. Réservations “cancelled”. Mon demi-jour off que l’esclavagiste est bien forcé de m’accorder. Alors j’imagine que ce serait cool…si Dario souhaite prolonger son séjour.

Comme je viens de chuter du haut de mes illusions concernant la direction de l’hotel, je me sens libre. Libre de prendre une innocente initiative qui ferait plaisir à une bonne personne, sans nuire à quiconque.

Vue la façon dont la boite m’envisage ! Comprenant que sa demande de noter mes heures, scrupuleusement, au quart près, ressemble à un stratagème pour me voler le temps, l’énergie et l’enthousiasme. Tu notes, tu notes, je te promets que tu récupèreras, en janvier, février, mars-avril. Tout semblait limpide. Sans astérisques bizarres fourrées de sous-entendus, insinuations et autres menaces à peine déguisées, qui commencent à flotter dans nos échanges, aussitôt que je manifeste le désir de récupérer un peu de ce temps, généreusement distribué pour engraisser et faire étinceler leur affaire. À raison de journées de 9 à 11 heures, de semaines de 6 jours et demi, ça parle maintenant d’erreurs d’écriture, de calcul et de non-concordance avec une réalité du travail à accomplir qui, selon eux, ne demandait pas autant de temps. Ça revisite les 7 derniers mois, dont 4 pendant lesquels j’ai tenu l’hotel seule : “oh, 5 chambres, c’est pas non plus un hotel de trente chambres”…certes, ce ne sont que des suites, à récurer quotidiennement après un service petit-déjeuner/encaissement/départs, six jours sur sept, et avant d’accueillir les nouveaux arrivants, fraîche comme une marathonienne au 39e kilomètre…et voilà que les heures supplémentaires sont divisées par deux….Abra cadabra …. association de menteurs. Magique ! Et voilà ! Le compte est pas bon mais on s’en fout ! Un massacre. Rien vu venir.

Passée la rage, donc, je me sens libérée.

Libre dès que Dario, né à Sao Paulo, me demande si … un 3e jour, c’est possible ? Qu’il sent que sa mission doit se prolonger. Ensuite, il ira à Rome. Et comment ! Je lui écris un message. Parce que les caméras de la salle de restau, qui soi-disant … un baratin du proprio, cinquante lignes pour me rouler dans leur farine et m’expliquer que je ne suis pas espionnée… justes actives la nuit, société de surveillance…ben voyons. T’oublies qu’un jour, tu m’as raconté que quand les gens arrivent de nuit, simple clic sur l’appli, et depuis la pampa, tu les guides en leur parlant par tel, les observant via ta cam. C’est fantastique, tu verrais !

Va pour une troisième nuit. L’ami brésilien est bon comédien. Il sait jouer le mec absorbé par son téléphone. Trop content par message, dix émojis, mais reste totalement impassible sur sa chaise en dégustant son croissant.

On se cale pour que tout soit ok. Un autre couple discret mais m’envoyant de beaux regards francs et bienveillants règle son séjour et me lâche le plus gros pourboire jamais offert depuis que j’oeuvre dans ce lieu. Cinquante euros. Pour mon accueil. Merci l’univers. Que les mesquins et les voleurs & Co voient ! Hé ! Caméra. Tu notes là !? Justice immédiate ! Fini le pain noir. Repasse au ralenti, image par image. C’est qu’un début.


Cher boss, (Dear Bastard), ne sachez pas que j’efface tous nos fils de discussion brodés de vos mensonges que j’ai pris pour argent comptant. Un peu différé, mais que je m’attendais à entendre sonner et trébucher au printemps. Lors du final en bouquet d’un contrat saisonnier honoré, défi relevé en championne. Avis booking et 10/10 à la pelle en témoins. Je supprime tout et je ne vous parle plus. Oui. Non. Code. Photo de facture. Vos Bonjour et bon courage, vous pouvez les ravaler. Intolérante au gluten, lactose et désormais aux faux-culs.

Ce dimanche après-midi, les fidèles repartent en procession de la cathédrale un rameau de buis à la main. La vie, la croix, l’éternité, l’espérance. Chemin royal pour leur prophète…

Je reviens à contre-courant, “faire” les chambres, sauf celle de Kenji, “gardien de l’abondance en mission”. La signification de son prénom, qu’il m’explique sur le joli mot laissé à mon attention, après son départ. Avec un flacon de Patchouli et de l’huile essentielle de romarin. Remèdes pour cultiver passion, sensualité et installer la paix, avec le petit rituel trop joli, mains en prière, qu’il schématise sur sa lettre. Quel être délicieux. Et pur. Indispensable.

Lui apprend aujourd’hui à aimer et respecter l’autre, comme son éducation nipponne le lui a enseigné, mais sans se faire piétiner. Je valide.

Le matin, avant qu’il ne quitte les lieux, je lui écris via WhatsApp : si tu croises quelqu’un, dis-leur….J’essaie d’inventer un bobard. Faut que je commence à m’entraîner un peu. Rendre la monnaie. “Venu récupérer mes bagages”… Puis non, ne pas jouer leur jeu, ni sur leur terrain. Idée plus drôle, finalement, parce que patrons et fils de patrons rament, n’ont de parole ni en Français, ni en anglais : “Si tu les croises, tu leur parle en japonais !”

RENCONTRES

Dom De Raph. C’est ton nom dans mes contacts Whatsapp. En ligne le 16 / 02 / 2024 à 16h06

Tout juste 2 mois.

Maman ne voulait pas d’un enterrement triste.

Son pays préféré ? Ah ! Le Mexique … Avait-elle répondu laconique à une de mes interviews-flash qui la mettaient toujours mal à l’aise.

Pour lui rendre hommage, on a commencé par piquer quelques fous-rires dès l’hôpital, déguisés en Schtroumpfs, alors qu’on allait la “débrancher “ comme c’est « poétiquement » dit. Je glisserais « libérer » dans la boite à idées.

L’humain est une Drama Queen. Et si c’était super de mourir ? Trop la chance !

Le 4 février, Dom m’écrivait “Il m’est arrivé beaucoup de galères…Là je suis en dépression…J’ai perdu 8 kg en une semaine. J’ai eu des pensées très noires, c’était le bordel. Désolé si je te ghost, mais je me ghost aussi”.

Tu me racontais, en visio, quand tu partais à la recherche du cousin. Tu savais où le trouver. Dans un de ses plans came. Au fond du trou. La famille, tous, ta soeur, celui que tu considères comme ton père qui t’apprend qu’il a une leucémie, sa femme, que tu conduis à l’hopital pour ses séances de radiothérapie ; ses misères, c’était ta priorité. Tu passais après, in extremis. Lorsque les tiennes t’avaient déjà presque englouti.

Je t’ai connu par Raph. En ligne. Avec lui, ça a été engueulade et divorce professionnel éclair. Juste le temps qu’il fasse les présentations. On l’a gardé un moment sous le coude, comme sujet qu’on ressortait dès qu’on avait envie de se détendre un peu. L’un de nous récitait ses répliques de Caliméro. Le monde entier voulait sa ruine et pourtant, il ne comprenait pas comment en déployant entre zéro et 2 de tension, les résultats ne décollaient pas. J’avais sorti de ma boîte à outils : gentillesse, humour, enthousiasme, puis perdant ma patience, nervosité, secousse plus vive, rien. Aucune prise sur lui. Son seul registre c’était la chiale. Lourde. Un peu visqueuse. Un boulet. Je découvrais le Multi Level Marketing. Côté relationnel, je déchirais. Naturellement, ça crépitait, des étincelles, suivie par dix, vingt, deux cent personnes. Pour ce qui est du marketing, il me manquait la duplication. Pour développer mes équipes, m’expliquait la upline, je devais trouver d’autres moi. Des clones. Qui porteraient chacun les suivants. Moi je portais tout mon monde, et ça me plaisait, on fonçait tous agglutinés droit vers les étoiles. Un temps. Jusqu’à ce que ça clashe. Vas-y, porte la moitié avec moi, je vais lâcher ! Je comprenais alors, que la totalité de mon crew avait pris le pli. N’avait pas compris. Son crédo c’était : Une pour tous ! Tous sur elle !

Les coachs pendant la messe du dimanche soir nous berçaient de « sois toi-même les autres sont déjà pris » et quand ils me repéraient en train de m’envoler, ils cherchaient à me copier-coller. « Trouve-toi d’autres toi ! ». Speedés. Carburaient officiellement au Redbull.
La première à me suivre dans cet univers parallèle, les réseaux et la finance, c’était presque ça, disons une moi côté pile. Elle était ma best. Adorait mon style graphique, mon culot et m’apprenait en retour les heures miroirs et tous ces anges qui discrètement, se faisaient leurs séances de spiritisme pour nous abreuver de cadeaux, de petits signes rigolos et autres synchronicités. En amont, c’est Carlito qui m’avait contactée et entrainée dans ce tourbillon. Même s’il était homme, gay, avec un corps de rêve et un accent du sud, on était un peu jumelles. Un plaisir de rire en écoutant ses messages en accéléré. On a fini par se voir dans la vraie vie, à Carcassonne, et je l’adorais toujours autant. Voire plus. Une crème, une mousse de lait d’amande, la finesse. Il n’y a qu’avec lui que je pouvais passer une journée entière à bosser dans un flunch de galerie marchande. Ça en devenait un décor second, voire dizième degré. Des regards, rires complices, comme quand gamines à l’école, on se passait des petits mots codés entre copines, parce qu’on avait toujours trop d’histoires urgentes et secrètes à se raconter. Je lui apprenais, tout en bossant sur nos trades et réseaux, entre fils de chargeurs et de coton, à faire du crochet. Tellement fun ce mec. Frais !

Carlito et moi, on était un peu tes darons de MLM. Tes parrains dans le jargon. Ton énergie nous avait plu, et ton physique à Carlito, mais aujourd’hui, je pense à ta mélancolie, à ta douceur grave dans un corps de bombasse athlétique de la Réunion, qui m’ont attrappée.

Tu savais que je détestais qu’on me voit en direct, je maîtrisais trop mal Zoom ou d’autres applis de visio. Je préférais qu’on voit mes vidéos, après montage, filtre, accélérations et ralentis délirants. En sale gosse, tu me bippais, et bam, vidéo en contre-plongée avec ma gueule du matin. Toujours présente. Même si j’étendais le bras à son max ou jetais le smartphone et courais à l’autre bout du studio. Pas de gros plan ! Et tu te marrais en tête à tête avec mes plafonniers. Pour toi, c’était naturel. Laisser le portable sur le tableau de bord. Comme Carlito, qui nous avait fait taper des barres avec Karine, ma soeur de développement, personnel et d’équipe, parce qu’en call à 4 ou 5, on avait eu droit à son oreille en gros plan pendant toute la conversation.

Génération de trentenaires décomplexés sur écran, comme les très âgés qui insistent pour t’appeler avec camera, mais semblent penser que c’est à sens unique. Ne savent pas que tu expérimentes une conversation d’une heure, en t’adressant à leur front et au haut de la bibliothèque. A moins qu’ils ne s’en amusent. En raccrochant, haussant les épaules. J’allais quand même pas me montrer avec mon sourire moins 3 dents de devant, que le charcutier-dentiste vient de me refaire !

Alors Dom, je parlais à ton épaule, me baladais avec toi sur les routes de …je ne sais même pas quel coin de la Réunion tu habitais. Tu attendais ta soeur dans la voiture, venue de métropole, qu’elle aille s’acheter des bricoles à la pharmacie. Elle travaillait à Paris dans une boîte de prod. Séries TV je crois. Alors comme je trouve toujours des passerelles dans tous les sens, je te disais, trop bien ! Toi tu me mets en connexion avec elle, et tu joues dans la série “Larguée à Tahiti”, tirée de mon récit.

Ou quand on commençait à bien ramer dans nos débuts de trading, tu me rassurais, viens, tu vendras mes piscines-lagons, un business florissant que t’étais en train de monter.

Ton côté Bernard Tapie. Pas celui que je préfère. Sorte de révélateur d’un profond manque de confiance ? Avec les biscotos sculptés. Sur ce point-là aussi, je te trouvais touchant. Même si les muscles gonflés, c’est pas ma tasse de thé. Moi j’aime le muscle du sauvageon végétarien qui court sur son bateau en rentrant dans un port, cheveux aux vents, préparant les amarres et tout le tintouin. Le mec qui s’enfile des boites de protéines et mange 4 omelettes en entrée avant d’attaquer son steak de bœuf saignant, ça me fait pas décoller.

T’étais à fond. Plusieurs affaires lancées en même temps, les commandes qui pleuvaient.

Puis deg, tu me rappelais un peu plus tard, tu te faisais escroquer par tous tes associés. Je t’ai vu te prendre au moins trois quatre poignards dans le dos en moins d’un an. T’emmêler toi-même les pinceaux, comme tout débutant s’essayant à l’art de la finance. Mais tu achetais, revendais une voiture et ça roulait. Grâce à tes conseils, j’ai revendu la mienne plus cher. Super malin quand-même. Et je trouvais ça mignon, ce besoin de reconnaissance, de réussite. Abandonné par ta mère. Tu ne t’es pas étalé sur le sujet, mais avec mes dix-sept ans de plus, j’étais peut-être davantage qu’une copine-collègue. Je t’encourageais, croyais en toi, te remotivais. Et je t’aimais beaucoup.

Puis on a lâché les réseaux, et là, on riait tellement, accros à l’adrénaline, parce que se lancer dans l’océan, quand t’es menu fretin, poisson de friture, voire un têtard, ça secoue…
On progressait, on se plantait. Et tu m’envoyais des vidéos de mecs qui débaroulent des escaliers interminables, des séquences d’arts martiaux pathétiques, ou l’un des combattants tombe désarticulé, en prenant son élan , sans jamais atteindre son adversaire.

Je ne dormais presque plus, envie de tout savoir sur cette discipline, on étudiait ensemble, on se partageait nos analyses. C’était chaud pour nous. Vite gagné, vite perdu. Et reperdu quand on essayait de rattrapper. Alors flippe et rigolade, et des petits moments de gros découragement. Un peu de philosophie aussi “ce qui est perdu est perdu, on oublie on continue ».

Tu te remettais en question, trop gourmand, impatient, émotif voire sujet à la panique….On en était à peu près au même stade. Novices face au monstre, le marché mondial.

Merde, réponds. Presque deux mois sans nouvelles. Qui ne se connecte pas pendant huit putains de semaines ?

Non, il est mort ?

Oh, la pauvre, elle ne méritait pas ça.

Si jeune !

Klapisch qui disait dans Beau Geste, je l’aimais Bacri, je ne m’y attendais pas.

Comme si c’était pas un peu le seul truc qui arrive à tout le monde. Et on fait encore les étonnés ? Comme s’il y en avaient quelques-uns qui passaient à travers. Oh trop bien, il est ressorti de l’autre côté ! Bon, il y en a bien un ou deux qui auraient ressuscité. Mais dans la grande majorité…faut pas non plus être trop surpris. C’est terrible. Non ! Il n’avait que 79 ans ! Je n’y avais même pas pensé. Il est plus jeune que moi, c’était pas à lui de partir.

Elle ne me voit pas hausser les sourcils au téléphone. J’hésite entre compatir et pouffer.

Ma mère aussi, la veille de la libération, elle disait éberluée à mon père. Je vais roumir ? Ça connectait déjà plus tout à fait. Ou était-ce sa future langue. Elle lui a aussi dit qu’elle l’attendait. Sans préciser si c’était là-haut. Ou jusqu’au lendemain. Quand on est arrivés, y’avait plus personne là dedans. Même si les quatre Schtroumpfs attendaient le miracle, essayaient de trouver un son, un mouvement sur les machines qui l’observaient. Pressée d’y aller. Retrouver tous les autres, Giselle, meilleure amie d’enfance, son père adoré, le grand frère Francis, perdu à 5 ans, et va savoir peut-être Yves Montand, qu’elle kiffait tellement. Julio. Oups, il est pas mort. Petite vérif Wikipédia. Ben ça fait un bail qu’elle t’attend, gros ! 16 ans déjà. Dire qu’on tremble alors qu’il y a tout ce beau monde de l’autre côté. C’est pas comme si on était le premier à se lancer. Allez, j‘y vais ! Je vous dirai. Y’a peut-être une raison si personne n’en revient….

J’avais peur de rater des épisodes de ma vie. Voilà ce qui m’aurait gavée. Mourir couic, sans connaitre ça.

A neuf ans je me regardais pleurer dans un miroir. Triste d’avance, parce que si je mourais bientôt, je n’aurais pas connu l’amour, être embrassée. Voilà ce qui m’angoissait. N’avoir jamais roulé une pelle.

Dans la cour de récré, ma copine très précoce et que je trouvais belle comme une star de feuilleton américain, yeux bleus et cheveux châtains dégradés à la Farrah Fawcett Major, avait roulé quelques patins.

Alors je m’inventais un petit ami rencontré au ski. Cheveux blonds cendrés, un peu décoiffé, yeux verts peau mate, attitude Dutronc jeune…charme et déconne.

Je me demande si elle a, ne serait-ce qu’entendu ce mensonge ridicule. A moins que pressée, elle ne se soit dit, première étape validée, suite des réjouissances. On était assises sur un rebord de fenêtre, au soleil printanier d’Avignon, à côté de la glycine dont on machouillait le sucre des fleurs. Deux autres copains passaient par là, par hasard comme à chaque récré. L’un d’eux aussi timide que moi, laissait son copain parler, et on se regardait en retrait, cachés chacun, derrière celui à qui on servait de faire-valoir.

Sûre d’elle. Evidemment que si ! C’est par le kiki que sortent les bébés. J’étais en CE2. Un an d’avance, mais tellement à la ramasse. Soudain téméraire ou kamikaze quand j’étais convaincue, prête à prendre tout le monde à témoin :

Mais n’importe quoi, c’est par le nombril. T’y connais rien ! Ils étaient pliés. Je ne lâchais pas, insistais, me ridiculisais, faisais le show bien malgré moi.

Brigitte Fontaine à 84 ans dit, mais non. Je ne suis pas libre. Je suis entravée, comme tout le monde. Alors sa liberté c’est de s’exprimer. Sortir ce qui l’habite. Sa révolte. Je suis vieille et je vous encule avec mon look de libellule ! Avant sa sortie de scène, définitivement libérée de ses chaines. De cette condition de dingue. Un véhicule au pif, paramétré un peu à l’arrache. Dans lequel on doit…tout, apprendre, comprendre…vivre. Faire comme si on avait choisi. Ce corps, cette vie. Pas le permis ? Et A L O R S… Certains font comme s’ils l’avaient. L’ouvrent plus grand en général. Pochette surprise ? M’étonne pas.

On est des larves. Dans nos cocons. Et même le plus beau, le plus fort, le plus malin, le plus talentueux d’entre nous, celui qui a su plus tôt où se trouve la porte d’entrée, ok, ombilic=impasse, il dégage pareil. Prend la porte. Parfois plus tôt. Ulliel. Mort à La Tronche avec sa belle gueule. Janis. Amy. Et on ne se pose pas la question ? « Les meilleurs partent en premier ». Voilà ! Débarrassés ! Fini ! Libres ! Et si c’était une promotion !

Alors oui, ceux qui restent…je dirais, mais est-ce encore une théorie comme celle du nombril, qu’ils ont une mission à accomplir. Certainement. Comme Simone, qui a vu le pire dans les camps, et passe ensuite sa vie à essayer d’améliorer les conditions de détention, épargne quelques sœurs d’une grossesse, d’une maternité forcée, aide quelques liens à se desserrer. Il y a nos monstres aussi, notre dark side de l’humanité, envoyés parmi nous pour nous en faire baver. Pour nous rendre plus forts ? Nous faire avancer ? C’est eux que je plains aujourd’hui, ces bourreaux. Embarqués en VDM ! A torturer, poser des pièges, des bombes, faire des croche pattes, harceler les purs gentils. A moins que ce ne soit juste rigolo pour eux, distrayant. Jouer les méchants. Certains comédiens préfèrent. Foutre un bordel sans nom, martyriser ceux qu’ils aiment et ceux qu’ils haïssent, pour les plus célèbres, stars de l’ignominie, passer aux infos non stop, parce qu’on préfère toujours voir les barbares. Comme des gamins. Ben t’as vu, lui il a fait ça. C’est dégueulasse. Beurk ! Et on éteint la TV. Bon, je vais me coucher. Les sérial destructeurs dans la boite.

Perplexe sur le cas Dom, j’emets des hypothèses. A force de jouer les Ghandi de la famille, ils t’ont rappelé là haut. C’est bon frérot, t’as fait le taf !

L’armée de chérubins, stratège, s’est frotté les mains : on va d’abord le dégouter un peu de la vie, qu’il prenne un vol direct. Sans se retourner. Trahisons professionnelles, il aime pas, l’échec, la faillite. Il se dira, je me flingue, rien qu’un gros naze que je suis, pour ça qu’elle a pas voulu de moi. Tu nais et ouste, dégage. M’auto-zapper, définitivement. De là haut ou de quelque part, ils t’encouragent : Laisse-les donc, le cousin et toute la smala, quand tu seras plus là, faudra bien qu’ils grandissent. Ou ils te rejoindront. « Ce qui ne te rend pas plus fort te tue ». Peut-être que t’es parti les attendre. Préparer l’ambiance.

Ou peut-être que t’as juste changé de numéro.

  • 11 février 2025 : je suis là. Smile. J’avais tout perdu. C’était une galère mais me revoilà. Plein de choses à te dire. Il faut qu’on se tel.

RENCONTRES

Tu es triste qu’elle soit partie ? Lino l’amoureux de ma fille me regarde droit dans les yeux, avec son beau visage. Compatissant et très direct. Il veut vraiment savoir. Ne pose pas la question pour la forme.

Sur le chemin du retour, je m’interroge, me repose sa question, essaie de ne pas me mentir. De ne pas me répondre un laïus convenu, adapté. Je me sonde.

A deux heures du mat « Renaud » s’affiche sur l’écran de Steph. Allongé à mes côtés, réveillé par l’appel, il me dit. Je le rappelle ? C’était mon frère...
Perso, je n’ai rien entendu. Retenue par mon sommeil je dis oui-oui rappelle…ça doit être important. C’est pas comme s’ils s’appelaient tous les jours. Encore moins la nuit.

Haut parleur, on apprend la nouvelle. C’est maman…
Mouchkette. Au ton, on comprend. Qu’elle n’est plus. De ce monde. Entre les paroles et la réception de l’info, l’onde est alternative. On capte, mais la nouvelle repart faire un tour et revient. Entre deux univers. L’ici, l’au-delà. Elle nous atteind par petites vagues. Je rêve ? Pas.

On l’écoute. Steph sur le flanc, moi derrière, échouée sur la rive d’un demi-éveil, en cuillère molle, la tête lourde reposant sur son bras, paupières closes. Besoin de se rapprocher pour comprendre, intégrer la nouvelle.
Il nous raconte. Quand il rentre en général, à cette heure-ci, après un concert où il envoie du feu, où ça crépite, ça pète ça explose. Percu incroyable. Le jour où je l’ai vu sur scène accompagnant Bohringer, il m’a soulevée. En lévitation, comme si à l’intérieur, j’hébergeais une cascade, une chute du Niagara mode reverse. Un truc méga puissant que t’attrapes comme un fou-rire. Probablement un phénomène de cellules qui se mettent toutes à vibrer aux pulsations des congas et autres tambours, caisses, toute une artillerie, un bouquet de sons inarrêtables, de petites comètes qui te percutent sans douleur, provoquant plaisir, une euphorie impossible à contenir. En se posant chez leur mère où il s’est installé il y a dix ans, après une rupture amoureuse, il suit le rituel : petit déj’ de 2 heures du mat’. Un peu décalés. Normal pour l’artiste, plus original pour cette petite dame unique, qui a toujours préféré dormir en journée.
Récemment, constatant une mémoire fantaisiste, il conclue la cérémonie du café par un quiz. Ah bon ? J’ai un fils ? T’as un frère ? Pff. Ça alors ! Elle avait gardé le gabarit, l’étonnement, et la facétie de la fillette de 10 ans. Elle qui avait un cerveau encyclopédique et parlait un français d’élite. Avec ses récents trous de mémoire, elle prévenait, préparait son départ. Attends, tu es ma petite-fille… alors c’est qui déjà ta mère ? Ton anniversaire ? Voyons, une petite minute, je regarde dans mon agenda. A la rubrique petits-enfants ? C’est ça ? Lou n’a plus appelé grand-mère, comme elle souhaitait être nommée, pas de gnan-gnantise, Mamie ! Et pourquoi pas Mémé ! Elle éclatait de rire. Coup de fil des plus stranges m’avait-elle raconté, me rapportant cette anecdote. Ça le fait pas. Quand t’appelles tous les 36 du mois, ça fout les boules, sérieux, ça fait flipper… Je comprenais. Passer une demie-heure à retricoter un lien méticuleusement noué, entretenu par son père, en fils protecteur et aimant, depuis 20 ans et découvrir en fin de compte que l’ouvrage est criblé de trous, qu’il reste à tout casser 2 ou 3 mailles. Je préfère garder d’autres souvenirs.

Apercevant Renaud sur les réseaux, on se salue vite-fait et on convient de s’appeler. Non, pas vendredi, je serai dans les transports. Ah, toi tu joues samedi ? Ok dimanche alors. J’allais parler à Camelia 3 jours avant son départ. Mais il n’a pas appelé. Je lui avais proposé de choisir l’heure, pour ne pas tomber au mauvais moment, en plein sommeil paradoxal. Le téléphone n’a pas bronché. Et ça m’arrangeait. Je me disais qu’elle ne devait même plus savoir que j’existais. On avait eu des conversations interminable au tel. Toutes celles qu’on avait à vivre. Jamais ennuyeuses, qu’au bout d’un temps, long, je coupais. Juste avant d’avoir des étincelles dans l’oreille. Ça aurait pu durer plusieurs heures. Les sujets de conversation foisonnaient, on riait, j’aimais sa joie, sa gentillesse, sa bienveillance. On s’est toujours aimées. Enfin, peut-être pas dès le premier jour.

Nous attendant, tout sourire, devant son grand crème dans un café du 14e, à Porte d’Orléans, son quartier depuis des lustres, bizarrement proportionnée, comme un personnage de dessin animé, j’ai buggé en la voyant. Merde, si j’ai un enfant avec lui, ça pourrait donner un truc chelou, format étrange. Le personnage, mini corps sur escarpins, petit chapeau cloche et long nez encadré par deux loupiotes rieuses, surmontées d’un classieux sourcil. Drôle de modèle. Pour sa part, me découvrant légèrement coincée, elle tentait de voir si côté intellect il y avait quelqu’un. On s’est fait peur toutes les deux. Puis on est devenues copines.
Parce que j’aimais son fils au moins aussi volubile qu’elle, tout aussi féministe en version uploadée option progressiste, qu’on a eu la bonne idée de mettre au monde une petite-fille, les gars et petits-gars, elle avait déjà donné, et pour une pro femmes, ça tombait super bien, d’autant que Lou était carrément craquante, rigolote, et se révélait brillante au fil des ans.

Non, pas triste, pas vraiment. Plutôt contente qu’elle n’ait pas souffert du tout, qu’elle ait eu un décollage si doux. Comme si elle flottait désormais. Et c’est dans ces moments que je comprends la puissance de tout ça, dans la succession improbable d’évènements, par tout ce qui nous échappe. Fait sens finalement. La mort parfaite. Idéale.

En toute première réponse à mon gendre-chouchou, Lino, j’évoque la tendance très humaine à gommer toute la lourdeur d’une personne aussitôt qu’elle est décédée. C’était un amour cette femme, mais aussi, une plaie. Le nombre d’appels où elle débitait à son fils, mon chéri, qui l’appelait quasi quotidiennement à nos débuts une liste dingue de plaintes, de la voisine qui passait l’aspirateur en pleine « nuit »…journée très certainement, énumération des douleurs, et ces crétins, rien à la télé, c’est nul…puis t’as pas vu l’autre abruti, sur la Cinq ! et elle passait des heures à déblatérer sur ce monde de couillons, ces mecs….la médiocrité des programmes. Heureusement, j’avais droit à un tout autre registre, beaucoup plus fun, rebelle, décalé, bienveillant. Voilà, le fardeau était réservé au fiston. Qui écoutait plus ou moins attentif, encaissait pour tous les phallocrates de ce système patriarcal et misogyne. La politique, des connards. La religion, des niais. Lui, d’une patience d’ange la consolait, allait dans son sens le plus souvent, coinçait le combiné et disait, eh oui, eh oui, en roulant ses joints. Il était là, aussi souvent qu’elle le souhaitait , enregistrait la commande pour sa prochaine visite. Hebdomadaire . Supermarché et marchand de bois. C’était une bâtisseuse. Bricoleuse. A fabriquer des étagères en permanence. Il était un pilier pour sa Moucketta, toujours présent, depuis la première décision qu’elle lui avait donné à prendre. Lorsqu’il avait choisi de rester près d’elle, plutôt que de suivre son père au Cameroun. A 4 ans. Coupée sur le scénario, la scène où le petit gars, en liberté au soleil, tape dans un ballon. Il tranchait. Etre là. Lui tenir la main, à vie. J’étais deg, quand on allait se promener avec elle. Pour ne pas qu’il lui arrive quoi que ce soit, je marchais solo et eux se tenaient par la main. D’un autre côté, ça me rassurait tellement ! Un tel fils, à 28-30… Jamais il ne m’abandonnerait.

C’est moi qui ai fini par mettre les voiles. Après un quart de siècle. Trop de devoirs….tout était tâche. Il assumait. C’est un travail d’aimer. Quand je rêve de vagues de folie, d’impro ! Emmène-moi, là où y’a des étoiles ! Que l’amour me transporte, me fasse planer, me remue les tripes. Impossible à envisager plus longtemps sous l’angle de la routine laborieuse si précieuse, peut-être vitale pour lui.

Puis je suis revenue après un aller retour au Paradis, quelques aventures aux fruits de la passion, qui dès qu’elles s’achevaient, me rappelaient combien je l’aimais.

Pas vraiment triste. Heureuse pour lui, qui rêve d’Espagne, de flamenco, seule terre où il pourrait migrer quand la bougeotte me reprend, que je tâte le terrain… Seul pays ayant grâce à ses yeux. La première fois que j’ai voulu qu’on s’y installe, j’ai dû remballer le projet. Impossible de l’éloigner d’Elle. Libres désormais, puisqu’elle sera toujours là. Où qu’on aille.

J’ai pleuré quand cet ami de Renaud a lu son hommage, dans la salle où on s’est recueillis pour un dernier adieu au crématorium. La gentille hôtesse, un peu mécanique, dents baguées, récitant sagement son couplet d’accompagnement nous proposait quelques activités. On disposait de marqueurs, et de quelques roses. J’ai choisi le vert pour gratter un petit message, sur le haut de son cercueil, côté coeur. Dédicace à sa tendresse. Quelques pétales blancs…Envie de faire une photo. Peur de choquer. J’en fais part à Steph qui en déconnant me dit : mais ça va pas, non ? ! Il rit. C’est bizarre. Une pulsion qui arrive, t’as envie, tu ne sais pas pourquoi, mais si tu ne le fais pas, là, il sera bientôt trop tard. Pourquoi ? Parce que c’est le petit écrin en bois qu’elle a choisi ? Qu’on vient de décorer à la va-vite ? Dernier contact, échange. Dans quelques minutes, tout sera réduit en cendres. Brûlent-ils la boite avec ? La pochette de l’album de Bartoldi sur le couvercle, dernière musique choisie pour les adieux ? Font-ils un tri avant de remplir l’urne. Ces pensées incongrues… Mais non pas un selfie, t’es con. Il est comme ça. L’amour sérieux, la mort : une blague.

Le texte de Paul, juste avant l’atelier DIY, juste et vrai. Emue par la simplicité. Pas de tristesse dans les larmes. Des vaguelettes ont commencé à clapoter en moi. Puis des gouttes chaudes ont coulé, suivies de petits sanglots-surprises. Je suis la seule à m’en étonner. Lou rit et sorti ses kleenex. Elle savait. S’y attendait. Me connait tellement. Toute petite, elle se marrait quand je pleurais devant The Voice. C’est pareil maintenant. Parce que c’est beau, ce petit bout de femme qui a été si généreuse, si douce. Pendant ses mini virées sur escarpins, dans son quartier, elle donnait toujours des pièces, quelques mots, son sourire, à chaque mendiant croisé, les saluait respectueusement. Une reine. Corps en miettes et pourtant si forte. Mon coeur fond d’admiration. De respect.

Planquée pour échapper à l’horreur nazie, platrée toute son enfance, déplacée de sanatorium en couvent, elle a traversé la vie comme une plume, une petite souris dans sa bulle. Autodidacte, elle a appris à lire seule, corrigeait les livres d’un ami psychiatre avant qu’ils ne soient publiés pour arrondir les fins de mois d’une maigre pension d’orpheline handicapée. Elle qui crachait allègrement sur ce con de Freud. Foutaises tout ça. Privée de pénis ? Encore merci ! Être un mec, jamais de la vie ! Manquerait plus que ça ! Avec un petit caractère acidulé. Ah non ! je déteste les anniversaires. La fête des mères, oublie ! C’te farce. Remise à l’honneur par ce collabo de Pétain ..pour faire de nous des pondeuses, des bonniches !

Alors ce qui était dans ses cordes, elle s’en est occupée. Pas question de fêter ce 27 février. 90 ans, quand on a échappé à la tuberculose osseuse, aux camps, c’est déjà bien assez. J’efface la mémoire, et je m’envole. Tout s’est aligné. Même les planètes. Lou m’a envoyé un extrait TikTok. Elle y apprend une tonne d’infos. Le lendemain de son non-anniversaire, tout le système solaire se fendait d’une haie en l’honneur de Camelia. Evènement exceptionnel qui ne se reproduira pas avant un ou deux siècles ! Elle s’est endormie sereine, définitivement….quand je vois des cas plus ou moins célèbres, icônes, monuments nationaux, qui se battent pour qu’on abrège leurs souffrances, sont forcés d’aller en Suisse pour se déconnecter, bataillent avec le gouvernement, lettre à Macron, suppliant de permettre aux condamnés une mort digne, paisible…

Une vie qui a commencé durement, s’est finie doucement. A son image. Légère. Subtile. Renaud est allé dire une prière dans son dos, elle qui détestait toutes les religions, à cause des humains, ils ont traduit n’importe quoi, ce qui les arrange. Marie-Madeleine était une « femme riche et érudite » pas une « putain » ils ont confondu deux mots…. Il prie avec deux copain initiés pour qu’elle aille retrouver sa propre mère, résistante déportée, dénoncée par un Français zélé. D’où elle est, observant l’ironie de la situation, j’entends son rire de lutin. Voyant son ainé faisant un tour de passe-passe pour décrocher un passe-droit. Il répond au Rabbin. Enterrée ou ? C’est pas le sujet. Mon père ? Il élude… Rebondit. Cymbale, caisse claire, gong, coup de baguette. Touchant. Qu’elle ne reste pas bloquée dans la file d’attente céleste.
Côté timing, l’incinération devait avoir lieu le jour de son anniversaire. On note…tout en se disant que ce serait peut-être décalé. Intuition de fils. Quand même cette synchronicité. Clins d’oeil. Effectivement, son âme puissante a du envoyer une ultime volonté. Hors de question. Pas de cérémonie. Alors ils nous ont appelé pour nous annoncer qu’ils avaient un soucis de planning au crématorium. Un mort s’était peut-être désisté, acceptant le deal de Camelia. Sois sympa, t’es pas à un jour près ! Notre Grande Dame, prioritaire, prenait son départ in extrémis, veille de ses quatre-vingt-onze ans.

RENCONTRES

Ah ! Si tout le monde était comme vous...

Il est sur l’autre trottoir. Quelques secondes plus tôt, la vue floue, pas certaine qu’il me regarde, je fais un premier hochement de tête. Tout en vaquant à ses tâches, il vient dans ma direction. Je sais qu’il tient à ce salut. On en a déjà discuté ensemble. Entre travailleurs matinaux, un jour de neige. Puis cet été, quand je me reconvertis en indépendante, moins matinale cette fois, alors que tous les aoutiens sont sur les plages. Il me prend la bonne idée de faire du démarchage, pile quand le marché de l’immobilier fait un plouf. Personne, à part nous dans la cité. Mon travail consistant à tisser un réseau, ratisser, labourer, semer tous azimuths, on se lance, après son laïus rodé sur la malpolitesse des citadins qui l’ignorent en général,  dans une conversation sur sa grande passion.

Si tout le monde était comme moi, à décider un dimanche matin, neuf heures, bruine, de sortir trier ses bocaux de verre en saluant les employés de la mairie, on aurait tous remarqué qu’il pousse la dévotion jusqu’à se teindre les cheveux en noir corbeau. Qu’il serait temps de faire les racines s’il veut parfaire l’illusion. Qu’il a les yeux bleus, perçants, et toujours ses imposantes rouflaquettes, comme celles de son idole. Qu’il se fout des proportions, parce que, pattes énormes et anachroniques sur mini gabarit. Je n’ai pas eu l’honneur de le saluer, mais à mon avis, le King m’arrivait plus haut qu’à l’épaule.

Si tout le monde était comme moi, on se retrouverait comme des crétins, à roder autour du Franprix qui ouvre dans trente mn, le Marché Bio pareil, on aurait plein de gens à saluer, et toujours de la même façon, puisqu’il ne me reconnait jamais, s’étonnant à chaque rencontre de ma courtoisie, m’en faisant part de la même manière, mot pour mot, ton sur ton !

Ce matin, il tient à développer le sujet des incivilités, glisser vers le stand up, tente sa punchline : ah ben si on les mettait en orbite….puis hésite, ne sait plus comment finit Audiard. Il ne peut pas vraiment compter sur ma mémoire non plus, ni sur ma facette beauffe que j’étouffe dès que l’occasion se présente. J’improvise : …ben on s’ennuierait, on n’aurait plus l’occasion de s’en plaindre ! ça l’inspire moyen. Il sait que ce n’est pas la bonne réplique. Lui veut continuer à nous emmener sur son terrain. Il lui manque juste les refs. Alors il embraie. En tout cas, je vais vous dire, ce qui me tient moi, c’est l’amour…il plisse les yeux, voir si je comprends, que je n’aille pas l’imaginer dans un trip secte, ou pire, Harlequin , et complète : l’amour de ma fille, Elvis et le rock’n roll.

Je pense à Eric. Je lui raconterai en rentrant. Lui qui, dès que la vie dérape un peu se réjouit et déclame « wrock’n wroll ! » 

Comment finir cette conversation, lui fait semblant de ramasser quelques détritus avant de revenir à sa totomobile-propreté sur mesure. Elle lui va nickel. Personnage de cartoon qui en se hissant sur son siège me lance : je vous jure ! …j’enchaîne sur une note positive, tente de lui lancer une graine, mon petit point de vue,  au risque de le voir aspiré avec les feuilles mortes et premiers pétales d’amandiers parsemés à mes pieds. Pour ma part, je m’emploie à m’observer moi, à dire bonjour quand je peux, faire un geste sympa, arroser mes fleurs plutôt que de regarder les autres faire leur caca. Il se force à rire, préfère être en colère.. Quoique, …il reprend. Vous savez moi…je suis comme Lennon !

Pas mieux. Je n’ai plus d’herbe sous le pied.   Du John à la sauce Graceland. Bon dimanche !

RENCONTRES

DERRIERE LA VITRE

Journal condensé 2019

C H A P I T R E S

Je suis venue au monde dans une famille conforme des années soixante-dix.

Maman teinte en blond, pour accentuer sa ressemblance avec Catherine Deneuve, choisit chaque automne au Printemps, la nuance chic de son rouge à lèvres, prête à offrir le sourire tendance lors des dîners entre amis. Coquette par devoir, politesse et respect, et opposition à sa mère matrone espagnole bigote, pour qui le style se limite à la mise en plis hebdomadaire et au même camée porté chaque dimanche sur un chemisier entièrement boutonné.

Au fur et à mesure de l’ascension sociale de papa, le trench seventies laisse place à la fourrure, les diamants, saphirs et émeraudes poussent sur ces belles mains manucurées, souvent dorées par les voyages, que je ne me lasse pas d’admirer secrètement mettre le clignotant, l’enlever, passer les vitesses lors des nombreux trajets au conservatoire de musique.

Papa s’absente toute la semaine pour vendre des produits phytosanitaires. Chef des ventes dit-il avec fierté. Il adore raconter ses succès professionnels et ceux, encore plus glorieux, si on sait jauger l’étincelle dans son œil, remportés auprès de la gente féminine.

En tout bien tout honneur, insiste-t-il maladroitement, même si je surprends une fois une scène au téléphone, parce que souvent loin du nid en semaine, il se laisserait entraîner par son collègue plus célibataire et moins scrupuleux.

Ce vendredi-là, il rentre avec des fleurs et un cadeau, une main magnifique, bleue turquoise qui sert de décoration et de porte bijoux….et qui finit quelques années plus tard fracassée contre un mur, pour les mêmes raisons qu’elle est entrée chez nous : soupçons d’infidélité.

Le Weekend il met la chaîne stéréo à fond et on hurle sur Armstrong, le Requiem, le Gloria ou Ella. Enfin, papa, mes sœurs et moi. Maman lève les yeux au ciel, saoulée. On répète pour les lundis exceptionnels où il nous dépose à l’école en DS, et joue les fous du volant en chantant à tue-tête !

Ma grande sœur fera l’E.N.A dit maman. Parce que chez les grands en maternelle, elle lit déjà les tous panneaux publicitaires sur la route des vacances.

Et moi je chante. J’aime tout chanter, tout le temps. Le temps des cerises, la Fête du Big Bazar, Marie colère en pensant aux beaux yeux verts mélancoliques de la pochette, Dies Irae en imaginant l’orchestre dans la tempête et Verdi capitaine du bateau….jusqu’à ce que maman me dise : « chante dans ta tête, tu nous casses les oreilles » et félicite ma grande sœur qui déchiffre à haute voix, « avec Ben-co dé-marrez plein pot ! Tefal n’atta-che vrai-ment pas ! », preuve indéniable de ses grandes aptitudes intellectuelles objectivement détectées par maman.

Chanter en silence, c’est un peu comme m’asseoir devant un beau gâteau sans avoir le droit d’y goûter.

Le paysage devient gris. Les cheminées impressionnantes, au milieu d’usines monstrueuses, crachent de gros nuages. C’est alors que l’odeur d’Opium d’Yves St Laurent mêlée à celle des sièges de la DS neuve, et à celle de la fumée des Gitanes provoque une réaction familière….un peu de salive chaude, que j’avale discrètement, puis la production augmente avec ma panique. Je ne chante plus du tout, gémis un peu, secouée par mon ventre qui en totale autonomie convulse. Par hasard ou pur instinct, elle se retourne in extremis : arrête-toi Michel ! elle va vomir. Réflexe du fou du volant, deux secondes trois centièmes plus tard, je bave tout ce que je peux sur un talus, au pied de la montagne.

Voilà. Seul moment où je capte l’attention générale. Je remonte penaude. Alors? dit papa. Elle a vomi ? Il adore chronométrer les voyages. On a mis à peine 2 h et 9 mn dirait-il une fois le moteur coupé ! Sauf que je viens de faire perdre 3 bonnes minutes cette fois. Pour une nausée. Je compte dans ma tête 10 virages et ça me reprend.

En arrivant là-haut vaseuse, j’ai l’impression que je ne leur ai pas cassé seulement les oreilles.

En observation toute la journée, le lézard me tire la langue en petit salut furtif et rampe à toute vitesse sur la dune.

Comme Tigrette, elle m’a planté son croc affûté dans le cou et m’a arraché la queue. Si j’avais pu comprendre à l’époque et le lui faire remarquer, elle m’aurait giflée de sa réplique préférée et imparable selon elle : « moi je suis premier degré, tu sais ! »

Elle brandit systématiquement la petite phrase comme un drapeau, la dresse comme un crucifix, en mode « fous moi la paix avec tes conneries » ! comme si j’avais inventé l’inconscient, la psychologie, juste pour la saouler.
Pas d’états d’âme, l’inconscient, connais pas ! T’as beaucoup de devoirs ? Amène ton cahier !

Les vraies gifles, c’est rare que j’en prenne. Une fois ma grande sœur en ramasse une à la volée, avec option diamant incrusté dans la joue. Pour insolence. Ça t’apprendra ! La petite aussi en récolte quelques-unes. Mais surtout beaucoup de cris et de menaces. A cause de ses mensonges, du linge en boule planqué sous le lit que maman, enragée, fait voler par la fenêtre. Moi je suis sage. Je fais tout de mon mieux.

En CE1-CE2, comme je suis entraînée à bien travailler à l’école comme à la maison, je saute une classe. Un matin, seule avec maman, et heureuse de l’avoir juste pour moi, je lui demande, pour la rendre fière, de me dicter le texte des CE2, facultatif.
C’est le printemps, le soleil éclabousse la table de la cuisine. Je m’applique parce qu’il parait que j’écris comme une souillon. Souvent, je m’emporte, je rature, rature encore pour ne pas qu’on voie que j’ai fait une faute idiote. Là, je réfléchis bien. Je sens qu’elle sera si épatée qu’elle ne pourra que me féliciter.

_ Les oiseaux chantent.

Je cogite, je ne vais pas tomber dans le piège.

« L e s », facile, mais je me contrôle…ne pas s’emballer.

Oiseau E, A, U ça je sais….au pluriel puisque c’est « les », ok.

Je la vois s’impatienter, mais ça y est. Trouvé !

« oiseau au pluriel, ne pas oublier : E N T ». Toute contente, j’écris « l e s o i s e a u e n t » et je relève la tête, prête à recevoir mon bisou-médaille.

Elle me fixe.

– Tu te fous de moi ! C’est ça ? Réfléchis ? T’es conne ou quoi ?

Je suis figée, statufiée, neurones bloqués, je ne sais pas si c’est du lard ou du cochon. Est-ce une blague ? Alors que je suis presque arrivée en haut du podium, elle fracasse mon sourire et tous mes espoirs de gestes de tendresse en me jetant sa main armée du livre au visage.

Sonnée. Une tâche rouge tombe sur le « O » de « oiseauent ».

Puis d’autres gouttes qui se diluent dans l’eau d’une larme qui m’échappe.

Elle s’affole, pardon, pardon ! Oh pardon ma chérie. Excuse-moi. Je ne voulais pas.
Et on pleure enlacées. La pauvre. Elle ne voulait pas. Trois heures plus tard, en classe, je pleure encore en pensant à ma pauvre maman à qui j’ai fait de la peine au lieu de la rendre fière.

Qu’aurait dit le psy que je vois 14 ans plus tard ? Foutaises ! Dit-elle quand il l’invite à une séance de laquelle elle repart furax. A l’époque, vingt ans, je suis en vrac complet, en overdose de bouffe permanente, me cachant sous des fringues trop noires, trop larges et trop longues. Elle fait son entrée dans le cabinet avec son armure, bijoux fringues et maquillage, prête pour la photo de couverture de son magazine imaginaire. « Ok, continue toi ! Si à toi ça te sert à quelque chose. Mais sur moi, il se plante complètement. Jalouse ? Rire sarcastique. Ha ! Ha ! Ha ! C’est la meilleure ! De toi ? Ha ! ha ! ha. Ben putain, heureusement que t’es remboursée par la sécu » ! Elle déclame en remettant en place sa bagouse et en jetant un regard de contrôle sur sa manucure : vernis toujours impeccable.

Sur mon journal intime à 12 ans, je l’aime, je l’adore, on rit comme des copines. A force d’essayer, j’arrive apparemment à me convaincre que je suis proche d’elle. Mais aujourd’hui, ces souvenirs de complicité s’estompent à la lumière d’années d’analyse.

On est plus tard et je commence à comprendre. Plus tard, c’est bien plus tard. Il faut du temps. Beaucoup.

De la ténacité. Tenter. Par tous les moyens. Elle vénère la maigreur ? Je commence à fondre à 14 ans. Je m’entraîne aux régimes depuis l’âge de 9 ans. L’élève dépasse la maîtresse. Elle les enchaîne mais se met à m’admirer quand je deviens rachitique alors qu’elle fait le yoyo. Chaque matin, même petit rituel : un bonjour dans la cuisine en hug mère-fille, et ses doigts jouent sur mes côtes qu’elle sent à travers la robe de chambre en pilou, gling ! gling ! gling ! petite musique joyeuse sur sa fille-squelette-guitare. Mes copains espagnols me surnomment « téléfono-casa » en référence à E.T car on ne voit plus que des yeux immenses sur un petit visage bronzé.

Alicante, j’adore, on est tous copains au Lycée Français, et on fait la fête tout le temps en parlant une nouvelle langue, franco-espagnole.

Période où ma grande sœur laisse sa place. Elle passe, malgré elle _ premier conflit avec les parents_ un an dans le Wisconsin, où à chaque fois que je perds 1 kg elle en prend 3.

Pendant que l’aiguille de la balance s’affole sur les 2 continents, avec maman, on se déguise en Jane Fonda, et son regard a tellement changé sur moi, qu’elle trouve même que je ressemble à notre idole. Direction le cours de « gymtonic » où je sculpte mon corps selon son idéal, 3 fois par semaine.

Et comme c’est mon année, c’est encore tant mieux quand le lycée l’appelle lorsque je m’évanouis, sous-alimentée, en montant les escaliers pour aller en cours de physique. J’ai alors droit à toute son attention, sa main sur mon front, et du lait frais sucré. Je me rattrape. Je me gave d’elle.

Elle me propose une séance de cinéma, Jessica Lange, Frances Farmer. Je suis devenue la grande sœur, sa petite protégée.

A 15 ans, sans aucune notion de psychanalyse, ce film arrache net les fils de plaies que j’ignore encore alors.

A la sortie de la séance, je pars en crise de larmes, presque nerveuse. Frances c’est moi ! Je ressens que sa mère est la mienne. Même si cette année, et à l’instant, elle marche gentiment à côté de moi, un peu étonnée par ma sensibilité à fleur de peau. Elle va jusqu’à la faire interner et traiter aux électrochocs pour qu’elle soit enfin conforme.

L’aérobic et l’anorexie, c’est mon chemin vers la folie. Quand Frances plonge dans la cocaïne, je carbure à presque rien : une demie orange, un demi chewing-gum, un demi sachet de Biomanan au chocolat (repas protéiné de régime), et sept paquets de Ducados (des Gitanes en pire) hebdomadaires. Ma seule dopamine, mon adrénaline et la nicotine suffisent.

Je me défonce pour lui plaire. Puis je bascule au premier obstacle, mon premier petit ami. De l’anorexie, à la boulimie.

Je l’ai choisi éclaté, le mec qui monte sur la table au fumoir alors que j’ose à peine mettre du mascara, il fume et deale du shit, DJ le weekend, tout est super de février à juin, puis il me largue pour ma meilleure amie. Contrairement à elle, j’ai peur du Poppers, des amphétamines, du sexe. Et de mon corps. Et s’il s’apercevait alors que je grossis dès que j’avale une madeleine ? (Je prends aussi mes peurs pour la réalité).

Je suis déchiquetée, et là, maman me dit joyeuse : « ah ! bonne nouvelle, je trouve qu’il avait une mauvaise influence sur toi ». Le coup de grâce. Je retombe sous sa coupe.

J’ai 9 ans. Ma grand-mère, pourtant plus large que haute, lance la cantonade à mon sujet : « ben dis donc, elle a les yeux plus gros que le ventre celle-là », quand au goûter, je ressens encore un trou dans le ventre malgré les 4 chocos BN réglementaires. Mes sœurs vont jouer, et j’en reprends 2 vite fait avant que mamie ne m’arrache le paquet des mains, en échange de sa médisance et de son mépris.
Déjà rongée, si jeune, parce que j’essaye en vain de placer une anecdote qui semble n’intéresser personne, qu’ils n’écoutent pas jusqu’au bout, d’ailleurs. A table on boit les parole de la grande sœur, on rit aux pitreries de la petite et on me reprend la balle illico quand enfin, j’arrive à l’intercepter. Chacune à sa place. Pas d’arbitrage. C’est la jungle.

Six ans plus tard, après des centaines….des milliards de petites vexations, humiliations, négligences, et après l’estocade de la trahison amoureuse, je me réfugie dans les sachets de pan Bimbo, madalenas, caramelos, croissants, turron….et je plonge. Comme si le sirop de glucose servait d’antidote au poison distillé dans mon incubateur :

« Pousse-toi, tu me tiens chaud », quand je mendie encore, à 17 ans, des miettes de tendresse en douce, pendant qu’elle regarde la TV.

« Oh, c’est rien, t’en referas un autre », quand à 5 ans, je reviens en larmes, inconsolable, avec mon beau dessin pour maman, déchiré en 2. Elle pense presque à voix haute : c’est qu’un dessin, comme tous tes cadeaux, il finira dans ta chambre de jeune fille au fond d’une étagère, derrière les albums photos de nos voyages. Sort réservé, plus tard, aux cadeaux plus élaborés. J’ai 26 ans, 33 ans…je pense à la fête des mères un mois avant. Là, encore, j’y mets tout mon cœur. Mais rien, les 3 roses éternelles montées sur tiges d’acier finissent au placard, comme le mini noisetier, sculpture végétale. A peine la bise et un merci convenu.

La grande sœur, revenue du Wisconsin depuis longtemps, continue à monter en grade en l’élevant au rang de reine-grand-mère.

Ça fait 7 ans déjà, quand à 33 ans, j’annonce lors d’une visite trimestrielle (j’ai mis quelques centaines de km entre nous) toujours en court-circuitant furtivement la conversation à laquelle j’assiste toujours en spectatrice, qu’on veut avoir un enfant.

Maman lâche en touillant sa salade :

« Ben merde, je plains ses enfants ! Avoir une mère pareille ! » en s’adressant à mes sœurs comme si elle faisait une super vanne. Comme ça ! Comme si elle disait ! Ah félicitations ! Comme je suis heureuse pour toi !

Premier degré ! Bon appétit !

A 19 ans quand je veux m’envoler pour chanter à Paris, à voix haute cette fois. Encore une de ses petites phrases au cyanure :

« Ok, je ne veux pas que t’ailles sous les ponts _avec le recul, j’aurais mieux fait. De dormir sous les ponts ou de les couper_ alors on va te trouver une chambre, mais sache que dans ce milieu, personne ne t’attend ». Un peu comme si elle venait de m’accrocher une pancarte autour du cou : « je suis une merde, mais je rêve d’être chanteuse, ou comédienne, ou juste aimée ». Et me voilà catapultée d’un coup de pied au cul, dans le XVe arrondissement, entre les immeubles de bureaux et le périphérique, juste en dessous d’une des planques de Mesrine (seule anecdote en 3 ans, la police au pied de l’immeuble, mon immeuble aux infos, ma minute de célébrité).

Voilà, j’y suis, flippée comme jamais, et entre 2 cours hebdomadaires, l’un de théâtre, l’autre de chant au conservatoire, je remplis ma vie de Pépitos, de Cookies et de baguettes viennoises.

A cette période, je me suis parfois demandée en allant à la boulangerie, mon dealer, si le mieux n’était pas de me jeter sous une voiture.

Puis je traversais, cachée sous mon imperméable informe, et achetais un petit déjeuner pour 5. Que je mangeais seule avant de me rendormir en faisant des cauchemars.

La queue du lézard repousse. Puis retombe. Repousse. La chenille se transforme.

L’usage veut qu’on fasse la communion. C’est mon tour. J’adore la scène que décrit le Père, au catéchisme, qui nous explique la différence entre la mère qui balance une salade sur la table, et celle qui la compose avec amour, en offrant à ses hôtes un tableau, feu d’artifice de couleurs et de douces sensations pour les papilles. Il parle ma langue. Tout le reste je zappe, les apôtres, le nouveau testament. Je plane entre 2 anecdotes. J’aime toute cette fraternité, le partage, la charité, la tolérance, la générosité. Comme si j’apercevais l’oasis après avoir tourné en rond dans le désert.

Pendant cette retraite, on chante sous un préau où l’écho nous enveloppe. On doit y mettre tout notre cœur et je ne me fais pas prier. Quant au déjeuner, c’est pique-nique libre. Là, je pars en trip érotico-mystique. Je m’approche d’une fontaine, dans les jardins. J’ai alors l’impression d’être aussi nue que la statue qui s’y rafraîchit. Naturellement, j’évolue entre mes camarades occupés à des jeux de ballon, persuadée qu’ils me voient nymphe dans la nature, habillée des seuls rayons du soleil, flottant dans l’air printanier et le parfum des fleurs d’amandier. 
Puis on reprend, atelier dessin, nourris de bienveillance, de rires et de chants. Un autre monde existe ! C’est mon monde.

Maman ironise quand je reste fascinée, en pleine séance de lèche vitrine assommante : « tiens lui la main ! ils vont nous l’embarquer ». On est en balade touristique à Paris et intriguée, j’interroge mon père sur cette farandole de personnes souriantes et dansantes, bizarrement accoutrées. Aré aré aré Krishna ! 

D’autres parenthèses enchantées m’apportent l’oxygène quand je suis à 2 doigts de l’asphyxie.

A 22 ans, après mes premières séances chez le psy, les débuts du sauvetage, je vais passer quelques semaines à Alicante. Je peins, j’ai un job, des rendez-vous chez le psy. Je pleure des torrents à chaque séance, mais je commence à me sentir mieux dans ma vie.
Invitée chez Jacky, j’accepte. Amie et exact opposé de maman, aussi artificiellement auburn que maman est faussement blonde, cheveux à la taille, maigre osseuse et musclée, alors que maman a beau essayer tous les régimes des années 70 et 80, elle ne se débarrassera de sa cellulite que lors de ses chimios à répétition dans 20 ans, parce qu’alors, à 60 ans, il ne lui reste plus de tissus adipeux entre le jean taille 36 dont elle a toujours rêvé et les os.

Jacky fume clope sur clope dès le réveil, mais à aucun moment ne me dit : « ah non, pitié, je déteste les rêves ». Au contraire, je petit déjeune, elle s’alimente surtout de café-sucrettes, et on parle, elle m’écoute, se confie, elle, comprend ce que je dis. Prend 3 ou 4 pilules, se tartine les avant-bras d’hormones. Pré-ménopause me glisse-t-elle avec un clin d’œil complice. Maman ne prend jamais de médicaments, et s’en vante. Jacky est une pharmacie ambulante. Quand elle retourne se prélasser au lit, je dessine dans le salon. Philippe, qui a mon âge, me chambre en regardant le Tour de France. On s’est roulé une pelle une fois en boîte de nuit, à 15 ans, et le lendemain, il m’appelle : il ne s’est rien passé ok ? Moi j’étais instantanément raide dingue. Un flegme, un grand mec, déjà un peu enrobé, mais tellement aimé par sa mère qu’il en devenait irrésistible à mes yeux de fille peu assurée et probablement pour cette simple et unique raison.

Un matin, elle me dit vas-y essaie ça si tu veux, t’en prends 1/2 cachet par jour, ça va t’aider à moins manger. Bon, c’est là qu’elle a un peu déconné, j’avoue.
En 2e ou 3e semaine, le bronzage est parfait, les têtes chaussées de lunettes noires pivotent sur mon passage quand je sors de l’eau, rafraîchie et dégoulinante de gouttelettes salée. Je rencontre Johanna sur la plage. Elle aussi est seule. Magnifique visage souriant et pur, corps harmonieux et pulpeux, elle est suédoise et danse le flamenco. 

On décide de se retrouver le soir au Barrio Chino, où l’un de mes copains m’a proposé de passer prendre un verre.
Explosion de la chrysalide et lancement des festivités : le délire total. On se fait offrir verre de Mistela  sur verre de Vodka, et on part en stop, tout donner dans les 2, 3 boîtes de nuit qu’on écume, chaque soir.
Complices, sauvages, lâchées, on se déchaîne, et rien, plus rien ne nous arrête.
Au lever du soleil, encore excitées comme des puces, on suit une bande de copains rencontrés sur la piste, direction l’after. Envolés les complexes, au lever du soleil, j’apprécie enfin la vue de ma cuisse ferme et cuivrée posée négligemment sur l’accoudoir du fauteuil. En extérieur, avec notre petite bande, on se laisse inviter. Ok, Vodka. 9h du mat ? Non, ben ok, Vodka orange pour moi !
Et ça repart. Le morceau qui tue, et tout me sourit. Ce mec, d’une beauté androgyne, cheveux longs m’embarque et on se retrouve dans l’obscurité multicolore de la boîte à danser comme des dingues. Johanna apparaît. Puis disparaît. Temps calme, on se jette l’un sur l’autre avec tendresse. On s’explore, on se goûte, seuls au monde derrière la lourde porte de la boîte, qui par intermittence nous plaque au mur. Plus de freins, plus de limites.

Je rentre à Paris avec quelques comprimés, démarre comme hôtesse d’accueil à la Fnac et compte bien surfer sur mon plaisir des vacances. Je vais nager tous les jours au Gymnase Club de Nation, sors beaucoup, rencontre Vincent, vendeur rock et pop indé. Tout colle encore une fois. Les parents partent en voyage et maman, ravie de me voir enfin au top accepte que j’organise une fête en leur absence.
J’ai envie de partager mon bonheur avec le monde entier, et j’annonce : vient qui veut, tes amis sont mes amis !
Le mot est passé, les 100 m² affichent complet. Musique, fun, c’est génial. Puis ça dérape légèrement quand les fêtards, chargés et affamés commencent à vider les placards de la cuisine. Puis carrément, sortie de route, réveil brutal. Vincent dans ma chambre, dans mon lit, avec une fille du boulot.
La baffe qui lui dévisse la tête ne me soulage pas. L’appart est dévasté et personne ne m’aide à le remettre en état pendant 3 jours puisque j’ai foutu tout le monde dehors.

J’apprends par la suite qu’il était déjà avec une autre fille, certainement Patricia, dont il m’a un jour crié le prénom dans l’oreille, dans le feu de l’action. Je n’ai pas voulu entendre. Trop besoin d’y croire.
Puis je n’ai plus eu de comprimés. J’ai cru voir la lumière au bout du tunnel mais je viens de piocher prison, et retour à la case déprime.

C H A P I T R E S

L’arabe de la famille. Je hurle dans le téléphone, c’est bon, je suis l’arabe de la famille ! Je veux enfoncer le clou. Dans ses yeux. Qu’il les ouvre ! Qu’il reconnaisse ! Qu’il reconnaisse qu’il ne me reconnait pas. Que maman non plus ne m’a pas reconnue. Jamais ….Ou peut-être in extremis, les quelques jours où on s’est vues à la fin, juste avant qu’elle meure.

Cendrillon, le vilain petit canard, 4 décennies que je tourne autour du pot. Avec mes références bisounours. Comme ils n’ont pas lu Psychanalyse des contes de fées, ni chaud ni froid. Là, je viens de trouver l’image. Le sous-titrage pour parent pied-noir, incapable de recul, qui a ratatiné cette partie de l’histoire à son échelle : les colons, des mecs supers qui sont venus civiliser des pauvres blédards. De Gaulle, un salopard de traître. Et les arabes, (avec une moue de haine et de mépris), des sauvages qui ont égorgé le beau frère et le père de maman le même jour.

J’ai 43 ans, maman est morte depuis 3 ans et  papa, suite à une énième embrouille, essaie de réécrire l’histoire familiale à sa gloire. Et il continue à m’accabler. Des fois que j’arriverais à me relever. C’est de ta faute. C’est toi qui interprète. Qui prend tout mal. Nous on t’a toujours dit que tu es jolie. On t’a toujours raconté ce qu’il s’est passé quand tu étais à l’hôpital, mais tu n’étais pas réceptive. (Mensonges, j’apprends l’abandon à 22 ans, je sens que ça monte !) Tu cherches les responsables de ton malheur. Arrête d’inventer. Il faudrait que tu domines ton complexe de persécution dans la famille. Il croit qu’en me parlant en vocabulaire pseudo psy, je vais valider. Mes oreilles vomissent, saignent. J’explose. Jette le téléphone fixe contre le mur.

Secouée de larmes, j’attrape le portable qui vibre, rejette l’appel en écrasant toutes les touches, et dans les contacts, remplace en tremblant, papa par GROS CONNARD. 
Je viens de passer 3 jours chez lui, et ça a fini en hurlements, parce que je ne supporte plus qu’il m’aboie dessus. Toujours l’impression de mal faire, de le gêner, d’être conne. Pour une histoire de chiottes. Tellement symbolique. Les wc sont bouchés. Comme notre relation. Je suis sensée me sentir coupable d’utiliser trop de PQ ? D’avoir une merde insoluble ? La canalisation est mal foutue depuis toujours….30 ans que ça dure. Et comme cette fois je décide de gueuler aussi fort que lui, de lui rentrer dedans, il se lâche, et me lapide d’accusations :
je joue au poker, je finirais clocharde,
mes huiles essentielles, ça pue,
et il salit tout
ce que j’aime,
les chats,
tous ceux que j’aime, ma vie, l’éducation, drôle d’éducation que je donne à ma fille,
tout ce que je suis….depuis si longtemps. 
Quand je deviens barmaid à 16 ans, il me voit devenir pute,
quand je sors avec mon premier petit copain qui fume du shit, pas moi, il me voit devenir junkie,
quand je plaque un CDI et deviens créatrice de mobilier en carton, il dit, « mais ça va pas non ! Tu fais ça le dimanche ». Pour une fois que j’accédais à un poste de « responsable », faudrait que je m’agrippe, même si je craque dans une boîte où je finis par me disloquer, plaquée contre le plafond de verre.
Quand à 25 ans,  je lui dis que je vais m’offrir un PC, il me dit « rappelle-toi la méthode d’allemand ». Brandir la preuve de ma nullité. Tuer le désir dans l’œuf, comme si je parlais d’un voyage sur la lune. A 17 ans, j’adore Nina Hagen. Crier ma rage en phonétique, me maquiller ou me peindre comme elle pour exister, retracer mes contours que je perçois si flous, si cabossés. J’insiste. Je vais, en plus du bac, apprendre l’allemand. Ils n’aiment pas cette langue ? Tant mieux.  Et là, je bloque à la leçon N°13 de la méthode Assimil.  « Arbeit » fin de l’apprentissage. Voilà. Et une pierre en plus à jeter dès que l’occasion se présente.

Il commence à applaudir quand j’apparais à la TV, et dans la presse, sacrée « meilleur inventeur femme », titre créé spécialement pour moi lors de cette édition 2011, les 110 ans du concours Lépine. Applaudissements !  Pour la médaillée par le ministère de je ne sais plus quoi. Bravo !  2 bouquins édités et en vente à la fnac. Et on oublie qu’il est le dernier du pays à applaudir. On efface. Oublié, qu’il a d’abord essayé de me décourager, quand au départ, ça n’était qu’un rêve.

Vingt ans plus tôt, quand ma nièce, 2 ans, se fracasse au bord de la piscine, son père assoupi sensé la surveiller, habitué à ce que je sois la cible, balance : elle peut pas bouger son cul celle là ! Personne ne réagit. C’est normal. Et pratique. Si je suis dans les parages et que quelqu’un se pète un ongle, sachez, père, mère, sœurs et désormais les 2 beaux-frères, que tout est de ma faute.

Et je continue à venir passer 3 jours. La joie des retrouvailles, le premier jour. Le second, on se raconte. Et le 3e, reviennent les vieux réflexes, les sourires sont pliés jusqu’à la prochaine visite, les pointes d’agacement repoussent, et je repars, toujours un peu trop tard, les blessures à vif. 

Je reviens toujours, je décroche quand même quand ça sonne, portée par l’illusion qu’ils vont enfin s’excuser, réaliser, m’accepter, m’encourager, me comprendre, me soutenir, m’écouter….et je retombe toujours plus bas, en miettes.

Une semaine pour me relever après un coup de fil.
De 2 semaines à un mois pour me recomposer après un séjour en famille.

Encouragée par le psy, à 22 ans, je commence les fouilles. Prête à tout affronter. M’a-t-on violée ? Attouchée ?
Un peu, mais ça je m’en souviens très bien. C’est pas le sexe de l’ inconnu qui se frotte dans mon dos dans la piscine, qui m’a blessée. C’est que maman, l’attendant de pied ferme pour lui casser la gueule à la sortie de la piscine municipale, se dégonfle. Quand enfin il sort, avec la dame et les 2 enfants l’accompagnant,  elle roule lentement jusqu’à ce qu’il entre dans sa voiture, et au moment de couper le contact, accélère.

Je retiens le numéro de la plaque d’immatriculation que je note sur le bloc à côté du téléphone, en rentrant. Appuyant si fort sur le Bic, qu’il est gravé sur une dizaine de feuilles. Mais ni elle, ni papa n’appellent la police.
Des copains ont vu sous l’eau, et je me suis dégagée comme une petite sirène, mais je compte sur elle, sur eux. Incapables de me défendre et de me protéger. Le veulent ils seulement ? Que préfèrent-ils défendre et protéger ?

Et papa me raconte que les grands pontes de la médecine, ça ne l’impressionne pas. Même s’il n’a que 25 ans. Il l’a choppé par le col de sa blouse blanche, et l’a soulevé. Et Papa-héro obtient alors toutes les infos mécaniques sur les techniques de pointe importées des Etats Unis qui me permettront de ne pas boiter. Physiquement s’entend.

Parce que même si Dolto est interviewée par Servan Schreiber à l’époque, eux  disent Amen à tout. Quand le grand professeur es luxation demande à la famille de rester derrière la vitre (version invérifiable) et ainsi éviter les cris déchirants des séparations. Amen. Qu’il me voient, ok, mais qu’a 1 an et demi, je pique des crises quand ils repartent sans moi. Inconcevable.
Mieux vaut, mais selon ta version toujours, personne (pas même Dolto et sa clique ?) n’y pense à cette époque, que le bébé s’imagine que pendant 1 mois et demi, plus personne ne songe à lui rendre visite en dehors des médecins et des infirmières.
Puis qu’un beau jour, on vienne le chercher pour le ramener chez lui, l’installant au bout du couloir, plâtre jusqu’aux omoplates en grand écart. Dans une famille agrandie, car une petite sœur est née. 
Le nouveau bébé dort avec la grande sœur, l’ancien bébé plâtré ira au fond du couloir, et maman, à l’autre bout, qu’on ne la réveille pas. Elle se marre ! « Si tu pleurais ? Aucune idée ! Et j’ai pas cherché à savoir ! J’étais trop crevée ».

Personne ne s’étonne, 6 ans plus tard, que je lance les ciseaux de 30 cm dans le dos de la petite sœur qui prend son pied en me poussant à bout avec la complicité de la grande. Elle sait inconsciemment,  qu’elle a pris ma place, avec la bénédiction familiale. Oui, à l’époque c’est clope dans la voiture, pas de ceinture de sécurité, et on offre aux enfants des ciseaux bien pointus, qu’ils puissent régler leurs comptes entre eux.

Contrairement à la légende qu’il se raconte, il y a eu 22 ans de silence. Rompu par l’insistance de mes questions, de retour de chez le psy.

Ils me regardent, cachés derrière la vitre. Et je chante les chansons que m’a apprises la grande sœur, avant qu’on ne m’abandonne aux mains de la médecine. Je ne parle pas encore. Mais je chante.

C H A P I T R E S

Elle est si douce, sur cette plage. Jusqu’au dernier moment, j’ai hésité, failli annuler. Si c’est pour me retrouver en petits cubes de coco dans un décor de rêve, non merci.

C’est en refusant un de ces voyages en famille que j’ai rencontré mon sauveur. Jour après jour, séjour après séjour, il recolle les morceaux. Il vient me chercher Gare de Lyon, je suis une flaque de pisse, je me sens moche, sale, presque visqueuse. En miettes au fond de la valise. C’est l’effet 4 jours, date limite dépassée. Le carrosse en citrouille.

Année après année, ma main enveloppée par les siennes, longues et douces, il absorbe mes cauchemars, m’écoute sans rectifier, m’encourage, même si pour eux, elle est usante à la longue, à tout regarder avec ses lunettes 3D. L’écorchée vive, dit la mère se justifiant. Eux soufflent un mot, inoffensif. Tous sont d’accord. Mais sur la chair à vif, une autre histoire… Y’en a toujours un bancal dans la famille. Normal. Ils ont des théories.

Après le bac, je me projette en chercheur en biologie. Puisqu’il faut choisir des études. En génétique plus précisément. Envie de disséquer, de comprendre, de tout passer au microscope et au bec Bunsen. Raccordée à la vie.

Mais je me lève un jour en plein cours, en dérangeant toute la rangée de l’amphi. Depuis le trajet en bus à 7h, je contiens la chanson de Jane Birkin « disparue, Jane B, cheveux, châtains ». Elle reste en boule, dans ma gorge, et j’ai envie de pleurer. Pourquoi ce bus ? Pourquoi la fac ? Pourquoi cet ennui ? Pour qui ? Pour papa ingénieur ? Je fixe l’écran au tableau, le schéma du squelette de plésiosaure. Comme une somnambule, assoupie par ma non-vie, je sors. Finie la préhistoire. Je me laisse guider par la petite flamme et frappe à la porte des radios, du conservatoire. Un peu désordonnée, mais à l’air libre. L’air libre.

L’eau est aussi chaude que dans une baignoire. Aigue-marine et cristalline. Ici les fleurs ne poussent pas au ras des pâquerettes, des grappes flamboient en feux d’artifices dans le ciel. On monte sur le toit pour capturer des mangues gorgées de soleil. Tout est merveilleux, les poissons portent des noms de génies espagnols et virevoltent au-dessus du corail pour picorer les orteils de papa. Et maman semble imprégnée de ce paradis et me berce dans son amour. M’offre ses mots, des petits bijoux de gentillesse. Elle ne se détourne plus pendant que je parle. On rit, parce qu’elle sait aussi casser, balancer la petite vanne. Espiègle. Elle me regarde et je sens sa caresse, encore plus douce que l’air du crépuscule.

Et au coucher du soleil, comme si je ne flottais pas déjà sur le plus moelleux des nuages sucrés, elle me complimente sur le cuivré de ma peau, l’or dans mes cheveux, sur ma ligne, sur toute la ligne. Comme si j’y étais pour quelque chose. Et aucune ironie. Toute une vie à espérer le milliardième de ce que je reçois, incrédule.

On est en janvier et je vais grelotter pendant trois mois en rentrant dans le 9.3. Prix dérisoire.

J’ai gardé sa lettre. Elle accompagne de sa belle écriture le pendentif fait main portant mon prénom en or. Et un chèque symbolisant 1000 bisous, pour me gâter, et s’il t’en reste, viens voir tes parents qui t’aiment. C’est souligné.

Je ne résiste jamais. Et cette fois encore moins. Je dois vérifier que je n’ai pas rêvé à Maurice. Billets du 7 au 13 mai. Je me suis emballée n’est-ce pas ? Toujours peur de regretter. Et pourtant…Merci la vie. Merci moi. Une des meilleures décisions de ma vie. Cocher ces dates-là. Parfait, du 7 au 13 mai 2008.

Anne-Marie. Dite Annie. 15 août 1942 – 13 mai 2008.
Le 3 e jour passe et les sourires sont toujours là. 4e, 5e, 6e jour de sourires. Même s’ils planent un peu éteins, parce qu’elle passe beaucoup de temps allongée. Elle préfère se reposer, reprendre des forces. 4e chimio. Elle qui n’a jamais un rhume. Elle promet, prévient, cette fois c’est la bonne. Et on ne comprend pas.

Je suis là. Et je suis la seule.
Les deux sœurs, voisines d’Avignon, suivent les numérations de plaquettes de loin. Grande sœur raisonnable ne veut pas la contaminer avec sa gastro. Elle en aura les yeux bouffis pendant des semaines.
Annie a tout orchestré. Tout planifié. Départ de Sophie le 13. Je suis donc là, le 12 mai, et c’est ma main dans la sienne, pendant l’heure que met l’ambulance, ces cons se sont perdus, avant de nous l’enlever. Et elle, qui déteste qu’on la touche, serre ma main plus fort. S’agrippe ? Se sent partir ? Elle me transmet tout, 40 ans perfusés pendant ces minutes aussi longues qu’une vie.

A 5 heures du matin, le lendemain, je suis réveillée, comme si le grand Hypnotiseur claquait des doigts. Nette, lucide, je prends l’ordinateur. Elle me parle du couloir. Quoi ? Je n’ai pas compris. Ben non, impossible, elle est à l’hosto. La maison dort. Et mes doigts courent sur le clavier. Je lui parle. Et je sais qu’elle écoute.

A 10 h, papa téléphone. Les larmes coulent, il étouffe un sanglot, mais la voix reste droite. Pas d’acharnement thérapeutique. Elle aurait voulu partir digne.
On prend rendez-vous pour dire au revoir avant qu’ils ne la débranchent.

Chaque matin à 5h, pendant 7 jours, le même rituel. Le 5e jour, c’est un rêve. Il ne s’échappe pas, que je puisse le raconter. Dans un camp, de vacances mais avec barbelés, les touristes me félicitent d’être si belle quand j’écris un flot de mots ininterrompu. Et plus le flot grandit, et plus les barbelés autour du camp s’émoussent. Et s’effacent.

Elle n’aurait pas voulu qu’on soit tristes. Mais à ce point, je m’étonne. Me demande quelle peine. De combien vais-je écoper. Son départ me libère. Je vide mon sac, et je me vide aux toilettes. J’évacue. C’est presque risible.

Elle se vantait, jamais un pépin de santé. Pourtant depuis toujours, on faisait un retour à la case départ si elle avait oublié les dragées Fuca les jour de départ en vacances. Un coffre-fort blindé.

J’ai 18 ans, on se fait enlever ce grain de beauté commun. Dans le cou. Un jour où je suis à bout je lui fais remarquer froidement. Tout ce qu’elle m’a donné, ce sont ces grains de beauté qui me répugnent et que je me ferai enlever les uns après les autres, les remplaçant par des cicatrices, (je ne suis plus à ça près), et cette cellulite aux cuisses. De temps en temps, je me permets moi aussi une petite remarque bien dégueulasse. Parce que le physique, c’est ce qui l’a tenue, tout ce temps, et éloignée. Mais elle ne laisse rien paraître. Elle fixe la piscine. Je ne vois pas ses yeux derrière le verre fumé. J’ai réussi une fois, à la choquer. Pour qu’elle arrête ses clopes infâmes. Je l’avais comparée à une belle maison dans laquelle en entrant, on serait accueillis par l’odeur des toilettes publiques.

Au bout d’un mois, sa cicatrice dans le cou a disparu, la mienne est toujours là à 50 ans.

Lymphome. Le système de défense qui se déglingue, à force. La médecin qu’elle admire nous dit qu’une semaine avant, sang nickel, tout le monde envisageait le pont de la pentecôte serein. Un nouveau protocole, et presque plus aucune cellule détectable. Ils étaient fiers d’elle, et sûrs de leur 4e guérison. Et là, tsunami.

Basta, elle a dû choisir d’appuyer sur le détonateur. Masse tumorale dans le ventre. La rate prête à exploser. Une météorite. Elle a lancé l’artillerie lourde.
Et laissé des indices. Elle savait que j’allais fouiller, enquêter, prélever.

Avant, impossible. Comment encourager cette petite, qui la scrute dès son retour. Immobilisée par un plâtre qui l’engloutit. Elle n’a pas les mots, mais son regard brûle la peau, exaspère. Il s’enfonce dans sa mère. L’observe, qui se jette dès 6 h du mat sur les bigoudis, prête à sauter dans sa tenue de parfaite, coordonnée vert pomme à ses chaussures vernies. Ça pète dans les années mini-jupe. Et même si elle préfèrerait plus de sobriété, moins de cuisse, elle se fond dans l’époque. En rajoute même, s’il le faut, pour éblouir l’observateur, mieux se cacher et gagner du terrain. Derrière les spots, son père, adoré, son frère, admiré, tombé de l’échelle, un pays, tous enlevés. Effacer. Enterrer tout ça au fond du silence.

Elle sent la force dans l’expression de la petite fille, dans la violence de ses crises, enragée. A 14 ans elle devient folle parce que tout ce que tu veux, mais une mobylette, jamais ! Elle cherche toujours, jusqu’à ce qu’on lui dise non se justifie-t-elle.

Après la douche froide, parce que je ne me contrôle plus, je hurle parce qu’ils s’apprêtent à sortir et à nous laisser là. Dans la nuit. Banale sortie entre amis, mais la terreur m’envahit. Je dois les en empêcher. Ou alors, qu’ ils m’emmènent. 5 ans, je dormirai toute petite sur ses genoux. Après m’avoir arraché le bras pour me séparer d’elle, jetée dans la baignoire, papa vise la tête avec le pommeau. Le calme. Elle craque un peu. Je pose les questions en hoquetant. Mais tu me promets, tu m’aimes ? Et tu vas revenir ? Mais oui, je t’aime ma chérie plus que tout. Vidée, je questionne jusqu’à l’épuisement. Plus que mes sœurs ? Je vous aime pareil toutes les trois. Claquée, je m’endors.

C’était vrai et je ne l’ai jamais crue. Mais elle aussi m’observait et savait que je finirai par compléter le puzzle. Seule.

Les réponses viendraient d’ailleurs. Dans le clan, on monte des murs, une muraille de Chine, qu’est-ce qu’on protège ? Je deviens l’ennemi. La menace. Encore aujourd’hui. Mes sœurs ont la clé de la maison familiale. Pas moi. Le ver dans le fruit.

J’ouvre le livre qu’elle lisait avant sa sortie de scène. Découvre la dédicace à Sophie (Auster) qui dit à peu près « Regarde tes blessures, d’elles jailliront la lumière », et le marque page au moment où meurt le héros, à 64 ans, d’un cancer. Elle a franchi la ligne. Au-delà. 65 ans. Elle y va. Sa décision. Et me pousse à 5 h, debout ! Ecris ! Prends le relais. Le témoin. Elle a choisi de tout cacher sous le masque, de me faire petit pont balayette à chaque fois que je récupérais le ballon. Elle savait que je ne lâcherais jamais. Elle m’appelait le tyran, ou tendrement, Ben-Hur.

Dans le jeu de pistes, quelques années avant, déjà atteinte, elle commence à poser des cailloux. Lis-le, c’est très beau. Elle qui ne partage rien de profond, surtout pas avec moi. L’invitation formulée, Va Où Ton Cœur Te Porte, en titre-passeport. Sa façon de prendre ma main face à ce roman miroir, la relation désastreuse mère-fille, les questions sans réponses, la dispute, encore une fois avec sa mère, avant de se tuer au volant , « accidentellement ».

Elle comprend, m’autorise à poursuivre ma quête, sacrifie son troisième-âge, très peu pour elle et me remet au monde.

C H A P I T R E S

LAVERIE 24L/24

De bon matin
Prise par un train
Destination
Le pont d’Avignon

Week-end famille
J’ai des fourmis
Qu’est-ce qui m’attend
Des tartes du flan ?

Parfois ça saigne
Echange de beignes
Ou bien tout baigne
Et tout le monde s’M

Intro piano
Grandes tapes dans le dos
Allegretto
Rigoletto

On se pousse à l’eau
Y’a pas de salauds
Un roupillon
Pour bien zébron

Mais tout à coup
Gros coup de grisou
Pour un grain de riz
C’est l’hystérie

La sœur ainée
Vient d’exploser
Peut plus me saquer
Plus m’encadrer

Tout va très vite
De la dynamite
Je me fais virer
Greffon rejeté

Pas de quoi chialer
Un plomb de pèté
C’est sauve qui peut
Ni une ni deux

Sortie de scène
Je retrouve mon zen
Ailleurs on m’aime
A la prochaine

M E N U

Droit sur les rails rouillés
Les portes verrouillées
Tu secoues le voyageur
Le touriste planeur

Bondé à l’heure de pointe
Boudé combien de plaintes
Quand malade et en fièvre
Sourdingue tu fais la grève

Long serpent cavaleur
Avalant à toute heure
Festin d’odeurs de couleurs
Et de mauvaise humeur

De jeunes filles pudiques
Léchées par l’œil lubrique
De parisiens speedés
Bulldozers sur mon pied

Tortillant dans ta course
Et tu couines et tu tousses
Et d’un cri de frein strident
Régurgites tes passants

Qui épuisés titubent
Formatés par le tube
Lobotomisés grave
T’en a fait de vraies épaves

M E N U

Affolée au fond de la moquette
Ni triste ni inquiète
Lourde et molle comme un tas de rillettes
En miettes plus de paillettes

Oubliée par l’humanité
Seule dans ma cachette
Rien à prendre pas plus à donner
Je mate des vieilles K7

Aspirateur à cacahuètes
Pompe à oxygène
L’esprit est flasque et le cœur sec
Sans amour sans haine

Tandis que la rue s’excite
De boutique en boutique
Epargnez moi consommatite
Maladie cynique

Je guette une idée vraie même terne
Que s’éclaire ma lanterne
Mais le temps passe statique et stérile
Mission inutile

Ou est la vie folle qui en moi se bouscule
Me fait pousser des ailes
En gros plan l’héroïne du film
La fin du tunnel

M E N U

Je plie le linge n’importe comment et le case vite fait où il y a des trous. Tant pis si c’est pas l’étagère des serviettes. Une de ces dalles. Mais si je mange en regardant la TV, je vais tout oublier. C’est toujours urgent-urgent. Peur que l’inspiration, la petite flamme s’éteigne, que mon essence s’évapore. Tant pis. Je mange, je fais pipi. Dans l’autre sens. Bien sûr que je me lave les mains. Je suis speed, mais pas dégueu. Je sèche pas super, m’en fous. Chips et foie de morue, en alternant, parce que trop gras et trop salé, je pique à tour de rôle dans l’autre bol bleu dès que je sens l’écœurement poindre. Puis café miel et ordi. Partie comme ça, je le boirai froid.

14 h pile, comme un job de bureau. C’est un peu l’idée. C’est l’heure, tu bosses. Tu te demandes pas. Merde, est-ce que je vais y arriver ?  T’avances. Là, pareil. J’ouvre word, cherche la police, le corps….dire que j’ai été prof de graphisme. Une plombe avant de trouver, dans « accueil ». Super idée, le concepteur. La police : à l’accueil. C’est comme ça qu’on traite le texte. Passons.

Pourquoi tout m’échapperait ? J’ai tant à dire. Même le téléphone sature : le nombre maximal de caractères est atteint. 2000 précise Samsung. Pauvre Steph. C’est elle qui y a eu droit en réponse à son sms de 23 h. A 6 h 07. Parce que depuis quelque temps, elle assure. Elle me tend des perches, des oreilles. Sa main. Contrairement à tout le reste de la famille, plutôt ce qu’il en reste. Un père, 2 sœurs. Et moi. Un père qui me balance ses petits textos de révisionnisme familial dès qu’il y a embrouille. En gros, ça donne :  » tu n’as rien compris, t’interprètes mal, tu prends tout de travers ».
Je raconte à Steph. Depuis qu’elle s’est mise au Pilates, à consulter sa gourou, et a passé le cap de la cinquantaine, la pétasse en elle, que j’y croisais 95% du temps, s’efface, laissant la place à une belle personne, magnifique : je suis là pour toi. Je suis sûre qu’à Noël tout sera oublié. Toutes ces épreuves nous renforcent.  Elle a toujours bossé sur l’enveloppe chatoyante, parfumée et largement instagrammée, du coup, maintenant qu’elle met des perles dedans, c’est la grande classe.

Pas comme lui, qui m’assène tel un ado attardé que ben oui, ils ont été parfaits. Son argument : « ben oui ». Pas besoin de tes conseils. T’as qu’à les donner à ton chien. Hahaha, conclue-t-il. Petit jet de poison. Toxique, c’est pas qu’un mot psy. Ça attaque une zone douloureuse. A force de petits jets acides, tu te dissous, imploses, t’effrites. Des mots comme ingrate. Avec tout ce qu’ils ont fait pour moi. Il m’aurait même appris à marcher et à remarcher. En attendant, il explose le quota de fautes de grammaire. Ce qui donne, en bon professeur de vie : « Je t’ai aussi appris à marcher et remarché. »

C’te blague. Imagine le père qui apprend à sa fille à marcher. Déjà gros prétentieux. Genre sans lui, j’aurais encore le cul par terre. Puis, après l’opération, un autre père, pas aussi dévoué aurait râlé : »Oh ben non, là, je t’ai déjà appris à marcher une fois. Ça suffit maintenant ! »

Pourtant c’est ce qu’il me sort 52 ans plus tard. Saupoudrés, ses mots, d’une once de culpabilisation. Ta maman a autant souffert de te voir handicapée par ta hanche et tes difficultés dans la vie. Non mais je rêve. C’est eux qui ont souffert. Par ma faute. C’est donc ça que je paie depuis 5 décennies ?

J’Irai où tu Iras. Dernière image du film. Leila Bekti et Géraldine Nakache, les 2 sœurs sourient au père. Elles se sont rapprochées. Regardent les yeux pleins de larmes leur père adoré, Timsitt, s’éloigner en blaguant avec l’infirmière, direction Chimio.

Je me demande si quand il partira on se rapprochera aussi. Les 3 si différentes. Côté sœurs, c’est ressemblant. Côté portrait du père, j’aimerais tellement !

Hier je t’ai cité 3 fois Rufus. Père de Canet, dans la peau de l’agriculteur qui alimente la statistique : l’un d’entre eux se suicide chaque jour en France. Pas à cause de sa calvitie ; un coiffeur débutant au cinéma, ça existe ? Comment peut-on affubler un acteur d’une calvitie pareille, avec une frontière chauve-pas chauve comme une ligne au marqueur. Bref. Rufus joue ce père qui dit à son fils que s’il se noie, c’est parce qu’il ne nage pas comme il faut. Et qu’évidemment, il ne va pas lui donner d’argent, le fruit de toute une vie de bon labeur. Le père n’a pas capté que les époques ont changé. Pas capté qu’en 1960 on quittait un boulot et le lendemain, on avait un nouveau poste. Celui qui ne bossait pas c’était l’alcoolo, le cassos, l’idiot du village.

Mon père était aspergé de primes parce qu’il fournissait les agriculteurs en produits phytosanitaires. Ceux que Canet boit pour se suicider. Aujourd’hui en WhatsApp ça donne :

« Quand on fait des choix il faut les assumer après et pas venir se plaindre. Pierre n’a pas voulu travailler pour gagner du fric comme tu dis, il est incapable de mettre sa fille et sa femme à l’abri du besoin, alors il faut assumer et pas dire qu’on ne l’a pas aidé….le baratin ne fait pas vivre. C’est le travail pour créer des richesses pour les autres qui paie. » Il donne des leçons. Gratuites. Et je dois préciser que ni Pierre ni moi n’avons dit ou écrit qu’ « on n’a pas aidé Pierre ». Il sort ça de son chapeau. Il adore en porter. Pratique aussi, pour distribuer ses cours de vie. Quand je demande de l’aide, c’est pour moi, pour ma fille (sa petite-fille au passage). Mais refus catégorique, il ne veut pas que Pierre en profite….par bénéfice collatéral.

Pardon, mais qu’est ce que c’est que ce père que je suis allée me dégoter ? Il connait pas, les Balkany, la mafia, les cartels, ….les produits phytosanitaires, les laboratoires pharmaceutiques, lobbies agroalimentaires and co, le traffic d’armes, la came ?

Pierrot il fait juste la vaisselle. Il nettoie la saleté des mecs qui passent leur vie au restau comme toi. Je l’ai vu revenir avec les mains entaillées, des panaris, des ampoules, la gueule brulée à la vapeur du lave vaisselle…..et toi tu veux me faire pleurer parce que je t’ai vu 30 ans te pavaner en costard cravate after shave attaché case voiture de fonction, raconter comment t’avais rusé le paysan en lui fourguant ta camelote ? Ok, t’étais convaincu. Et maman fière, se vantait de ne pas rincer les pommes qui avaient subi 26 traitements pour avoir toujours une bonne gueule 10 ans plus tard dans ta coupe de fruits. Aujourd’hui, pesticides cancérigènes est quasi un pléonasme. Et maman n’est plus là. Et je ne dis pas ce que je ne dis pas.

Je demande à ma fille. Toujours brièvement. Elle est de passage, entre sa vie amoureuse et son enfance, sa chambre et la cuisine. N’aime pas que je lui tienne la jambe des heures. Et elle à raison. Evidemment. Ma question donc. « C’est quoi un bon père selon toi ? » Dévoué… présent. Deux mots. Elle m’épate. La synthèse, du tac au tac. Et sa petite signature. Rien qu’avec « présent », t’as la moitié des pères recalés.

Disons, alors, que t’as juste la moyenne. Mais pas sur mon échelle. Ni moi sur la tienne. Chacun le cancre de l’autre. Pourrait tellement mieux faire… J’ai testé le bon boulot. C’est la frise, la planque. Tu t’éclates et ton compte est blindé chaque fin de mois, ce qui te permet de te saper encore mieux, d’aller « faire » le Brésil, l’Egypte, la Grèce et de mettre une petite punaise colorée sur la mappemonde du couloir, pendant que les « fainéants » comme tu les appelles, font un break entre 2 boulots pourris, en se nourrissant de musique et d’un peu d’herbe pour voyager low coast.

Alors, même si tu dis depuis 2 ans, quand je suis dans la panade, que tu vas vider tes comptes et tout nous donner….dans 2 ans, tu me fais davantage penser à Rufus qu’à Timsitt.

Papa Timsitt, trop généreux, leur passe sa voiture qu’il chérit comme un bijou hightech, se fait engueuler par Leila parce qu’il finance en douce le projet qu’elle lance. Il nie avec sa voix éraillée.
Ce que j’aimerais, c’est que tu me livres la Ford KA violette de Maman. En l’état. Avec son vernis écaillé. Ding dong, ornée d’un gros nœud comme dans les séries américaines. Maman ne prendra plus le volant. En le reprenant, je l’emmènerai partout avec moi.
J’attends que tu me dises, même si t’as pas le grain de voix de l’acteur, et son regard de gros bisounours en crème d’amour, mais non ma fille, tu vas pas te faire 800 km alors que t’as le permis depuis une semaine ! Et pourtant. Tu me laisses monter dans le train, avec mon copilote chéri. Courageux, parce qu’il se demande si dans mon état de speed rageux, le retour sur l’autoroute ne va pas finir en Françoise d’Orléac, avec son Chihuahua à la place du mort.
Pour ce qui est d’alléger ton magot, à chaque réunion familiale, on a droit au petit couplet du dessert : Oui, je vais donner 30000 euros, oui, à chacune. Un petit digestif ? Dans 2 ans ! Des actions de l’époque. Je suis malin, hein ? J’ai placé les primes. Aujourd’hui, boum ! Depuis hier, c’est dans un mois.

Faut que je me dépêche de vite gagner ma vie ce mois-ci. Parce que j’aimerais que cette carotte que t’agites depuis tout ce temps, tu la manges, cuite, avec ton mépris en garniture !

En bonne drama queen, je me suis vue mourir dès ma première sortie de station service, au son du démarrage, circuit de Formule1 ! Comme si je plongeais d’en haut d’une falaise, en fermant les yeux. Ça a juste klaxonné. Même pas morte. Et me voilà. A écrire tant que je pleurerai sur les génériques de fin.   

M E N U

Courrier des lectrices – ELLE 30-09-1996

Ces quelques mots pour vous féliciter au sujet du dossier Génération Kleenex. Enfin ! Ça fait dix ans que je vis ce mode d’existence (j’ai 29 ans) et autant de temps que je tente de l’expliquer à mes parents qui n’y voient que théories fumeuses et attendent impatiemment que je revienne à la raison (la leur). Merci donc infiniment pour ce dossier qui arrive juste au moment où j’ai renoncé à me justifier. Merci surtout car je sais que, de ma grand-mère à ma nièce (5 ans), ELLE passe entre toutes les mains. Peut-être mes parents comprendront-ils enfin que je ne suis pas une folle lâchée dans le monde, mais juste une fille appartenant à la génération qui succède à la leur et qui fait tout pour son bonheur, pas pour leur malheur. On vit pour nous, on compose avec ce qu’on a, et même plus car on doit faire preuve d’imagination et de créativité pour se réinventer un monde où bien des portes nous sont fermées. Des portes que nous ne voulons pas forcer, ni défoncer (« défonce-toi ! « , « Bouge-toi ! « …) puisque d’autres perspectives s’offrent à nous, tellement passionnantes qu’il serait aberrant de revenir en arrière, juste pour rassurer et satisfaire nos aînés.

Sophie (Paris)

M E N U

Depuis 15 jours, je publie ce que j’écris.

Textes anciens, récents. En me relisant, lorsque je suis allée vider mon garage, (tout un symbole), c’était comme des petites retrouvailles. Avec moi. Malgré que j’ai conscience que ces textes peuvent piquer_je pense notamment à une personne_ j’ai pris ma décision.

J’écris, je publie, et je passe l’info sur les réseaux.

« Chapitre 11 en ligne, bonne lecture. »

Sur Facebook, en commentaire du post :

(Papa)« Je n’arrive pas à te lire ».

En dépit de décennies de relation à distorsions, un moment de grâce a eu lieu.
L’an dernier. Mai 2022. Tu voulais me présenter J. Ta compagne.

De mon côté, toujours prête à effacer l’ardoise, à passer un gros coup de décapant, je viens.

On était en froid, depuis un an.

J’avais analysé, avec le recul et un nouvel épisode WhatsApp houleux à 18 000 km de distance, que cette relation m’empoisonnait et que je devais y mettre un terme. Je t’ignorais tranquillement à mon retour de Tahiti, notamment au repas en période de fêtes que je proposais d’organiser à mon oncle. Où il t’invitait, avec mon accord.

Au printemps, je ne me souviens pas de la date exacte mais les champs de coquelicots sur la route étaient tellement spectaculaires que je m’arrêtais pour la photo, entre Lunel et l’autoroute. Bon présage.

J. n’était pas là, on était juste tous les deux, je venais neuve, pas en mode je viens régler des comptes, ni déterrer, ni enterrer la hache de guerre. Neutre.

En fin d’un repas vraiment sympa, ambiance fraîche, légère….l’addition est arrivée, naturellement. Et au lieu de s’écharper comme il nous arrive de le faire depuis une dizaine d’années, on s’est vraiment parlé. Et tu as pleuré. Et on à pleuré dans les bras l’un de l’autre. On ne se prend jamais dans les bras. Même quand on se fait la bise, on dirait qu’on se cogne. Trop de malaise.

Là, tout est lavé, on ne retient plus, on ne masque plus. Je n’osais plus rien espérer de tel.

Tu me rendais les clés de la maison et l’autorisation d’y revenir. Tu es chez toi. C’est ton piano. Quand tu veux. Ça me fait plaisir.
Enfin, je retrouvais le père que j’avais connu petite, puis toujours imaginé, à l’intérieur de l’autre, plein d’épines et de venin à mon égard.

On faisait un tour dans le jardin et t’étais vraiment mon poto, tu me faisais goûter les graines de caroube, et tu semais même mon caroubier !

Confiante, je repassais quelque temps après. Alors que je chantais tranquille au piano, tu revenais de Collioure avec J., que j’avais rencontré entre temps et que j’aime beaucoup.

Tendu, désagréable. Comme toujours je me demandais ce que j’avais bien pu faire pour que tu sois contrarié. J. dans ses petits souliers me disait quand tu tournais le dos, il est un peu stressé….la route.

Bref. Michel le Dark de retour. Pas sympa. Limite con. Très. Bourru et agressif.

On se met à table, et au dessert, tu me cherches.

C’est quoi alors ton job ! Ricanement. J’y comprends rien ! En mode je grogne un peu, pas super ouvert.

Et au lieu de remettre ça à un jour où tu serais plus réceptif et/ou respectueux (parce que dans la question exclamative, le mépris est déjà opaque), je me lance. Pédagogue. Le MLM. Le trading.

Pschitt. Premier jet de poison.

Ah je vois, comme tous ces glandeurs qui se font du fric sur le dos des autres?

C’est bien engagé.

Je tente une petite rectification, et voyant que ça part en sucette, je me remets en mode post Tahiti. En voix pleine.

Vas-y c’est bon t’es vraiment trop con. Laisse tomber !

Et je me casse dans ma chambre. Hésitant à me tirer dans la foulée.
Pas envie de prendre la route de nuit, énervée, et un platane en point final.

Il n’y a pas eu de montée chromatique. Ça a explosé. Direct dans le rouge.

Depuis, je n’ai droit à “ma maison” que s’il est là.

Du coup j’ai zappé.

Je me dis que cette relation peut bien rester en l’état.

Je vais bien. Lui aussi. Pas besoin de plus.

M E N U

Parfois on s’appelle et ça redevient cool.
Il m’envoie quelques unes de ses plus belles photos. Je lui raconte ma vie en essayant d’éviter les thèmes carbonisés, mon compagnon, mes projets, mes rêves. Aucun n’à grâce à ses yeux. Chacun peut être déclencheur de salves de flèches dont j’ai du mal à me remettre. Du coup, exercice difficile, je cherche des points qui nous relient. La marche. La nature. Bon. Je crois qu’on a fait le tour. Après, il ne faut pas s’éterniser parce que ça ne prévient pas. Combien de fois ça a ripé, sans préambule.
Lui ce qui l’intéresse…c’est surtout qu’on commente ses posts. Là, ça peut durer des heures. Mais quand la réciprocité est nulle, ça ne passe plus. Pour ma part, overdose. Michel sort de l’eau à Collioure, Michel entre dans l’eau à Collioure…Michel fait la bringue au village, boit le champagne en famille.

Cet été en grave galère de fric, je lui demande de m’aider. Je monte quand même mon dossier et montre patte blanche, parce que d’autres fois…_oui l’argent et moi c’est « je t’aime moi non plus ». Je fouillerai le sujet bientôt. Mais je subodore que ce chassé-croisé perpétuel est une ramification du lien que j’essaie de passer ici-même sous le microscope._
…D’autres fois donc, il m’a dit va voir ton banquier. Cette fois encore, alors que ma tante, ma cousine ou ma sœur (avec qui les rapports n’ont pourtant pas toujours été idylliques) me disent : combien veux-tu, et font le virement dans l’heure, lui s’emballe. Non mais attends ! tu peux pas avoir des aides ? Avec tous ceux qui…..aïe je sens venir le couplet….immigrés-allocations.
Pour ces raisons, il arrive vraiment en ultime recours, quand je me suis déjà pris le mur.

Curieuse, j’irai voir côté aides sociales.
J’y récolterai un bon alimentaire et des conseils sur la gestion d’un micro-budget de surendetté.

Bref, mon dossier béton, c’est ma recherche active d’emploi. C’est pas du baratin, je suis comme une dingo en train de retourner tout Chartres pour le job de survie. J’ai quand même droit au questionnaire détaillé, à quelques remarques « obligeantes » du style, oui ben je ne vais pas te salarier pendant des mois…

Un mauvais timing. Une proposition qui saute, et je demande donc à Michel-le-daron-prêteur sur gages (ma précieuse vie déballée qu’à tout moment, il pourrait piétiner), qui accepte…après quelques galères techniques… Besoin d’aller voir sa banque quand le monde entier peut faire un virement dans l’instant en un clic.

Mon infinie gratitude. Parce que ne pas avoir d’argent est une de mes pires angoisses. Comme si cette situation se mettait à crier. Voilà ! Ils avaient raison ! Tu vaux ça. Zéro ! Nulle ! Tu vas mourir !

Ça fait 4 mois et je ne sais pas quand je te rendrai tes 2000 balles. Un jour. Parce que là je rame toujours et je me dis que t’es pas à 2 billets près. Et que c’est le tarif étrennes + anniversaire. Vu qu’on ne se voit plus, je te fais l’économie des chèques pour le package : fille et petite-fille.

La vie est en train de préparer ma remise à flot. Patience.

J’ai toujours voulu être mince. Plutôt, toujours eu peur d’être trop grosse. Toujours été persuadée de l’être. Dans la famille, mince, voire maigre, est synonyme de « personne de valeur ». Aujourd’hui. Détachée de cette grossophobie acquise, je suis en dessous du poids dont j’ai rêvé toute ma vie. Et flemme d’aller acheter les piles pour vérifier sur la balance. Aucune fierté. C’est juste super pratique d’être plus légère. Pour se faufiler au restau, entre la pile de vaisselle, le cuistot et le tiroir ouvert.

Bientôt, ce sera la même pour l’argent. Je me dirai, utile…pour se faufiler entre taxe foncière, urgence plomberie et implants… Je n’irai pas vérifier la médaille dans tes yeux. Celle à laquelle j’ai droit quand Lépine me couronne en 2011 ou à chaque succès social. Avéré. Elle ne vient qu’en cerise sur les lauriers.

Depuis, je t’ai encore appelé au secours pour une petite rallonge quand j’ai eu 2 dégâts des eaux consécutifs. Ça ne t’a pas ému. J’étais littéralement en train de me noyer. Tu n’as pas daigné répondre. Si. Tu m’as balancé en réponse les soucis de santé de ta bien aimée, sans évoquer une virgule de mon message.
Je n’ai pas contesté, comprenant tacitement qu’il s’agissait probablement d’une clause suspensive du contrat d’assistance parentale.

En mode : *en cas de vrais problèmes persos, rien à cirer des tiens.

Depuis, on se parle en politiquement correct et en surface pour ne rien remuer.

M E N U

4 mois plus tard…

Je te demande si l’anniv s’est bien passé. 83 ans.
Et tu me dis. Il ne manquait que ta fille et toi.

La blague. Lila l’a rayé de sa vie. Elle ne pardonne pas. C’était juste après ma dispute à distance avec lui. C’est elle qui a pris les coups.

Le pitch de l’histoire :

Intro. Moi : t’es sûre ? Avignon ? Papi ? Demande toujours mais pas persuadée que ce soit la meilleure option.
1 – Papi récemment séparé : « tu seras la bienvenue pour ton stage ! Avec grand plaisir ! »
2 – Altercation téléphonique avec moi peu de temps après. Sans aucun lien avec le projet grand-père /petite-fille.
Juste une engueulade basique, Père-fille, Avignon-Tahiti. Qui se conclue par : « je te déshérite ! T’existes plus ».
3 – Quelques jours avant le début du stage…
Papi : « Désolé Lila, j’ai opération de cataracte. Je ne pourrai pas m’occuper de toi ». (Lila, 20 ans sait se faire cuire un œuf depuis un bail. Va devoir se trouver un studio, à 15 mn de chez lui.)

Elle a raison. Tout ce qu’il fait avec elle, c’est nase. J’avais mis une croix sur le père idéal, puis le père tout court. Pas le grand-père. Elle s’en est chargée.

Tu as bien essayé un jour, après un ou deux whiskies de me faire enregistrer ta version des faits, à son attention.

Mais tes contes revisités, édulcorés…alcoolisés, ça craint.

La nouvelle génération, c’est “à mort le patriarcat”, “balance ton porc” et la théorie de King Kong ! Les violons, le baratin, le pipeau, ça ne passe plus.

Cette fois, tu insistes. Un an et demi sans se voir…

12/11/2023
P : Quant au fait que je regrettais ton absence c’est juste parce que je t’aime et suis heureux quand tu es avec moi . Bisous

On dirait que t’as oublié. …heureux quand je suis avec toi ? A quel moment ! Novembre 20 ? Juillet 21 ? Juin 22 ?

S : Bon ben merci. Gentil message. Des bisous !!

Je me dis que tu déconnes. Que tu mens. Tu te mens. Que t’as écrit sous la dictée de J. Parce qu’elle te sent torturé. Même si tu clames que tu vas très bien, que tu n’as aucun vieux démon. Lila dit, ben pardi, c’est lui le vieux démon. On pouffe.
Si c’était le cas, on se serait revus. 18 mois.

Alors je te prends au mot. Comme je bosse non-stop dans un hotel que je gérerai toute seule cet hiver, ironie du sort, car contrairement à toi, le boss me donne les clés, de la maison, de la voiture, et m’autorise, me demande même d’être là en son absence, de m’occuper de l’hôtel et me paie pour ça…

S : Coucou. Voici mon idée de ce matin…comme tu m aimes et tu es heureux quand tu es avec moi…. C’est juste une idée Voir si elle te tente ou pas. A Noël je bosse. La seule façon de tous vous voir serait que vous louiez les 5 chambres à mon hôtel…Comme ça, on fête Noël ensemble….
Voilà.

Bien sûr je joue. J’y crois pas une seconde. Même si une cellule, tout au fond, continue à rêver.

10 heures plus tard …
P : C’est joli comme idée mais difficilement réalisable. Je suppose que chacun a un emploi du temps et pour moi il se complique en ce moment avec les rendez vous médicaux. De plus les longues distances prennent beaucoup de temps …..C’était plus facile groupés autour de la maison.

S : Oui oui je comprends. Des bisous

Ce que je comprends, c’est que depuis que tu as ce message. 10 h pour cogiter une réponse genre mot d’excuse pour la maîtresse.

Je pense aux emplois du temps course au cadeau, à la longue distance de 3 heures en TGV pour un mec qui a mis une punaise sur chaque point du globe coché, et à tes nombreux rendez-vous médicaux du 24 décembre en fin d’après midi….

M E N U

P : Je ne peux pas lire tes messages.

J’ai mis le lien sur Facebook. 1.2 K d’abonnés. 1 commentaire de papa.

S : Tout est pour le mieux. Autant rester sur Cervantes.

Fut un temps, il ne jurait que par Don Quichote.

Et si dans ce commentaire, tout était dit ? « Je ne peux pas ». Point.

Je ressens quand même le besoin d’expliquer. Ne pas le laisser en plan.

S : Salut pap. Pas obligé de s’écrire en public.

Cette manie de se mettre en scène….C’est aussi le déclic de mon projet « Laverie ».
Deux jours avant, j’entends quelqu’un sur le plateau de Léa Salamé, s’offusquer de la façon dont Harry Megan & Co lavent leur linge sale en ligne.

Je ne vois pas comment, après les années paparazzi et à l’ère des réseaux, il pourrait en être autrement. Ce n’est pas comme si les appareils photos et caméras n’étaient pas déjà dans les draps de Lady Di, avant même qu’ils ne naissent.

Bon voilà, pour certains c’est une condition. Ils naissent en public. Pour d’autres, un besoin. Exister sous l’œil de Facebook.

En privé :
S : Je te disais que c’est très bien comme ça. Je pense que mes écrits sont destinés aux personnes hors du noyau familial …ou à lire comme une fiction.
Des bisous

Le lendemain au réveil. Manque d’énergie. Sa phrase est là, qui flotte dans mes premières pensées.
Tout à coup, enchaînement de connexions neuronales. Ménage, papa, liens toxiques, public…

S : J’ai un projet d’écriture avec toi si tu acceptes. Une correspondance entre nous 2 où je te réponds. Avec mes tripes et mon ❤ , sans aucune concession.
Rien à voir avec nos échanges réduits au minimum syndical et politiquement corrects… Ce sera public. Et tes réponses seront publiées telles quelles. Des bisous

P : Absolument d’accord.❤️

Etonnée. Et contente. Amusée. Revigorée ! …je ris toute seule en balayant la salle de restau. Ambiance Walt Disney. A-t-il lu, « avec les tripes ? Sans concession ? »

S : OK !!! Ça va faire mal mais l’objectif final ….nettoyage total

Je me dis qu’il n’est pas prêt. Ça va partir en live direct.

S : Prêt ? Je commence ce soir !

P : émoji pouce
S : émoji lol

Le lendemain, il m’envoie une vidéo : » La Clé de votre énergie. Natacha Calestrémé ». Et deux phrases :

P : https://www.youtube.com/watch?v=3Psr1o56jdA 10/12/2023,

P : Je pense que ca peut beaucoup t’aider.
T’aider à comprendre toutes les épreuves de ta vie depuis ta plus tendre enfance qui est je crois la clé de tes angoisses
.

Le lendemain seulement, je réalise.

Que ma proposition de mise en lumière est une aubaine pour lui. Comme quand il me disait : vas-y filme filme ! je vais lui dire à ta fille. Raconter comment les circonstances l’ont empêché d’assurer.

Lorsque je reçois cette vidéo en amorce de conversation, je suis étonnée. Pense à un bug entre deux fils de conversation WhatsApp. Papa ? Carole et Sofia ? Avec les copines, on s’envoie régulièrement des vidéos et petits conseils…

Jamais, il ne m’a envoyé ce type « d’outil ». L’angle est nouveau, intéressant. Un protocole permettant de se libérer de ses bourreaux, une vision entre chamane et énergéticienne.

Etonnée. Je me demande, au fur et à mesure que je visionne, s’il l’a vue ou juste partagée, balancée. Comme une patate chaude. Parce qu’il est sur scène. Histoire de faire un move.

Il commencerait par s’excuser d’avoir vampirisé mon énergie, de continuer de le faire par attaques, à chaque fois que je me rapproche de lui.

C’est le niveau zéro du protocole. Je l’ai appliqué immédiatement. Parce que si je tente depuis des lustres, de lui expliquer le fossé entre ce qu’il fait et ce qu’il pourrait faire, je suis lucide sur ma propre incompétence parentale vis-à-vis de Lila. Sauf que j’y travaille. A chaque boulette.

S : Merci. C’est là où j’en suis exactement en ce moment . Les relations énergivores et toxiques.
J’adhère complètement
.

J’espère que toi aussi tu l’as regardée.

Je lui dis en quoi ce nouveau point de vue colle pile poil.

… la source, c est en effet les épreuves. La clé intéressante : l ‘énergie.

Je ne le reprends pas sur sa phrase disant que « mon vécu » est « la clé » de « mes angoisses ». Juste un grand n’importe quoi….De l’à peu près dans le désordre. Je passe. Retire les gants. Et développe.

« En m’éloignant de la famille, je récupère mon énergie. Parce que c’est très bien expliqué et il faut l’entendre avec du recul… Cette famille a été pour moi …ma croix. Maman comme premier bourreau, puis mes sœurs, et toi. Aujourd’hui, par l’écriture je me libère de cette souffrance. Mon énergie ne fait que croître.

Sans aucun rapport avec la vidéo, il embraye sur « la légende de mon trauma ».

M E N U

Il me faut bien une journée pour prendre du recul. Décrypter la mécanique de « l’échange ».

P : Je pense que tu devrais être plutôt positive …

STOP STOP STOP ALERTE.

Je ne lis pas ce qui suit.

Le mec « pense que je ».

C’est déjà trop pour moi.

Je sens physiquement une barre entre le cœur et l’estomac. Ou l’intestin. Une sensation de vrille. Je réponds avant de lire la suite :

S : Je n’ai plus besoin de savoir ce que tu penses. Rien que la première phrase me met en mauvaise énergie. (Pour reprendre le vocabulaire de la vidéo). Je lirai plus tard.

J’ai appris dernièrement à sortir les filtres, les balais, l’aspi. Tu pulvérises un seul mot toxique, je me protège. Si je sens d’abord que ça modifie mon état. Je ne laisse plus passer. Mode karaté. T’avances, t’es au sol. Bruce Lee. Je nettoie.

Je propose une conversation, lui se pose en « thérapeute », focus sur mes angoisses, se basant sur le conte du père Michel inspiré par ses seuls souvenirs, remaniés à chaque réédition, et sans aucune notion de psychologie qui pour lui est synonyme de foutaises.

Mais quel sujet choisir ? Il ne sait plus grand chose de ma vie, ne comprend pas ce que je fais avec ce mec (depuis 30 ans), …et dernièrement encore, quand je lui glisse fièrement comment, à mon nouveau poste, on me laisse tout gérer, les retours dithyrambiques des clients, il conclue par :

C’est bien, continue à te faire bien voir.

Comme si c’était mon but.
J’ai envie de répondre, et toi, à bien aller te faire voir.

Je lis la suite :

P…Je pense que tu devrais être plutôt positive, et voir ce que la famille t’a apporté en commençant par la guérison de ta luxation de ta jambe qui t’a évité d’être boiteuse toute ta vie. Parce que ce que tu as écrit, c’est comme si moi, alors que j’ai tout fait pour que tu vives le mieux possible, je disais que tu as été le calvaire de ma vie ….ce serait totalement injuste .

Voilà comment le débat s’est déplacé…n’importe où. Non content de choisir le thème, il le jette en l’air. Total hors sujet. Natacha Calestrémé explique comment cette énergie volée par l’entourage de l’enfant démuni laisse un trou. Trou que les personnes toxiques repèrent naturellement, s’y engouffrant, le squattant au lieu d’entrer en eux, s’occuper de régler leurs propres problèmes.
Il se lance …

P : Je vais juste te rappeler le début de nos souffrances dues à ta luxation. Ta mère a découvert (sa sœur, mais ne chipotons pas) …on nous a envoyé chez le professeur Marion, le spécialiste des luxations . Et là nos souffrances ont commencé. Nous avons dû te laisser en clinique …… que la hanche revienne au même niveau que l’autre et à sa place en haut du fémur ….ça c’est pour ta douleur. La notre c’est qu’il ne fallait pas que tu nous voies quand chaque jour on venait t’apporter des jouets et des vêtements propres et nous devions te regarder à travers une vitre sans tain qui t’empêchait de nous voir .

Big trauma. Atroce. Sérieux, tu devais te cacher pour me regarder ? Alors que moi je me faisais juste disloquer ? Seule ?

Jusque là, ce que le psy avait interprété, et que cet épisode de ma vie avait éclairé, c’était l’abandon. La sensation de cet enfant, d’être abandonné par ses parents, au corps médical.

Dans la mouture de tes 80 ans, tu passais seul à l’hôpital, harassé après tes longues journées de travail, pour venir récupérer mon linge sale. Maman était enceinte, crevée, pas la force de venir voir sa fille dans le bocal.

P : Puis après ces 15 jours, retour à la maison et voilà que le fémur est ressorti …où tu a été opérée puis plâtrée et… même protocole. Tu n’avais pas le droit de nous voir … Puis douleur suivante on te ramène à la maison et comme tu avais besoin de beaucoup de place avec tes jambes écartées plâtrées nous te mettons dans la chambre où était Virgine avant (Le bébé né, entre temps) et pas dans ton ancien lit gigogne…où nous avons mis Virginie et certainement tu as cru que nous t’isolions de la famille à l’autre bout de l’appartement alors que la chambre de tes sœurs était tout contre la notre. Tu comprends peut-être maintenant que je te trouve injuste quand tu dis que nous avons été tes bourreaux alors que nous avons tellement souffert avec toi.

« Certainement tu as cru »…Transformer un fait en un truc qui se serait passé juste dans ma tête. Mon cerveau chelou. On t’a installée dans une chambre à l’autre bout de l’appart, et t’as cru qu’on t’isolait, t’installant dans une chambre à l’autre bout de l’appart. Non mais vraiment, Sophie….Cette façon de tout interpréter !

Cette légende ressort un jour, où, au bout du rouleau à 22 ans, je convoque mes deux parents dans le salon pour les questionner clairement, comme me l’a suggéré le psy.

Il me fallait cette dernière cartouche pour ne pas sauter sur les rails.

Pour la première fois, papa évoque la vitre sans tain…qui au cours de notre « échange » aujourd’hui, devient « sa douleur ». Ma douleur d’abandon, devient sa douleur, leur souffrance. Cadrage déplacé, au fil des années. Gros plan sur Michel.

Il concentre l’attention sur la mécanique…
Mais le mal-être croissant, jusqu’à 22 ans était situé plus haut. Le cœur, l’ image, l’estime. Un flou, vide sidéral, l’impression de n’être jamais celle qu’il fallait, sur aucun plan…selon leurs critères.
Pas pendant qu’on me manipulait à l’hosto, en position petit cochon pendu. Bien après. Et pendant des années.

On me traite bien, matériellement. Nourriture, vêtements, vacances à la mer et au ski. Soins médicaux. Tennis. Le conservatoire. Enseignement musical et orthodontie. Et pourtant, je vais mal.

Pourquoi, alors qu’aujourd’hui, je propose un échange vrai, on se branche direct sur la source de mon mal-être passé… Dérapage incontrôlé d’entrée de jeu.

Glissade. 4 fers en l’air, retour à la case départ. Comme si depuis, je n’avais pas appris à marcher.
Cicatrisée. Réparée, la bécane, la confiance, l’estime. Retrouvés l’équilibre, la force, l’énergie. Des balafres, indélébiles, mais plus aucune plaie. Dans son regard, sa mytho, je suis encore à terre, à boire ma gadoue.

Tête baissée, et ne comprenant pas encore que je me suis laissée entraîner sur son terrain, je poursuis.

S : Toute ta vie tu as voulu me dire comment je dois penser ou être ou faire. Moi ce que je pense c’est que tu dois t’occuper de toi pour ne plus être « bourreau » au sens où la vidéo te l’explique.

J’ai souffert pendant 25 ans. Mon calvaire a commencé après les soucis mécaniques.

Que tu trouves ça injuste ce n’est pas mon problème. Aujourd’hui je ne m’ occupe que de voir ce que je vis et de l’exprimer. Pas de dire des mensonges gentils, pas de porter les problèmes des autres. Et si tu n’es pas prêt, on continue à échanger des banalités.

M E N U

P : Je te souhaite une bonne vie.

S : Merci Également.

Voilà, le projet littéraire a tenu 5 heures. A abouti à un « Adieu » dans la vraie vie.

Une heure plus tôt…

P : Moi je vis très bien et toi fais ce que tu veux je ne te demande rien je ne pense pas t’avoir commandée. Avec raison tu as fait ce que bon te semblait.

S : Relis-toi. Tu penses que je devrais plutôt être comme ci comme ça….

P : Je suis désolé de ne pas savoir faire et manquer de tact. Je te demande juste d’entendre ce que nous avons vécu.

Toujours se cacher derrière la forme. Mais non, il n’a pas voulu dire ça. C’est maladroit. Le tact. Tu prélèves une trace de poison, et là, toute la famille le couvre.

P : Je te demandais juste d’être positive.

Après un break, je reprends sur son topo, spot braqué sur les parents en galère.

S : Ce n’est pas le rôle des enfants de supporter la douleur et la misère de leurs parents. Aujourd’hui c’est à toi d’entendre la mienne. Si tu le veux.
Tu n’as rien à me demander. Si je n’étais pas positive, le mal-être parmi vous m’aurait tuée.

P : Je croyais que ça te ferait du bien. Pardonne-moi si je me suis trompé.

Miskina…

S : Qu’est ce que que tu pensais qui me ferait du bien ? Aujourd’hui ce qui me fait du bien c’est d’exprimer ce que j’ai vécu. Pas que d’autres essaient de me dire ce que j’ai vécu ni comment être.

P : Je t’ai juste rappelé ce qui t’ai arrivé et comment on a réagi ……en faisant des erreurs certainement.

S : Mais tu es largement pardonné ! Grâce à….. « Pardonnez leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Je sais ce qu’il m’est arrivé. Je l’ai vécu. Les circonstances techniques ont très peu de poids dans ce que j’ai ressenti et subi.

P : Je t’ai juste raconté les faits tels que je les ai vus.

S : Et moi tels que je les ai perçus.

P : Sous les faits techniques il y a eu les obligations qui nous étaient faites.

No comment. Il parle encore de la baie vitrée, de l’autorité médicale, quand moi j’essaie de déplacer l’objectif sur la vingtaine d’années qui a suivi.

S : Peu importe.

P : Je veux que tu les connaisses quand même car ça a du poids dans nos tètes.

S : Je ne reste pas bloquée sur une hospitalisation. (Ni les prétendus ordres des médecins de rester derrière une vitre…pour que l’enfant de 1 an ne pleure pas lors des départs). J ai vécu 1000 humiliations rejets abandons et trahisons derrière. Qui m’ont peu à peu presque anéantie. Je pèse chaque mot.
De mon point de vue, c’est une façon de se cacher derrière des excuses bidons. Une fois sortie de l’hôpital et pendant 55 ans, il n y’a plus personne pour t’empêcher d’aimer correctement ton enfant.

P : Ce que tu as vu comme trahisons n’en étaient peut être pas.
Ok je ne t’ai jamais aimé.
Qu’est-ce que je suis con.

S : Si tu vis une trahison, le « traître » te dira toujours que tu te trompes. C’est ce jeu que tu joues… Essayer de convaincre l’autre qu’il se trompe au lieu de te remettre en question.

P : Je ne vois pas pourquoi je te parle.

S : Je savais que tu n’es pas prêt pour de tels échanges. Oublie.

P : Oublie-moi toi aussi je vis mieux sans tes problèmes.

Et voilà ! Gros bloubiboulga ! On touille. Et quand je dis « oublions l’échange », il en conclue, « oublie-moi ». Si je l’oublie, il vivra sans « mes problèmes ». Voilà. Logique pour quelqu’un qui a toujours considéré ses problèmes comme causés pas autrui. Lui va bien. Plouf ! Un bain dans la baie de Collioure. Un whisky. Et roule !

S : Je comprends. Salut.

P :Tu n’as jamais rien compris.
Tout le monde t’en veut.
Salut démerde-toi avec ta mauvaise foi.

P : Ce message a été supprimé.

P : A voir dans quelles difficultés tu vis on se demande ce qu’il faudrait faire pour t’aider.
S : Je traverse des périodes difficiles comme tout le monde. Mais les pires difficultés sont affectives et spirituelles. Tu parles sûrement de difficultés financières. Et là encore, même si ça m’affecte beaucoup car mon image et ma confiance en moi sont encore fragiles eu égard à mon passé, m’aider financièrement, c’est simple. Quand je n’ai plus d’argent….être là. Pour moi c est passager, technique et également naturel vu le peu de crédit que je me suis moi-même accordé, vu mon conditionnement et la façon dont j’ai grandi. Pour le reste, donc, réparer cela, je suis la mieux placée pour m’aider. L’argent reviendra, ça ne m’inquiète pas. Pour ce qui est du mal-être passé je n’ai plus besoin d’aide. Fut un temps ça aurait été utile de m’écouter, de ne pas essayer de réviser ce que je ressens, de m’aimer comme je suis, de m’encourager.

Là par exemple, si j avais eu besoin de toi, comme dans l’enfance et encore longtemps après, en tant que blessure ambulante, notre échange de ce matin aurait ajouté à mon mal-être. Simplement en n’accordant aucune valeur à ce que je ressens, à ma vision. Tout est balayé par  » mauvaise foi » . Puis le rejet. Aujourd’hui, enfin réparée, je peux affirmer qui je suis, ce que jéprouve et écrire ma vision de ma propre vie. « Tu n’as jamais rien compris » . Tout est résumé.
Bonne journée

P : Tu m’as tellement exaspéré à dénigrer tout ce que je dis que je me suis laissé aller à dire moi aussi des vacheries sous le coup de la colère …j’étais même allé plus loin dans les vacheries mais tu as vu que j’ai effacé avant que tu lises ma colère. Quant au besoin d’aide. Je ne parlais pas de fric puisque je pense que tu as passé l’âge d’en demander à tes parents. Je suis content d’apprendre que tu n’as plus besoin d’aide et ça me réjouit de savoir que tu t’en sors toute seule avec la famille que tu as créée.

Voilà. Entrée en scène des coups bas. Vite un petit jet avant de prendre la poudre d’escampette. « Fric », « ma » famille…(quand j’étais à Tahiti, c’était « ta petite famille merdique« ).

S : « Je pense que tu as passé l’âge de… » Mépris. Je demande du soutien aux personnes proches qui comprennent et souhaitent m’aider. Je m’en sors avec les personnes avec qui j’entretiens des relations saines. Gilles, Lila, mais aussi Marie, Marzab, Marraine pour ceux que tu connais. « Tu t’en sors » (….)…je passerai ma vie à avancer. Je m’en suis déjà sortie. Je m’en sors depuis mes 25 ans. Là je pense être bien à l’abri car même tes interventions abaissantes et condescendantes ne m’atteignent plus.

P : Je te souhaite une bonne vie.

S : Merci. Également.

M E N U

_ Mais comment tu sais tout ça !
_ Tiktok…

Je déjeune chez Luna qui me dit que le jour de son opération, qu’elle repousse depuis 7 ans, quatre dents de sagesse à extraire, toutes les planètes du système solaire sont alignées.  Un signe. Ça devrait bien se passer. Le phénomène ne se reproduira pas avant 2136… Ou dans 136 ans. Bref. Pas demain la veille.

Alors je me lance. Retour sur TikTok où je m’étais déjà inscrite 3 ans auparavant. Puis lassée, ne sachant que chercher, que trouver sur ce réseau. 

La veille de mon come back, chez le coiffeur, je feuillette un Marie Claire, parcours les accroches d’un article « ma fille s’est suicidée….elle allait très bien….emprisonnée dans les algorithmes….le passage à l’acte est banalisé… ». Les mères traumatisées diabolisent-elles l’application ?

Armée, pour ne pas être aspirée à mon tour dans un vortex, je me lance avec la ferme intention de zapper tout ce qui provoque l’étonnement malsain, ce soldat camouflé jusqu’au bout du nez pour annoncer en quelques minutes, de but en blanc, la guerre imminente. Vite, je scrolle, pas ça ! Au secours ! J’ai eu le temps d’entendre qu’on pouvait acheter autant de conserves que nécessaire. Même DLC dépassée, tant que la boîte n’a pas gonflé….L’image reste gravée. Combien de fois les paroles, le ton robotique du militaire TikTok ont-ils parcouru le circuit de mon système nerveux. Non, dégage. Pas dans mes pensées. J’imagine des murs tapissés de conserves, chez les gens en panique. L’appart rempli de boites de lentilles. Le spectateur vulnérable vérifiant si l’une d’elle est cabossée. Combien de protéines par jour ? Selon la “naturopathe” trois posts plus loin, dix grammes par kilo. 150 g suffiraient, selon cet autre article, recherche sur Ecosia, mon moteur de recherche qui plante des arbres pendant que je psychote.

Je like tout ce que j ai envie de recevoir….tous ces conseils, remèdes naturels….jusqu’à m’apercevoir que n’importe quel quidam peut te tuer simplement par une mauvaise compréhension des dosages d’huile de ricin à ingérer pour une purge. Hors de leur champ de connaissances, la belle époque où l’ingrédient était utilisé comme instrument de torture lors d’interrogatoires sous les régimes autoritaristes !

Le pire comme le meilleur. Je retrouve une amie de l’époque, rencontrée lors de nos premiers pas de MLM en ligne. Branchée constellations familiales, on échange vite fait sur le sujet et on reprend naturellement le fil de cette amitié interrompue sur un probable malentendu ou conflit irrésoluble à distance. En scrollant, je m’arrête sur une jolie main, peau mate, qui indique, sur un bloc-notes manuscrit, les 9 dimensions Akashiques….
Elle décrypte sa liste : en première strate, le fond du panier de l’humanité, la plus basse vibration, les trous noirs, les pilleurs…juste au dessus, les narcissiques… Je m’imprégne de cette synthèse qui me renvoie à mes longues et éprouvantes études anthropologiques suivies en autodidacte : pourquoi me harcèle-t-elle ? Qui est bourreau ? Victime ? Trop perméable ? Quelles failles attirent les prédateurs ? Pourquoi moi ? Quoi ma gueule ? Laborieuses expériences, quantité d’ observations qui entrent en résonance avec cette vidéo.

Ma dénomination pour cette couche de personnages empruntait, dans mes classifications, le lexique des vampires ou piochait dans le règne animal…au choix : cafards, sangsues…. l’idée revenant à s’en éloigner, digne, en girafe pacifique, à rompre les relations energivores, chronophages et délétères.

La voix de l’élégante main de cette créatrice de contenus explique qu’en chemin, ces personnages du sous-sol nous éprouvent et nous permettent, si on traverse les ponts quantiques, de nous hisser vers les dimensions supérieures. Attention cependant… L’école de la vie ne délivre pas de permis éternel. Ces entités réapparaissent. Surgissant tels des diablotins où et quand on s’y attend le moins. Nouveaux examens, en contrôle continu. Et comment !
L’algorithme doit commencer à chercher tout ce qu’il peut me balancer sur le diplôme en élévation spirituelle, révisions, épreuves. Techniques de « profiler » pour détecter les nuisibles, sous leur masque séduisant, usurpateurs d’identité. Je valide, like, lis quelques commentaires. Celui d’un petit malin qui se dit arrivé au sommet. Dixième dimension, précise-t-il. Sa méthode, je ne me prends plus la tête…J’ai déjà entendu ce refrain. Moi je vais très bien. C’est toi qui a un problème ! Je m’abstiens d’intervenir. Ne comptez pas sur moi pour troller la partie.

Concernant la mise en garde de la guide Akashique, je confirme. « L’adversaire » m’est souvent apparu, incarné en figure au delà de tout soupçon. En Parent, par exemple : lui sait, connait, t’aime, ne veut que ton bien. Ressentant exactement le contraire, je mettais des décennies pour imposer ma distance de sécurité. Mutation, au cours de ta vie, l’ennemi surgit parfois en panoplie d’employeur ou encore, démultiplié, pléthore de petits chefs, ou à l’autre bout de la planète, toujours sous l’apparence d’être respectable et innofensif. Comme Rosita, en string tatoué, paréo et balconnets, la logeuse à Tahiti ; entente parfaite, contrat de sous-location propret et officieux signé au bord de la piscine. La dame, d’abord amicale, se métamorphose imperceptiblement lorsque je m’ en protège discrètement, percevant dans ses attitudes, des signaux d’intrusion de plus en plus inquiétants. Sans prévenir, le rictus se durcit, elle enclenche la vitesse supérieure en mode harcèlement automatique, puis bascule finalement en perte de contrôle total : Glenn Close dans Liaison Fatale.

Sournoisement cette année, le personnage qu’on m’envoie pour m’éprouver, fait son apparition sur une branche saine, fleurie. Empruntant le chemin de ma fille, plus précisément celui de sa belle-mère.

Dès notre rencontre, lors de l’emménagement de nos petits, j’ai aimé son rire, ses yeux vifs, sa beauté piquante, la joie qui sautillait tout autour d’elle, dans ses boucles auburn, au fil de ses récits d’aventurière d’une vie rock’n roll d’attachée de presse dans le showbiz. Une bombe créative, fine et profonde, dont je découvre, charmée, l’univers artistique. Le top de la frangine. Après tout ces déserts, ces guéguerres, je savoure cette sororité cadeau.

Quand je lui fais part de mes activités en immo, de mes recherches par recommandation, elle évoque un plan probable. Pour la rentrée.

En septembre, l’affaire se dévoile naturellement. Le topo : ami plein aux as, un peu spécial, cherche appart. Le hic, il a déjà fait appel à un pro. Déçue, j’ai loupé le coche. Passe mon tour. Pas question de me battre avec un confrère  pour arracher un billet, même conséquent.

Après quelques semaines, l’acquisition immobilière, à un cheveu de se conclure, capote dans cette première mouture. On se refait un dej’ de sœurs, cette fois, je suis dans la boucle avec elle. Budget doublé. Puis non…l’ex épouse s’en mêle. Chipote avec ma com’ pourtant au ras des pâquerettes. Finalement oui. Non. Oui ! On a le feu vert de principe, en binôme, ravies de faire équipe.
Sans attendre la signature du contrat exclusif nous engageant mutuellement, « l’ami un peu spécial » et moi, je me lance dans les recherches . Au taquet après toutes ces phases d’arrêt, faux départs. Les rendez-vous sont pris, semaine suivante bookée, lundi, jeudi, vendredi ! Notre duo tient la route. Ouverte, réactive et dispo, Nina sera présente à chaque visite. On se réjouit d’avance.

Couperet ! Samedi matin. Il stoppe tout. Son argent bloqué aux States. Ça sonne comme un gros mytho. On digère, tente de lire entre les lignes. Délicate, mon apporteuse d’affaires me laisse jeter un oeil sur quelques dossiers du client, pour le moins scabreux. A notre ère post #MeToo, si on appartenait à la nouvelle génération, on le cancel direct. Dans la pile, une nuée de femmes, d’affaire, de coeur ou d’arrangements, remariage, mariages blancs, d’épouses et enfants du bout du monde, d’une cour en passe d’être mise à l’abri, une michto dealeuse racketteuse…ça fait beaucoup…. _ Donc drogue, aussi ? _ Dure. Longue pratique. Affirmatif. Alcool et médocs of course. _Mais encore…Psychiatrie ? _ No comment…

On l’enterre. Pas plus mal. On se téléphone, vérifie qu’on est bien retombées droites dans nos bottes… Perdu deux trois plumes, rien de méchant. Un mal pour un bien ? Voilà !
Peu de temps après, il relance la machine. L’argent est revenu  ! Comme l’eau chez Kirikou ! Danse de la pluie. On range les doss.

En enfilant des gants cette fois. J’accepte sous conditions. Ne pas rejouer la déception, la scène de la série de coups de fils, annulant les visites une par une, désolée, contre-temps, le silence dubitatif au bout de la ligne. Gênant. Désormais, ce sera avec mandat signé et une avance en poche !

Tout est validé…il n’a plus qu’à signer… Quand Stop ! Cataracte carabinée. Opération imminente. Commanditaire dans le noir. Impossible d’apposer sa griffe sur un papier. On diffère. Depuis l’Asie, il continue à se répandre dans l’oreille et le cerveau de ma coéquipière, à quatre heure du mat, pleine matinée chez lui. On commence à se demander si ses projets ne sont pas un prétexte pour attirer l’attention, de nouvelles bonnes âmes à parasiter.
Nouveau rebondissement. Chirurgie annulée. Scandale à la clinique, choqué de trouver des chirurgiens locaux dans un hôpital Américain et de ne pas y être traité en reine d’Angleterre. AInsi, mission relancée en insistant lourdement sur sa difficulté, pour raison médicale évidente, de finaliser le mandat, qui pourtant, constitue une des 2 conditions à remplir pour la remise en route.

Je tiens à me border, réponds en évoquant l’aspect pro de ce document, qui à défaut me prive de toute légitimité pour aller déranger des négociateurs,  ayant en portefeuille, des biens depassant le million d’euros.

Alors que j’attends l’appel de mon amie, il est pendu à son portable avec elle. Monsieur commence à se braquer, me descendre, me présenter comme un nouveau pion vénal sur son échiquier brinquebalant, la meuf, prompte à encaisser un acompte, remarque-t-il et surpris que je l’oblige à officialiser. Lui ? Pourtant si fiable… Il enrage de ne pas me voir, au dixième claquement de doigts, me jeter dans le vide à poil et sans filet pour ses yeux dégénérés.

L’atmosphère virant au nauséabond, je mets le holà ! approuvée par ma compagne d’aventure. Contente d’avoir été payée cette fois. De ne pas avoir remis en service ma marionnette agent immo sans contrepartie.

C’est à ce moment qu’il enlève brutalement son masque de riche gentleman, laissant apparaître son visage de pilleur akashique de la première dimension. Crachant dans mon dos, espérant détruire notre lien d’amitié avec ma super sister.

Courageuse, elle se dresse entre nous, m’envoie les captures d’écran. Ne supportant pas mon silence, il sort son monstre et me charge. Envoie dans le vide des mails, bave dégoulinant sur chaque ligne, invoquant les Dieux de ma profession pour qu’ils me condamnent à jamais et mettant son RIB en pièce jointe, s’attendant probablement à ce que je fasse un virement instantané, m’excusant platement d’avoir refusé d’être la poupée-chiffon-paillasson, à la merci de ses caprices de vieux garçonnet gâté, égaré, désespéré.

Trop tard l’ami, tu arrives trop tard….il y en a eu des ponts, des allers-retours. Depuis la dimension quantique dans laquelle je voyage aujourd’hui, je te vois t’agiter, pantin épileptique, te disloquer dans ton caveau sans tain dans lequel je ne balancerai plus une miette. Je finis simplement mon devoir, juste quelques mots pour valider ma certification.

M E N U

MA CATHEDRALE

Imagine. Madonna qui t’annonce, oui, en ce moment, je fais des ménages dans un 4 étoiles.

Tu dirais. Ah bon ? Pour un rôle ? Ou juste nnhon. Puis silence. Mâchoire décrochée.

Dans ta tête, en chuchotant, en rallongeant toutes les voyelles : Merde. Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? La loose.

Ben figure-toi que l’an dernier, j’étais « la » Madonna de Lorenzo. On était potes, collègues, on travaillait sur les réseaux. Parés de nos profils Facebook, on formait un duo de choc. Des barres quotidiennes en échangeant des vocaux sur WhatsApp, qu’on écoutait en accéléré. Lui, petite trentaine, super BG charme ravageur et ultra canon dans la vraie vie aussi, « trop » amoureux de son chéri. Pro du feed, il m’avait repérée, moi, la quinqua éclatée, dingo de montages vidéo fun et kitch, à peu près glam et assez cash.

Aujourd’hui, inactive sur la toile, j’en suis là. La Madonna de Lolo a lâché Insta et découvert la finance. Elle boursicote, a jeté son dévolu sur l’or, XAU/USD pour les intimes. Un monstre merveilleux. Ma liberté et aussi, piège temporaire . Dont j’essaie de sortir victorieuse.

Pendant que mes trades tournent avec 25 K bloqués, je prépare 10 chambres d’hôtel pour les aoutiens qui viennent visiter la cathédrale de Chartres.
Comme la diva en moi ne peut pas se réduire à « femme de ménage » , j’écris au saut du lit. Déjà sous ma couette, les mots coulent. Nouvelle page. Je les pose. Douche mentale, puis je passe à l’étape body. Le savonner, coiffer, maquiller, t-shirt noir pour la tenue, avec touche cool affichant « girls supporting girls ». En chemin, je chantonne l’alléluia de Léonard Cohen/Jeff Buckley, version personnelle dédiée à mes amis alicantins.

Je l’ai dit en entretien, pour un poste de vendeuse prêt-à-porter : voyez ? J’espère ne pas vous paraître trop prétentieuse, mais je suis ce tailleur de pierres. Il casse des cailloux… certes, mais toujours, en ligne de mire, sa vision. Chaque pas me rapproche de ma *cathédrale. Du coup, je prends, cailloux, fringues, plateaux de petits déj’ ou un chiffon. Tout me va.

Je suis sûre d’être au bon endroit, au bon moment. Même si à première vue … je sais : pas évident. Partant du principe que la vie est parfaite. Chacun à sa place. Les papillons en l’air. Et les fourmis par terre. Moi chambre 218, mal calculé mon coup, la douche du plafond se déclenche. Me voilà trempée. Et ça ne m’étonne presque pas. Je ris. _La Chèvre avec Pierre Richard. Je suis la fille qui s’assomme contre la porte en verre à l’aéroport, dès le début du film. Ou à la fin ? Et il reconnaît son alter ego._ Prête. J’accomplis mon destin.

Comme toute certitude, celle qui consiste à croire que faire le ménage est simple, se prend d’entrée les pieds dans le fil de l’aspirateur. Oublie. Faire le ménage, ce n’est pas juste physique.
Mille infos ; du bordage de drap aux couleurs des produits. Un pli, facile crois-tu ! Mais essaie de plier comme une enveloppe, une texture drap propre souple et rêche, tout en soulevant un matelas qui pèse un âne mort. En position lanceuse de poids pour protéger ton dos. Et en vitesse. Une chambre c’est un quart d’heure te dit ta formatrice à piles.

Rien qu’au moment de choisir les draps, plats, housse de couette, taie carrée, rectangulaire, tu peux passer de longues minutes à bugger face à ton charriot. Deux mètres de haut, il contient tout ton linge propre, et blanc. Tout est blanc. Blanc sur blanc. Format invisible de chez invisible. Comme sa porte grillagée que tu dois rabattre, qu’un client mal réveillé ne se la prenne pas direct au détour d’un couloir.

Dire qu’il y a 15 jours, avec ma voisine Marie-Jo, on se faisait un couette dating. Partager un café, et l’aider à enfiler sa housse. Je lui ressortais ma vieille technique apprise grâce à Dechavanne dans Coucou c’est nous il y a 35 ans ! Et même à deux, on a galéré !

Là, Gwen me dit, facile, tu vois, étiquette en haut. Ah ok, bon, là elle est en bas.
_Oui, on s’en fout, c’est pareil.

Court-circuit de neurones. Je dis ok, même si je n’ai rien compris.

Tout est comme ça. Du logique bof logique pour moi. Mais ça viendra se rassure-t-on.

Produit bleu dans le trou. On ne dit pas cuvette. Pas le temps. Le vert, c’est pour le trou ET la faïence. Enfin, elle ne dit pas faïence non plus, juste là et là. Et pas là. Surtout pas là ! Tout ça en quelques secondes. Sur le plastique de la lunette, ça tâche. Donc, le bleu oui, mais celui des vitres cette fois, pareil pour la chasse.

Si on n’a pas atteint un niveau de technicité Nasa ! Ou labo CNRS à minima. Manquerait plus qu’elle me donne les dosages. Ouf, ça reste simple. Tu pschittes. Pschitt vert. Pschitt bleu…voire rose. Ou transparent pour la bouilloire.

Loin du foutage de gueule finalement, cette nomenclature ! Profession scientifique : « technicienne de surface »….

Alors je cherche les astuces. Couleur de produit assorti à la lingette. Pour la housse, faudra tester. Nouvelle idée, parce que là, je n’en mets pas une dans le filet. Temps écoulé. Largement. Quatre fois quand je referme enfin la porte de la chambre.

Elle me prévient pour demain. Aujourd’hui c’est formation. On s’arrête là. Mais demain, poursuit-elle, tu finiras tes chambres.

Comme pour tout le reste, je dis oui-oui. Et comme pour tout le reste, je n’ai pas vraiment saisi.

Le lendemain, au lieu d’y passer le mi-temps prévu sur le contrat, je finis huit heures plus tard. A jeun. Mon podomètre affiche 7 km et 10 000 pas.

*sur mon compte en banque : ma 1ere paie. 40 euros pour 4 heures. Réglées par « CHARTRES CATHEDRALE »…ça ne s’invente pas.( petit nom de cette succursale Mercure)

Par curiosité, je googlise « Mercure » : extracteur d’or.
Plutôt bon signe. Le puzzle de ma vie avance. 

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Au départ de ce premier voyage professionnel au pays du graphisme, je pense retrouver la magie rencontrée dans l’acrylique d’où émergent des beaux visages de femmes. Mais surtout, éviter la voie de la clochardisation. Car peindre, c’est bien beau. Mais il serait temps de te trouver un vrai métier. Phrase épouvantail de fin de conversation à chaque appel téléphonique. Un peu comme les parents de séries américaines concluent par I love u, comme on pourrait aussi dire, pense à acheter du PQ/mettre ton écharpe.

Enchantée que mon chemin me conduise vers cette beauté. Un signe, le nom de l’agence : Picture Perfect. Explicite, mais également dans ce qu’il porte comme promesse de carotte. Quel anglophone dirait Picture Perfect. Dans cet ordre ?

Créée par un beau gosse du Sentier, très amateur de top models et de coupés décapotables, incapable d’orthographier 3 mots sans faire 6 fautes, gentil mais se laissant volontairement diriger par 2 de ses 4 employés, ses 2 bras droits. Ce qui explique peut-être les difficultés d’écriture.

L’un d’eux, vieux routier de la mode, italien et folle, A-u(ou)-ro, se présente-t-il en te tendant la main à baiser, passe sa vie à aller draguer les agences pour ramasser des contrats et livrer la marchandise à bord de son vieux scoot. Il traite 98% des splendides filles qui constituent notre fond de commerce, toutes approchant le fameux 90-60-90, de grosses vaches. Début de phrase type, l’autre grosse vache, la Claudia. La belle époque des Evangelista, Christensen et autres Campbell. A part ses deux ou trois chouchoutes, toutes les autres, nulles. Zéro. Des mochetés. Moue de dédain.

Accueillie de mauvaise grâce par le second bras droit, qui, aux essais, m’a préféré une autre candidate au poste à pourvoir, je suis dans mes petits souliers au démarrage. Ma froide marraine, bras droit numéro 2, cliché de femme de mode rigide, ersatz d’Ana Wintour, m’apprend l’art du composite : intégrer de sublimes photos dans une composition visant à mettre en valeur le mannequin. Sorte de carte d’identité pour agence de modèles exposant un portrait, 3 ou 4 visuels en pied, et les fameuses mensurations.

J’arrive tant bien que mal à faire ma place, à gagner quelques galons, grâce aux échos positifs de clients très satisfaits qui parviennent jusqu’au bureau du boss.

Au fur et à mesure que je progresse, le peu de sympathie que j’ai commencé à épargner de la part du double noyau caractériel, avec des efforts démesurés, se mue en guillotine. Malgré moi,  en plein mois d’aout, je commets LA faute. Passible du pire.

Madame sa Majesté de Picture Perfect est en congés. Certainement en train de se nourrir de clopes au rouge à lèvres à l’ombre d’un parasol, en insultant son mari, d’une parce que gros (elle s’en plaint régulièrement à Auro) et parce qu’il n’a pas vu le soleil descendre à temps, menaçant de la cribler de tâches de rousseur. Elle racontera tout à son acolyte dès son retour, qui ponctuera de Ma Chérie, comme s’il écoutait.
Pendant ce temps, donc…Un grand photographe américain qui réactualise son composite, de passage à Paris, me demande de m’en charger. Je tente de le faire patienter jusqu’au retour de la doyenne, qui, je subodore, n’appréciera que moyennement que je traite la commande de ce prestigieux client.
J’avoue aussi au client la peur de me planter, et celui-ci, très chaleureux, m’encourage et finit par exiger que je m’en charge, avec l’aval du boss, dont les 2 bras droits sont à la plage, l’un enduit de Monoï, l’autre plâtré à l’écran total.

Je baigne dans les auras de Sharon Stone, Carole Bouquet, la douceur des Sépia, le temps d’exécuter le job.

Et devinez. Le client est ravi, et se permet même en récupérant la commande, de demander au boss, de travailler avec moi pour ses prochains travaux.

Voilà, comment dans le mois qui suit, je retrouve des dossiers urgents, mystérieusement déplacés dans des lieux improbables. Je dois fouiller de fond en comble l’agence, sans aucune aide, pour trouver une ramette de papier dont on vient « fortuitement » de prendre l’initiative de modifier l’emplacement en « oubliant » de m’en avertir. On omet de me transmettre des messages persos et professionnels. J’entends par hasard, à l’accueil, que je suis responsable de la coquille sur les mensurations de Carla…..dont je n’ai jamais touché le composite, jalousement stocké sur le bureau de mon bourreau. Enfin, c’est ce qu’il me semble comprendre, car la folle ritale, parle de l’autrrre connasse là bas. Et je doute qu’il s’agisse de sa Chérrrie.
Voilà, j’apprends plus tard que cela porte un nom. Harcèlement moral.

Je tente, à la sortie de travailler dans un gros label. En test, faire une pochette pour boy’s band. Rassurée par cette armée de décideurs. Ils n’oseront pas se mettre en horde à mes trousses pour overcompétence.
Ils sont chauds. Mais au 7e entretien, finissent par m’annoncer qu’ils ne créent pas le poste. Revers de la médaille. Trop de décideurs tuent l’action.

Je fonce dans l’Interim. Convertis mes mois d’expérience en âge de chat sur le cv, pour avoir le droit de travailler.

Transition douce, on bosse sur un catalogue de beauté au naturel. Bon, c’est basique, rien d’hypercréatif, même si on a droit à des échantillons de crèmes et autres nouveautés.

Hélas, je me frotte à nouveau à un petit chef. Décidément.

J’en fais un poème… Et achève naturellement ma mission, juste avant que ça n’explose.

Au bout de quelques mois, je me retrouve à faire du Ikéa en néerlandais au kilomètre. J’ai comme l’impression de m’être égarée. Le pays du graphisme s’est mué en placard, puis en cul de sac.
Seul objectif à atteindre. Avoir terminé hier. Ils se marrent. C’est pour quand ? Pour avant-hier. 10 ans plus tard on dirait LOL.

Je craque malgré moi. Projet « La Grande Récré ». Ok, la couleur pète, je me motive comme je peux. Tout est prêt. Je demande, pendant ma pause, à faire un test de retouche dans la salle d’à côté parce que je ne me vois pas faire du catalogue les 30 prochaines années.

On me donne quelques instructions et pendant 30 mn, j’affine un grain de peau, intensifie le vert de l’iris. J’ai retrouvé mon élément. Et un peu d’espoir. Verdict. Ok, pas mal, mais ça fait 10 ans qu’elle bosse bien. Si un jour elle part, on te fait signe. Promis. J’ai adoré, mais je n’ai plus eu la moindre nouvelle. En revanche, quand je reviens à mon poste après cette bouffée d’espoir et d’oxygène, je perçois une fébrilité.

Le responsable s’acharne sur les commandes du clavier de mon mac, l’air soucieux.

Comme demandé, j’ai déplacé le fichier sur CD, gravé un 2e CD pour nous.

Aucun des 2 ne s’ouvre, et, la boulette, j’avoue, je n’ai pas conservé de copie de la copie.
Fin de mission dans une ambiance d’enterrement. L’interim, c’est mort.

Auto-virée cette fois. Je me suis Hara-kirisée.

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Ras le bol des ptits chefs et chefesses
Marre de leur autorité de mes fesses
De leur façon de gueuler Bonjour !
Genre ça va chier dans la basse-cour

Privilèges ça mousse ça brille
Faux-culs faut justifier la grille
Te faire croire que t’es pas nickel
Sans eux juste bonne pour la poubelle

Mais laisse les se baratiner
Déjà petits pour avancer
Aux coups bas se sont entrainés
Jouer réglo c’est quoi ce mot ?

Soumis petits soldats du système
A tous les ordres réponse Amen
Sans rébellion dans leur tripe molle
Juste la pression qui les affole

Mais oyez oyez aujourd’hui
« Bizut -»« esclav- »age, abolis
Bé non il est pas encore né
Le p’tit chef qui me fera plier

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Ah mais t’aurais dû me prévenir hier. Là c’est trop tard !

Rouge comme une tomate mûre. Limite pourrie.

Avec un air de reproche. Genre ça y est t’as merdé. A cause de toi, c’est la fin du monde.

Te prévenir ? Mais de quoi ? Du décompte des taies d’oreiller qui vont manquer dans 3 jours ? Ouhou ! Le niveau d’anticipation !
Récapitulons, j’aurais dû, c’était donc mon «devoir», prévenir 5 jours avant, alors que je bosse ici depuis 3 semaines, et que j’arrive tout juste à distinguer les tailles de serviettes, prévenir qu’on manquerait probablement de taies d’oreiller, parce que j’aurais dû savoir, moi qui n’ai jamais exercé dans ce domaine, deviner que les clients, cette semaine, allaient tous piocher dans le placard, les oreillers supplémentaires et en consommer double ration !?
Nostradama, c’est moi !

Je crois toujours ce qu’on me dit. Alors j’essaie de comprendre. La logique. Parce qu’il y en a forcément une. Non ?
Je tourne le truc dans tous les sens. Vois pas.

Pas la première à me chercher des poux. Je cherche. Ma faute, ma très grande faute. Ok, je suis cette crotte à qui tu parles en te pinçant le nez. Avant toi, dans ma propre famille, puis 2 tarés, en sixième. L’un des deux m’envoyant en cachette des mots d’amours et, une fois avec avec son pote, me poursuivant dans la cour : on va te violer ! Si j’avais réfléchi….un sgueg de 2 cm et pas de couilles.

Sauf que je suis terrorisée. Coupable. Honteuse. Nulle à ce point ? Mais à force de me pincer le nez moi-même en me regardant derrière ma main, comme si j’étais un film d’horreur, et ce durant plusieurs décennies, en ressassant le dialogue, parfaitement intégré, m’est revenu le fameux : « C’est celui qui dit qui y est ».

Toi-même, incompétente ! Toi-même, film d’horreur ! Voilà pourquoi l’odeur te suit partout ! 

Et toutes ces tranches de vie à grumeaux que j’aurais pu vivre différemment. Parce que je me lave moi. Je me scrute, en mode toc, je me remets en question. Une couche, deux couches de déo.

Je recommence, je retravaille. Me chronomètre en faisant le lit au carré. Je prends tout au sérieux. Ménage de compétition. J’ai même étudié sur Youtube comment enfiler cette housse de couette récalcitrante. La technique du burrito ! A l’époque, j’apprends tous les chapitres du pavé Photoshop quand je commence à l’enseigner. Huit cent pages.

Te prévenir, toi, dans le métier depuis un quart de siècle, qui compte jusqu’à 12 pour remplir correctement un verre de vin, « ah ben…comme on m’a appris à l’école ! « , qui met la moitié du temps que je mets à nettoyer une chambre, mais en la nettoyant seulement à moitié. Je sais, maintenant. Je suis allée vérifier hier. En douce. Peur de me faire piéger, mais basta ! Je monte ton dossier. Illustré. Photo des serviettes balancées sur le sèche-serviettes étiquette bien en vue. Exactement comme il ne faut pas. Le plaid déco de lit posé comme par un chiot pressé, avec quelques bosses, quelques plis, rien à voir avec la belle écharpe de Miss chambre bleue que je dépose en fin de préparation de cette jolie suite avec terrasse, comme sa cerise ciel en pilou-pilou enrubannant la jolie suite repimpée.

Tu m’as vue venir. « T’es trop rigolote ! et cette énergie ! »…constates-tu avachie pendant que je passe le balais, après 4 heures de ménage et 1 heure de plonge. Puis tu parles de moi à ton collègue de mari, comme si « elle » était derrière ton écran de téléphone, un personnage, ou un objet d’un des jeux que tu scrutes bouche ouverte, et caches quand je surgis en bas de l’escalier. Tu n’en reviens pas,  quand tu lui fais remonter, redescendre les escaliers à la mascotte. Fais voir ? Avec un sac de linge propre ? Fais voir avec 2 ? 2 de sale, mais seulement après avoir tout vidé, et trié, seulement les taies et les petites serviettes. Je suis ton nouveau jouet. Tu ne vois pas que ta poupée serre les dents et qu’un de ces quatres elle va te dévisser la tête.

Si t’es pas une putain de grosse sadique ! Je te le dis en rigolant. En enlevant «putain» et «grosse ». Mais mon rire jaunit au fil des jours et se transforme, une semaine plus tard et après quelques jeux de bizutage imposés : 

– Non ! Mais non ! Tu m’aides que dalle !

Je me tais à temps pour ne pas lâcher un gros fuck-va te faire foutre !, en traduction simultanée.

Et comme je l’ai lu sur internet, merci google coach de vie, «soyez froide et distante», je passe de la « poilante, regarde comme tu peux lui faire faire n’importe quoi », à « fais gaffe, j’ai croisé son regard toutal et ça m’a crevé l’œil gauche ». Genre vraiment bipolaire la fille !

Tellement payant ! Résultat instantané. Le lendemain, je passe la meilleure journée de taf de mon mois. De ma vie de salariée. Parce que les psychopathes de boulot, j’en ai déjà une petite collection.

Depuis celle, clope au bec « rouge baiser » qui ne voulait pas de moi pour le poste de graphiste. Jusqu’au boss d’une entreprise de levage, monde des grues et poids lourds, Monsieur Sakovich, bonne tête de Monsieur Propre sur un corps d’anxieux. Je débarquais chez les grutiers avec mon gilet à plumes pailletées, salut Sako ! Je vais prendre le profil atypique avait-il annoncé à l’agence d’Interim.
Il teste ses coups, de plus en plus tordus quand la pression augmente sur les chantiers, jusqu’au jour où je réponds à un des grutiers en colère : ben demande lui à l’autre gros con, (Sako à 1 m de moi), c’est ses ordres mon ami !
Dénouement logique, dès le lendemain matin. Arrivée en avance, il me tourne autour avec des questions bizarres, des kilomètres de factures de gasoil qu’il faudrait revérifier sans faute à la première heure. Non, pas le temps de prendre un café. Vas-y. Liasse balancée. Ouaf ! Ouaf ! Ni lui, ni moi ne le savions, mais c’était là sa dernière occasion de m’aboyer dessus. Le temps d’enfiler mon manteau, de lui signer l’autographe sur ma feuille d’ heures, je démarre en Twingo Flamme à la « Charlie’s Angels ».

L’envie leur prend de tester la candidate singulière. Comme une petite lubie. Et heureuse d’être élue, je déchire tout. Dans l’immobilier, je fais l’unanimité côté client. Résultats imbattables. Revers de la médaille, les 10 collègues dans le panier de crustacés, à mes trousses. Aujourd’hui, l’hôtellerie, certains clients s’enflamment sur booking. Un matin, l’appréciation « + » se limite à un « Sophie » suivi d’un point d’exclamation.

Alors, face de pastèque, ça la chatouille. Elle aussi voudrait des compliments. Du coup elle se met à faire des courbettes, quand je me contente de laisser passer le courant. Elle envahit, moi je déguste. Petites capsules de condensé de regards, sourires, paroles, que je savoure encore, bien après leur passage. M’en fous de pas être la parfaite serveuse de petit dej qui tient les comptes des draps de bain. Mon moteur, c’est le scénario de ma vie que j’apprends à déchiffrer. Que je découvre chaque jour, époustouflée par les guest stars qui défilent, et mon rôle en or. On passe des minutes magiques et ils laissent un petit quelque chose ! Quelques mots, un hug, et ou un billet.

Ça fait des vagues. Au retour de la collègue doyenne graphiste, au siècle dernier, je l’entend criser de jalousie. Elle ne m’a pas vue. Protégée par l’écran géant du mac : Et maintenant il veut que ce soit cette connasse pour tous ses prochains projets !

Vingt cinq ans plus tard, la tomate aux yeux acier vocifère dans sa cuisine. C’est ça ! Ton père…Oui, une parenthèse s’impose. Ce patron, qui m’a engagée est son beau-père détesté. Avant chacune de ses visites, elle s’envoie dans les circuits une overdose de CBD pour ne pas péter une durite… Ton PERE lui laisse l’hotel pour elle toute seule ? Mais elle aura pas un chat. Elle va le faire couler ! Bien fait. Tant mieux. Rien à foutre moi. Je serai pas là. (J’espère tellement). (C’est pas gagné…jour off ou pas, toujours une bonne raison de te montrer : un colis, un truc à récupérer, à déposer. Même quand tu donnes ta dém’, acceptée, tu te ravises aussitôt, telle une crêpe qui saute et s’aplatit sur le carrelage, « oui je serai gentille, oui, avec Sophie aussi »). Et au secours, tu réapparais dès le lendemain. Sourire crispé en plastique et voix qui déraille. Parce qu’elle ne ment pas, sur un simple « bonjour », qui lui aussi fait une Shy’m.

Mon statut a changé direct. Dans ses deux cases restantes, épargnées par les cannabinoïdes, je suis passée de «ah regarde, on dirait une petite taupe», à, «ok, je vais me la faire. Qu’elle en bave, finisse en tas de ruine en bas des 3 étages, étouffée par le fil d’aspirateur, enterrée sous 3 sacs de linge sale».

Les petits jeux initiatiques sont devenus des pièges fourbes dissimulés. Un sac de linge propre à récupérer sur un tas d’oranges, dont une pourrie. Poubelle non vidée, drap disparu. 3 étages à monter, quand je m’en aperçois, en faisant le lit. Photo. Photo. Photo. Je range ça dans « coups de pute », un dossier créé dans ma galerie en son honneur.

Le problème avec les super héros, c’est que plus tu les cherches, plus leurs ailes de Maléfique poussent gigantesques. Plus tu essaies de l’humilier, plus Beckham te met dans les dents le triple trophée jamais emporté, des salves de buts les plus miraculeux jamais marqués sur aucun des terrains du monde.

Là je me sens pousser des Hulks à l’intérieur. Careful, it’s heavy, or j’ai l’impression, alors qu’il y a un mois j’avais de la compote dans les bras, de porter une valise vide, que je regrette presque de ne pas avoir à monter au dernier étage pour ces nouveaux venus.

Je sais que je devrais me réjouir. Dans mes bras ! parasite, voire la nuée, la horde de cafards baveux. Attirés. Eux seuls voient. Moi la miro, je ne les vois pas scintiller tous ces petits saphirs qui les aimantent. Qu’ils veulent extraire en me pressant, me broyant en purée de pois chiche. 

Même si c’est énorme. Huge. Pour qui saurait lire ce monde parallèle, je suis embauchée au pied de la cathédrale, dans un lieu qui étymologiquement signifie, le Paradis.

Pas besoin d’être Nostradamus. La suite de l’histoire sera sûrement magnifique. Si on n’appelle pas les pompiers pour venir dérouler le tuyau de l’aspirator constrictor.

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Et là tu poses ton téléphone !

Ah impossible. Je dois le garder sur moi, mon mari est malade.

J’aurais pas dû mentir. Juste lui dire non. Ou rien. Efface karma ! Je voulais que mon non soit imparable. Question de vie ou de mort. Secret médical. Juste pour qu’il me lâche.

Ben tu le poses devant alors.

Il insiste. S’il n’arrive pas à t’envoyer au tapis, essaie au moins de te mettre à quatre pattes.
Je pivote sur la chaise, lui tourne le dos et garde l’objet du délit sur moi.

Manip terminée, je me retourne. M’explique pour stopper ses élans, récidives de plus en plus fréquentes :

J’ai pas besoin qu’on me donne des ordres. Juste besoin qu’on m’explique comment fonctionne le logiciel et comment accomplir nos 5 tâches quotidiennes. Pour le reste, ça va aller.

Il bafouille, voix limite sortie de piste : mais c’est pour toi, c’était pas un ordre. Et c’est pour pas que tu te fasses engueuler par la direction. Moi après…

– Si quelqu’un de la direction a quelque chose à me dire, il viendra me le dire. Aucun lien de subordination avec toi, rien qui ne te permette de m’apprendre la vie. Je sors de 9 mois avec avis dithyrambiques de la clientèle sur google, hotel de standing supérieur, alors tes remarques concernant la relation client...

…en tout cas, tant que tu les accueilleras en faisant la gueule et en sentant à plein nez la sueur de la veille…
Non, ces deux derniers points, je les garde. Ils finiront par chuter du bout de ma langue sur le bureau du directeur, quand il me convoquera deux jours plus tard.

A mon démarrage, Chris se porte volontaire pour le rôle du maîtres des lieux, expliquant à la réceptionniste débutante, les différences entre les trois catégories des 66 chambres. Se mettant ça et là en valeur dans la 324, oui, parce que moi, avec mon mètre quatre-vingt, pas géniale la hauteur de plafond, blablabla.

Le tout au pas de course, cliquetis de clés et de pass, « la lingerie, les lits twins, seulement la 202, 206, 409, 217, 342, 681. Compris ? Pas de clim de la 301 à la 317, et la 427 et 436 non plus. Tout bon ? Enregistré ? Des questions ? »

Son style, c’est top chrono. Pour vite aller poser un cul à l’accueil et faire semblant de batailler avec le site de réservations. En marmonnant.

T’es occupé ?

Ben je me bats avec Booking là….mais ça va ! Genre, je peux gérer de front tes questions de CP et le monstre….J’imagine le combat. Un changement de date ? Confirmation au client allemand peut-être, ce qui va l’obliger à ouvrir DeepL, le meilleur traducteur au monde, écrit Google et me répète-t-il comme un robot encodé, sans les fonctions joie, intérêt, partage, goût de transmettre. Juste le programme basique monocorde lisse et gris, rien à signaler à part la goutte qui suinte à intervalles réguliers, trahissant l’option « se fait dessus dès qu’un truc dépasse ». « Pas bon là » : « T’as inversé : pas OK MAIL, MAIL OK dans tes commentaires« . « Là, t’as pas validé…Ou trop tard. C’est pas bon ». « Ça va pas, rajoute-t-il ». Tout son langage est raccord. Noir sur noir. Une version en négatif, s’articulant autour du mot « pas » et quelques expressions et pensées fétiches : « Pas bien », « pas ça », « pas lui répondre », « pas l’aider », « pas sourire », « pas reconnaitre que je suis une pauvre tâche », « pas de breakfast pour lui ».
Ben non, voyons ! Un motard, bosniaque, qui paie cash, maigrichon avec un sourire adorable bien qu’édenté. Forcément un sale type, un pauvre qui ne lâchera pas un euro de plus que le rack (prix de la chambre sans extras). Ben voilà. Tu peux corriger ta petite fiche de réceptionniste profiler à certitudes, empaillé par 7 ans d’exercice. Non seulement notre passionné des 24h du Mans viendra breakfaster, mais dès le soir, il lâchera un billet pour le dîner au restaurant.

Au retour à l’accueil, je m’étonne que l’affichage sur l’écran ne propose plus le planning. Je l’interroge.

Si, il y est. Pour toute réponse.

Il replonge le nez sur son dossier, fin de l’explication.

Je sais que j’ai souvent la berlue. Impossible de voir le rouleau de scotch sous mon nez ou autre.

Alors je mets mon cerveau en mode, concentre-toi. Il ne veut pas t’aider, tu vas trouver.

Sauf que blague. Sur le menu que je scrute, configuré par ses soins, Monsieur a enlevé l’icône du planning, puisqu’il suffit d’appuyer sur la touche F4 pour aller le chercher.

Voilà, il a 4 commandes dans sa boite à outils, ignore que j’enseignais la suite Adobe et Macromédia, cinq logiciels qu’on manipulait, avec mes 700 élèves, par la batterie de raccourcis clavier atteignant facilement la centaine pour les plus courants. Pomme maj T, Pomme U, Pomme alt Maj Z….

Heureuse de ne m’être engagée que pour deux mois, quand je constate les effets produits sur ce cerveau à peine démoulé. Emoussés le sens critique, la sensibilité, le discernement…Un septennat à dire bonjour aux mêmes clients, à leur serrer la main fièrement, entre bonshommes, entre couilles. La même avec cette belle femme, cheveux à la désireless à peine adoucie et joli visage, franc-parler comme si elle devait aussi afficher en passeport une paire de testicules parce qu’elle évolue avec une floppée de commerciaux, techniciens, habitués de cette zone….Artisanale, complète le boss me voyant hésiter. Il est plutôt cool, lui. Discret malgré son T-shirt corail qui lui moule la brioche. J’aurais dit Industrielle, tellement le secteur est jonché de hangars cubiques et métalliques, abritant les enseignes qu’on retrouve dans toute la France à un quart d’heure de chaque ville, petite, moyenne ou grande de notre beau pays. Des grappes de verrues excentrées, ayant fait leur apparition entre deux poteaux télégraphiques et des champs à perte de vue, lacérés par des pans d’autoroute.

Oui, F4. Lâche-t-il entre ses mâchoires à peine desserrées. Il adore, parler sans articuler et avec débit de mitraillette. Surtout quand il demande : do you want the invoice ? The lift here, on the left first floor. Des français parlant comme le cliché, ont du le complimenter sur son niveau d’Anglais.

Des années qu’il répète trois phrases. Même les natifs de Grande Bretagne sont parfois obligés de demander de répéter, et se prennent en réponse, une deuxième rafale au sujet des horaires, dîner, petit-déjeuner et check-out. Jargon hôtellerie, paramètres, option vitesse x 2.

Pardon ?

– Pour le planning, c’est F4 !

Le planning s’affiche. J’ai envie de prendre le disque dur et de le lui balancer sur sa face blafarde de vieil ado trentenaire, fier d’avoir trouvé une planque dans cet hotel trois étoiles, insiste-t-il comme si il les portait en médaille et que l’établissement les lui devait, une cachette où ramasser son smic amélioré en fin de mois en se confortant dans sa suffisance et sa prétention, en formant à tour de bras des novices qu’il peut à loisir, rabaisser et malmener, le temps que ça dure.

Entre l’ordre de poser mon téléphone et ce petit piège mesquin qui m’a fait perdre des précieuses minutes et connexions neuronales, se déclenche une quinte de toux dont je me demande si je vais sortir un jour, la plus puissante en 3 semaines d’allergie. Avec l’avantage qu’il ne peut plus en placer une, pensant sûrement, affaire classée, j’appelle le SAMU, elle n’aura pas fait long feu celle-là.

Même si ce rhume des « foins » s’explique par la saison, les moissons etc. Une idée, comme une intuition me traverse. Et si les crises s’aggravaient, symptômes décuplés en présence de « fions ». Petit jeu de langage de l’univers. Un « i » qui joue à saute-moutons. La clé dans l’inversion des lettres. Désignant le facteur aggravant ou cause profonde.

Le lendemain, je m’arme d’antihistaminiques naturels pour affronter la journée, m’immuniser en toute circonstance, toute présence de spécimens de son espèce. Réponse réflexe : une attitude de crétin ? Je gobe illico une gélule d’orties. Ça a l’air de fonctionner.

Mon coéquipier, au téléphone, doit de nouveau répéter. Parce qu’à force de prononcer le nom de l’hôtel, mixé avec son prénom et un bonjour mécanique, il en a fait une contraction qui ressemble à un éternuement. Puis débite au client au comptoir les formules : Soirée étape ? Petit déjeuner ? Pas de verbe ni de complément ni de sourire, on clique, dégaine la carte magnétique, répète le parcours, ascenseur à droite, premier étage.
– T’es sûr ? Pour l’ascenseur ? Avec la coupure de courant ?

Le vieux maître d’école avec son odeur et son ton aigres reprend l’interro surprise.

A ton avis !

Je me dis qu’il y a peut-être un générateur au cas où mais ne réponds rien. Je ne vais pas me la jouer spécialiste Otis, pour décrocher un bon point ou une gueule fermée sur laquelle se lira : « t’es con ou quoi ? »

Il rappelle son client sur le champ. Et comme si c’était évident et que le client était un peu limité et qu’il le sauvait d’une fâcheuses situation. Prenez plutôt l’escalier Monsieur. En attendant que la coupure soit terminée.

Comme s’il avait le choix.

Par acquis de conscience, j’y vais cinq minutes plus tard constater que l’ascenseur est bien HS.

Le mec… Incapable de reconnaitre le moindre tort, tant il est occupé à son jeu de te faire trébucher à chaque pas, t’ayant montré les manips une fois et se délectant de te voir ramer entre les différents fichiers pour les reproduire. Quand t’auras bien cherché, tu n’oublieras plus, ajoute-t-il pour justifier son sadisme et sa méthode « à l’ancienne » de formation.

Alors je décide. Je l’emmerde. Et à chacune de ses nouvelles intervention sensées me faire trembler, j’ironise.
Dix minutes de patience et j’entends :

Oh là-là ! Là, ça va pas. Y’ a un problème.

Silence pendant lequel je suis sensée sursauter. M’affoler. Implorer le pardon en lui tendant le fouet.
Détachée, sourcil au plafond, je le fixe. Il me regarde rarement en face. Je dis donc à son profil voûté après quelques secondes de silence : un gros problème j’espère…un drame au moins?

Il suffisait en effet de cocher une case.

Le personnage est cerné. Faire des caisses sur la moindre bourde de non- initiée, pour la résoudre en un clic en se faisant passer pour un crack.

Voyant que j’ai enfilé mon gros imperméable mental pour me protéger de sa médiocrité d’employé frustré, constatant que je me passe de ses vices, il baisse de 5 tons et me dit, n’hésite pas si tu as besoin. Oui, tu peux aller en pause. Alors qu’on est sensés y aller en même temps et comme si j’avais besoin de son autorisation. Monsieur jeûne. Le lendemain, même cirque, et intervention de la cuisto-pâtissière, personnage rustre, double-format, regardant dans le vide pour lâcher une phrase, ponctuée par des cet enculé, ou qu’il aille se niquer sa race, me parlant de son ancien patron. Elle alterne, sans se préoccuper de répétitions. Ça peut sans problème donner : cet enculé, qu’il aille se niquer sa race, m’a virée et grillée dans toute la ville, alors, qu’il aille se faire enculer cet enculé. Enfoiré ! Qui explique pourquoi elle travaille à 20 mn en vélo de chez elle. Le bout du monde pour une native de Fadaville. Ton monocorde, joli oeil vert surmontant ce jeune corps déjà affaissé, et petit doigt d’honneur pour manifester sa colère.
Cette même personne toute en délicatesse, pleine d’empathie, semblerait-il pour mon nouveau formateur en réception d’hotel 3 étoiles, me sort à la moitié de ma pause, à peine avalée la dernière lentille froide, ben tu peux aller le remplacer. Il va encore pas manger le pauvre Chris. Hier. Il a pas mangé.

Sidérée. Je me contente de respirer, m’attrapant le menton en m’accoudant à la table. Elle attend ma réaction un temps et replonge sur son portable. Il serait donc allé pleurnicher en cuisine et me brandir en empêcheuse de jouir de ses droits et besoins élémentaires.

Le soir, je tchecke l’équipe au coup de poing, geste que j’ai adopté dès que j’ai senti les bises bizarres. Entre les deux tours des élections légistlatives où la vague de fachos menace, ils se tapent des barres quand ils se passent le relais entre deux services, ah ben moi, pas doute, j’aurais été collabo, avec une sorte fierté, et la certitude, cette fois, de passer au deuxième tour. La bise se fait comme si on était des aimants négatifs. Les joues ne se touchent pas, ou se cognent. Alors, 2e jour, c’est tcheck au coup de poing. Celui civilisé, que je ne leur balancerai pas dans les dents. Ils tournent le dos. Le veilleur de nuit et mon maître es réception. Alors, je pivote. 23h pile, mains rangées, au fond des poches, et lâche un Salut à leurs épaules qui font semblant d’être face aux écrans de lancement de la fusée Ariane, alors que tout l’hotel dort, tout le monde est arrivé, la caisse est nickel et la boite mail vide de toute réservation à traiter.

Quarante minutes de marche, SAS de décompression.

Le lendemain matin. Petit sms au boss. … »J’ai accepté le changement de planning demandé par Chris, avec d’autant plus de plaisir que mon équipe avec Paloma fonctionne très bien. Si on pouvait désormais nous associer plus souvent »… Aucun mot sur le binôme bancal.

Dès mon arrivée, convocation dans le bureau de la direction sur un ton sec.

Ça commence par une tentative de me faire porter le chapeau. Peu habituée au travail en équipe, c’est ça ? Je coupe net. Balance tout. L’image le son et l’odeur. Concluant par : « si vous voulez que je remballe, il reste deux jours en période d’essai, je ne vous en voudrai pas, mais pour moi, impossible d’accepter de travailler en cumulant le fait d’être sous-payée et de subir le harcèlement d’un collègue ».

Je remercie pour l’écoute, me lève et retourne derrière le comptoir. Apparemment sereine, mais tremblant légèrement, émue d’avoir expulsé l’alien en ce temps record.

Au tour de Paloma.

Une heure à papoter dans le salon, convoquée par le directeur.

Le soir, elle me raconte. J’apprends, quand ils sont tous partis, que le boss est confus. Il lui confie que Chris a été à un poil de se faire virer il y a 1 an, qu’ils ne sont pas allés au bout de la démarche. Il regrette maintenant. Depuis, 5 personnes ont donné leur dem’, la veille du jour où le planning les prévoyait en collaboration petit C.

Ça nous rapproche, Paloma c’est ma best. Echange de tel. Même si j’ai deux fois et des poussières son âge.

Ça tombe bien, on se voit déjà en équipe de choc les semaines à venir.

J’imagine le tête-à-tête directeur-sous-directrice : On fait quoi ? Paloma et la nouvelle ? Trop de vagues. On va plutôt les séparer. Fais sauter leurs deux jours ensemble, je vais la prendre avec moi.

Je les remercie quand même. Dans deux jours, terminés les petits jeux avec le sadique en papier mâchouillé et sa bande.

Et avec ma best, on s’envoie des sms. Encore plus fun. La résistance à l’oeuvre. Et les fachos n’ont plus qu’à se chercher des poux entre eux. La cible idéale, dernière arrivée leur fait faux bond. C’était pourtant pratique, se souviennent-ils nostalgiques, la bouche pleine, l’oeil sur leur téléphone, entre deux bouchées de carbonara du chef. Toujours les derniers arrivants, qui débarquent, rien à faire qu’ils aient survécu aux traversées en mer, tu parles, aux déserts, c’est pour venir nous voler nos femmes, nos allocs, nos jobs et nos logements. Puisque Jordan le dit… Y verront bien dans deux ans. Qui c’est qui commande ici….

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Convoquée à 14 h. Tenue de rendez-vous pro ? Pas le temps. Pas la peine. J’irai direct en sortant du travail actuel où je mets un point d’honneur à cultiver la joie, la fantaisie, la liberté. Chignon à baguettes et mèches folles, longue robe tablier et pull bisounours. Rose. Comme une bouée. Dans le foyer d’enfants où je joue aux Dames de maison, de 6 à 13 heures, je coulerais si j’enfilais la blouse et le regard triste de leur gentille Chouchou, que je remplace, pour arrêt maladie à prolongations.

Depuis le niveau où j’évolue, au rez-de-chaussée du système économique français, l’employeur se défend, ah non, nous on refuse de vous payer au smic ! 9,23 euros nets, vous rigolez ? Grands princes, 11 euros de l’heure, sachant que le menu du sushi voisin est à 20 euros. Voilà. Deux heures de taf pour nourrir le précaire bon-survivant. Qui entretient ainsi méticuleusement ses dettes et échelonne ses factures pour continuer à faire comme si, à ce tarif, il pouvait flotter et se permettre d’arroser ses patates à l’huile d’olive bio.

Au Foyer D’urgence, je leur presse du jus d’orange frais, regarde tous leurs trésors quand ils m’invitent dans une chambre entre deux coups de balais pour admirer les posters de chevaux et autres collections de Naruto. Jouant mon rôle, façon « Cercle des Poètes Disparus », je poursuis mes luttes en ces temps de missions enchainées. Rester vibrante et fleurie, même avec une paire de gants en latex pour remettre à neuf des poubelles qui n’ont pas vu le jet d’eau depuis des mois. Acceptant l’aide des volontaires, on partage la fantaisie, les espoirs, les rêves. Un peu comme si on simulait une scène « corvées de ménage » tout en s’offrant une séance poétique de coaching reboosting en sous-terrain, mode résistant. Ne pas s’attacher ? Trop tard. Impossible de ne pas agripper les petites mains qu’ils te tendent, de refuser la richesse de ces précieux moments.

Trac du premier « date » pour un nouveau job, je traverse un parc, trait d’union entre l’enfance cabossée et le tourisme vernis, après une journée bien remplie amorcée aux aurores, et me présente au pied de la Cathédrale. En attendant que la porte moyenâgeuse s’ouvre, je me check-liste, coche l’accroche, « venez comme vous êtes ». Complétant fataliste « vous ne serez plus le même en sortant ». Inch’allah, en positif ! J’espère secrètement trouver l’ascenseur social derrière cette porte.

Evidemment, vous vous habillez comme vous voulez, dit-il quand j’évoque le sujet pendant l’entretien. Hôtellerie en famille. Comme ça, c’est très bien ajoute-t-il chaleureux.

Sinon, ça vous dérangerait de mettre des gants sur la main tatouée, et chignon bien tiré ? Ce sera parfait, conclue Adeline par téléphone quelques heures plus tôt. RH au Grand Souverain, où on s’attend à voir le voiturier en tenue devant la porte monumentale. Bizarrement, journée ensoleillée et pluie de propositions. J’y réfléchis, merci. Elle semble étonnée que je ne saute pas sur l’opportunité en toc. Le smic, Madame, c’est la grille. Oublie le standing, les tarifs pratiqués ne se propagent pas jusqu’au salaire du petit personnel. Je décline le lendemain, puisqu’on me propose mieux payé moins guindé au centre historique de la ville.

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Je me dis que ouf, enfin, ça y est. Me poser. Comme souvent, je crois voir la sortie, l’arrivée. Ma place. Je débarque quelque part à l’improviste, et je me sens chez moi. Même au bout du monde, en terre, en job inconnu. Dès la descente d’avion, sur le tarmac, les racines prennent. Direct. Papeete, Alicante. Géographie, métier ; du pareil au même. Je suis Tahitienne, Alicantine, prof de piano, agent immo, toiletteuse graphiste et créatrice …ou tiens, nous y voilà : hôtelière…. Et pourquoi pas ?!

A l’inverse de « l’Aquoiboniste », je suis « la pourquoipaïste ».

Dans les vœux que j’envoyais à l’univers, sous le ciel étoilé de Polynésie, je n’oubliais jamais « l’hôtel ».
Y vivre. Un rêve depuis longtemps, qui je le sentais, allait finir par se goupiller. Parce que de toute évidence, sous ces latitudes, ma vie s’agençait par magie, comme une colonne de légos. Tout s’emboitait. J’étais allée me renseigner à la réception du Manava. Y habiter en résidente permanente. Pas d’intendance, et de nouveaux amis au gré des saisons et des réservations. Option piano & piscine si possible.

Ironie du sort, l’univers a fait sa tambouille : Voilà mon chou, dit-il, on y est ! Les clés, et pas qu’une chambre, tiens ! Tout l’hôtel, c’est cadeau. 12 heures par jour, un bon début ? A une heure de Paris. Le projet, visiblement, ficelé à l’arrache.
D’après les experts en gratitude et autres lois de l’attraction, Maître Univers ne connaît ni les chiffres, ni la négation…et j’ajouterais que la géo, c’est pas vraiment son fort non plus. Il note la recette brute, en liste d’ingrédients. Après, ce n’est plus son problème. « Pas de » « ménage » dans la prière ? Il prend note : « Ménage »…mmmh, voyons. Se gratte la tête perplexe, hausse les épaules, exauce.
Tout fier, il annonce joyeux : …J’ai pas oublié. Comme demandé, tes nouveaux amis en seront exemptés…

Un peu comme s’il avait son propre projet me concernant. Mon souhait à sa sauce. La cerise ok. Mais sous le gâteau. Me fait plaisir pour la forme, puis il tient son cap. Un hôtel, d’accord. Mais tu travailles dedans. Et je dois composer avec, m’accrocher, voir où tout ça me mène.
Pas exactement le tableau que j’imaginais. Je plonge quand même.

Depuis trois mois, j’ai le trousseau, les passes, les doubles, des chambres, des suites, du placard à balais. A la tête de l’hôtel de l’Eden pour passer les fêtes et l’hiver. C’est imminent : lancement sur orbite en solo après un trimestre de formation intensive. Les patrons s’envolent sous les tropiques, me confient le bébé, et dans la foulée, le départ de la sangsue enfin acté. Cette collègue accrochée en bandoulière, qui m’a cherché des poux tout le temps de l’apprentissage. C’était elle ou moi. Elle a profité de la fin de saison pour donner sa dem’ après 9 ans à répéter au patron, impatient qu’elle mette enfin sa menace à exécution, me confiait il : ok ben si c’est ça, moi, je démissionne.

Cap décisif et irréversible. Le grand Maître Cosmique affirmatif récidive. « Pas » d’empêcheurs de tourner en rond ? Jaloux-ses, envieux-ses et autres névro-socio-psychopapathes ?
Passe moi la liste. Je rajoute. C’est noté !
Livraison confirmée, sans délai, en vrac. J’ai tout mis. Tu verras. All inclusive buffet à volonté !

Mi-décembre, confiante et impatiente de savourer ma paix méritée, j’adresse un message au boss, bouclant ses valises : Trop hâte ! La communication avec lui a toujours été fluide, il répond à mes questions, de plus en plus rares, donne un conseil quand je le demande. Collaboration idyllique. Je bosse, ça tourne, je sais qu’il est là en cas de besoin, ou juste pour un petit échange complice et cordial. Etonnamment, pas cette fois.
Son silence m’alerte, laissant résonner une micro-voix dissonante. Inquiète, je fais mine de ne pas l’entendre, ou réponds, quand elle insiste : Chut, tais-toi. Non-non. Juste une de tes angoisses. Oublie. Mais j’entends, le son fantomatique persiste. Le lendemain. Et surlendemain : et si collègue-sangsue n’était qu’un avant-goût…? J’envoie la suite ? Ho ! ho ho…
En apnée, mains sur la tête, craignant le pire, je me garde d’intervenir. Mon avis semble compter pour du beurre, j’ai beau penser super fort, oh noooon, pas ça ! La scène suivante est lancée. Roulement de tambour : dans la famille boulet …j’appelle…Jacqueline !

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Ben si, c’est ce que je t’ai dit, c’est à droite là !
Ah ben d’accord, à gauche alors.
Oui, oh, t’as compris, c’est pareil…

Je confonds. Depuis toujours, la droite et la gauche.

Avec mes copilotes successifs on s’en amuse. Un jeu de pile ou face où il y aurait à mes yeux, deux « pile ». Encore une spécificité de mon activité neuronale, qui me fait parfois naviguer dans une dimension parallèle. Je fais avec. Et sans.

Même confusion entre le normal et l’idéal. Au travail. On te dit blanc. Enthousiaste, tu dis ok, tiens, blanc. Bonne idée. T’as préparé tes pots. Conditionnée, sur les starting blocks. Dernière minute, un petit soucis, une longue explication de la hiérarchie sur un détail qui ne te concerne pas. Un vague dossier d’indemnisation, obstacle administratif incontournable, imprévu, qui change la donne. Finalement, c’est noir.

Croire, quand ils t’ont convoquée, annoncé : cet hiver, pendant qu’on décompresse au soleil, tu communiqueras avec Philippe, que t’allais effectivement communiquer avec Philippe. Voilà. Ça c’était normal pour toi. Puis approche ce jour, tu te réjouis parce que vous avez testé le binôme et vous fonctionnez bien. Envoi d’un petit message pour partager ton impatience… Pas de réponse. Te parvient quelques jours plus tard un message de l’épouse du boss : Philippe va être très occupé ces prochaines semaines. Elle me sert des explications-excuses : entrée, plat, les restes du plat de la veille, fromage et dessert, sans oublier l’indigestif en conclusion : “Je vais prendre le relais”. Jacqueline.

Comme par hasard. Elle. Avec qui, après avoir été « copines », il y a eu fritage, crise, tirage de gueule, silence radio. Et voilà, c’est donc avec cette entité, avec qui l’incompatibilité d’humeur est désormais manifeste, que tu vas devoir collaborer. Les six prochains mois. Normal.

Idéalement, on t’aurait dit quelque chose qui aurait été conforme à la réalité. Mais non, la norme, c’est que finalement, c’est pas à Hawaï. Le tournage se fera à Palavas, ou tiens, un fond vert dans un studio, fin fond du 9.3, mi-janvier.

T’as pas entendu quand ils t’ont demandé si les conditions te convenaient toujours ? Pas étonnant, ils ne t’ont pas demandé. Mais ça passe, puisque c’est parfaitement bien, mal, ou pas expliqué. Pareil.

Voiture bélier dans mes illusions. Sous anesthésie locace.

La saison est lancée. Maillot de bain enfilé, Jacqueline tapote sur son clavier de téléphone avant de faire un plouf dans la piscine de sa résidence tropicale. N’oubliant pas de signer au cas où j’aurais des doutes sur l’expéditeur qui m’annonce la bonne nouvelle.

La voilà, la « couille dans le potager » comme je l’ai lu sur le web, par un de ces auteurs de nouvelles expressions accidentelles, métamorphosées au gré des réseaux sociaux et autres émissions de téléréalité.

Jacqueline remplaçante, la patronne et copropriétaire, belle-mère de ma parasite éjectée, s’apprêtant à prendre la télécommande, entre deux longueurs de brasse coulée.

Le deal était pourtant carré. En trois mois, j’avais fait mes preuves. On opérait à l’identique, sauf qu’au lieu de m’envoyer le planning le matin depuis sa résidence principale de Beaulieu, Philippe me l’enverrait depuis son transat, confiant, assimilant la vitamine D par réverbération.

Trop simple. Plan-plan. J’imagine l’équipe de scénaristes :

Ben voilà. Saison 1 terminée. Elle a bien galéré, tu te demandais si l’autre dingue allait finir par la balancer dans l’escalier. Et là, tu la vois saison 2, se friser, à la fenêtre du donjon, gérant le flot de touristes en faisant son petit salut reine d’Angleterre ? Excuse moi, mais là, je décroche direct !
Vas-y, t’as raison, qu’est-ce que tu penses de ça ? :
La beldoche. JacqueIine. Jacky la maléfique…in extrémis…une usurpation d’identité, de rôle. Genre la doublure faisant son entrée sur scène, sans prévenir, sans permission du boss, et avec son zèle de première dame aux commandes, ajoutant des astérisques au contrat de sa grouillotte, comme un lancé de confettis, pour fêter ça. Style folasse tu vois ?
Elle a tué son mari ?
T’abuses ! Juste maté.

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Je rencontre Philippe, propriétaire des lieux, le jour de l’entretien d’embauche. Ben oui, je suis un peu gêné dit mon interlocuteur. C’est lui qui a fixé le rendez-vous et me propose de m’attabler dans la salle de restaurant, face à lui. Air détendu, facétieux, il poursuit. Valet de chambre, c’est l’intitulé de l’offre….quand je vois votre CV ! Oh ! Anglais ET Espagnol ? Courant ? Les précédentes parlaient difficilement le français…

Pendant ce préambule, je m’imagine en habit. Un uniforme un peu ridicule avec des chaînettes et un chapeau biscornu.

Comme lui, j’ai quelques craintes, mais c’est un peu mieux payé qu’ailleurs, j’ai besoin d’argent, et dans le package, le poste est pluripolyvalent. A un point que je ne soupçonne pas alors. Un set de cordes supplémentaires à ma harpe professionnelle. Pourquoi pas.

Il a l’œil de l’enfant espiègle, la douceur et l’humour, semble droit. Donne sa parole, évoque des perspectives alléchantes. Je signe.

Sans calculer son pendant. Binôme. Epouse. Présente, dans l’ombre. Qui a suivi tout l’entretien, en faisant mine de faire ses comptes derrière ses lunettes, comme l’écolière à ses devoirs, mais qui aujourd’hui, je présume, en a profité pour me saucissonner, et tenté d’observer mes lamelles sous son prisme. M’envisageant en souris de laboratoire.

Ça va la soulager. Dit-il comme si elle n’était pas à 2 tables de nous dans une pièce déserte, et qu’elle était si concentrée sur sa tâche qu’elle ne nous entendait pas ou ne comprenait plus notre langue. Besoin que quelqu’un prenne le relais. Sa mère malade, elle pourra lâcher le bébé. Vous formera le temps nécessaire, et nous on ira sur un autre continent, souffler au soleil.

Elle est au téléphone quand je repars, et me fait un sourire un peu mécanique, que j’excuse, empathique. Sa mère qui disjoncte, pas drôle, probable qu’elle n’ait pas envie de faire risette avec la candidate.

La formation est joyeuse. Intensive, elle me montre comment astiquer les parois de douche, bavouillant au passage sur sa belle-fille, histoire de nouer une complicité, interprétais je alors sans m’y attarder.

Appliquée, j’essaie de faire un avant/après spectaculaire, pendant qu’elle commence probablement à se frotter les mains et à rire sous cape. Quinze ans qu’on y laisse l’eau calcaire imprimer ses motifs, et la nouvelle, armée de son pulvérisateur de vinaigre qui s’acharne, finit sa séance échevelée, miroir en pied, mural et grossissant dans chaque chambre pour témoins.

Idem pour l’aspi. Elle me montre. Enlève l’embout, se met à 4 pattes et me dit : Moi je fais comme ça. Méthode centimètre par centimètre qu’on quadrille, chaque poil sucé par l’engin. Trois mois, il me faut, pour capter le coup de bluff. Depuis son île hivernale, elle doit amuser la galerie dans ses soirées habillées en souvenir de la belle époque coloniale, dépeignant le tableau de sa nouvelle employée quadrupède surdiplômée, tête baissée à gratter ses tapis. « Un peu » défraîchis. Elle repousse l’échéance. Pas de frais. Avec succion quotidienne, ils passeront l’hiver.

Jamais vu ça. Du 10/10 dans les avis booking. Philippe me félicite : je te l’avais prédit ! et me vanne sur un projet de fan club. Quinze ans qu’elle forme, femmes de chambre en série, en mettant la barre au plafond, espérant que ses élèves iront au moins jusqu’à faire la poussière de sa table basse.
Il se réjouit. Elle idem, en écho un peu poussif.

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A ce stade, je ne me doute de rien. Concentrée et favorite pour le podium, je trace.

Je commence tout juste à m’interroger. Les médisances sur la bru seraient-elles fondées ? Au départ, on était potes avec Mallaury. Un peu brute, cheveux courts et raides, les joues et le nez rouges en permanence, elle commentait mes débuts en hôtellerie-restauration, plonge, maladresses et étonnements : oh là là, elle me fait trop rire. D’une demie génération en moins, elle admirait et me questionnait sur mon énergie. En hypersensible aux vibrations humaines, mes ondes haute fréquence, disait-elle, lui donnent la migraine le premier jour. Selon elle, je suis chargée. A bloc ! On en plaisantait, ça nous détendait. Dans le speed d’un service, c’était bon enfant. Puis ça s’est dégradé, sans que je ne comprenne comment. J’ai mis 7 mois, après enquête poussée, rewind, ralentis, arrêts sur image, pour dater et expliquer précisément le moment de bascule.

A mon premier retour de congé hebdo, Mallaury-collaboratrice complice a chaussé la casquette de contrôleuse. Tendance complétée peu à peu, à mesure que les semaines s’empilent, par une panoplie total look de « Mallaury harceleuse ». Je subis des remarques, coups bas, et lorsque je riposte, attise l’excitation que semble lui procurer ce nouveau jeu auquel elle devient addict, de plus en plus assidue et inventive quand il s’agit de poser ses pièges pour tenter de ruiner mes journées et mon moral. Penchant qui semble confirmer les critiques de la patronne et belle-mère-supérieure. Accordant ma confiance à cette dernière, en package avec Philippe, je me permets de demander une intervention, leur protection bienveillante de patrons, pour éviter que la situation ne dégénère, essayant de ne pas jeter d’huile sur le départ de feu.

S’ensuit une embrouille. Un quiproquo. Alors que je me défends de cette partenaire, de plus en plus directive, Jacqueline, bizarrement, se sent visée, prend pour elle mes remarques, boude deux semaines, puis se pointe un jour gueule de travers, me balançant des c’est moi la patronne, je vais te faire comprendre qui commande ici, et ok, t’as des supers avis sur la plateforme, accueil, ok, ça, ok ! Super ! Elle buggue. Mais moi je te trouve un peu lente

Sur le coup je n’entends pas. Je jette ces paroles dans la case malentendus. Me demande combien d’épisodes j’ai sauté. La regarde perplexe avec sa couronne brinquebalante au-dessus d’un petit visage renfrogné. Simple malentendu ? Une saison plus tard, je retournerai chercher ce premier indice au fond du tiroir. Tellement aux antipodes des accords initiaux. Du pied d’égalité, respect, voire pointe d’admiration de départ (feinte?) et encouragements satisfaits de Philippe. A part le salaire en bémol, dissonant avec les responsabilités, confiance et charge de travail…que je justifiais par mon statut de totale débutante, impossible à l’époque, à moins d’être parano, de prendre cet épisode comme un avertissement…

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Première fois que je vois son autre visage. Le mois d’essai est passé. Fois deux. Dans l’engueulade, poursuivie entre deux étages, je lui balance qu’elle n’avait qu’à se réveiller plus tôt. Je fais volte-face dans l’escalier, rétorque : Y’a pas de qui commande ! Je te parle d’humaine à humaine, va t’agiter ailleurs et laisse-moi travailler en paix !

Je vois maintenant cette folingue, qui te fait aspirer chaque poil de tapis un par un, désincruster des stalactites et cueillir des champignons, oui, j’ai cru rêver. Un joli petit bouquet de champignons, de dix cm, que j’ai photographié. Dans la pénombre d’une des salles de bains. Ainsi, la gouvernante du palace décati est dubitative sur ma vitesse d’exécution. Et vas-y qu’elle en rajoute. Ah, ben oui, les parties communes, c’est quotidien. Evidemment, le calcaire dans la bouilloire, idem, c’est du ménage courant. Les tâches consignées comme hebdo deviennent désormais quotidiennes. Je reprends les comptes pendant qu’elle entre en transe _fameux jeté de confettis du scénariste machiavélique_, mets bout à bout chaque tâche, plus celles qu’elle ajoute au fur et à mesure que son baromètre grimpe… ben forcément, quand tu fais les carreaux du couloir, tu voies s’il manque l’embrase*. Elles m’ont coûté très cher. Où elle est ! Hein, où elle est !
Pardon ? Je chercherai sur Google, je ne connais pas ce mot et on n’a jamais parlé de lavage de vitres, pas plus que des murs, plafonds… vaguement évoqués en ménage de printemps prévu à son retour.

*Ah ! Merci Google. On dit « Embrasse de rideau. » Elle non plus ne parle pas le français chic. Embrase, embrasement, c’est quand je commence à voir les flammes qui jaillissent entre tes incisives de bipophrène**

**Bipolaire et schizo.

Je serais donc sensée ajouter une page à ma liste de tâches à rallonge, moi qui suis déjà « lente » selon les critères de Madame, sans oublier de raccrocher les rideaux du couloir, dit-elle, « si je puis me permettre » sur un ton qui me donne envie de la catapulter de l’autre côté de la cathédrale, en espérant qu’elle atterrisse sur une des deux flèches.

Je dis ok ! En courant faire mon taf d’une chambre à l’autre. Pas le temps d’écouter ses récriminations. Les clients arrivent dans une heure. Cause toujours ! J’enfile ma cape de DiCaprio-attrappe-moi-si-tu-peux ! Elle a muté en vase à débordement. Bain à remous, piscine à vagues. Emballement. Flot d’ordres aboyés en cascade.

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L’hiver m’ayant ouvert les yeux sur les différents rôles, masques, complots et autres manigances au sein de cette société familiale, invisibles pour tout être idéaliste, rêveur, naïf et ne faisant pas le distinguo entre sa droite et sa gauche, j’invite Mallaury, ma collègue bête noire des débuts, à boire un pot.
Si elle avait été la serial tarée qu’elle incarnait avec application, l’atmosphère aurait dû être assainie dès son départ. A l’opposé, l’ambiance s’était insidieusement dégradée.

J’organisais cette cérémonie en tête à tête, convoquant les fantômes que je comptais, avec son aide, congédier. Qu’ils me R.I.P _Rendent Immédiatement ma Paix_ que je récupère l’énergie qu’ils avaient pompé tout l’hiver, me prenant pour leur bobonne de fioul.

En terrain neutre, terrasse de café, notre lieu de travail s’étant chargé d’une sacrée dose de haine et de répulsion pour ma part, je commence par l’innocenter officiellement. Suspecte number one est ravie. Sachant qu’elle s’est quand même bien réjouie de la mission tacite de titiller mes plombs, encouragée, coachée par sa belle-mère-patronne.
Sirotant mon perrier-citron, je la regarde droit dans les yeux :
Je rembobine. Ecoute bien.
En préambule, je reconnais avoir eu non pas tout faux, mais un peu faux sur son compte. En démêlant cette saison catastrophique, l’échec supposé perd instantanément ses allures de drama. Je reconstitue chaque étape, premier jour rappelle toi, nos rigolades. Je vois ses épaules sursauter, un petit rire. Nos regards d’ennemies ont fondu. Une flaque au sol. Je poursuis, déplace les pions, à la lumière de ce que j’ai appris. Elle confirme, me raconte le rouge aux joues, que ça fait …ben attends, depuis mon premier jour dit-elle. Neuf ans que « La Jacqueline » dénigre son travail et la monte contre ses collègues, qui finissent toutes par partir. Cette fois c’était mon tour ! Merci ! On peut dire que c’est grâce à toi. Mais c’est surtout lui qui me déteste.
Elle n’en démordra pas. Ne comprend pas que la belle-mère malaxe nuit et jour beau-papa, bonne pâte, colportant, aggravant tout ce qui pourrait salir l’avis favorable de son mari sur la pacsée de son fils. Grossissant chaque « négligence » comme elle s’est délectée de me les souligner, dès mon arrivée. Non mais regarde, elle ne met même pas les cales sous les tables, ben voyons, tu crois qu’elle penserait à éloigner ce couvert du pot de fleurs ? Ah, ça elle papote ! Je ne comprends pas ce que les gens lui trouvent…. screugneugneugneugneu…. Intarissable. Le front collé au carreau, Jacqueline au poste de surveillance, vue plongeante sur sa belle fille préparant la terrasse, la lapide de torts et de travers.

Le temps, les évènements ont braqué les projecteurs sur les ficelles, tirées par ce personnage rodé depuis des décennies dans sa stratégie, sa façon de « commander ». Face à sa bière, Mallaury me confirme comment peu après mon arrivée, sa belle-mère l’a assignée au poste de contrôleuse, qui espérait elle sûrement était une promotion familiale. Un pas vers le cœur sec et hostile de ses beaux-parents. Jacqueline Introduisait dans notre complicité naissante la substance radicale qui allait la dissoudre et nous diviser jusqu’au rejet irréversible. Et s’empressait de me dire, dès mes premières inquiétudes, dès les premiers coups bas de la collègue, tu vois ? Je t’avais dit qu’elle était tordue ! Preuve du bien fondé de ses avis négatifs concernant la bru que j’avais eu, selon elle, tort d’apprécier sans restriction en début d’aventure.

Voilà pourquoi, lorsque je sollicitais la patronne, en soutien avec Philippe, pour me protéger des attaques de plus en plus encombrantes de ma « surveillante », celle-ci réapparaissait, après une parenthèse silencieuse, en dragon. Le but réel n’étant pas celui annoncé au départ. « Madame a besoin de se mettre en retrait, sa mère malade » etc. Tout avait changé.

Etaient-ce les compliments haut débit de son époux à mon égard, lors de congés-test à l’Ile de Ré ? Mallaury raconte…Il ne parlait que de toi ! Consultait les avis Google chaque petit dej, et nous en faisait la lecture à haute voix. Mode théâtre. Parfois, ravi, il remettait ça à l’heure du déjeuner. T’aurais vu sa tête. Elle serrait les mâchoires, approuvait, mais elle commençait aussi un peu à le vanner. Oui ben c’est bon, avec ta Sophie. Lui prenait ça à la rigolade. Remettait une couche. En rentrant, comme si elle avait voulu effacer toute cette gloire qui m’auréolait à distance et dont j’étais loin de me douter, la métamorphose était enclenchée. Par surprise, je me prenais du glacial, avalanche de furie en guise de retrouvailles et de renouvellement des vœux. Remplaçante ? Bras droit ? Confiance et protection ? Connait pas…Philippe d’habitude si bavard, me regardait à peine. Haussant les épaules le temps d’un sourire furtif. Pas un mot.

Occupée que j’étais à ne pas me laisser plus ou moins piétiner par l’ex “partenaire”, qui commence son travail de sape les premières semaines, focalisée sur ma mission et sachant que le temps de cette coéquipière embarrassante est compté, son contrat de saisonnière s’achevant mi-décembre, je ne saisis pas les premiers signaux. Red flag invisible, je poursuis mon chemin en parfaite daltonienne.

« La parasite » telle que je l’ai vécue, n’était qu’un leurre. La vaguelette qui annonçait le tsunami. Mais encore une fois, je n’en suis pas là. Du tout.

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Rentrée des classes : 1er matin du premier jour. Je passe l’éponge sur le retard de 5 mn de Jacqueline. Sourires enjôleurs, la patronne ne s’excuse pas et me montre les biches, prises en photo sur son trajet, safari en Beauce qui explique mon poireautage de rentrée. Bêtement, je m’extasie. Très à postériori, j’imagine la scène si je m’étais pointée, d’entrée de jeu, en retard, la gueule enfarinée, avec pour mot d’excuse ma galerie photos…
Cours de petit-déjeuner. En formatrice, un peu déconcentrée, elle oublie d’allumer le four où elle décongèle ses “croissants frais”. Très frais du coup. Et au moment de les servir, m’explique dans le détail comment baratiner le client. C’est jamais de ta faute. Tu fais des petites blagues, tu papotes, tu noies le poisson. Ah, et s’ils ne mangent pas leurs croissants, tour de passe-passe, tu les sers aux suivants. Et ceux qui restent, direction congélo pour le lendemain, surlendemain et ainsi de suite. Jouer la gourde charmante, comme dans les films des années 50. En pense-bête, Audrey Hepburn en portrait géant, toile en noir et blanc servant de porte de placard dans les WC du bas. Madame a du goût. Et du génie, semble-t-elle se dire en croisant son reflet dans le miroir. A moins qu’elle ne révise ses contes…la biche, le chasseur…en présence de son apprentie blanche comme neige.

Débutante pleine de bonne volonté, je dis, oulà…tu m’apprendras. En mémorisant. Croissants, pain au chocolat, 50°C, 15 mn, Yaourts et fruits, confiture, réserve sèche, là-haut, et descends 1 torchon, jamais les mains vides, le chocolat, ici, en bas, 2 cuillerées à soupe, micro-ondes, avec du lait. Les doigts, oui attention, ça glisse, ça fait mal, tu coupes la baguette en 3, les panières à la plonge, le beurre, oui tu le sors, la charcuterie aussi, et tu rajoutes des noix. Au dernier moment le jus d’orange ! Qu’ils entendent le bruit…
Ok les factures, les taxes, 10%, note là, calculette ici, le terminal là-bas, ah oui ! attention ta tête,(trop tard), rebranche sinon t’es cuite, ah, les réservations, arrivée notée dans la colonne de droite, et parking, ou ticket, ou rue, tu inscris colonne de droite…J’enregistre. C’est copieux, mais les infos passent.

En revanche, si je suis bien nulle dans un autre domaine que le ménage, c’est le mensonge. Je lui laisse ses conseils et garde, face aux clients, mon attitude spontanée : Oups, sorry, j’ai oublié d’allumer le four ! Un peu gourde aussi, j’avoue. Sans avoir besoin de simuler. Madame Distraite. Heureusement, les gens sont gentils, me passent tout. Et me remercient pour le sourire.

Le réveil est progressif. Quelques semaines et un accrochage plus tard, je revois mes débuts différemment. Un bras qui se décroche agrippé à un chiffon, un tuyau d’aspirateur, et le déca, tu trouves pas ? T’allonges un peu et tu lui dis que c’est un déca. Papi à quatre-vingts ans bien tassés, gentil comme tout. Elle hausse le sourcil d’un air de dire pas grave s’il nous fait une crise. Elle doit déjà penser à son mito, une énormité…. Accusera le fournisseur de What Else de s’être mélangé les capsules.

La cheminée, la baignoire, la tv ne marchent pas ? Ben tu dis….blablablabla. T’inventes. L’architecte de France, la grêle.

Moi aussi j’ai une question qui me picote, alors que je relève les premières bizarreries. Je demande.

La caméra ?

Non, c’est juste pour la nuit. Une société de surveillance. Dérobade pour esquiver un doute en germe. D’ailleurs, elle ne marche pas, le technicien va t’appeler.
Jamais reçu son appel. Ni vu le sticker, à propos, informant le client qu’il est filmé avec, commissure droite, sa miette de pain « frais ».

Dire que j’ai poliment ri à ses fabulations. Qui en réponse à mes quelques demandes légitimes les mois suivants ne m’amuseront plus du tout.

_Tu disais ?

_Jour de congé ! Heures sup ! Récup !

_Plouf-plouf ! Pirouette ! Avec supplément cacahuètes !

A ce stade, ils pourraient se réjouir, se féliciter.
3 mois à peine qu’elle est là et la nouvelle remplace toute l’équipe !

Contrat signé, confirmé, l’employée 10/10 mène la barque en capitaine du navire au tarif du mousse.
Le plan du siècle. Leur crédit remboursé non stop alors que depuis 15 ans, on gèle le business tout l’hiver pour aller faire des stocks de soleil, de sommeil et de Never Die, graine locale sensée rendre madame immortelle. Les orteils en éventail sous le parasol, on se jette comme chaque matin depuis le séjour à l’Ile de Ré sur l’appli Booking, vérifier que la foule est toujours en délire, acclamant leur « femme de ménage-gérante d’hôtel ».

Philippe ravi, m’en fait part parfois. La patronne lui emboite l’intention. Elle pianote, pour faire bonne figure…efface discrètement ses éloges, et choisit un simple émoji : applaudissement…Envoyer ! un sourire forcé sous ses lunettes noires. Elle imagine une trappe. Qui s’ouvrirait pile sous les pieds de l’employée modèle, un beau jour de ménage de printemps.

Ça semble l’inspirer. La cheffe, usurpatrice de poste, tapote sur le clavier. En même temps que son bronzage, elle essaie d’optimiser son employée.

Assez maladroitement. Parsemant deci-delà, en pleine crise de créativité, de nouvelles missions. Une rose dans chaque chambre…oui, dans une flûte, bien sûr tu les nettoies. A la cave…sinon, derrière le meuble. Tu prends le petit escabeau…
Sa seule fonction désormais, m’encombrer. Avec son  besoin irrépressible de se distribuer un rôle superflu.

Du coup, la mécanique parfaitement huilée avec boss Philippe fait faux-bond, tape-cul. Comme à l’époque où on fréquentait le bac à sable. La peste qui surgissait, nous entendant rire, dégageait mon amie, prenait sa place à l’autre bout de la balançoire, et touchant le sol avec ses pattes cagneuses, bloquait le mouvement, me faisant sauter comme une crêpe ! Contretemps. A la limite de m’envoyer dans le décor, si je ne m’étais pas agrippée, la connaissant. Communication cafouilleuse, et comme je dois garder le cap, j’ai du boulot, et pas vraiment le temps de peaufiner notre correspondance, je réduis la fréquence des réponses.

_ Ok, Jacqueline, je m’en occupe.

_ Ok, c’est noté.

_ Ok

_ …

_ …

Jacqueline qui commençait à prendre son pied en envoyant sa prose, en flux continu, poussant au max le volume des messages se vexe. Deuxième brouille. Se met à me secouer à l’aide de rafales d’ordres, vérifications, confirmations, contradictoires, répétitives, criblées de fautes. Ses petits nerfs font un massacre dans l’orthographe. J’opte pour le silence. Aussi long que le temps nécessaire pour relire, traduire et corriger sa logorrhée compulsive. Non, dans son cas ce n’est pas un pléonasme !

Elle teste une nouvelle stratégie. Simplifie :

HE ! OH ! Pour ne rien dire. Juste je suis là, calcule moi. C’EST AUSSI MA MAIQON, finit elle par écrire en majuscules, en ripant sur le « S ».

Je me demande quand tirer la sonnette. Comme je n’ai pas le temps d’élaborer des tactiques complexes, préférant me concentrer sur mes 10 à 12 heures de boulot quotidien, je tranche. Jacqueline sur pause, bloquée quelques jours sur whattsapp.

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J’ai le profil. Je pourrais finir comme lui. Pierre Niney. Boite noire. Avec du sang qui coule de son oreille d’acousticien. Il a entendu des sons qui n’arrangent pas les affaires de la compagnie aérienne pour laquelle il travaille. Il perçoit ce que d’autres tentent de falsifier. Évidemment, ce n’est pas dit comme ça, mais comme on est malins, on le comprend assez rapidement. Et on angoisse à mort pour lui. Parce qu’on se rend bien compte que chercher à savoir comporte quelques risques.

Cette longueur d’onde qu’il détecte et qu’il ne devrait pas entendre, c’est la dissonance des contrats et des millions qui s’envolent. Un pain dans la douce musique du profit.

Un crash aérien. Trois cent morts et un bruit chelou. Pas de quoi en faire des caisses, Pierrot. T’es corporate ou bien ?!

Mais c’est plus fort que lui. L’ouïe de Super Jaimie et ce besoin d’élucider. Même quand plus personne ne veut vraiment ce rapport sur ce qu’il s’est réellement passé.

Sans se préoccuper des conséquences, il trace tout droit, se fait éjecter de son couple, son taf, et sa vie.

Heureusement, la vérité lui survit grâce à une manip in extrémis. Il balance ses preuves sur Go transfer. On suit en apnée la progression en pourcentage. Ouf. Transmise juste avant qu’on ne l’aide à s’emplâtrer dans le décor.

Voilà. Désolée de vous spoiler le film. Et la vie. Maintenant que je commence à y voir un peu plus clair. C’est normal les amis qu’un employeur donne l’impression au départ de se préoccuper de tes intérêts. Tu signerais franchement, s’il te disait, là, tu vas bosser 11 ou 12 heures, au lieu de 8 par jour, et tu seras payée pareil. Oh oui, à peine plus qu’un smic. 1800 net pour 39 heures.

Mais bien évidemment, les heures seront récupérées, enfin, quelques-unes après qu’on ait tout recalculé selon des règles mathématiques spéciales et inédites, qui permettent de délayer ton temps de travail sur les mois précédents, puis on te donnera tes dates dès que possible, selon le calendrier des vacances de nos petits-enfants. Ah et pendant la grasse mat de ton unique jour de congé, tu répondras néanmoins au client énervé parce qu’il se retrouve devant un hôtel fermé, sous la pluie avec sa valise de 50 kg, de retour de voyage en Chine. Ben oui, puisque t’es pas là et que t’es seule à faire tourner le business. Logique, réfléchis ! Le lendemain, tu le reverras au petit déj, et avec un bon petit café accompagné d’un croissant industriel décongelé et chauffé à cœur, tu le retourneras comme un pancake.
C’était pas vraiment présenté comme ça. J’ai donc signé.


Et quand le discours calibré du départ a commencé à cafouiller, réponses vides ou à côté, le carnaval bon-enfant qui vire au Fyre Festival apocalyptique, j’ai commencé à faire mon Pierre Niney, ma Erin Brocovich, à poser les questions qui s’agglutinent, bouchonnent, font gentiment la queue derrière les dents serrées la nuit, ajoutant quelques heures d’insomnies à mon emploi du temps. En rafales : euh, normal que je bosse non stop H12 ? Que mon jour de congé ait sauté ? Qu’on soit full tous les jours alors que même en haute saison, je n’ai jamais eu une telle fréquentation. Autant de chambres à faire ? Seule ? Chaque jour ?…

Là on t’explique. On adore te dispenser des petites leçons de comptabilité. En formation continue généreusement improvisée.
Au programme :
« Les pourcentages de fréquentation, l’obligation de louer moins cher. Les réservations tardives et la chaleur qui descend ».

T’oses même pas répondre. Qu’entends-tu par tardive ? Confonds tu avec précoce ? Parce que si c’est tardif, du coup, ça te laissait du temps pour fermer cette date ?.., et t’es sûre ? Le froid des caves monte ? Même très fatiguée, quelques bribes de bon sens résistent. “Certes on est complet”, écrit-il sur son message larmoyant, “mais les chambres sont bradées, tu comprends ?”

J’imagine que c’est à ce moment-là du script que je dois éclater en sanglots. Gros plan sur la première larme qui déborde. Impossible à contenir. Ou me cacher de honte en me mordant une main. Sous-entendu : Au lieu, égoïstement de te préoccuper pour ta santé, ton temps libre ! Voilà, je te balance tous les chiffres que t’as pas demandé. Et quelques données scientifiques pointues sur les mouvements des masses d’air froides absolument absurdes. Entre la TVA, la commission booking, si là t’es pas en train de tousser asphyxiée par cet enfumage magistral !

Jouer sur les sentiments, avec les chiffres, et mes nerfs. Voilà comment on contient la digue sur la saison. La direction serre les fesses. Pas de raison qu’elle nous lâche. On l’applaudit à intervalles réguliers, pour la faire taire et tenir jusqu’au bout. Stratégie des expat’ saisonniers…allez ! On la tente…

Là encore, je ne réalise pas que la personne qui répond en tartines de marmelade handmade scientifiquement désapprouvées n’est pas Philippe. Au premier trimestre, on échangeait des vocaux. Écrire plus de trois lignes le saoulait. Aujourd’hui, déclic après déclic, je me souviens d’une des remarques de Madame, s’agaçant de mes réponses laconiques. Je ne comprends pas, tu ne réponds pas alors que vous vous parliez à longueur de journée, masquant sa rage sous ses airs d’ingénue.

Aucune différence pour elle. Trop subtil. Échanges des petits tchecks vocaux d’encouragement avec Philippe, et avec elle, Jacqueline, submersion sous un tas de conseils et instructions poisseuses et avariées. L’un t’envoie une petite tape dans le dos qui sent le jasmin, l’autre te balance son caddie, son sac à dos, et ses semelles crottées et lestées chaque matin en guise de bonjour, demi-journées de congé comprises…et s’indigne de la qualité de la relation ?

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De passage en métropole, entracte d’hiver au soleil, Jacqueline apparaît, bonne mine et sale gueule, sans prévenir pendant le service de petit déjeuner, me tend la main à serrer, façon patronne du 19 e siècle qui envisage naturellement qu’on se fende d’un baise-main. La scène m’amuserait si j’avais une seconde à lui consacrer. Je serre furtivement son gant, sans me douter de ce qui se trame pour ma matinée.

Agacée, ces derniers temps, de voir ma tête se relever de temps en temps, pour décoder ce qui se cache entre les lignes du contrat, elle lance « l’opération avalanche ». Faire diversion. Me rendormir, m’occuper, m’assommer. Son projet du jour : m’imposer un nouveau cadre. Plus strict. A gros coups de marteaux. A base de punitions. Tu laves ta vaisselle. Sur place.
Je retiens la remarque :  « dans le lavabo où il a craché le dentifrice ? », rassure la révoltée foutraque en moi, te bile pas, on fera comme d’hab. Pourquoi cette règle ? Parce qu’à chaque initiative,  je te pondrai une règle. Juste pour t’emmerder. Ça évidemment je le devine. La menteuse n’est pas courageuse. Et ici, on fait comme je t’ai appris. Et 1 seul frigo. Pareil, fais bien attention aux lumières dans les chambres. Tu feras un récap’ pour le cash...n’oublie pas les siphons, un petit coup de vinaigre sur la résistance de la plonge, nouvelle liste interminable de tâches rébarbatives supplémentaires refourguées en catimini, l’air supérieur et dégagé. On charge la mule, comme si la polyvalence pouvait s’étendre à l’infini, sans commencer à faire frémir le chiffre du salaire.

Courant de chambre en chambre sans la calculer, je l’entends s’emballer dans sa course poursuite. Lancer à la cantonade : Des décennies dans l’hôtellerie, j’ai bien quelques petits conseils blablabla…..je zappe ses recommandations périmées, les enroule dans le linge sale, je tasse et vlan ! coup de pied pour les voir dévaler l’escalier.

Parce que je ne finirai pas la mission avec un dos en macédoine de légumes, pour défriper ta petite moue renfrognée de gremlin compulsif.


Sinon c’est parfait ce que tu fais. Dit-elle par message le lendemain. Après le cataclysme. Comme le bouquet de roses blanches après la torgnole mentale de la veille.

Échaudée, je recommence à espacer les messages et à les réduire à l’essentiel. Effet immédiat, elle en rajoute. Un seul lave-vaisselle. Economie. Les leds. La place des meubles, réponds, et reprend son refrain en chœur avec toutes les folles qui peuplent sa tête : C’EST MA MAISON. Comme si on jouait aux Playmobils et que je lui avais piqué la ferme. Avec les animaux.

T’as peut-être tamponné une voiture. Le téléphone de mon mari est cassé, il est très occupé. Tu ne me donnes pas les tenants et les « aboutissements »... Voudrais-tu dire « aboutissants », Madame la gouvernante ? Elle pédale dans le vide. Lancement réussi. Je crois que je l’ai propulsée dans l’espace. Catapulte mentale en action, vient de franchir le mur du son, dépassant tous mes espoirs.

Les fêtes de fin d’année terminées. 50 heures sup au compteur. Des journées doubles, aucun jour de repos. Des réponses fumeuses. Une charge boule de neige, je commence à vaciller. Perçois comme une petite odeur persistante de doute quant aux heures à récupérer et jours de pause hebdomadaire. Alors, je balance un premier stop. 2 jours off, à telle date. Non négociable.

Que je paie illico. Ne trouvant plus rien pour allonger sa liste de tâches, elle en créée une seconde : tout incident matériel, sur mon dos ! La fuite de lave-vaisselle, machine à café défectueuse, le linge manquant… L’aspirateur lâche, à force de tirer le fil…Sous-entendus perfides… la lavette… t’as mal rincé le bitoniau…reproches, critique, fautes. Mensonge, mauvaise foi ; De mon côté aussi , je répertorie chaque cran, chaque étape franchie, chaque nouvelle digue qui saute.

Le niveau augmente, je sens l’eau effleurer les narines.

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Bravo pour les notes. Tu vois je sais aussi dire quand c’est bien.

Sentant l’amertume monter en arrière-goût à la lecture du message, je l’imagine, cliquant sur envoyer. Fière d’elle.

Quelques jours sont passés depuis la visite surprise. Conclue sur ses dernières remontrances lâchées sur le ton du mépris absolu.

Et voilà qu’elle me félicite. Pour une note Booking. Le bon point. Encore quatre et j’aurais une image ! J’ai évoqué la prime de Noël, plus appropriée et gratifiante, mais bizarrement, aucune réponse quand tout message de ma part, même d’une ligne, appelle plusieurs pavés de déblatérations que j’ai finalement décidé de ne plus lire. C’est plus fort qu’elle. Je la bloque et elle réapparait instantanément sur le whatsapp de son époux. Parfois je me demande si elle ne l’a pas tué. Il m’est apparu pour la dernière fois, le jour du recadrage express, m’adressant des mimiques complices, sans un mot. Son coupé. Doux et émotif, elle doit se contenter de brandir son regard psychotique  pour suggérer que le reste de son anatomie pourrait être menacé .

Je réponds Merci Jacqueline.

Mais en marchant, je me rejoue l’instant.

Non, j’aurais dû dire. Non merci.

Ou bravo. Comme elle, émoji applause. Bravo ma grande, tu serais donc capable de donner un sucre à ton employée modèle après l’avoir fouettée ?

Je me retiens. Je commence à penser à la sortie. Sans esclandre. Parce qu’il faut bien des raisons pour avancer, enquiller sur la scène suivante ; s ‘ils étaient réglos et généreux, reconnaissants, je donnerais tout. Avec mes phalanges à vif, en osselets fusionnés au chiffon.

Se frayant un passage entre les avis positifs sur Booking, un grincheux, qui malgré tout me félicite pour la gentillesse de l’accueil, écrit, en remarque négative, un haiku :

Le lit rond c’est original, mais on y dort très mal.

Il n’en fallait pas plus pour qu’elle rompe un silence de 15 jours. Rechute. La voilà qui se déchaîne, me pond une notice, pour me donner 3 ou 4 instructions supplémentaires.

Sommier, matelas….elle décortique chaque couche du lit circulaire, tu n’as qu’à séparer et resserrer l’assemblage des 4 portions, me détaille le plan à suivre,  minimisant chaque effort par des « simplement, juste, vite fait, en passant », m’offrant ainsi l’opportunité de me casser au choix, une vertèbre lombaire ou thoracique  au choix, selon l’étape.

Impatiente de recevoir le mode d’emploi « parquet », au prochain poème satirique d’hôte insatisfait. Juste sous le lit-camembert. En effet, en manipulant les portions de ce dernier, je m’aperçois que les lattes de bois massif sont dans un sale état. M’ordonnera-t-elle de les poncer avec les dents ?

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Le cerveau, explique cette scientifique dans un doc sur le hasard, est fait pour qu’on donne du sens. Sinon, illustre-t-elle, le promeneur verrait un ours et ne réagirait pas. Oh ! Il m’a mordu. Fin de l’histoire, de la vie du mec, de l’humanité. Equipé de cette faculté, l’humain évalue la situation : ça ressemble à une bestiole, oui, je dirais même assez grosse pour m’envisager en Kebab. Stratagème pour lui faire peur ou stratégie de fuite, et ainsi, l’espèce se perpétue.

Ce que la chercheuse ne précise pas, dans le reportage, c’est que certains d’entre nous ont été élevés dans une famille d’ours. Pas Bisounours, pas Booba, ou si, celui qui sort les crocs et punchlines explosives. On a essayé de t’infuser violence, brutalité, en niant tes prouesses de papillon. D’oiseau ? Toi-même tu ne sais plus. Seulement que tu n’aimes que le chant des fleurs et la danse libre du vent, et que pour survivre parmi eux, t’es juste obligée d’effacer tes couleurs. D’ailleurs, pour faire simple, ils te coupent les ailes. Comme à Angelina Jolie. Voilà Maléfique, sache que c’est pour ton bien !

Alors, en bonne élève, dès qu’elles repoussent, conditionnée, tu continues, régulièrement, à aller de toi-même, te faire faire une coupe. Oui effacez la couleur aussi, ça devient trop visible, les racines…on commence à me faire des remarques : Continuez, restez comme vous êtes, vous avez égayé notre journée. Tu leur dis oui-oui et tu sens ton petit cœur qui palpite, qui ne demande que ça . Mais tu sais aussi, que ce n’est pas du goût de tous. Que maman ours, derrière son écran de contrôle, va débouler, ou envoyer une de ses Jacquelines, pour éteindre ta lumière dès qu’elle va percevoir un mot de cette conversation.

Alors la vie s’en mêle. Vas-y, envoie lui l’accident. Plus rien à perdre.

Il faut toujours un début à la fin. Quand tu t’es trompé d’histoire. De vie. Que t’es bloqué dans l’intro. Quand tu jongles avec les aménagements, t’adaptes, ouais, c’est confort, je vais surfer là, tranquille….petite sieste sur les lauriers, sous les cocotiers. Finalement, ils avaient raison. Je rentre bien dans cette case. En coupant un peu ce qui dépasse, plumes, rêves, idéaux. Le scripte s’énerve : mais putain ! Qu’est-ce qu’elle fout ? Elle croit quelle est arrivée là ? Bouge !  Dans un premier temps, aveugle, sans recul, diluée, tu te sens trimballée, dégagée, ouste ! Puis tu dégaines les neurones qui flottent encore, tu en fais un petit radeau, et t’essaies de comprendre ce qu’il t’arrive.

Il a encore fallu qu’elle revienne à la charge plusieurs fois. Pour que je réalise. Que je suis encore très loin de la destination prévue pour moi. Pour me dégouter de cette mission dans laquelle je me voyais déjà monter ma chaine de maisons d’hôtes, all around the world, elle a dû s’acharner, m’accuser de crimes contre la lavette et maltraitance de matériel, minimiser les nuisances que m’inflige l’aspirateur, qui lâche son fil dans mes pattes quand je dévale l’escalier, espérant la chute à chaque marche, rayant le parquet, pour m’obliger, tel un enfant roi : Aux bras ! Aux bras ! Sinon, je nique tout !
Jacqueline bétifie : Mais non, “je ne pense pas qu’il raye, c’est son petit derrière arrondi qui caresse gentiment le sol” …maîtrisant ses tremblements à l’idée d’investir dans un appareil sans-fil professionnel…

A califourchon sur ma bouée de sauvetage, je décortique le cas « Yves St Laurent ». Si Dior ne l’avait pas poussé dehors, hein ? Il n’ y aurait pas eu d’YSL.
Dans la Maison Monument fondée par Christian, il se croyait arrivé. Au sommet ! Impossible d’imaginer alors qu’il allait créer, le top du top. Du top.
Il fallait un gros déclencheur. Un réacteur supersonique pour propulser son génie. Casser des œufs pour la tortilla. Le big bang, la guerre. Yves, appelé…
La vie euphorique, en phase maniaque. Pas la carrure ? Pas le mental ? Justement ! Exactement ce qu’il me faut ! Culotée ? Sadique ? Géniale ? Elle regarde ce qu’elle vient de jeter dans la marmite, poings sur les hanches, ses yeux se frottent les mains. Bizarre ? Oui la vie est parfois bizarre.

Yves chute. Fait une dépression. Puis rebondit. Sous l’œil bienveillant de son Bergé, il sort sa mythique griffe.

Comme Christopher Reeves, ex-Superman, cloué à son fauteuil. Il volait trop loin de lui-même. Pour que papa le reconnaisse enfin. Immobilisé, il réalisait. Que devenir champion toute catégorie ne valait pas les liens d’amour. La présence de ses proches. Parler. Partager ces moments. Tout ce que son père n’avait pas su faire avec lui, le privant d’attention, jamais cependant de mépris, l’envoyant tacitement en satellite, sur orbite, seul en combi lycra. Dans le mur, sur son trône.

Ou Iglesias lancé pour être un roi du foot stoppé net dans  la course, réchauffant le cœur des femmes. Et  Grand corps malade. Justement. Voilà où je me situe. Petit corps en galère. A bout.

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Je me réveille la nuit, mal au dos. Mais comment allongée, je peux avoir mal au dos? Comme quand le rêve est récurrent. T’obligeant à faire le ménage. Dans ta tête. Dans ta vie, ce bazar ! Tu le refoules à base de oh, beurk, le truc horrible. Bah, non, dégueu, comme s’il t’était servi par quelqu’un d’autre que toi, équipée de ce pauvre cerveau cramé. Disons, angoissé, peureux, agité, un brin perturbé….Et si créatif ! Rêves, maux : il titille vertèbres, phalanges, tout, partout. Les fourmis te réveillent, dans un bras engourdi, douleur dans la mâchoire. Ta solution ? Coller des étiquettes. L’angoisse te tend le paquet de pensées flippantes. Pioche ! Hypocondriaque tu t’exécutes. Os de verre. Mal de Pierres, cancer des os. Se lassant de te voir faire joujou avec ta peur, le sommeil t’échappe. T’essaies de te forcer à te rendormir. Une habitude. Même le jour. Tu ne veux pas ouvrir les yeux. Pas réaliser que tu ne tiens plus dans ce bocal. Que le formol ça pue, qu’il est temps de bouger. Tu serres les paupières, recroquevillée, poing droit serré sous le coude gauche. Tordue au max, calée dans cette crise, en attendant que l’alarme te sorte du lit.

Alors ça commence à vibrer, premières secousses. En allant travailler, je marche, seule dans la ville déserte, sur un sol immaculé. En train de planer, soulagée dès que j’entends le signal :  action !  Je me délecte du décor, des guirlandes dans les platanes, par temps de neige,  qui jouent les maîtres es Photoshop. Réglages, Teinte/Saturation. Je me shoote aux couleurs. Chartres en vert, en rose…. en jaune! 7H 22, le bruit de mes dents qui claquent d’un coup sec. Une brûlure à la racine du sourcil. Je vérifie du bout des doigts. C’est froid, sec. Pas une goutte de sang. L’arcade sourcilière pourtant. Un morceau est tombé sur la neige, mais ça ne m’appartient pas. Un bout d’écorce. Apparemment entière malgré le choc, juste cassé un bout d’arbre. Rien n’est ouvert, l’arbre m’a percuté la tête, et certainement maintenue debout. Je ne vois pas par quel miracle. Je poursuis mon trajet, sonnée. Dans la vraie vie, j’aurais dû me ramasser. Je rejoue la scène en pensée : suis-je dans le Truman Show version cartoon ? Talon qui glisse, je serais sur le dos. La pointe aurait ripé ? Tellement bizarre. Reconstitution d’accident complètement fantaisiste, n’obéissant à aucune loi physique en vigueur sur cette planète. Tout en pressant le pas pour ne pas arriver en retard, j’appuie fort. Mes doigts glacés en compresse. Manquerait plus que je me présente à l’hôtel en Elephant Woman.

Une heure plus tard, sujet de conversation tout trouvé pour faire l’animation dans la salle où je distribue les petits déjeuners. Aucune trace. Je passe peut-être pour une mytho en servant l’anecdote à mes hôtes.

Deux jours passent, le piège est différent. Celui qui tire les ficelles s’impatiente : mais non elle sourit ! Electrochocs !  Tout brille dans la nuit. Le trottoir est tapissé de petits globules transparents. Comme des gouttes de pluie. Perles solides, microbilles de cristal. Que je contemple fascinée en marchant sur la route d’un pas alerte. J’entends une voiture approcher, remonte sur le trottoir, petit bond, et me retrouve en grand-écart. Coup de poing réflexe au sol, espérant rebondir ?  L’humeur fait un looping : la joie, écrasée au sol. Putain merde fait chier! Une pensée pour Bacri et je rebascule en mood joyeux. Sur pied, je poursuis, me rejoue la scène. Et ça me fait rire. De désespoir ? Tout m’amuse. Est-ce qu’au moment de mourir, je serais bidonnée, comme si j’avais 4 ans, devant un épisode de Oui-Oui et d’Isidore Macaque…hermétique à la guerre ? Dedans…dehors, partout.

Rien à faire. A poings fermés. T’es là à te lever chaque jour à l’aube. Comme si t’étais née réceptionniste médaillée pour touristes de cathédrale, à te la jouer fée du logis, toi, ex-cata en ménage, à galoper tes 10000 pas sur 3 étages. Voilà bravo ! T’as appris a faire un lit au carré, à changer 5 housses de couette quotidiennes, à presser du jus d’orange, utiliser sans la casser la machine à café, éditer des factures, pianoter sur le terminal, manip qui jusque là te paraissait totalement mystérieuse. Avec l’impression de gagner, à chaque fois que le ticket de carte bleue sort émettant son petit bruit de roulement de mini-tambour au bord de l’apoplexie. Limite prête à te constituer un dossier de presse des avis Booking où les  clients enthousiastes vont jusqu’à te nommer, t’acclamer, où te prendre pour la propriétaire. Fière d’être apte à remplir la mission. Même si une boule bizarre pousse entre deux phalanges. En t’agrippant au chiffon, aux draps housses ajustés au max, tu martyrises tes os, tes tendons, ta synovie s’épanche…!. Ces 3 étages que tu parcours non stop ne sont-ils pas ceux de ta maison Dior ? Attends-tu, comme Yves, d’être appelée sur le front ? La civière ? La dépression ?

Claques. Chutes. Fouet. Pas de déclic. Le platane en témoigne. J’ai la tête dure.

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Pour que l’histoire avance, il lui faudra sortir le grand jeu : crescendo. Après ses tirades du dix-huitième siècle, que ça te plaise ou non, JE commande, tout ébouriffée, premières poussées autoritaires de Jacky, on passe aux  séances d’infantilisation. Par petites averses. Au fil du temps, les pluies de messages se transforment en torrents de boue : ordres, mauvaise foi, mensonges. Flots toxiques.

On arrive en fin de saison. Vue l’ambiance, peu de chances qu’on renouvelle nos vœux. Je nage vers la rive à contrecourant.
J’essaie de rationaliser. Reprends les comptes, en demande à la direction : jours à récupérer et congés.
J’ai alors vue imprenable sur l’étendue de la dinguerie de la dame.

La première fois, elle répond en dates. Pas celles des vacances, non. Son fils, chargé de faire l’inventaire aurait vu une DLC presque atteinte… Damned, elle qui sert les croissants recongelés à l’infini, les assiettes de charcuterie, préparées la veille, sans gants et sans lavage de main préalable, recyclées sur plusieurs jours me remonte les bretelles pour un lot de yaourts à 3 jours de périmer ? Faire diversion pour régler nos affaires ? Elle n’oserait pas. Pourtant, j’ai beau lire chaque ligne et même entre, pas un mot sur les modalités de rattrapage. M’accuserait elle d’un crime au lactose avec préméditation, pour me regarder m’enfuir sans ma paie, à poil et verte de honte jusqu’à France Travail ?

Zappant le sujet allègrement, elle tente, jusqu’au bout de m’optimiser. « Oui Philou, on va l’occuper. Jusqu’à L’AVC ». Ecoute, maintenant tu en es capable, tu finis ton ménage tout en les accueillant. Téléphone en poche, mon numéro affiché sur chaque porte d’accès, je suis désormais sensée me démener sur 3 étages sans ascenseur, lustrer 5 suites, accourir quand on me sonne. Ah vous avez oublié la lampe de poche sous les draps ? Faux départ. Recevoir les nouveaux, porter les valises et sourire en déroulant la visite des lieux, parfois en simultané quand 2 chambres arrivent en même temps, par deux entrées opposées.

En fin de journée, ou pendant le service du petit déjeuner suivant si je me suis écroulée la veille, je reprends toutes les feuilles de pointage. En mission vérité, carré de l’hypoténuse et règle de trois. Après quelques jours, calculs au propre, je redemande un petit point. Sur mes droits. Timide.

_ Ça ferait combien de jour de congés cumulés ?
_ Bravo, tu as eu un 10 sur Booking à l’instant même.
Pardon ? Tu relis plusieurs fois. Stupéfaction. Tu screenes, outil crayon rouge vif, encercles rageuse la réplique hors sujet. Renvoies ta question avec la capture d’écran. Fin des messages.
Je parle temps libre et je reçois un bon point. Et de 5, super, t’as droit à une image. Et un « bravo », « et voilà mon petit : un joli smiley clin d’œil ». Youpi.
Je rumine. Prête à dérailler. Fous toi bien de ma gueule. Plus que deux mois. Dont un de congés payés d’après ma copie de Maths.

La semaine suivante, j’évoque en termes administratifs cordiaux, une probable sortie anticipée. L’idée : me payer en temps libre. Jacqueline dégaine le téléphone de Philippe et se fend d’une longue explication pour conclure sur un résultat magique :  15 heures ! Tu nous les “dois” …Mais oui, tu sais bien… avant la saison ?  Trois mois plus tard, on la joue comme à la Caf, ou aux Assedics… Ah ben là madame, ça pianote, ça pianote, vous ne nous aviez pas déclaré les revenus d’auto-entrepreneur…Oui en 1895, pardon 1995, rire jaune pipi. Du coup, on ne vous doit pas 1200 euros par mois, en revanche, vous nous devez 8000 euros.
Ils ressortent la poubelle de l’époque, fouille méthodique. Pour te faire fermer ta boite à questions. Tu demandes ton dû et on va enquêter loin, dans tes vies antérieures, pour te trouver des dettes au moins aussi balèzes que le trou de la sécu.
Du coup, dans leurs rêves, ils se disent : ben ça va la calmer, avec ses petites épaules osseuses, dans cinq minutes, elle court nous acheter des chouquettes et demander si on peut effacer l’ardoise.

Comme cette prétendue erreur. Grille de pointage épluchée par Madame. J’aurais confondu ¾ h, et 34 h….Un peu gros, mais en ajoutant quelques lignes de baratin et en serrant les fesses, elle se dit “t’inquiète, elle va gober et s’excuser”. Oh dis donc ! Merci de m’éclairer. A genoux, lustrant le parquet : désolée ! J’avais pas vu la barre! Je me disais aussi….Trente quatre heures sup en une journée, c’est pas un peu beaucoup ? Consciente que la longueur de tes messages déclenche chez moi allergies et nausées, tu mitrailles. Interminables monologues avec “voir plus…” où le lecteur, assommé, doit encore cliquer pour s’apercevoir qu’il reste le triple de lignes à se coltiner. Encyclopédie Universalis tome complet de mots sans queue ni tête. Qui partent dans toutes les directions. Panique et moulinets. Comme tu le vois très bien, insistes tu, peur de rien, increvable la bestiole, tu récupères le coffre à malices de ton usine à entourloupes : il s’agit de ton écriture. En lisant, j’entends le ton sirupeux, voix nasillarde.
Je vérifie quand même. Page 4. Ben justement, non. Comme un nez greffé à la place d’une oreille : deux écritures différentes sur la grille. La mienne, l’autre. Un nez, une oreille .

Sa passion, écrire pour ne rien dire. Juste des trucs que tu sais déjà, qui ne servent à rien, ou à faire des prouts de fumée sous forme de lignes, de longs pavés qu’elle expédie en alertes régulières, tout au long de ta journée de travail, puis incontinence sévère, cascade et chutes d’Iguaçu, si t’as le malheur de rétorquer, jusqu’à ce qu’achevée, tu poses la tête sur l’oreiller.

Têtue, je reviens à la charge. Pose cette fois le problème des congés. Concise. Sous forme d’équation : 1+1 = ?
En avoir le cœur net. Savoir jusqu’où elle peut aller ? Sans tarder, je reçois la réplique. En guise de réponse, une question. Même technique que la première fois. “T’as bien pensé à encaisser le client Duchmoll ? » Il ne s’est pas présenté. Trop excitée pour résoudre l’opération vacances. Elle a réussi à louer la chambre deux fois. Je relis. Ecrit en capitales bold en interligne : « SI TU SAVAIS COMME JE M’EN BATS DE TES JOURS OFF, LA SEULE CHOSE QUI M’INTERESSE, MA GRANDE, C’EST DE RENTRER DU CASH ». Ligne suivante « Parce que les banquiers…”et tout un couplet sur leur intransigeance. « Et que si on n’encaisse pas ce monsieur qui n’est pas venu »….ben… je fais couler la boite, j’imagine. Peut-être chuter le PIB de l’Union Européenne.

Je continue à décoder le vide.  « SI TU ES AVEC NOUS, OUBLIE TES VACANCES TES HEURES SUP, ET TREMBLE AVEC NOUS DEVANT KARABA LA BANQUIERE! »

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LARGUEE A TAHITI

C H A P I T R E S

suivi de …LIBEREE DE L’INCONNU

Ça ne pouvait pas commencer plus mal. Un appel à 20 h 09. Pas le temps de décrocher le portable. Le message, sur un ton gêné et grave. Désolé, je ne peux pas vous donner le résultat par messagerie.

La bonne nouvelle, c’est que je ne risque plus de l’attraper.

Ce matin-là, je réalise le test. J’ai les As, passe-droit de premier choix, coachée par un médecin de choc, équipé de son badge d’urgentiste. Accompagnée jusqu’au prélèvement naso-pharyngien dans une petite salle secrète. Le plan est sûr, 1 risque sur 1000 qui se dissoudra probablement dans le flot des faux négatifs parfaitement incontrôlable.

Pas folle, je fais quand même du zèle. Contorsion dans la voiture pour m’emparer du Sopalin. Je me mouche, qu’il ne reste rien. Un nez irréprochable. Encore du zèle, exploration d’une seule narine, et pas plus loin qu’un piercing d’indienne quand la préconisation est d’aller chatouiller un bout de matière grise, tellement on piste loin dans les fosses nasales, ces antigènes indébuscables, responsables d’une panique paranoïaque mondiale sans précédent, la COVIDAMANIA.

Le même urgentiste, sapeur pompier en hélico, un Clooney version viking miniature, est clair. Depuis le début. M’a-t-il porté la poisse ? Est-il machiavélique au point de mener son plan contre une petite love story qui viendrait le détourner de son chemin ? …qu’il a perdu depuis un bail .

Il a pris les tubes, collé les étiquettes. Les a-t-il inversées ? A-t-il dit à un collègue de prendre un autre échantillon pour lui ?

On se connaît depuis quelques semaines, et déjà autant d’embrouilles au compteur_tu les nommes tes cartons jaunes_.

Je tourne les talons, démarre ma Twingo comme une Porsche Carrera, et déroule les textos tranchants de 15 km, souvent en conduisant sur la même distance qui me ramène à ma base.
– Ok, si tu veux, Tahiti est à tout le monde. Je trouve même ça assez couillu que tu veuilles y aller. Mais moi, j’ai mes plans depuis quelques mois. Et t’en fais pas partie.

– Incapable de faire un reset pour moi ? De t’adapter à ta nouvelle situation affective ? De m’inclure dans tes plans ?

Ovairue eut été plus adapté, encore que, ce ne sont ni des couilles ni les organes féminins qui me décident, juste un élan que je ne veux plus refreiner. Ok, reste sur ton projet solo. 3e carton jaune. On a la même lubie, envie de Pacifique, et tu ne me calcules pas dans la nouvelle équation? Ok ! fais comme si je ne venais pas de débarquer.

Moi aussi je marchais solo. Je me disait yes, zen, en couple avec moi-même, merci Marcela Iacub.

Comme si il n’y avait pas eu l’accident. Comme si tous mes plans n’avaient pas été changés par l’univers ! Ce restau, ça n’engage à rien, tout le club de voile y est, et toi en face de moi. Et ton regard qui me rentre dedans. Et moi qui donne mon 06, ça n’engage à rien, je le donne à tout le monde. Business d’agent immo, me justifiais-je. Et ton sms qui me dit que j’ai l’air d’être aussi belle dedans que dehors. Et comme je ne le sais toujours pas, quand saurais-je ? A 80 ans ? Qu’est-ce que j’ai loupé ? Je m’agrippe à ces mots, à ce joli regard sur moi. Et je deviens accro, amoureuse de l’amour, en redécouvrant que rire avec un autre, boire et manger, le manger, (nympho ? Mon corps est affamé), est une putain de drogue supersonique, qui te met raccord avec l’énergie des vagues, la musique à fond, mon corps qui danse, la fête, la vie.

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Depuis quelque temps, le mouvement va crescendo. Envie de vivre en bord de mer. Peur, bien sûr. Parait que nombreux en parlent, peu sautent le pas. Certains, me félicitent, statistiques à l’appui, sûrement relevées dans « Capital, changer de vie», un dimanche soir bluesy, avant de repartir pour un tour de périphérique le lendemain matin. Seule ? Tant pis. Avec le recul, je comprends pourquoi.

J’étais déjà seule, perdue, une partie de moi à l’abandon. En partant je retombe sur Sophie, et petit à petit, on se retrouve. Gilles est toujours là. Il continue de m’accompagner, vas-y ma puce, t’as qu’une vie. 26 ans main dans la main et on s’éloigne comme 2 petits nuages éclairés par un lever de soleil à l’aube de nos nouvelles aventures, poussés chacun par des brises contraires.

J’en suis venue à élaborer ma petite théorie récemment, sur ce qu’on appelle la trahison dans le couple. A admirer celui qu’on pointe habituellement du doigt. Le courage est clairement dans son camp. Un traître ? Héroïque, je dirais, de sortir l’épée sous l’œil réprobateur de ses congénères, de la planter dans un contrat jauni, scellé dans un tombeau, surplombé par un autel à la gloire d’un amour endormi, quand il n’est pas mort.
S’envoler par la fenêtre pour aller, de nouveau, entendre battre son cœur contre celui d’un autre.
Auto-trahisons répétées. On s’éloigne de soi, de cet être vivant, vibrant d’élans, de désirs, de rêves, à qui on ferme la gueule depuis toujours. Les parents, ta gueule, l’école, ta gueule, les magazines, la société, ta gueule….et on grandit et on apprend à se l’auto fermer. Et pour couronner le tout, la muselière symbolique du corona. Pas bouger ! Ta gueule.

Alors dans le mouvement, je m’installe, un pied à terre, l’autre à la mer, résidence Le Pacific, petit studio cosy. Je reprends la voile, (mets les voiles ?) après 37 ans hors de l’eau, hormis javellisée ou rationnée sur 15 jours de congés annuels. Et je rencontre Zorro Clooney, Ragnar le Viking. Bon, je mets 2 ou 3 ans à me rejoindre, mais nous y voilà. Méditerranée à volonté, la vie renaît. En All Inclusive….palpite aussi côté myocarde et s’écrit en duo. Fantômette et Ragnar.

C H A P I T R E S

Un zorro qui a plein d’amis, plein d’esprit, plein de vie, de folie. Je me reconnais, dans sa maison, sur son piano, chez ses potes, dans ses projets, m’installe dans sa vie.
Parée d’un nouveau pseudo lors d’un 4e épisode carton, rouge cette fois, quand froide-bouillante et furax, je m’invite chez lui, suite à un énième bug.

Bien sûr que j’irai. Et s’il te faut 15 jours pour t’organiser solo en débarquant à Tahiti, je te propose de prendre tes 15 jours, direct, là, maintenant, à Montpellier, avant le départ. Tant pis pour tous les jours où tu n’es pas de garde. Oublie tes dîners en amoureux proposés pudiquement et sans grand tact sous forme d’ invitation à finir tes restes. Feu de cheminée, bon vin, excellente cuisine que tu concoctes avec amour et légèreté, un verre jamais loin, ou le mien, parce qu’il se vide moins vite, pendant que je pianote. Comment vas-tu liquider le contenu du frigo pendant les 2 semaines avant le départ ?

Je disparais de ta vie. Te demande sur 3 messages rageurs sans réponse, de laisser les clés. T’ « oublies ». Porte fermée, je passe par la cuisine pour récupérer mes affaires. M’en fous j’irai seule en Polynésie. En passant par le toit s’il le faut. Tous les obstacles sont des tremplins pour Fantômette.

Ton projet, partir 3 mois. T’en parles, fort, à chaque soirée, et tu regardes la bave des convives qui tirent la langue, se noyant dans la première vague Covid, t’imaginant déjà sur ton île, leur envoyant des selfies pour les achever. Le jour où on se rencontre, t’es à J-90 de le réaliser. A J-50, tu m’annonces j’ai une bonne nouvelle, j’ai mon billet. (Sérieux ! même sensation qu’en entendant le message du médecin contrit du Labo n’annonçant pas le résultat du test PCR). Ton offre : « laisse-moi 10-15 jours et tu me rejoins là bas ».

Ben voyons.

Ma petite flamme me propulse. Fusée à réaction. Quand ton billet ? Du 28 Octobre au 9 décembre ? Je sors de ton champs de vision, me jette sur ton mac, air France, merde-merde, quel siège, on s’en fout….même pour un vol vers Tahiti, j’exècre ces putains de formulaires qui te bloquent dès que, telle Zézette, tu loupes un champ, et où quand tu confirmes, tu te demandes si tout est ok , ou si tu ne viens pas de prendre 2 aller-retours, avec 2 débits CB et à la mauvaise date.
Un formulaire qui peut, au moment de l’embarquement, si t’es une burne sur les écrans, Zorro pourrait en témoigner, te laisser sur le carreau du tarmac, regardant s’éloigner ton avion, dernier vol avant 3 mois de confinement.

C H A P I T R E S

Un moment extraordinaire.

Parce que la vague que j’entends au loin, puissante et régulière est celle qui forme, au soleil, un rouleau bleu turquoise sur la barrière de corail. Elle me rappelle l ‘intro de cette nouvelle vie, la rumeur de la rive du Grand Travers, à l’entrée de la Grande Motte.

Le bateau en vrac, un des 2 espaces « WC-salle d’eau » est réservé aux 20 bidons d’approvisionnement d’eau. Alors je foule la petite passerelle pont-levis, et depuis mon quai, rejoins les toilettes, armée du pass.

Caressée par un air parfumé au tiaré, qui au fur et à mesure que j’approche des sanitaires du port, développe ses arômes, je ne sens plus le poids de ce corps si longtemps vécu comme un fardeau. Sous mes pieds nus, des petits ressorts. Je me demande même si mes épaules se redresseront après avoir fait le dos rond 53 ans, en attendant d’aller nager au dessus des coraux.

La silhouette majestueuse du cocotier qui se lit en ombre chinoise la nuit, m’indique l’arrivée aux toilettes. Signalétique paradisiaque. Les LED bleus, passent au vert au contact de mon badge. Je suis reconnaissante de vivre ces instants-bonus, dérobés au sommeil.

Parce que les magnifiques bateaux à quai me font une haie d’honneur accompagnée des chuchotements des clapotis.

Parce que la lune presque pleine et les caméras me suivent de leur regard bienveillant dans cette traversée nocturne du pont. Je pense à la mauvaise rencontre qui pourrait faire basculer ce rêve, et je chasse cette pensée. Mon premier psy m’avait dit un jour, à peu près en ces termes, vous avez droit au bonheur, n’ayez pas peur qu’il s’accompagne forcément d’un drame. Comme lui, Lila (mon superbe spécimen de  fille,  « merveilleux appel de la vie à elle-même », Khalil Gibran) me surnomme drama queen, parce que c’est l’éclairage que je donne naturellement à mon existence. Mon réel est aux antipodes ; bien obligée ce 31 octobre 2020 de me rendre à l’évidence. Je mène ma vie sur le chemin opposé à celui de mes troubles, de mes angoisses.

En remontant sur le voilier qui me bercera jusqu’aux îles paradisiaques, je marche déjà comme une funambule sur les petits picots de râpe à fromage de l’échelle suspendue. Ce matin, premier jour sur l’île, je l’abordais encore à 4 pattes.

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Logistique. Point rapide. Pour ne pas rester à l’aéroport de Montpellier, fin du voyage.

Carte vitale en opposition. Passeport périmé. Carte d’identité tout juste valable pour aller retirer mes colis à la poste. Carnet de santé et pages vaccination ? Je retrouve celui de Bébé. Survivra-t-il à 5 semaines sans venir ronronner en pleine nuit blotti contre mon oreiller pour entretenir mes allergies au cas où il n’y aurait pas assez d’acariens dans l’oreiller ? Celui de Néfertiti aussi, qui apparaît une fois par jour pour distribuer ses petits ordres. Des mois que je dévalise le rayon gelée pour chats stérilisés pour lui obéir. Néné chérie, ma petite sorcière. Remplumer son mini corps squelettique de chatte égyptienne, marqué par ses crises de gingivite.

On a trouvé le remède. L’une des vétérinaires refuse catégoriquement. La même qui 30 mn avant de piquer Tigrette s’acharnait sur une veine. Elle transpirait comme quand j’essaie de gonfler ma roue de vélo en plein cagnard, et que j’ai oublié le mode d’emploi de ma pompe dernier cri. Quel orifice ? Mais putain, rappelle toi Sophie, tu ajoutes l’adaptateur ou pas ? Et pourquoi ça se dégonfle le temps de dire merde ! Chier ! Comme Bacri (RIP) dans Subway devant l’ascenseur. Elle est arc-boutée sur Titi agonisante. Pareil. Et merde ! Oh pardon Madame. Non mais regardez aussi ! sa veine est comme un cheveu. A un cheveu de passer de l’autre côté. Que j’arrache d’un coup sec. Arrêtez c’est bon ! Vous voyez bien ? Qu’est-ce que ça peut lui faire de savoir que son taux d’urée est dans le rouge ? Pas d’acharnement thérapeutique, comme avait dit papa dans un sanglot, le jour où on a débranché maman. Instantanément radoucie, elle déclenche le protocole euthanasie.

En ce qui concerne la reine mère du trio, c’est réglé. Pour Néfertiti, sa fille, à un stade plus précoce, on a trouvé la parade. Il suffit de prendre rendez vous le mercredi, avec l’autre vétérinaire. Piqûre de cortisone et pendant 1 mois et demi, 2 mois, la petite sorcière famélique reprend quelques grammes et se gave de gelée, avant de ressortir et d’engueuler au passage frèrot, Bébé-la-crème. Lui, pour entretenir son surpoids que les enfants prennent pour un état de mise bas imminent, est toujours présent à l’heure où Néné vient passer sa commande V.I.C. (Very Importante chatte).

C’est reparti pour des semaines de vadrouille. C’est sûr, elle connaîtrait son taux d’urée, elle ferait moins la maligne avec son frère.

Je prends rendez vous. 15 jours plus tard, je suis vaccinée contre le tétanos et l’hépatite A. Rien d’obligatoire, mais je n’adhère pas avec les symptômes que me décrit, pour information, l’infirmière. Foie éclaté, tout ça, pas fan.

Aucun regret, j’étais sensée douiller 3 jours. Je n’ai senti ni la piqûre, ni la réaction au produit. Et cet organe n’explosera pas…de ça.

J’en mène pas large à 20 h 15, quand toute la famille de Ragnar se précipite sur les masques avant de trinquer au champagne. Calés sous le menton, comme nos appareils dentaires d’antan. Le jour est bien choisi. L’anniversaire ET pot de départ en famille de mon nouveau chéri. En une fraction de seconde, après réception du message téléphonique énigmatique, la nouvelle petite amie de papa passe d’étrangère à pestiférée. Dans cette grande maison, on double les distances préconisées en gestes barrières, quatre mètres pour se croiser quand on va chercher l’essuie tout. Sous ses airs ravis et détendus, se dit-il, « oh merde, son test est planté, on est contaminés tous les deux, probablement par un de mes patients » ! ou alors « super, chacun sa merde, le plan se déroule nickel, j’avais bien dit, laisse moi 15 jours et rejoins moi ! » Toujours est-il qu’il a renversé la sauce soja sur la nappe.

C H A P I T R E S

Des soirées à siroter ses meilleures bouteilles, peinards en amoureux, devant le feu de cheminée. Là, avant-veille de départ du daron-baroudeur, ils viennent le célébrer en famille.

On ne la lui fait pas à Céline. Pendant que Félix, son frère pianiste de jazz, beau et sale gosse, tousse dans son coude _ pas vraiment asymptomatique, lui _, elle nous explique, en aînée bien rangée et jeune médecin comme papa, comment le système immunitaire sidéré, se déglingue.
Nos défenses réalisent la puissance du virus. Elles déploient alors l’artillerie lourde. Alerte lancée par des globules en folie : Nous mettons tout en œuvre, chômage technique pour tous s’il le faut, oui tous les organes ! Quitte à mettre les mécanismes vitaux en péril et à vider les Ephad, où tous les anciens à bout de souffle et séparés de leur source d’affection lâchent. Tirez à vue. Dommages collatéraux, on s’en fout ! Tout ce qui dépasse le taux d’usure. Grand ménage.

Je comprends l’injonction dans son regard. Ma vieille, tu peux commencer ta quatorzaine ! Si c’était ok, le labo ne t’appellerait pas à l’heure de l’apéro. Et oui, vous avez beau vous mélanger depuis 90 jours avec papounet, lui est doté d’un organisme hors du commun.

Elle n’imaginerait jamais qu’un mec borderline, qui pisse pieds nus, la queue au vent dans son jardin sans portail, pourrait, lors de l’auto-prélèvement, omettre quelques précautions et faire sciemment basculer des résultats. Qui comme elle le rappelle, sont fiables à maxima 30 %.
Je la laisse sous-entendre et théoriser.
En mode fast and furious dans ma tête, j’élabore plan B et plan C et D au cas où. Dans 48 h, il me faut le Sésame.

Même s’il n’a pas d’uniforme, je fais carpette devant l’employé de Mairie. Ah non madame, ça ne fonctionne pas comme ça. Vous prenez rendez-vous, et avec ce numéro et le dossier complet, vous vous présenterez. Voici les consignes. Au revoir Madame, je n’ai pas le temps, j’ai encore 3 numéros derrière vous.
Dans un autre monde, le mec. Pendant que les blouses blanches bossent 48 h d’affilée, Monsieur du guichet, derrière son plexi blindé et sa serviette hygiénique anti-postillons calcule : si je lui consacre 5 mn de plus, le temps de ranger mon stylo qui traîne en travers du bureau, je risque de finir à 16h34. J’ajoute une minute pour atteindre la sortie de la Mairie…
Heureusement pour lui, j’ai remonté le masque jusqu’aux lunettes. Il ne voit pas la fumée, les durites qui pètent, l’index sur la gâchette.
Trois semaines, madame. Désolé, au revoir. Tout à fait, Madame, sans passeport, vous ne pouvez pas partir. Ah oui, désolé, si le dossier n’est pas complet, (début d’érection), nous devrons reprendre rendez-vous, oui. Oh non, c’est pas immédiat, vous pensez, dans la semaine qui suit.
Attention à la photo, vous devez respecter les règles. Vous me dites ? Départ dans 5 semaines ?

Il a trouvé le ressort comique. Faut pas vous louper alors ! C’est un billet échangeable et remboursable ? Je me force à rire un peu, pour ne pas vomir et le remercie poliment en lui crachant dessus mentalement.

C H A P I T R E S

Est-ce la 4e dispute ? Il me sort de but en blanc ah non, moi c’est un vol direct. La vapeur sort de mes oreilles. Je nous imagine chacun à bord d’un avion différent parce qu’en bon égoïste, il a mis le coude sur sa copie, que je ne pompe pas le numéro de vol. J’aurais dû me douter qu’il se plantait. Il fait le malin. Le mec qui maîtrise.
Ben je croyais que c’était simple pour toi. Un vol par jour. Même ma fille, sous entendu, pas très dégourdie merci pour elle, sait réserver ses billets en ligne.
Pas lui en revanche. Tout par téléphone, et la nunuche au bout du fil lui a bien confirmé, ah, celui-ci est sans escale. Et il se lance dans sa théorie chez nos amis, oui, comme l’avion est allégé par la chute des réservations, pas d’arrêt, moins de carburant. Bien sûr Jamie. Quand j’y pense ! Incapable d’envoyer un WhatsApp et il aurait capté les modalités de ravitaillement ? Ma pote d’air France se marre et me rassure. Mais n’importe quoi Obligé le contrôle technique sur un vol de 24 h . Du coup je demande qu’elle le place à côté des chiottes pour la peine ! Dommage, elle est réglo.

Ça commence à sentir le roussi. Couvre-feu à 21h. Quatre mois qu’on parle de la seconde vague. Cette fois, ils innovent. Très créatifs ! Continuez à bosser. Mais à 21h, au lit. Le reconfinement plane. Bien problématique pour organiser nos folles soirées. Dan, Maître de cérémonie, ne se laissera pas enfermer dans sa maison. Vide et en ce début d’automne, elle s’apparente selon lui à un tombeau. Il fait ses plans. Trois chambres et un canapé, ça peut faire sept à dix personnes selon la façon dont dégénère la fête. Ça ne sera pas la première fois qu’ils se retrouvent à trois dans le lit. Ça doit ressembler à l’ambiance à l’époque de la prohibition. Je ressens le plaisir de transgresser. Pour notre dernier week end, Dan veut son couple chouchou chez lui. Décidément, il y tient à son petit covid. A moins qu’il ne l’ait contracté la semaine précédente, persuadé qu’il subissait le contre coup de sa dernière rupture ? Plus faim sa petite carcasse d’un mètre quatre-vingt treize, petits malaises vagaux, s’endormant avant la fin des films qu’il m’invite à voir chez lui quand je suis séparée pour la cinquième fois. Il plaide pour chacun. Aide au rabibochage. Premiers sur la liste d’invités. Il sait que son pote casse-cou s’en bat. Gestes quoi ? Barrière ? C’te blague ! Le masque, s’en bat. Ton verre ? Ah pardon, j’ai tout bu. Smack, et triple dose de corona pour toi.

Moi aussi. Roue libre. Vivre ! J’étouffe ! Ras le bol des capotes, casques, combis, cloches, masques et des consignes BFMtv.

Autre détail à régler avant le départ. Néo, mon bébé, mon ombre. Un mois que je me creuse les méninges. Mais qui va l’adopter ? Ma petite luciole déjantée. Je lance des perches dans toutes les directions. Avec l’aide de cette petite boule de poils en vrac. Mon york version punky se jette en pelote sur pattes à la rencontre de toutes les âmes. Et j’entends en m’approchant. Ooooh qu’elle est mignonne ! Elle sent que j’adore les bêtes !

Non seulement il le sent, mais lui aussi les adore.
C’est le chien le plus sociable de l’univers. Et si en pleine séance de caresses, distraitement, tu ralentis le rythme, il te pousse la main avec sa petite truffe moelleuse.

Des semaines à me dire, t’inquiète. Si lui ne trouve personne, c’est que tu ne comprends rien au karma.
Ok, Narciso mon ex-boss, sans que je pose la question me dit avec sa légendaire générosité affectueuse : en tout cas compte pas sur moi ! Ricanement. T’inquiète mec, je cherche quelqu’un de sympa, de cool, qui a du cœur et de l’amour à prendre et à donner. Tu ne coches aucun critère.
Il y a bien Mado, qui veut se faire un peu d’argent pour ses études l’année prochaine. Sa mère parle pour elle, sourit pour elle, négocie pour elle, l’accompagne au rendez-vous d’adaptation . Mado garde son masque, scrupuleusement. Bizarrement, Néo ne semble pas avoir de feeling. Une chance sur cent. Sur mille. La première fois, il la calcule à peu près autant qu’un…je cherche, car il s’intéresse à tout. Disons, un panneau publicitaire à 3 m du sol. Je m’interroge également sur le fait que Mado a les cheveux gras et est sapée comme un sac poubelle plein qui fuirait, avec plusieurs épaisseurs de sacs. Comment une personne qui se néglige à ce point peut prendre soin de mon trésor ?
Charly ma superpote serait la bonne option. Sauf qu’elle a Zoom, son Berger Allemand adoré et dix amoureux. Sans oublier qu’elle bosse à 4h du mat, vit dans 20 m² qui font quarante mètres cubes de fumée de ganja à partir de 16h…peur que Néo ne meure de rire.

C H A P I T R E S

Invité d’honneur chez Dan, Néo se laisse papouiller. Léonard est extraverti, charmant, drôle, affectueux. Architecte, pianiste, avec qui la fièvre fait exploser le thermomètre lors de notre première boum. Ce jour-là, Zorro était absent, distant et bossait.
Lui aime danser, me serre dans ses bras et exprime son désir au point de me tirer les cheveux au troisième slow entre deux pelles. Ultra sensuel, drôle et fou. Il semble vouloir postuler. Pour Néo aussi.
Ça se passe toujours en dansant. Un peu moins langoureusement cette fois. Je n’ai rien caché de cette vrille sensuelle, au premier intéressé, et à toute la joyeuse clique. Mais les semaines passées m’ont assagie. Et refroidie aussi. J’ai vu le même Léo avec un Tinder, sexy certes, mais pas très flatteur pour mon égo. Jolie petite bimbo bling-bling, tout le matos en vitrine. Elle régurgitait des conseils en développement personnel, en laissant loucher sur son décolleté. Stratégie probablement, pour éviter qu’on soit trop regardants sur la profondeur ou l’exactitude des propos.
Moi je le garde ! S’exclame Léo avec une moue de séduction, et je l’aime jusqu’à ton retour. Eclat de rire avec son sourire de tombeur déjanté.
On est bien alcoolisés, alors, même si l’idée me plait, je laisse passer la folle nuit. Qui jouit ? Avec qui ? Amy ? Chris ? Tous ? Pas nous. Je joue aux devinettes.

Arrivé en fin de soirée, sympa mais sans plus, tu danses avec une autre Sophie sur ma chanson préférée, et une fois couché, joues au con. Plus personne…à moins que tu ne joues pas. Tu me tourne le dos. Petite partition sadique que je ne connaissais pas.
Encore qu’en me repassant le film, il y a eu pas mal de soirs où, confortablement installée et flottant sur un nuage poussé par un doux vin et une brise de beuh, au moment où je sens une tendre chaleur me mordiller, tu t’approches, me plaque dans l’oreiller sous un gros smack passionné, et tu fais volte-face « bon’nuit Ma Mie ». Interloquée, je n’ose même pas penser : Bonne nuit papi.
Une larme coule sur l’oreiller. Je me demande comment je peux me retrouver dans ce piège. Il y a 2 mecs plutôt canons de l’autre côté de la porte, plutôt partants, et je t’ai choisi ? Et tu fais le mort ?

On finit par se déchaîner. Depuis notre rencontre, je suis passée en mode « instant présent ». Programme rumination en off. J’encaisse mais aussitôt annule la fonction blocage automatique. J‘avance. Moi, et l’Instant présent, unique, volatile. Reset. Et décollage immédiat.

Au matin, décalqué, Léo reprend le sujet adoption où on l’avait posé. Sur le canapé du salon où il a dormi.
Dans 4 jours ? Vas-y je le garde. Sobre cette fois, même si les vapeurs d’alcool circulent encore.
Pars tranquille…on s’aime déjà.
Et Néo quitte la fête avec Léo. Je ne l’ai plus revu qu’en vidéo, en photo et en rêve !

Les amis le chambrent car Néo tombe à pic. Miss Tinder-micro-sac-Kardachiante vient de le larguer, avec l’élégance de sa panoplie. Par sms. Parsemé de petites touche homophobes.

C H A P I T R E S

J’aimais malgré tout ce mec dingue qui courait partout perdait ses clés, celles de son hôte sur un parking d’hypermarché, fumait ses pétards en se sifflant de très bonnes bouteilles de blanc, sec.

Pourtant, il parlait non stop de l’ex, Caroline. L’obsession. Je le consolais. M’informais sur la dépendance affective. Il me disait que je lui faisais du bien. C’était presque une mission pour moi et croyais-je, un début comme un autre.
S’il arrêtait de la mettre sur un piédestal, commençait à s’intéresser à lui et à s’aimer, ça pouvait être beau. Et si je m’aimais pour deux, pas trop besoin de marques d’affection. Selon mes théories et avec tous ces « si », ça aurait pû.

De gros doutes, quand même. Je me barre avec ma valise à l’aéroport, en mode « adieu Very Important Pigniouf », parce qu’il court dans tous les sens avec son téléphone, en parlant trop fort, (oui, à cause de son problème d’oreille, je sais), sans me calculer, alors :
– qu’il se fait embrouiller par une agent immo,
– que c’est mon justement mon job,
– que je tente de lui donner les règles du jeu,
– qu’il piétine et se fait piétiner.

Il me repêche encore in extremis. Version Louis de Funes. Mais non, voyons, viens ! Et vas-y qu’il m’arrache la valise. Va faire un petit tour, achète toi des tax free, et je t’attends dans la VIP room. Des semaines qu’il évoque la pièce magique et me promet à chaque fois de voir s’il pourra m’y inviter.
Un peu phobique des galeries marchandes, je lui achète une carte SD, contente d’avoir obtenu un signe, une réaction, et de venir boire une dernière coupe de champ’ avec lui avant d’embarquer. Illusions et bulles, cul-sec !

Sous les Tropiques, comme partout dans le monde, il est obligatoire. Dans les mêmes Carrefour qu’en métropole. Presque. A quelques tiarés près, jonchant le parking, et aux annonces micro, hilarantes : Le masque on le met sur le nez et sur la bouche, dit le gars limite fâché, entre 2 promos, sinon, ça sert à rien. Et vous avez les tongs en promotion 978 Francs

Ce message m’est adressé, et je ne l’entends toujours pas. Le nez, la bouche. Pas sur les yeux !
Ici on se tutoie, et on s’aime tous. La dame de la caisse me dit viens on va voir. Tu dis de l’acide oxalique ? Question posée sur trois octaves.
Oui c’est pour enlever la rouille sur le pont d’un bateau. Elle prend chaque bidon d’acide chlorhydrique, cristaux de soude et on lit ensemble les notices. On commente. Ben au moins, si un jour on a du calcaire quelque part, on saura qu’il y a le choix. On pouffe en bonnes copines. Nana !…Maruuru, nana je réponds. Elle semble désolée, mais finit par un petit rire joyeux et bienveillant.

J’ai juste un soucis avec iorana, ia orana, kapunka, aiarana. J’essaie de laisser venir le bonjour naturellement, et le ponds toujours à côté. J’ai même sorti un Sayonara.
Tout le reste est parfait ici. On dirait que je suis arrivée chez moi.

Tu pouvais ne pas me calculer, ne pas m’inviter dans ton voyage initiatique, être content que ça se goupille comme ça malgré tout sans avoir levé le petit doigt, que je te suive, te porte, te supporte, fasse la conversation à ton hôte qui nous liste toutes ses astuces de diplômé en radinerie troisième cycle. De la sauce tomate, tu mets de l’eau et voilà ! Un bon jus de tomate.
Comme il a pour voiture un tas de ferraille avec coffre, disons particulier, je casse trois bouteilles de sauce tomate en l’ouvrant. Voilà. Oups. Pas fait exprès de me venger des leçons du « Carrouf pour les nuls » que je dois suivre, en otage. En option uniquement pour les enfoirés qui se cachent derrière un journal pendant que je suis au front, plusieurs fois par jour.

Et tes talents ne s’arrêtent pas là. Mieux qu’une simple éclipse ! Quand je t’annoncerai dans quelques jours « la nouvelle », tu te rendormiras. Le Xanax de trop.
Pour que je continue à apprendre à t’aimer, tu aurais dû au minimum ne pas replonger. Aérer tes aisselles pour envoyer des phéromones à haute dose ne suffira plus. Je crois que cette fois, le charme est rompu. Masque en place. Sur les oreilles. Imperméable au baratin et autres négociations et délais.
Trois mois. Je crois que c’est ton record en quinze ans.

C H A P I T R E S

Ça y est. Joyeux anniversaire !  Après les sushis, la tâche de sauce Soja et la tarte, tu déroules ton plan B. Jouable. Je te demande de l’appeler, là, maintenant. Pas de temps à perdre. Ton pote est urgentiste lui aussi. C’est un mec sympa qui a retapé un mas où j’ai eu la chance d’être invitée, comme à toutes tes sorties d’ailleurs.

Mais oui, viens, c’est super facile ! Avec des petites remarques de gros beauf misogyne sur l’orientation. Tu oublies qu’en venant chez moi la première fois, tu as tourné quarante minutes à la Grande-Motte. 
Tu avais un nom d’immeuble, de rue, et un numéro.
Là, c’est une adresse floue et des indications en mode chasse au trésor. Tu vois le Zénith ? (oui, à Paris, pas à Montpellier, Mas des officiers ?, idem). Et un petit taureau, et là, non là vraiment, écoute ! tu peux pas les louper, trois grands cyprès.
Des cyprès, y’en avait partout ! 

Encore une fois, le ton sincèrement contrit et mea culpesque sur tes deux pour cent de batterie m’a rechoppée quand j’allais renoncer à errer entre les vignes à la tombée de la nuit.

Le collègue ami de garde, sur haut-parleur, confirme. Elle est positive, toi c’est bon. S’il ne l’a pas fait exprès, il a vraiment le karma du mec qui doit planter sa meuf. De bonne volonté, cette fois, il me donne toutes les infos. Oui on peut accéder à l’ordi, oui, il peut me sortir la feuille, oui on peut refaire un test foiré rapide. On va donc cumuler le plan B et un plan C que je maîtriserai, cette fois, de bout en bout en bonne experte de Photoshop.

Seize heures plus tard, retour à la case test. Je vais récupérer le pass après le couvre feu. J’ai mon « motif impérieux », et si un flic m’arrête en voiture, je lui tousse dessus. A l’aube, je montre mon résultat tout frais finalement négatif, au jeune employé de l’enregistrement Air France. Admiratif, il souligne qu’il a vraiment été fait in extremis. Heureusement qu’il n’a pas la matinée pour étudier le prescripteur du test, en en-tête. Qui se trouve être le charmant excité à qui il vient de proposer une rangée de sièges pour sa nuit en avion. Idem pour madame si vous voulez. Ça vous va la rangée derrière ? Je range avec précaution le premier faux test, réalisé dans les narines de mon chéri, qui s’est scrupuleusement passé les contours du nez au gel bactéricide, assèchement des fosses nasales par brèves respirations saccadées. Bref, qui s’est fendu de son protocole de la dernière chance, pour me sortir de cette mauvaise passe. Des remords ? Je me suis demandée si en bel enfoiré, il n’avait pas échangé les tubes, quand il est allé saluer ses potes derrière la vitre, histoire de partir seul selon son petit plan moisi depuis des mois.
Sa fièvre de super cas contact, au moment de boucler ses valises, laisse planer comme un doute dans mon esprit.
Je présume qu’ il avalera discrètement la dose de paracétamol avant de passer sous les portiques de contrôle de température.
Petite pochette rouge, je glisse délicatement la preuve irréfutable de mon état de santé irréprochable, contre le deuxième faux, réalisé sur le logiciel de retouche, avec ma maîtrise intacte d’ex prof graphiste. Je le présenterai à l’embarquement, histoire qu’ils ne tiquent pas sur le court délai de réalisation du test.

Avant même de connaître « son ami de Tahiti », il s’est érigé en obstacle et en sujet d’embrouille favori. D‘autres, parfois jouaient au pied levé ce rôle. Fabienne. Une soirée où je ne connais personne. Tablée de douze bobos réunis pour se raconter leurs vacances. Mon petit speedy man s’affaire autour d’un poisson qu’il grille au barbecue portable. Il ne perd pas grand-chose, et une fois la mission finie, se met à pêcher une sirène. Sa voisine de table. Pas transcendante, mais je le vois frétiller, ah, un Thermomix, c’est dingue ça, comme si elle lui racontait qu’elle avait fait le tour du monde en une semaine.
Et le voilà qui s’emballe en toute fin de soirée au moment de remballer.
La mission, ramener la table en marbre chez Madame Thermomix. Je le vois si bien lancé que je décide de tenir un bout de table pour voir jusqu’où il est capable d’aller. Et le voilà qui s’extasie devant le bassin gonflable archi dégueu, aaah mais t’as une piscine !? Et fais voir ton jardin, un vague terrain mal entretenu en bord de nationale, ah c’est derrière ? Et ils disparaissent.

Ça me scie. Un mois qu’on se connaît. Souvent, il manque d’appétit, alors je reste sur ma faim, et le voilà maintenant qui louche sur l’assiette d’à côté. Pendant que je poireaute.

Fin de CDD. Il me rattrape au vol, jubilant de m’avoir rendue jalouse. Je le préviens en claquant la portière façon crash test. Prochaine fois, si prochaine fois il y a, on y va avec ma voiture, et tu te démerdes pour rentrer.

Pendant qu’il conduit, je continue sur ma lancée. En fais du pâté. Il adore. Me dit comme s’il était Gabin et moi Michèle, t’as un sacré caractère !

Nuit mémorable. Contre toute attente. Même si je fais des piqûres de rappel régulières, histoire qu’il ne s’imagine pas une seconde avec sa pétasse au robot multifonction.

La date approchait, la tension montait, et dès que l’occasion se présentait, je déterrais la hache de guerre.

Mais tu ne connais pas ce mec, ah pardon, tu l’as vu 3 fois, ah 3 fois et vous étiez bourrés tous les deux. D’accord. Et tu veux partir avec « ton Ami de Tahiti » que tu ne connais pas et qui est alcoolique. Ah non, plus alcoolique depuis quatre mois.
Je confirme, nous achetons sa bière presque sans alcool par packs de cinq. Approvisionnement en vue de la croisière. Après quelques cannettes, il semble avoir sa dose. Il en imbibe les tortillas chips bio qu’il achète par paquets de soixante cm de hauteur, qui m’évitent de voir sa gueule quand en fin de parcours Carrefour, je ne peux plus l’encadrer. Il les trempe dans ce qu’il appelle le guacamole, ses avocats trop murs écrasés à la va-vite, dans lesquels il fait tomber des objets qu’il ramasse en plongeant sa main pleine de cambouis. Vu une fois, je n’invente rien.

Ainsi, mon nouveau compagnon ne veut pas parler de nous à cet homme qui bourré lors d’une fête lui a dit ah ouais, Tahiti c’est ton rêve ? Mais viens, moi j’ai un bateau (poubelle, a-t-il évité de préciser. Enfin, entre poubelle et débarras). Je t’emmène aux Iles-Sous- Le-Vent, et tu passeras des degrés de plongée. Il se fait plein de plans sur la comète le Clodo.
Et l’autre zouave ne se sent pas le droit de m’imposer.
Faire comme si je n’existais pas. Pas de « reset », pas de nouveaux paramètres…Oh, une nouvelle copine. Et alors ? Qu’est-ce que ça change ?

Tracer. Droit dans le mur en solo. Pour finir la gueule en steak haché, comme l’abruti secouru en quad. Défoncé, Il s’est pris un mur dans un pauvre lotissement un dimanche après midi. J‘irais pas jusqu’à te le souhaiter. Ou jusqu’à l’écrire. Ben voilà, c’est fait.

C H A P I T R E S

Mais la copine fantomatique a malgré tout pris son billet. Et grâce à elle, Zorro arrive à destination.
Apprenant que Monsieur n’a pas l’Etis (encore un document éliminatoire _ à la con _ à compléter avant le départ), le commandant de bord gèle l’embarquement, et débarque nos valises de la soute. Loin d’imaginer que le passager ne sait tout simplement pas valider un formulaire, il en déduit que le laisser-passer lui est refusé.
Voilà comment je me retrouve à toquer à une porte d’avion verrouillée, avec ma meilleure tête de Sainte Sagesse, le pilote en chef de l’autre côté du hublot. Je lui mime notre dernière épreuve de l’Etis, résultat à l’appui sur mon écran de portable.
Oui bien sûr, je remets le masque mon Capitaine. Tout ce que tu veux gros, du moment que t’ouvres cette putain de porte et que tu raboules ma valise.
C’est Dieu dans son avion. Pour peu que tu tousses, il déciderait de te jeter par dessus bord en plein vol. J‘ai pas vu, champs de vision réduit sous le masque, si j’enjambais des cadavres en cavalant dans les passerelles. De cardiaques. Aucun ne peut survivre à un tel parcours.

Voici donc le petit couple, au complet, accueilli par Clovis. Absolument pas étonné ou acteur de génie. Bavette, leur amie commune a probablement gossipé.
Eux l’appellent Babette, si gentille, leur organisatrice de soirées arrosées à l’origine du voyage, confidente et plus quand, avant « nous », ils se pleuraient dessus en évoquant leurs relations foireuses.
Grand seigneur, notre agent d’accueil me pose deux colliers de fleurs blanches autour du cou. Belle coutume. Très opportune cette odeur, après trente heures de voyage. Il nous fallait bien la centaine de tiarés en brochette pour ne pas pourrir l’ambiance olfactive de sa petite auto qui annonce déjà la couleur du bateau.

Bien sûr, tu viens avec nous. En roulant sur la nationale avec vue panoramique sur le Pacifique, je me vois déjà à la barre, cap sur Maupiti.

Alors, avec « Top chef », son titre en vacances, sa cape de Zorro ayant été pulvérisée sur le tarmac, on sautille en tongues dans les rayons de l’hypermarché. Joyeuse, je le laisse au rayon poisson pour continuer de cocher les listes de Clovis, qui au moment de les dresser, s’embrouille allègrement : doublons, oublis. On fait du zèle, prêts à passer nos journées dans le labyrinthe bariolé pour remercier d’avoir décroché le gros lot : croisière dans les Tuams en amoureux avec notre skipper amateur passionné. De météo et de ravitaillement. Je peux faire deux fois, cinq fois le tour des rayons bios en lisant toutes les étiquettes, je retrouve invariablement mon feu-follet qui sautille sur place au rayon poisson, en train d’halluciner sur la fraîcheur, les pièces de thon rouge, blanc, Mahi-Mahi.
Litres de bière, bidons d’eau, on pousse hilares, le caddie sur le trottoir oblique, jusqu’à la Marina. Même pratique que dans les ghettos du Neuf-Trois, mais ici, encouragée par l’enseigne qui se gave avec les voileux. On se prépare pour 1 mois de croisière. Surexcités, on paie tout même si on divise, à la demande du skipper, la note en trois colonnes. Et on tient compte de ses préoccupations pour économiser des centaines de francs. 120 Francs, 1 Euro. Et bim ! Au moins deux euros d’économies en buvant de l’eau de tomate ! Il va être content.

Top chef se coltine la vaisselle une fois, commentant son attitude exemplaire. Je mets un point d’honneur à la faire parce que j’ai conscience (oui l’expression orale, c’est son kiff à Maître es Blabla), qu’il s’agit là de la tâche la plus rébarbative et il faut bien le dire, nullement gratifiante…Et que chez les hôtes, c’est toujours très apprécié… Préambule à sa thèse qui se prolonge durant toute l’activité, qu’il pratique en novice absolu, avec le plus grand soin et toute la méticulosité nécessaire pour forcer l’admiration de l’observateur. Qui l’entend d’une demie-oreille, et semble s’en contrecarrer.
Et ça dérape direct, il devient cuistot attitré. Clodo n’en rame pas une. Toujours occupé à chercher une demie heure la pile qu’il a laissée tomber dix minutes plus tôt en déplaçant une boite pleine de câbles coupés et de demi outils rouillés. Et entre deux recherches, il force sur un carburateur grippé sur lequel il philosophe, étalant sa science de la fusion des matériaux catalysée par l’eau de mer.
Du coup, entre les avocats et les pomelos il reste une poire pour faire la vaisselle matin, midi….et soir, et la laisser sécher dans un bac qui sert de machine à Palu, non ajourée, probablement récupérée et moins chère qu’un égouttoir qui permettrait d’égoutter.

Puis toutes ces activités, ça le crève le bricolo. Bon, j’ai un sacré coup de barre. Il disparaît dans sa cabine où tout son dressing de chemises trouées sert de surmatelas.

Le lendemain, on doit faire notre autotest. Dans tous les trous. Nez bouche. L’idée de le faire autre part te traverse forcément l’esprit saturé ! Ras le bol de ce flicage. L’imaginaire s’emballe. Si je suis positive, va savoir si je ne vais pas me retrouver en taule à la Midnight Express, ou en camp comme quand tu allais docile, te faire référencer pour avoir le droit de te coudre une petite étoile jaune sur le col.

Point météo après la sieste.
Programme du boss. Demain, on nettoie. On reste dans le port. Trop de vent au large.
_ Ok ! Et moi, je fais quoi ?
… ligne et coque, marmonne-t-il.
Ligne de coke ?
… vigne …taisons.
Gros effort de traduction. Pas son fort la diction.
_ Aaaah ! Ligne de flottaison.
Je pensais que c’était de l’humour. Petit remontant pour la mission.
Super. Prête. Au taquet. Même si le port…si je ne m’abuse, c’est quand même là où vont nos excréments quand il pleut trop pour aller aux sanitaires ? Je garde ma remarque. Peut-être n’y ont-ils pas pensé …

Voilà, l’annexe est colmatée. Elle prenait l’eau par tous les coins.

Super, c’est moi qui conduirais quand ils iront plonger dans les îles, et passer leurs degrés pour aller ensuite frimer au yatch club en France. Oui, excuse-moi, (ton faussement modeste) je suis 4e degré, oui, je l’ai passé aux Iles-sous-le-vent, pendant que l’autre bavera, en repensant à son mono et à l’eau lavasse de Palavas.

Je réveille Cuistot, caresses chastes après sa sieste. Le bandeau sur les yeux, que je lui ai volé depuis, juste par vengeance car je suis toujours éveillée quand il fait jour.

Il me dit. Plein soleil ? On le jette à l’eau ? On pouffe. Bien sûr qu’il est relou vieux grincheux. C’est pas dû à l’age. Juste une excuse. Probablement un ancien con de base, en passe de devenir vieux con. Il fait le mec détendu, qui simule des sourires en montrant ses dents toujours blanches, limite jaune fluo d’ancien dentiste, mais ne peut se retenir de bougonner, de parler à sa clé à molette qui ne dégrippe rien du tout, de gueuler sur son nouveau mousse pour qu’il lâche le boot, non tire, merde, pardon. Il s’embrouille tout seul, cherche même ses mots des heures, parle d’Alzheimer mais ne sait plus si c’est Parkinson ou Alzheimer, il confond.

Vers 16 h, resieste de Clodo. Merde. Le couple covidique se regarde. Oui j’ai de la fièvre je crois. Ben nous y voilà.
Il se tire une balle avec son pistolet à fièvre qui lui sert à vérifier la température du pain. Il énumère le processus : 20 mn de pause. Puis 20 mn. Puis j’allume le four. Trop fier de sa recette avec sa farine kit pain libre. Bref, il appuie sur la gâchette. Drôle de geste. A l’aéroport aussi. On te shoote dans la tête pour prendre ta température. 34 °, ça m’aurait étonnée aussi. T’es sensée naviguer 28h jusqu’à Maupiti avec un mec qui n’a pas un appareil en état de marche?

Le fou-rire n’est pas loin.

Je lui passe mon thermomètre nounours. Ok, un petit 38…mais le thermomètre a 20 ans, l’âge de Lola.

Il est couché. Un moustique, peut-être dit il, ça lui est déjà arrivé. Ouf sauvés par Alzheimer. Ou Parkinson. La planète pense Covid, lui, à un insecte.

Bonnie and Clyde. Je nous vois finalement hériter du bateau et partir ensemble.

Ou avec Jacques et laisser Géo Trouvetou à sa quarantaine Corona à Papeete.

C H A P I T R E S

Jacques a une dégaine d’indien qui monte aux cocotiers. Une dentition à la Freddy Mercury en moins prononcée, un corps sec et agile, tanné par le soleil, le cheveu poivre et sel en bataille avec bouclettes. Le mec qui quand il grimace au soleil, ne paraît pas, mais a une belle gueule.

Je ne le capte qu’après dix jours. Beaucoup de soleil en pays tropical.

Il porte toujours sur lui, une mangue pêchée avec son filet télescopique, une coco marron, peu de jus mais une chair épaisse et écarlate, et sa râpe pour agrémenter notre riz au le lait de coco….succulent !
On partage quelques repas avec lui. Au cours de la conversation, il évoque sa quête d’une pote ou plus si affinité pour naviguer avec un des bateaux dont il s’occupe.

Le ciel se couvre. Pas le petit grain. Le cyclone s’abat sur le couple.

Jour J pour l’auto test Covid. Sa mère la chauve comme disait Lola. Nous y voilà. Dernier piège avant le départ vers les Îles.
Mon plan. L‘esquive. J’ai repéré le Tahiti pas cher, et demande à Cloclo en pleine forme ce matin, dans le rôle du chauffeur, s’il y a un bazar dans le coin. Monsieur le champion du « tout a dix balles » frétille. Je me justifie, au risque de paraître suspecte. Mais il est à mille lieues. Je crois que la plupart du temps, son air con n’est pas une composition.

Innocente : Je dois m’acheter de quoi écrire avant d’aller au Labo (pas un stylo qui écrive à bord).
Tout fier et joyeux : T’as le Tahiti pas cher. C’est juste en face du labo ! Je vous dépose, après y’a plus qu’à traverser.
Surprise : Ah, ça alors ! ça tombe bien dis-donc !
Qu’il dégage ….et nous juste après. On passera devant la file d’attente comme des voleurs. Juste un coup d’œil pour apercevoir parmi les badauds qui se sentent utiles en se prêtant au nouveau passe-temps à la mode, deux flics en uniforme. J’accélère.

Petite divergence de stratégie dans l’équipe. Zorro voudrait aller demander ce qu’il risque s’il ne le fait pas. Ben tiens, tant que t’y es, demande leur s’ils ont des menottes aussi, pour les faux réalisés avant le voyage. Pas de négociation, je reste ferme. J’arrive à le rallier à mon plan : zapper directement. Assez joué avec les tests. Les lents, les rapides, les dans mon nez, dans le sien.

Je respire, me reprends et fais une répète : j’étais en mer Messieurs. La gerbe, la météo, on n’a pas débarqué, et le jour J de l’autotest-de-mes-deux est passé. Voilà ce que je dirais à Interpol s’ils viennent me chercher. Faut arrêter les conneries. Zorro est ok. Mais grincheux. Putain, ce bruit, la pollution. Moi, je vois la mer, les palmiers, les gens cool allongés sur l’herbe. Ils n’ont pas bougé depuis Gauguin. Alors je lui attrape l’épaule et le secoue. Il m’enlace maladroitement, se rend probablement compte qu’il est grave et doit se dire, si j’interprète bien sa façon de m’écraser les pieds dans son petit élan de tendresse, comment une nana aussi cool peut-elle me supporter.

Justement, dans un quart d’heure, elle ne pourra plus.

Zorro dans sa vieille cape délavée : Non, viens par là.

Xena (reine du Google Map Papeete depuis l’enquête Tahiti pas Cher) : Naan je vais pas faire demi tour, la Marina est de l’autre côté.

Monsieur Xenius (le pendant Arte de Jamy) a sa théorie.

Si ! Par ici, c’est le centre ville, on trouvera plus facilement. Il bloque. Caca nerveux. Je crois même qu’il tape du pied.

Je lui dis, ok, va vers ton centre ville, on se retrouve à la Marina toutal. Et m’abstiens de rajouter. Ça me fera des vacances. Loin de m’imaginer que c’est le début des grandes vacances.

Levé à 5 h, Clodo sait que Ducon dort jusqu’à neuf heures minimum. Je suis convoquée. Tu viens sur le pont ? Allons bon. Je le sens mal.

L’homme courageux dans toute sa splendeur. Entretien impromptu alors que tout Tahiti, toute la Polynésie dort. Clovis porte parole :
Ma femme (commence-t-il_en France, ils ne se sont pas vus depuis 6 mois_), ma femme ne veut pas d’une femme sur le bateau.
Silence de la guerrière.
C’est comme ça, insiste-t-il pensant sûrement que je crois ce qu’il me dit. Je le regarde. Ah d’accord ok. Sciée. Sidérée. Interloquée. Calme. Glaciale. Je l’emmerde ce pauvre type.
Il a posé son cul sur le banc pour mentir. De ma hauteur, je réponds d’une voix détachée. Ah d’accord, c’est ta femme. Bien sûr pas de problème.

Ça ne la dérange pas sa femme que j’ai payé le Gasoil, les bières, la moitié des courses avec Ragnar qui a dû plonger, équipé d’une bouteille défectueuse avec laquelle il a failli se noyer à un mètre de profondeur, en se faisant traiter d’handicapé par le génie aux dents jaune vif.
Ça ne la dérange pas, sa femme que j’ai passé une heure à nettoyer sa ligne de flottaison dégueu dans le port dégueu, mes jolis cheveux blondis flottant dans les particules de merde de son valeureux époux.

Oui, ok, le couple s’est fait la gueule tout l’après-midi, parce que je n’allais évidemment pas acquiescer quand Xenius réécrit une version, à son avantage. Lui malin et judicieux, optant pour un merveilleux parcours bordé de roses et d’autobus, alors que bête et renfrognée_ il me mime, ou il mime sa mère, ou il mime son père mimant sa mère_ je m’entêtais vers la quatre voies polluée.

Clodo aurait du se réjouir, je n’en étais que plus charmante avec lui, riais a ses blagues d’abruti juste pour mieux zapper Zigoto coincé dans son armure de mec trop futé. Pour retrouver ma joie, je chambrais Jacques, qui passait, alors, ta coéquipière, elle saura danser et chanter ? Je tâte le terrain. Je partirais bien avec lui. M’a l’air beaucoup plus subtil et frais que Vieux Croûton Moisi.

Le voilà le Xanax de trop. Je lève son bandeau. Qu’il assiste à mon départ, au moins. Mais il a beau répéter souvent et cette fois encore. Ah c’est vrai t’as raison. C’est dingue ! Comment tu vois tout ça ? J’y aurais même pas pensé ! Non mais t’as trop raison ! J’ai rien vu venir.
Je lui plante le décor du final. La convocation de renvoi de Clodo. Il s’offusque et illico repique du nez.
Personne ne voit avec un bandeau sur les yeux. Personne ne voit en se noyant tous les soirs dans l’happy hour, deux bières pour le prix d’une, 6 pour le prix de trois, en s’enfilant toute la presse en comprimés, en se cachant derrière un journal.

Oui, c’est ça. Je répète alors qu’il est déjà reparti dans son demi-coma. Il me vire. Je suis virée du bateau.
Vingt-quatre heures plus tôt on échangeait de la tendresse. Yeux bandés, il me suppliait. Non, pas maintenant le café. Reste contre moi. Et je le malaxais comme un petit pain au lait tout chaud.

La rancœur de la veille fond et je le smacke. Je crois à l’effet Belle au Bois Dormant. Mais regrette aussitôt. Non, ah non. Qu’est-ce qu’il se passe ? Questionne-t-il pour la forme. Deux minutes plus tard, son bandeau tiré sur les yeux, il replonge. Coma profond. Mort cérébrale ?

En moins de deux, me voilà seule et SBF .

C H A P I T R E S

Je cale sur un banc. Impossible de revenir sur mes pas. Pas de touche rewind. Personne ne me verra à la pension Gauguin, attendant que Xanax Ducon rentre de sa croisière. Je veux rester sur l’eau. Y dormir, y naviguer. C’est pas comme si j’avais le choix.
Une force me cloue là. Peut-être le pendant de leur faiblesse, de leur lâcheté. Résister. Continuer. Et espérer. Je bosse sur ma foi. Quelque chose de mieux doit être écrit. La petite lueur réveille ma curiosité de joueuse. Envie de savoir quelle sera la prochaine main, prochain flop.

Je vois arriver sur son vélo, un petit bonhomme rouge et rond qui roule toute la journée quand il n’est pas sur son bateau en face du notre. Il me sourit. J’entame la conversation, et je pitche si efficace qu’en quatre minutes, il capte le tableau, imprime et disparaît, me laissant en couverture de survie son empathie comme un paquet XXL de chamallows.

Je cherche une issue. Pense à Jacques, avec qui on pourrait partir en trio.
Quand trois longues heures plus tard plus tard, Gueule Enfarinée s’excuse de la part du Xanax qui l’a englué, qu’il me prend la main quand je pleure, me dit qu’il va lui parler, l’angoisse se dissipe. Puis revient puissance dix quand je l’entends à mon retour au bateau, planifier leur départ, oui, demain, 10h, ça serait bien.

Je m’effondre dans la cabine comme dans un feuilleton des sixties, et Maître Traître me dit mais non, tu n’as pas tout entendu. J’apprends en effet que Clodo enfonce le clou rouillé, elle ne fait pas la vaisselle (jour off post engueulade en effet, quand le cuistot aussi a fait sa grève et qu’on a mangé mes chips et du Cacamole au cambouis du taré. Il se permet de surcroît de me baver dessus).

Je laisse tout mon merdier dans la cabine et demande à l’empaffé-capitaine de me laisser le temps de m’organiser, le droit de squatter jusqu’à leur départ. Il acquiesce, la queue, en a-t-il une à défaut de couilles?, entre les jambes. Grande âme.

Juste avant le rideau de pluie. Nick arrive écarlate sur son vélo, à toute vitesse. Go ! On the dock, Vent Charmeur !

Un mec vient d’arriver il est ok pour te prendre.

Ai-je bien compris ? Mon english n’est pas fabuleux, et celui du messager Danois a l’accent allemand.

Il s’évapore. Pluie. Zorro a attaqué la série de bières. Une fine mousse chimique commence à envelopper son esprit. Ici, on lutte fièrement contre Covida en interdisant la vente d’alcool le week-end au supermarché, mais on te sert autant de bières que tu veux jusqu’à vingt heures, et double dose à l’happy hour.

Dès que la pluie cesse, je pars en direction de Vent Charmeur.
Un sourire frais, un mec calme, pacifique. Yeah, yeah, it’s ok for me. I show you.

Ça me paraît si soudain que m’échappe en tcheckant : j’espère que t’es pas un psychopathe ! Et il me renvoie le compliment en rigolant.
J’ai le choix entre deux cabines. Il m’indique la meilleure. Oh my god, mais je ne me cognerai donc plus la tête sur l’angle en bois qui me microfissure la boite crânienne à chaque fois que je sors du lit ?
Je lâche mon sac à dos soixante-dix litres, heureusement presque jamais porté. Une fois pour voir ma dégaine dans le miroir en France. Un escargot handicapé. Même allure, quinze jours plus tard avec bouteille d’oxygène, gilet, détendeur, manomètre, (pas nanomètre ça les fait rire) pour aller m’asphyxier dans six mètres de fond et faire rire les poissons multicolores de l’Aquarium. Nom donné à cette zone du lagon, où les bêtes curieuses sont les plongeurs, que peut observer une faune paisible, animée et joueuse.

Bagage cabine, sac de sport qui appartenait à maman, comme la larme d’émeraude que je porte autour du cou, petit sac à dos que Jo m’a passé la veille du départ, pour que je l’emmène en pensée à Tahiti et lui rapporte des magnets. Et mon édredon du pap, super pratique. Tous avec moi. Et on pourrait encore mettre un corps dans cette couchette, si je refermais mon sac à dos qui déborde de cette multitude de riens indispensables qui ont parcouru la moitié du globe.

C H A P I T R E S

Enfin posée, je prends une nouvelle claque au réveil. Pas vue venir. Répudiée par ma fille de vingt ans, parce que je raconte ma vie. C’est si choquant la vie. Tellement pas raccord avec ce qu’on attend les uns des autres. Je commence à caresser l’idée de m’installer au paradis. Evoque le projet sur le groupe. Elle n’adhère pas. Ou a-t-elle entendu que je partais en « vacances »?

Je prévoyais 5 semaines parce qu’il fallait bien donner une date de retour. Le fallait-il d’ailleurs ? Lors de la réservation, une question me taraudait : pourquoi pas trois mois ? Six?

Dans le groupe WhatsApp, une bulle avec texte en italique s’est intercalée, comme un nœud dans la gorge [« Lola mon Amour » à quitté le groupe.]
Comme si tout à coup, je me baladais avec un nuage gris sur la tête.

Mon sac de bordélique chute (savon, piles, chargeur, brosse à dent, déo, clé usb, cable orange, cable blanc, pochette pleine, autre pochette qui déborde, fermeture cassée, porte monnaie, porte billets, ordi…). Comme lui je suis en vrac. Son contenu maintenant répandu au sol.
Odeur sublime. Le flacon de Nuxe coupé en deux, net. Equation dans ma tête. Nuxe égal Nina. Une de mes amies proches. Lola rompt brutalement avec moi, en évoquant le coup de fil de Nina qui a suivi mon post. Celui annonçant l’idée de devenir tahitienne.

Les signes sous cette latitude te percutent si fort. Impossible qu’ils ne t’échappent. Ou est-ce une aptitude qui se développe sous l’effet de la survie.
C’était Nina, l’aventurière.
On se connaît depuis que son fils Noah et Lola ont 3 ans. Elle bosse comme une dingue, chef d’entreprise, moi je lui confie souvent mon mal-être, mon père, mon boss, mon Amour qui ne me rejoindra plus en bord de mer. Elle trouve toujours que c’est ok. Genre, ça va aller. Pas trop d’états d’âme. Toujours tout droit. Elle fait ses voyages, Brésil, Thaïlande. Viens avec moi, je viens de prendre mes billets, je fais le Brésil. Viens, j’ai réservé pour Bali. Là c’est moi qui parle Polynésie et le ton change. Un peu en mode, mère casse-bonbons de la lotion Jouvence de l’Abbé Soury*. Cocotte, prépare toi à vider ton compte en banque.

*(https://m.youtube.com/watch?v=exL7Sw9vSy0)


Elle sait que je suis toujours ric-rac et que c’est une de mes angoisses. Voilà. Puis, quelques semaines plus tard, tu pars toujours ? T’as fait ton Covid ? Je dis oui, du coup, tout est ok ! Etonnée par ses rafales de questions. Je réponds en ping-pong, sans rentrer dans les détails. Et la voilà qui appelle Lola, sans m’en parler, pour bien lui expliquer que même si sa mère l’abandonne, elle sera toujours là.

Depuis petite, elle récupère des chiens et chats abandonnés. Et me raconte en long en large et en travers ses visites pluri hebdo chez les vétos. Quand on est allées en Thaïlande, elle embarque les filles de la belle sœur, dont elle me décrit tous les travers de mauvaise mère. Elle ne s’en occupe pas. Et elle fait une troisième gamine ! s’indigne-t-elle.
Sauveuse des enfants de mères indignes.
Et grosse consommatrice compulsive, grâce à ses achats en doublon, j’ai eu une salopette Wrangler, un flacon Nuxe, tiens ma chérie, j’adore cette marque, un T shirt rigolo Monsieur-Madame. Et bing, tout le contenu du sac à dos se fracasse au sol. En fait, non, ordi nickel, téléphone nickel, juste le flacon scindé en diagonale.

D‘ailleurs, elle aussi a quitté le groupe depuis un bail, discrètement. Pas vu. Ou pas voulu voir.
Malgré le nœud en déglutissant, je crois que je suis prête. A rompre quelques liens pour me trouver, me retrouver ici. Seuls les vrais, les solides tiendront ou se rafistoleront.

Puisque Zéro s’en va sans moi, je pars avec Jacques.
Mais Jacques est libre et fou, dans le sens où il n’est pas gérable. Un cheval fou. Qui finalement reste à terre.

Alors dans ma lancée, je rencontre Daniel. Qui lui m’embarquerait bien. Avec ses faux airs de Dubosc (le charme et l’humour en moins). Sur son superbe catamaran, gratuitement. Mais cette gratuité est trop chère pour moi. Le chœur des envieux résonnedont Miss Nuxe, mais oui ma chérie, tout se paie. « Jouvence de L’Abbé Soury, ça fait deux-cents ans qu’on vous le dit ».*
Têtue, je crois toujours à la liberté, l’échange, le partage, mes rêves.

L’accompagner dans les rayons du supermarché pour acheter tous les aliments industriels auxquels j’ai renoncé depuis dix ans, programmer un marché, en complément, pour ne pas être privés de tomates pendant la traversée. Un aventurier qui ne peut pas partir sans ses coussins faits sur mesure, ses caisses de vin, ses deux oreillers à mémoire de forme. Je m’aperçois in extremis que je me trompe d’équipier.
Le déclic étant le moment précis de la préparation des boots.
L’activité ressemble à un atelier enfilage de capotes. Qu’il tient absolument à m’expliquer, à dix centimètres de mon visage. Avec des gestes très suggestifs, en restant à travailler sur la même pièce que moi, alors qu’une dizaine de bouts de boots sont à faire.
Pour répondre à ma façon, je prends la grande aiguille utilisée la veille et la plante fermement dans la capote et la queue, technique qui s’avère super efficace pour cette tâche et le refroidit instantanément. Voilà, une piqûre double effet, vaccin et rappel. Il m’avoue, lorsque je l’invite pour mettre fin à notre projet, qu’il a eu envie de se tirer sans me prévenir. Et part, en gentleman, sans payer sa bière. Je m’abstiens de lui confier que j’ai failli passer la veille, récupérer mes courses à bord sans son autorisation, pendant sa visite chez le dentiste.

C H A P I T R E S

Une fois à terre, ne crois pas qu’on va t’aider, te rembarquer aussi sec, ni te relever. Certains pourraient même, d’une pichenette, te pousser dans un trou. Ou à l’eau.
Impossible d’anticiper. A d’autres moments, ceux qui s’apprêtent à te faire le croche-pattes se ravisent. Ils enfilent le déguisement de super héros : ah tu sais, tu n’es pas la première à débarquer comme ça, on peut bien se soutenir un peu. Tiens mon vélo, il sera mieux qu’au garage. Ou la variante voilier quelques semaines plus tard. Tiens mon bateau, j’en ai trois, il sera mieux entretenu avec une charmante femme à l’intérieur.

Te voyant trébucher, le comportement vrille, comme la mère qui voit son enfant se blesser et dit, c’est bien fait, t’avais qu’à pas courir. Ils en ont marre de te voir te relever, montée sur ressorts. Assez joué Zébulon. Dégage !

Dans la famille « Nouveaux-Copains », je demande le père !
Oreille attentive, fier de son poste de Dieu du port, il roule pimpant dans son t-shirt rose, sur un mini vélo blanc modèle femme, dos bien droit, fesses moulées dans son jean immaculé. Il me raconte les anecdotes de son fief, la Marina. Ma préférée, une dame mariée, tombée amoureuse d’un octopus. Il trouve un jour, cette élégante femme allongée sur le quai, un bras immergé jusqu’à l’épaule.
Elle descendait chaque jour de son bateau, pour passer un instant avec sa pieuvre. Au moment de prendre l’avion, elle a refusé. Attendant que son nouvel amour quitte cette vie, pour rejoindre son mari compréhensif et son pays.

Il me fait parfois comprendre qu’il n’arrive plus à débarrasser son territoire de certains spécimens.
Des femmes, jolies et un peu allumées, dont une qui avait décidé de ne jamais mettre de culotte. (Du coup j’essaie une journée, c’est rigolo, et pas faux, tu respires mieux sous ces latitudes). Elle vendait des bracelets aux plaisanciers et vivait, comme ça, d’amour et de perles.

Lolly est très jolie ! Même avec son appareil dentaire. Notre boss de la capitainerie m’a déjà expliqué avec un sourire et en retenant un petit filet de bave, qu’elle sait très bien y faire, et peut liquéfier n’importe quel mâle.

Il lui a donc cédé provisoirement et exceptionnellement, un emplacement à la Marina là où il n’y en a pas.
J’apprends la nouvelle aux aurores, lorsqu’il vient prendre sa petite dose quotidienne de caféine et se mettre à jour sur les derniers épisodes de mes aventures tahitiennes, tout en faisant le mec détaché, philosophe, et heureux en ménage.

Mais je comprends, Rodrigo, que tu jettes un peu d’huile sur le feu de mon bûcher. Je connais ta Doudou, comme tu l’appelles. C’est rassurant les doudous. Belle nordique quinqua. Mais je vois aussi, son expression un peu éteinte.

Un jour, je déjeune avec Chris, un de vos anciens amis très intimes.

Version Rodrigo : a voulu sauter ma femme, l’enfoiré,

Version Chris : elle aurait voulu mais c’est moi qui n’ait pas voulu,
Je croise la principale intéressée, et lui communique l’info fraîche de la présence de l’ex-ami du couple dans les parages.

Version 3 : silence, elle rougit sous ses tâches de rousseur, et sourit d’un air espiègle que je ne lui connais pas. Je la vois pédaler en paréo, en nage, plusieurs fois ce même après-midi, sur le circuit habituel de son mari où flotte la présence de son « non-amant ».

Ainsi, expert en vie de couple, et friand de comédies romantiques tu n’as loupé aucun chapitre de mes mésaventures.

A ton tour de jouer, tu as placé la jolie anglaise baguée à côté de l’anneau du bateau qui trimballe mon branquignol, qui adore les filles qui ont des bateaux. Petite erreur dans ta stratégie, il ne craque pas, bizarrement, pour les filles qui ont l’âge des siennes.

Dans trois jours, il rentre et moi j’aimerais bien me téléporter vite fait sur une autre planète.

Dans la famille « Bonnes-Amies », je pioche la sœur de cœur.

Le chœur des « ex-copines » commence à dérailler : oh vas-y, si tu veux prendre le large, fais un effort ! Mène l’autre en bateau sur son catamaran. Un petit aller retour à la casserole. Loin de tous. Tu ne seras pas grillée, même pas cuite. Et au moins, t’auras navigué.

Merci les filles. Traite des blanches, bon plan aussi, pour une navigation à l’œil !
J’ai droit à la traduction, en langue masculine, même esprit glauky, même idée. Avec lourd sous-entendu sur l’âge avancé des femmes périmées. Il est temps de faire un peu de tri côté relations.

Puis musique céleste. Arrive une dinghy qui n’avance que par l’opération du puissant esprit tahitien. Aux commandes, face aux bancs de vautours et autres charognards, la première représentante de la brigade des anges.

A-t-elle vraiment prononcé ces mots ? Ixan, navigatrice en herbe de trente ans belle comme une Ursula Andress, une James Bond Girl, m’a-t-elle vraiment offert ce petit Haiku ?

Quand même, tu te rends bien compte
que certes, tu as ton age,

mais t’es méga bonasse !

C’était avant d’entamer notre Ricard.

Comme si je venais de gagner au loto. Bien sûr que je ne me rends pas compte, et que je dois me pincer, après le cyclone que je viens de traverser. Même si je suis un dixième de ce que j’ai cru entendre, ça efface tout.

Nick, membre éminent de la même armée, me regarde fixement. Contrastant avec ses joues Pink Lady, les yeux bleu océan s’enfoncent dans les miens. Stay away.

Il ne rigole pas du tout. Il répète. Saowfiii , s t a y a w a y ;

Karen, sa compagne, belle Danoise discrète. Première fois qu’elle m’hypnotise, à son tour. A moins qu’elle ne me scanne ? Comment n’ai-je pas vu cette beauté ? Elle aussi apprend à s’aimer. Elle me donne ses petits outils. Ne se sent pas hyper légitime, s’excuse, humble. Je prends, je prends. J’ai peur, une peur panique de paniquer, de m’effriter quand je vais le croiser. Le gentil couple coach me rassure.

Eva, une amie de Jacques fait une entrée fracassante au port. Telle Marilyn. Elle écarquille ses yeux dans ce corps de pinup de l’Est. Il en est fou. Il court. Les yeux exorbités. Que je lui arracherais bien quand il me fait des remarques désobligeantes sur mon âge. Le sien. Toi, regarde ta date de péremption ! Avec ta belle, le marathon ne fait que commencer.
Auréolée de ses airs méga sexys dont elle joue en virtuose, elle me prend aussi sous son aile. Tout compris. Mieux que moi. You take that guy and put a shit on it, and to the garrbage ! Je crois que son anglais de tchèque est aussi bon que mon tchèque. Mais l’idée est limpide. Pas besoin d’interprète.

Soirée cocooning pour mon petit palpitant amoché.

Grâce à ces soirées, regard bienveillant de Nick et Karen, l’accent d’Eva, la question se pose au réveil.
Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Comment as-tu pu suivre pendant 3 mois jusqu’au bout du monde, une âme perdue, qui n’a pas donné de nouvelles pendant deux semaines, t’a larguée au poste d’essence pour s’embarquer avec un fou-furieux, qui te dit une fois rentré, se trouvant là par hasard, ah t’es là toi ?

C H A P I T R E S


Le seul mec que je croise dans toute la Marina. C’est donc écrit comme ça ? Allez me chercher les scénaristes !

Ce moment que je redoutais tant. En allant rejoindre le bar où mes amis ne sont plus. Pas un figurant. Aucun autre des personnages principaux qui sont toute ma vie depuis que ça tangue. Tout le monde s’est volatilisé. L’univers s’est vidé de toute entité vivante.
Excepté lui. Et moi.
Dans la pénombre, je distingue un mec. Que je prends pour le propriétaire de l’école de plongée, à contre-jour devant l’enseigne de la boutique. Poliment, à sa question surprenante, je réponds, oui, et toi, ça va ?

Et là, je le reconnais. Il s’habille hors de la douche, comme si c’était normal. Dans la pénombre, me dit que j’ai bonne mine. Dans le noir ! Comme s’il croisait sa voisine devant le parking. Rien sur nous. Blablate sur ses mésaventures de navigation dont je me plus que tamponne.

J’ai suivi un fou au bout du monde. Qui, après m’avoir parlé de son ex pendant une éternité, puis silence radio, me parle d’un autre fou.
3 mois et 3 semaines.

Une minute d’échange insipide déclenche le réflexe du vélo. Pendant qu’il monologue en mode banalités cordiales de voisinage, la pédale s’enfonce sous mon pied, interrompant net cette non-conversation.
Dans mon état de sidération apocalyptique, je fends l’air lourd jusqu’à mon refuge.

A distance, j’envoie mes flèches pointe curare, messages qui comme depuis des mois tombent à l’eau et coulent. De pauvres bouteilles mal bouchées.
Le seul bouchon hermétique, l’insulte. Je me défoule. Et oh surprise, j’ai enfin droit à un message, presque aussi long que le mien.
Et je ne t’ai jamais trahie, blablabla, c’était clair depuis le début, projet solo, blablabla, et je suis disposé, (et pourquoi pas je daigne, ou, je m’abaisserais bien), à me balader dans les Tuams avec toi.
Et quoi encore ? Pour que tu montes à bord, avec le premier compagnon d’happy hour, et que tu me proposes qu’on se rejoigne dans 3 mois ?

Je te laisse ramer, pédaler. Et malgré tout réponds.

J’hésite, entre deux propositions : un plan avec mes amis ou un dîner avec binôme d’enfoirés. Je vais faire la plouffe, je te dirai.
J’essaie de me tenir à distance. Me débats pour ne pas être aspirée par le trou noir, et comme une ballerine-plume en plein porté, déploie toute mon énergie pour rester légère. Ne pas basculer.

Pour que je te les casse, encore faut-il que tu en aies, et que tu leur ai fait faire le voyage. Frani Taioro, puisque tu ne réponds que quand on t’insulte. …Oreilles bouchées face aux mises en gardes angéliques, j’attends toujours les réponses. Silences diaboliques.

C H A P I T R E S

Les échanges continuent. En numérique. Pas de salamalecs. J’essaie de nous voir en face, et de tourner la page. A l’horizon, d’autres amants potentiels.

J’essaie de redresser la couronne sur ma tête. Assise sur mon trône bancal, j’étudie les candidatures.
Renaud, qui dégouline en pédalant à contre-sens sur la voie rapide, tout sourire, la soixantaine juvénile, l’œil bleu. Mental, quatorze ans et demi, il pétille. Un rêveur, procrastinateur. Une cabine libre. Veut se tirer dans les îles, et dès qu’il est prêt _ça fait deux ans qu’il avance doucement_, il m’emmène.
Léger et enfantin, il tombe presque de son vélo en me voyant et s’exclame à la cantonade, ah ! la plus jolie de la Marina. _One point ! _ Puis lourd comme les quatre tonnes qu’il conduit quand il chausse sa panoplie de chauffeur : Tu vas prendre ta douche ? Petit sourire charmeur et accent du sud. Tu pues ?
Une seconde d’apnée. Mes sourcils remontent. Répartie : …trouve pas.
Il insiste, c’est ça ? Si tu te douches pas tu pues ? Et il développe.
Je tourne le bouton, change de canal. Enlève le point. A mistake, sorry. Le replace au dernier rang dans la file des prétendants. Voire sur la touche.
Jacques fond pour Eva mais je sens bien qu’il me kiffe aussi. Qu’il me parle d’elle, mais aime notre connexion, et tenir à distance mon ex-Zorro, qui prend trop de place dans nos conversations.
Il martelle subtile. Un chuchoté hyper-articulé. Il est pas a-mou-reux. Oui, il a des sentiments. Mais il n’est pas a-m-m-ou-reux !
En bon binôme de bras cassés des relations amoureuses, on partage aux dîners, nos salades de théories et conclusions fumeuses.

Xavier erre dans les rayons de la supérette. Pieds nus, masqué, casque de moto sur la tête. Drôle malgré lui, son air toujours sérieux et sa cicatrice de bad boy. Un petit pincement, mais je l’élimine d’entrée. Trop fracassé chaque soir, quand il met un bon quart d’heure à monter dans son annexe pour aller cuver le rhum qu’il commence à siroter à l’heure du goûter.

Roger, lui, joue sur d’autres cordes. Humoriste séducteur et rebelle complotiste. Qui met son masque sur la pomme d’Adam pour ne pas avoir le « cou vide ». Drôle, mais suffit pas. A deux cabines à me proposer, en comptant la sienne.

Tex, ce mono, la trentaine psychorigide, proposition de love-story sado-maso. Tente de me rabaisser parce qu’il a cru que j’allais craquer avec mon détendeur, lâcher le boot de la plongée pour snorkeller. Puis fond quand je déballe mes aventures sur le zodiac, en rejoignant le spot du jour. La moitié de mon âge, je vois son regard décoller l’étiquette « relou-flippée » qu’il remplace par « couillue-sexy ». Alors il essaie de me facturer des leçons supplémentaires, pour s’assurer que je ne vais pas refaillir. Mais je fais la cancre. C’est lui qui paie. Cher. Une bonne séance de stress pour Monsieur. Tête en bas, je joue avec les poissons, descends deux mètres de trop, le zappe sous l’eau et il est obligé de cogner rageusement dans ses mains à vingt mètres de profondeur en crachant toutes ses bulles, pour me rejoindre et me rappeler à l’ordre. Accroche-toi bébé, je suis déjà inscrite dans l’école d’en face, et c’est Klaus qui m’initiera. A la source, ou la vallée blanche, entre deux requins, quand ton rêve était de m’emmener pour la cinquième fois à l’aquarium regarder le coussin étoile que tu me montres à chaque fois.
Il essaie les ronds dans l’eau. Comme les ronds de fumée version bulle d’air. Raté. Tu récidives sans succès. Impossible d’imiter ton collègue, zen et beau gosse. Ton petit numéro à 100 francs polynésiens, huit centimes d’euros. Rayé de la liste.

J’ai abandonné Eva sur le chantier, Néo chez Léo, deux chats chez moi, Zorro à Papeete, Lola en métropole, mon âme sœur à Paris.

L’abandonnée abandonneuse.

Il le fallait. Pour me trouver. Qu’en bouquet final, je m’abandonne à lui, qu’il parte sans moi, et réalise qu’en fin de compte je n’ai peut-être… besoin de personne.

Je connais maintenant la couche gratinée de la Marina. Rodrigo le boss me déroule le tapis rouge, Melchior me filerait bien un bateau, mais Patrick, veut m’aider lui. Il va trouver le plan. Je vais laisser venir. Depuis la terrasse de la capitainerie où je viens à l’aube chaque matin, écrire et partager le petit café gossip.

J’accepte l’invite au restau de Zozo qui refait surface. Gênée parce qu’évidemment, je croise mes alliés Danois au moment où on passe la porte d’entrée.
Mes thérapeutes de sevrage. J’entends leur regard désolé : ok, tu replonges. J’ai envie de les rassurer. Mais ils savent. Je joue avec le feu, drogue dure. Ils voient probablement déjà des petites flammes au fond de mon regard d’addict, ou l’étincelle, trop tard, dans mes cheveux couleur paille.

Madame connaît tout Tahiti ! S’agace-t-il.

Alors, passant devant le comptoir où il a siégé, ne ratant aucune happy hour depuis son retour, il fait la compète. Veut me montrer que lui, il connaît tout le staff. Salue obséquieusement chaque membre du personnel en se plantant sur un prénom sur deux. Bouffon.

Le numéro est un peu grotesque, mais me touche par son côté désespéré.

Ça ne m’intéresse pas de te faire courir. Même si elles me disent toutes que c’est ça le truc.
Tu fais le con parce que t’es encore plus fragile que ce que je crois l’être. Et en comparaison, je me sens assez forte finalement !

En plein révisionnisme, je me raconte l’histoire autrement. A base de « Et si…. »

Et si …tu m’avais juste abandonnée pour te trouver, toi aussi.

Et si …finalement, la came était juste un bon moyen de se relaxer ? De planer. De se libérer ?

Je t’écoute. Te plaindre. Pas de ton ex. De ton coéquipier cette fois. De t’être retrouvé sur le bateau d’un dingue caractériel.
En pensée, j’observe les séquences parallèles. Moi, sous pavillon Danois, où on me dit, make yourself at home. Accueillie comme une reine.
A part toi, j’attire de bonnes personnes. T‘es mon erreur de casting. Peut-être parce que c’est toi qui m’a choisie. Flattée. Si votre ramage se rapporte à votre plumage. C’est comme ça que tout a commencé.

Une bonne leçon, Maître Zorro.

C’est mon regard que je dois changer sur moi. Me prendre pour une sdf, alors qu’ils sont tous témoins : le pied feat direct dans la tong de vair. Malgré les bosses, l’hallux valgus. Voie royale. Mon monde est peuplé d’âmes merveilleuses. Ou drôles. Dégagés les dingues, qui te larguent, te virent. Te broient.

Eva, saoule, retourne sa veste n’importe comment. Me dit que je ne peux pas compter sur lui. Ni lui sur moi car je n’ai pas voulu respecter son projet solo. Mais ça c’est Eva qui le dit. Elle dit aussi qu’elle rend tous les hommes dingues sur le chantier, quand elle nettoie le pont du bateau en bikini. Là dessus, aucun doute. En rajoutant encore quelques verres, et un peu de rhum, avec son T-shirt ultra fin qui souligne ses tétons nus, elle se rapproche et me susurre c’est cool avec girls.
Elle me regarde comme si j’étais un cheese cake nappé de coulis de framboise. C’est sympa de caresser d’autres bubbles. Me scrute. Elle doit voir mon épiphyse. En double.
Un palier supplémentaire d’éthanolémie franchi, elle se confie, je me sens coupable. Ai-je donné de l’espoir à Jacques ? Et maintenant je veux marry Vent charmeur. Il y a 2 jours, elle disait, no man. Men sucks. Garrbage.
Le diadème chute. Ralenti… au fond du port.

Je réponds des trucs convenus, qu’elle aura oublié demain matin. Ken est un grand garçon. T’agites ton petit corps de pinup sous son nez, alors qu’il n’a pas mangé depuis des mois, normal que son estomac gargouille .
Tu me regardes amoureusement, you know I love you, and you‘ll have to try. If you die, you will know….bubbles.

Elle a raison, je devrais essayer les filles. Mais là, comme ça, ça me paraît incongru.
Elle trouve que mon anglais est so improve. Mais je commence à avoir des doutes sur le sien. Et moi aussi, je me demande si j’aimerais la caresser. Mais Eva est comme une pâtisserie, d’un autre genre. Pas trop envie de tester de nouvelles intolérances.

Alors selon elle, mon « couple » serait basé sur la trahison ! La théorie d’Eva bourrée, qui voudrait que je caresse ses nichons alors qu’elle se sent aspirée par Ken. Je sens que ça part en vrille.
Je salue la caravane. Laisse passer. Rendez-vous avec Karen demain, pour plonger aux aurores. Dans les eaux limpides du lagon.

Plus subtile, deep, dirait Lola, elle résume ce que je lui explique. You grow up. Et on part en fou-rire quand je m’assois distraitement à l’arrière de la barque. Dans le vide, disparaissant de sa vue.

Restau plié. Sympa. Drôle avec un bon Chardonnay. On marche bras dessus bras dessous. Même s’il joue au gros con. Teste jusqu’où j’endure.

Ah oui, j’avoue, elle c’est quand elle veut ou elle veut. Marine la Bordelaise, Elise l’infirmière.

Et là je souffre. Aucune résistance à la provocation.

Je me rassure comme je peux. M’accroche à mon mantra. Moi, l’instant présent.
Aux preuves fugaces de mon attrait sur la gente masculine. C’est moi que Bob, qu’il me présente, regarde fixement avec ses yeux vert menthe lagon. Si je m’aimais un peu plus, ou m’amusais avec d’autres, je saurais que je peux les siroter. Tous.

Il consommerait, certes, ses infirmières au Bordeaux….Mais l’ennui… Un petit tour de vélo autour du lac ? Je vois ses clichés, vie trépidante sur Facebook. Et n’oublie pas le bonnet sous le casque, pour la piscine. Elise adore la piscine. Les longueurs dans l’eau tiédasse, en bande, avec d’autres têtes de glands siliconés.

Ma frénésie, boulimie, collait parfaitement avec sa speederie de fuite permanente….C’est ce tourbillon dans lequel j’avais besoin de m’envoler. Même rapidité, mêmes échelles de vibrations un peu déconnantes. Deux déboussolés.

Pareil pour moi. Si je couchais avec Vent Charmeur, gaulé comme Ken rugbyman. Je serais obligée après de boire tout mon pastis. Et un autre, parce que j’aurais hate de remettre ça, juste pour fuir notre laborieuse conversation . A l’écouter citer Verhoven comme Godard, so crazy, à la belle étoile, j’ai cru qu’on décollait, Gaspawd Noyé, très hot, avec l’accent…Mais après avoir dressé la liste et chiffré son stock de films dans l’ordi, rien. Crazy, hot. Deux adjectifs. Comme lors de nos dîners. Il se gave de bons films en pleine mer, et maintenant, de cette chantilly bleue, et rose qu’il s’enfonce violemment dans le gosier. En pschittant direct comme s’il s’agissait d’un spray bonne haleine….et il adore raconter que quand un autre te le met, ça ressort par le nez. Arrête, Ken, trop exciting !!!! Bon ça me donne le mal de mer. Sommeil très tôt. Ah, ah, ah, si je ris malgré l’ennui, c’est juste parce qu’il m’héberge. Et que ça c’est nice. Et que ça le rend fier et touchant aussi. Une cabine libre sur un bateau qui n’est pas à lui. Quel gentil garçon. Je vis l’épisode 4385 de Beverly Hills. Et je m’endors dedans.

Donc toute cette mélasse à la crème fraiche et sirop de glucose déprimant me ramène à lui. Qui remonte son bermuda en string, se tire sur un poil de la cuisse… Depuis petite, je rêve d’avoir un petit singe. Je l’ai trouvé.

Et je lui file des petites taloches dès qu’il me blesse.

Tu devrais voir ma pote en chirurgie réparatrice, qu’elle reprenne ta cicatrice.

Ah bon, ça serait meilleur, tu crois ? Et quoi d’autre.

Tes seins.
 Il met le paquet, adore me piquer, me tourner le dos, parce qu’il me trouve trop à croquer, dit-il. Et moi qui marche, démarre au quart de tour. Boude.
Pas cette fois. Je l’emmerde. Calmement.
Je t’emmerde. Toi, refais-toi la bite. Et je pars là dessus, sans lui faire de smack.

FIN – CHAPITRES

LIBEREE DE L’INCONNU

*CHAPITRES

Il est à la Marina, le jour où Charles quitte le port. Sans moi.

Mon objectif, trouver un bateau dans lequel rester à quai, histoire d’éviter d’être à la rue à Tahiti. Même si, on est d’accord, « SDF en Polynésie » est un concept exotique. Il y aurait bien l’hotel, mais je refuse. Ce serait comme accepter l’échec. A la base, je me voyais naviguer. Point. Seul plan B envisageable, un bateau statique, mais sur l’eau, aucune envie de retourner à terre.

Jean-Marie, sur le ponton, m’aborde. Il attend une fenêtre météo. Se fiant à ma tête d’experte, et pensant que je prépare mon bateau pour partir, il monologue sur le thème, à propos de vents propices pour un départ vers l’Est.

Dans les cinq minutes, apprenant que j’ai été larguée avec les amarres par mon équipage, il me dit qu’il m’embarquerait volontiers pour les Marquises. Il va y passer la saison des pluies. Un couple démarre le périple avec lui, mais envisage de le quitter à Fakarava. L’idée serait de le rejoindre là-bas, en avion, et de poursuivre avec lui, la longue traversée au dessus des Tuamotus.

Je reprends espoir.

Six semaines plus tard, résidente d’un bateau sans mat, qui d’après son propriétaire, est honoré d’abriter une belle femme en attendant l’opération qui lui rendra son appendice, il me relance. Via Whatsapp. Le couple reste effectivement à Fakarava, ne supportant pas la navigation. Version officielle. Tu es la bienvenue si ton envie de t’amariner est toujours d’actualité.

Plus que jamais. En marchant, j’étudie différentes options. Je me donne encore neuf mois pour choisir mon sweet home. Loc ? Colloc ? Gardienne ? Proprio ? Logement de fonction ? Container ? Bungalow ? Hotel ? Bateau ?

Dans les tests de passage, si je choisissais la dernière option, il est impératif de naviguer. Même si je pourrais me contenter de dormir sur un bateau ancré, et savourer le bercement de l’océan abrité dans une coque de noix.

Me voici, à Air Tahiti, m’apprêtant à faire mes réservations. Ou à m’informer. Ou on verra. 6H du mat.
L’avant veille, avec Charles-Ulysse, revenu de son périple dont il m’avait exclue, on y est passés en fin de matinée. Histoire de recoller les morceaux de notre jeune relation déjà bien amochée.
Charles est alors, pour énième fois, sans que je le sache encore, mon futur-imminent ex. On vient y pêcher des infos, concernant le Pass inter-iles, ou Pass lagons, choisir le plus adapté pour re-re-re-re-repartir sur des bases cool, friends, sexfriends, ou juste potes, cousines….Pas très motivés et découragés par 2 bonnes heures d’attente, on quitte l’aéroport bredouilles, en notant l’horaire d’ouverture, pour une prochaine fois, qui n’aura jamais lieu ensemble.

Ce même après midi, je le déclare officiellement comme ex, après un ultime et définitif clash, un rendez-vous foireux de trop, où il arrive, avec 45 mn de retard. Une faille spacio-temporelle nommée « bière de l’apéro », qu’il a casée là, au moment où il devait démarrer sa voiture pour me rejoindre. Cette fois, à mon tour de le larguer. Définitivement. Proprement, au sens figuré.

C’était écrit. Pas d’archipel en amoureux, quelle qu’en soit la formule.

La seconde île, après 1 mois et demi à Tahiti, c’est Moorea. Lendemain de la rupture. Je me suis enfin décidée à prendre le Ferry, puisque tous mes plans voile tombent à l’eau.

Sur le vélo direction Papeete une nouvelle chanson s’écrit, s’écrie dans ma tête à tue-tête :

I can go, wherever I go
I can do, whatever I do

I can be whatever i want

I am soooo…..freee….

I am soooo….independant….

Independantly free…

Oohooh…..

Je passe une journée en solo, libre et légère, à la découverte d’un petit bout de cette terre que j’ai si souvent observé, coiffée de nuages, depuis sa grande sœur Tahiti. A mon rythme, lagons, baignades, vélo, photos, déj en tête à tête avec le pacifique sur une plage déserte. Seule cliente du snack, servie avec bienveillance et générosité, je déguste une portion royale de poisson frais grillé.

Au retour, l’improbable rencontre a lieu.

J’ai pourtant changé mes plans. Comme celui qui prend le vol précédent, et se crashe. Au lieu de rentrer avec le dernier Ferry, je décide, en milieu d’après-midi, de quitter l’île pour mieux venir la redécouvrir bientôt. Je sais que Charles a prévu de passer quelques jours ici. Suivant un programme flou. Arrivée à l’aire d’embarquement, une pensée me traverse l’esprit. Imagine que tu le voies débarquer. Et l’image se substitue à la pensée. Je vois une voiture blanche. Un profil au volant. Sa coupe unique de mini-viking du sud de la France.

Lui en voiture, moi en vélo. Il débarque, j’embarque. Il me voit, suit la file de véhicules pressée par l’agent. J’essaie de rejoindre sa voie, puisqu’après tout, la vie le remet sur ma route. Puis me ravise. Après 4 bleus en me faufilant entre les voitures à côté de mon vélo, et ne le voyant pas s’arrêter un peu plus loin, je décide d’embarquer. D’arrêter d’aller à contre courant. De ne plus l’attendre. De ne plus lui courir après. De ne plus espérer des heures des réponses laconiques, aux sûrement trop longs sms que je lui envoie. Comme lui, je me laisse porter par le flot qui me porte dans la direction opposée.

Le lendemain à l’aube, je suis dans le peloton de tête pour prendre des infos à l’aéroport de FAAA. Ticket 197. Tout comme le mois dernier, Jean-Marie a un impératif, sa fenêtre météo. Au plus tard le 23. Conditions idéales. Certifiées.

On est le 19 décembre.

Après une heure, je ressors de l’agence avec heures et tarifs de vols. Et autant de doutes que de possibilités. Un pass ? Aller simple à Fakarava, retour depuis les Marquises ? Peur de me lancer, je quitte le guichet sans réservation. Puis reviens sur mes pas et prends un nouveau ticket au distributeur. Le 208. Appelle Jean-Marie. Bavard. Abrège la conversation parce que paraphrasant les renseignements que je lui transmets auxquelles il mélange les siens, obsolètes, il ne fait qu’augmenter ma confusion.

10 mn plus tard, pas plus avancée dans mes décisions, me revoilà au guichet. Avec un autre employé. Un peu plus pressant, il me pousse à me mettre sur liste d’attente, sur 3 vols.

Trop fébrile, je monte le dossier mais ne fixe rien. Pas de places avant le 25, hors cadre de fenêtre météo. J’en déduis le signe évident que je dois rester, non ? Répondez ! Silence assourdissant en réponse à mon vacarme interrogatoire mental.

5 mn sont passées, ça s’accélère. Je repasse avec le numéro 213. Cette fois, je réserve. Ok, liste d’attente dimanche et lundi. Si ça foire, c’est que c’est karmique. 5 personnes dimanche, 3 mardi. Aucune chance à mon avis.

Dix kilos de bagages ? Pardon ? C’est pas vingt-trois ? Ah ok, dix-dix-dix-d’accord. Et les 13 excédentaires ramenés de France, j’en fais quoi ? L’employé hausse épaules, coin de bouche et sourcils, compatissant.

Casse-tête de la mort pendant les vingt-quatre heures qui suivent. Je fais et refais mes sacs. J’écrème. Ok, pas besoin de la jolie robe, j’y vais en matelot roots. Que mon colloc’ ne se fasse pas de films.

Et pour la pesée ? Comment savoir si le sac fait 10 kg, 18 kg ? 48 ? J’enfourche le vélo, prête à faire le tour de la Marina. Je demande à ma voisine de bateau qui fait la gueule depuis que ma pote Eva, à mon premier apéro, est tombée à l’eau saoule, « as-tu un pèse personne » ? On se tutoie tous à Tahiti. Même quand t’es une mauvaise voisine de bateau. Ok, merci. Elle a l’air faussement désolée et vraiment satisfaite de ne pas pouvoir m’aider. Henri non plus n’en a pas. Lui conduit des engins pour déplacer des bateaux. Il mesure les poids en tonnes. Il est sincèrement navré ! Et espère peut-être secrètement que je ne trouve pas, ne parte pas. On se salue 10 fois par jour et j’ai l’impression que ça va lui manquer.

Ken, un de mes premiers amis rencontrés à la marina, skipper faisant halte avant de repartir vers l’Australie, est la 3e personne que j’interroge. Yes ! Et il me sort comme par magie, un pèse bagages. Je découvre par la même occasion que cela existe.

Demande et on te donnera. Même un truc super pointu et incongru….Frappe aux portes. Comme dans les contes.

Troisième petit cochon.

Ah oui, alors du coup, je voudrais une robe en eau de lagon pour Noël.
Tiens, et surtout, pas besoin de repassage. Ouvre donc cette bouteille le 24 décembre, souffle trois fois et tu porteras la plus belle tenue de réveillon jamais créée.
Merci la fée.

Un pas de plus vers le vol Papeete-Fakarava.

Ah ouais 10 kg, ça fait encore moins lourd que je pensais. Nouveau tri.

La chauffeure de taxi avec qui j’ai fait un deal à l’aéroport s’appelle Philo…Philo-mène Sophie vers son destin. Philo+Sophie. Amour de la sagesse. L’association me rassure un peu. Même si pour l’instant, tout me paraît plus flou et fou que sage.

Et me voilà, chargée comme une bourrique. Flippée total de partir, de laisser quatre robes, deux carnets de brouillon, et mon début de nouvelle vie tahitienne, nouveaux amis, ex-petit-ami à la Marina Taina. Dans mes bagages, le piano en silicone rollup, et le ukulele, pas en silicone, qui prend sa dose de chocs, du bateau au taxi. Douze heures quinze : Philo est ponctuelle.

CHAPITRES

* Pub « Hollywood chewing-gum » du siècle dernier :

Fraîcheur de vivre
Hollywood chewing-gum
Chewing gum au goût très frais…

Hollywood chewing-gum
On en prend un
On se sent bien !

Direction l’enregistrement. Excédant de bagage, malgré tous mes efforts. Supplément. Pas grave. Au point où j’en suis, rien n’est grave. Masque sanitaire étouffant obligatoire, deux heures d’attente, à réfléchir au retour, trajet Aéroport-Marina.
Je pose les données comme un problème de maths de CM2.
Le bagage cabine étant devenu bagage soute à cause des dimensions :
5 kg + mon sac à main blindé (PC, boites de sardines pour la traversée Fakarava Marquises ): 5 kg + dix approuvés par le pèse-bagages,
qui font 20 kilos.

Le plan, si personne ne se désiste sur les vols : rentrer à pieds. Journée sport. Ou calvaire. Mes bagages, ma croix, sous trente degrés Celsius avec trois cent pour cent d’humidité. Et le bas du dos bloqué. Depuis le matin du départ à Moorea.

Là encore, j’ai cherché à comprendre. Plein le dos ? Fin de la love story ? Peur de partir alors je m’auto-bloque ? Devrais m’écouter ? Vite rentrer m’allonger ?

Quelqu’un me fait signe au guichet, liste d’attente Madame ? Tu te mets là ! J’adore, même les gens au boulot, en uniforme, te parlent en cousins.
Ouais gros, compris !
Non, pas de familiarité à ce point, mais pas loin.

A peine rangée dans ma file, je vois un couple embarquer devant moi. Mince, alors… Je commence à y croire. Mon pouls s’accélère.
Trente minutes plus tard, on m’appelle. Mille cinq cent francs pacifiques pour le bagage soute qui ne serait pas conforme. Carotte. Il le sera au vol retour, avec exactement les mêmes dimensions, même compagnie, mêmes règles.
Je convertis le supplément en citronnades : quatre. Ok. Ça les vaut.

Peur qu’ils décollent sans moi. Bagages scannés, dernière à passer le contrôle, après la dame en fauteuil roulant. Mais non, Sophie, tu vas pas la doubler ! Je vois l’avion, guette la passerelle. Téléportation ! Dans le futur, si je peux choisir une option, ce sera celle-là. Degré de stress qui frôle la limite Accident Vasculaire Cérébral.

Palpée, la pression monte encore d’un cran. Les pressions bipent. Sur la salopette, au moins dix boutons qui affolent le portique. La dame souriante fait le job de la fouille, suivant son protocole chorégraphique. Comme un karaté doux de cosmonaute en mission, où elle contrôle, avec la tranche de la main, tous les contours et volumes de mon corps. On rit. Soupape de sécurité.
Je cours et sautille, allégée de quinze kilos de bagages, et de mille cinq cent tonnes de doutes.
Si tout se passe comme ça, c’est que ça doit ! Suspens au max, j’entends ma fille, en pensée. Elle m’appelle Fast and Furious. Ou Drama queen. Les deux mon capitaine.

J’embarque ! Préviens tous mes contacts whattsapp ! Et passe en mode avion.

Évidemment, il y a un fond de peur. Stagnant, marronasse, comme un fond de veau.

CHAPITRES

J’ai échangé en tout et pour tout deux heures avec cet individu, et là, je suis à bord de son voilier.

Liste d’attente, avion, escale à Rangiroa, auto-stop, ratatouille-purée, orange en provenance d’Australie, et me voilà. Dans la cabine d’un bateau que je n’ai jamais vu.

Nickel, propre, beau. Dans un lagon de rêve, émeraude, turquoise, bleu pétrole. Il m’explique les règles, le fonctionnement à bord. Tiroir précieux à bloquer sinon obligé d’en refaire un sur mesure, très cher, douche en plein air, manipulations de la chasse d’eau pour les toilettes. Parler avec un inconnu de la logistique PQ, à déposer chacun dans son petit sac poubelle perso, on est lancés. Porte de la cabine ouverte, exige le capitaine, pour que l’air circule.
Super l’intimité. Première petite déconvenue. Que je garde pour moi.

Couchée, porte ouverte, je l’entends faire des cliquetis. Au pire de mon éventail des scénari possibles, il se branle et va me sauter dessus d’une minute à l’autre. Au mieux, il fait une manip avec un appareil de navigation que je découvrirai demain. A moins qu’il n’exécute un geste avec un cure dents chelou…je ne cherche pas à vérifier.

Deux jours plus tard, je tombe sur sa réserve, pour les trois années à venir, de fil dentaire.

Je me méfierai toujours de lui, parce que la première fois, lunettes noires, casquette, moustache, voix monocorde, je me suis quand même dit, putain, il est chelou. Et j’étais contente que le couple embarque à ma place direction Fakarava.

Lorsqu’il m’a recontactée, je me suis interpellée. Hé ! Rappelle toi. Mauvaise première impression. Toujours s’y fier. Mais je n’avais plus le choix. Raconter à tous vents que tu veux acheter ton bateau et devenir capitaine, quand tu sais pas si oui ou non tu seras une machine à vomi une fois ballottée par l’océan, il était temps de passer l’épreuve du feu. De l’eau.

Alors, quand on se met, dans la conversation et à son initiative, à parler de psychopathes, je pose un avertissement l’air de rien, raconte que j’ai vu Dirty John. La petite qui déteste d’emblée le beau-père, retourne l’arme contre lui à la fin, et le massacre sauvagement. Avis aux amateurs, y’a pas de petite femme fluette sans défense. Quand on nous cherche, on est des monstres de bêtes sauvages.

Je vois dans son regard qu’il me croit.

D’ailleurs, argumente-t-il dans mon sens, il est assez bien placé, car sa défunte épouse travaillait en psychiatrie, et a eu affaire à une petite mamie qui a tué son mari de 13 coups de couteaux, raconte-t-il en souriant bizarre. Il observe ma réaction.

Dans la même rubrique puisqu’on se dit ces choses, (sa façon comme une autre de faire connaissance), à peine deux heures après mon arrivée, sa femme qu’il aimait passionnément dit-il, est morte, cinq ans après l’attaque d’un patient. Agressée, son dos massacré. Son cœur a lâché après des années de douleur et de morphine, vers la cinquantaine. A peu près ton âge aujourd’hui me précise-t-il.

Je me demande si là, à cet instant précis, je n’aurais pas dû dire, au plaisir, gros malin. Peux tu maintenant me ramener à terre ? Je crois que je vais aller dans une pension, faire un peu de plongée, et rentrer à Papeete d’ici quelques jours .

Silence rempli d’images horribles, est-il le « patient » de sa femme aimée et tuée « passionnément », « passionnellement » ?

Il remarque un bleu sur mon avant bras et enchaîne, naturellement sur une histoire de femme battue, qui comme moi, insiste-t-il, avait des bleus qui se sont avérés être….ce qu’ils avaient l’air d’être. Glaciale, je réponds que ce n’est pas un sujet sur lequel je plaisante. Basta ! Sous entendu, pas avec toi, et tu me touches, 13 coups de couteau dans ta gueule. Je commence à avoir sacrément ma dose d’histoires glauques.

CHAPITRES

J’annonce direct la couleur. Dès les premières conversations louches. Je ne caresserai pas dans le sens du poil pour aller naviguer. Si ça s’arrête là, je reprends mes billes et retourne à la Marina. Pour l’instant, pas d’attaque. Je mets le son off, encaisse et réplique en sourdine. Non, tu ne me masseras pas le bas du dos, même si je douille. C’est gentil de proposer, mais merci. Non. Vraiment. Lourd…

J’espère que tes blagues sur le concours T-shirt mouillé, la fessée à la troisième bêtise se raréfieront quand tu auras bien compris que t’as pas affaire à une pute. Ou une fille qui pourrait un peu putifier pour un mouillage aux Marquises.

Tu m’as précisé par téléphone, je n’attends rien de toi, juste les quarts, pour dormir peinard la nuit. Je serai un gentleman.
C’était le contrat. Navigation. Collocation. La base. T’as oublié.

Chacun, de son côté, a pourtant reçu un avertissement. On se flingue le dos au moment où s’amorcent les plans du voyage. Moi, le jour où je décide d’aller à Moorea, et Jean-Marie en fin de cycle avec son couple de Fakarava.

Une énigme. J’essaye de relier les éléments, de transcrire, d’interpréter. Sa femme morte dos bousillé….Je cherche. Vois pas.
Me repasse le film, essaie de mettre en parallèle les séquences.

Larguée à la première ébauche de navigation. Trois jours après mon arrivée en Polynésie, j’avais nettoyé la ligne de flottaison du bateau. Celui avec lequel j’étais sensée naviguer avec mon amoureux et le skipper. La tâche fût accomplie au port en eaux troubles. Expédition avortée, débarquée et séparée avant le départ.
Tout à l’heure, on nettoie la coque. Cette fois, au mouillage. Eau limpide. On a commencé l’approvisionnement à la supérette.
Tout semble enfin bien engagé. Météo favorable pour un départ au plus tard le vingt-trois décembre. Mais ça glisse, ça dérape.

De longues plages horaires à attendre la petite tâche de préparatifs suivante, et à subir non stop, un flot ininterrompu d’un verbiage convenu et atone qui au fur et à mesure qu’il se déverse me devient insupportable.

Ça commence par un échange civilisé. On plaisante, se confie sur des moments plus graves de nos existences.

Puis le sujet dévie, sur les rapports hommes-femmes, ce que cherchent les hommes selon lui. Inquiétant. Il désigne les gènes, défend une théorie scientifique… Les femmes dont il parle, rien à voir avec moi. Je me débats, me sens asphyxiée par l’avalanche de platitudes, banalité, vacuité.
Prétention. Suffisance ; ah mais tous les experts te le diront ! Attends, je vais t’expliquer et tu comprendras, articule-t-il comme il le peut sous sa moustache.

J’ai trouvé le maître es beauferie, et on est dans le même bateau. En tête à tête.
Que faire ? Semblant d’acquiescer ? Sauter par dessus bord ?
Alors je choisis, ou pas le choix, de dire ce que je pense. Cash. Aller au clash, s’il le faut.
Et évidemment, il trouve ça dommage, aimerait me tartiner de sa pâte à penser grasse, en continuant à admirer mon joli (dit-il) sourire (pourtant éclipsé). Il trouve, parce qu’il a un avis sur tout y compris sur comment je devrais me comporter, que j’aurais intérêt à y mettre les formes. Concernant mes projets aussi, s’il était moi… Stop JM ! Quel rapport ? Toi. Moi. Conseiller, coach de vie, de Ma vie, qu’il éclaire de Son gros spot visqueux, comme si en même pas vingt-quatre heures, et trois monologues, il pouvait me classer dans une petite case de son catalogue de Dupont-Lajoie et appliquer sans se fouler, ses recettes d’ahuri farci de préjugés.

J’ai bien envie de lui fermer sa grande gueule alors j’essaie Cioran « n’a de certitudes que celui qui n’a jamais rien approfondi ». Aucun effet. Il acquiesce, probablement par politesse. Sans chercher à comprendre. Ne se sent pas concerné. Comme si j’avais fait un pet et qu’il faisait semblant de ne pas l’avoir entendu.

Deux jours, pendant les préparatifs, à supporter un fan de Laurent Gerra, qui commente chacun de mes faits et gestes, jusqu’à les rendre poisseux. Un coéquipier qui, quand je vais respirer sous l’eau, et me rincer de toutes ses opinions poussiéreuses, me conseille en ricanant, d’économiser mon énergie pour aller nettoyer sa coque vaseuse.
Alors qu’il ronfle au milieu du bateau, épuisé par son jeu de séduction produisant sur sa cible un effet répulsif, squattant tout l’espace commun, un grain bastonne le décor de carte postale. Trois heures ininterrompues de déluge, rendant impossible la mission vase, qu’il repousse chaque demie journée à la suivante depuis mon arrivée.

Coincé, il étudie tous les sites de météo, et essaie de me vendre un départ décalé d’une semaine. Toujours en son off : euh, tu veux dire… rester bloquée dans ton bocal, avec nos boites de conserve et tes blagues moisies ? Sans moi, je serai loin mardi prochain. Et si c’est pas aux Marquises, alors à Papeete à picoler avec Eva et Ken ! Je lui sers une part de mes pensées avec un pot d’édulcorant. Et une jolie grimace. Parce que je n’arrive plus à sourire.

Pour ajouter à cette ambiance pesante, maintenant qu’on est confinés, avec le vent qui hurle en fond sonore, il me demande mon avis sur les soins dentaires. Son plombage à sauté. Monsieur se déglingue. Couronne, carie, pivot, tourisme dentaire ? En voici un nouveau sujet passionnant, frais et léger.

Dès le réveil, au lever du jour, il annonce la couleur. Poliment, mais sans me laisser le choix, pendant que je prépare mon café : « ça ne te dérange pas, je vais mettre les infos », et se justifie, « ça nous fera des thèmes de discussion ».

En réponse, je prends direct mon bol de café, mes amandes et mes pruneaux et vais respirer et petit déjeuner sur le pont. Et comme ça ne m’éloigne que de deux mètres cinquante, j’ai la chance et le grand privilège de l’entendre apostropher sa télévision : « Ah non, là je l’éteins. Lui c’est un connard intolérant, je le déteste ». Je crois d’abord à une caricature, petite pointe d’auto-dérision matinale. Une tactique pour réamorcer un semblant de complicité. Que dalle. Comme il n’entend pas d’échos à ses commentaires constructifs et positifs, il patiente trois minutes et rallume son poste. J’apprends alors que Claude Brasseur est mort à 84 ans. Lui en a 67. Machinalement, je calcule. Je me demande si quelqu’un est déjà décédé, foudroyé par une rage de dents.

CHAPITRES

Bon ben j’arrête de discuter, décrète JM, quand je le renvoie dans les cordes. Parce qu’avec toi c’est impossible. Il a raison, la fille est incapable de faire semblant de s’intéresser à la vaccination des personnes de plus de soixante-cinq ans, dont Monsieur fait partie. Prioritaire et volontaire en chef pour jouer les cobayes pour le labo qui doit lancer son antidote et sauver la planète. Non, la même fille n’a pas envie d’entendre la bouillie servie au journal de cinq heures, régurgitée par un cerveau lobotomisé qui s’octroie, en prime, le droit d’émettre son avis très personnel et affligeant sur les projets et l’avenir de sa coéquipière, sur les trois prochaines décennies.

Incroyable que je n’ai pas vomi durant cette toute première navigation. En plus de la mer qui me secoue, me projette dans la banquette suite à quoi je crois m’être déboîté l’épaule, je reçois des salves de propos insipides et bourratifs. Enumérations techniques, parsemées de vannes mielleuses. Comparatif détaillé des différents frigos et glacières de mon futur hypothétique bateau. Ça donnerait mal à la tête au colocataire le plus patient et tolérant. A minima, des haut-le-cœur.

Faisant abstraction de mon expression fermée, il teste sa dernière blague :
Tu m’as prévu un cadeau pour Noël ?

Monsieur rompt déjà sa résolution. A moins que parfaire son humour n’entre pas dans le cadre « discussions » ? Je devrais dégainer ma Blanche Gardin, y aller cru et sanglant pour le mettre KO également quand il s’aventure dans le rayon des blagues Carambar.

Ah Noël, bien sûr ! Six mois que j’y pense, ironisais-je. La répartie, un de mes points faibles. Et la mémoire aussi. Jamais réussi à restituer une histoire drôle dans l’ordre. Capable en voulant citer l’humoriste, de dégainer la chute d’emblée, de l’oublier….Effet produit, l’interlocuteur reste mi-sourire pincé-gêné, y mettant de la bonne volonté. Mais je vois bien dans son œil, à ses sourcils. Le malaise, et l’envie de zapper direct si j’étais télécommandée.
Abstention salutaire, du coup. Je me cantonne au registre pochette surprise.
Là encore, niveau CP, je bois un peu la tasse, mais persévère.
Tellement capital pour moi, tu vois, les fêtes de famille, tout ça…Si je suis à 20000 km des festivités, de la famille, bien la preuve que c’est vital et central dans ma vie.

Il insiste. Je manque d’inspiration, continue à ramer.
Trouvé ! J’utiliserai un bol en plastique pour mon repas de réveillon. Ce sera ton cadeau.

Quelle créativité, je m’épate. Plaisanterie nulle, mais ciblée. Car le JM est maniaque. Il me piste, quand je prends telle vaisselle. Sécurité ! Pas de verre ! Ou quand je suis sur le point de rentrer dans les toilettes. Si le bateau gîte du mauvais côté, j’ai droit à un cours. Intégral. A deux doigts de me faire dessus, il m’intercepte.
Attends-attends !
Topo sur l’arrivée d’eau de mer rendue plus délicate car l’angle des cales bla bla bla. Je me bouche mentalement les oreilles pendant sa démonstration qui semble sans fin.
Pour un peu, je renoncerais à mon objectif.

Quelques instants plus tard, résolument installée sur la cuvette : Sophie !

Je smash en aboyant.Trop tard ! Heureusement, porte verrouillée.

J’avais pourtant essayé d’anticiper. Suite au cours de plomberie, et la mission petite commission accomplie. Bonne élève, je surfe sur sa logique : si l’arrivée d’eau et patati, je lui ressers sa théorie et le vois tout jouasse que j’ai capté le sens profond de la discussion pipi-caca-chasse-d’eau. Je suggère que nous gardions une bouteille d’eau à portée de main pour avoir une réserve et tirer la chasse que ça gîte dans le bon sens ou pas.

Il ne comprends pas. Lui aussi semble avoir des problèmes de tuyauterie. Ou de connexions neuronales. Pense que je veux saccager nos réserves d’eau potable. Content que je lui offre enfin un motif d’offuscation.
Ah, non !
Monsieur calcule notre consommation d’eau au millimètre cube et m’a fait hier la vanne délicate, ah ben dis donc, tu y vas pas mollo avec la douche. Réplique de gentleman….alors que je me rince avec trois gouttes de flotte, après savonnage à l’eau de mer.
Je te charrie. Il tente la complicité mais me donne envie de défoncer les stocks. Sauf que je ne suis pas folle. Avec une brêle pareille, je préfère ne pas mourir de soif en mer quand on en sera au dixième jour de moteur. Obligé. Pollution auditive et olfactive, parce que c’est comme ça. Pas de vent égal moteur.

Volume off. Tu m’as pressée de venir pour un départ au plus tard le vingt-trois, pour une fenêtre météo. T‘avais pas prévu qu’elle allait se refermer d’un coup sec sur ton imparable projet de navigateur aguerri…Voire ne jamais s’ouvrir.

Il conclue sur une info fraîche. En haute mer il n’a pas l’intention de se doucher. Je sens que je vais augmenter les préconisations Covid de distanciation sociale. Nouveau challenge : ne pas être dans son vent….

Soit. S’ il n’adhère pas à l’idée de la bouteille de Sophie, il s’en inspire méchamment, version seau, qu’il aurait trop aimé me passer en grattant à ma porte des toilettes, pile au moment où je pousse.
De justesse !

Réveil de sieste. Il les enchaîne par peur de fatiguer la nuit, et de ne pas voir qu’il n’y a rien à voir parce qu’on fait une traversée du pacifique désert la veille des fêtes. A chaque fois qu’il émerge, la même question :
Alors, ça te plaît la mer ?

Une révélation. Même avec un boulet. Au point que je serais prête à le supporter deux semaines. Bon si ça pouvait être cinq jours de traversée, je signe immédiatement.

Et t’entendras plus jamais parler de moi ! Promis.
Essaie de compter sur d’autres « amis », puisque tu m’as présentée comme telle à tes voisins de mouillage, pour te rapporter des pièces mécaniques. Tu as beau essayer de réfléchir à mes dates de voyage, compagnies, tarifs de billets, poids des bagages. Faire tous tes plans sur la comète et imaginer un retour vers toi (course au ralenti Un homme une femme, ça se trouve) les bras chargés de matériel de bateau pour alléger ton budget bricolage, ne compte pas trop sur nos retrouvailles.

Tu m’as prévenue le premier jour. Tous des menteurs. Bien sûr qu’ils ont tous une idée derrière la tête. Et je ne me rends pas compte que tu parles aussi de toi à ce moment là.

Plus je passe de temps à bord, plus je m’aperçois que je ne veux plus de pollution. Ni sonores, ni affectives, ni même olfactives ! ni mentales, ni philosophiques, ni alimentaires, ni….je protège ma forteresse de tous les assauts. Et ils sont incessants. Et d’autant plus stupéfiants de la part d’un gars autoproclamé « gentleman, équilibré, cool, simple ».

Premier jour au mouillage, alors que je chante au piano. Il surgit dans les quatre mètres cubes habitables. Il se pose près (trop) de moi, sur la même banquette. M’écoute amoureusement.
Tu as une jolie voix.
Sourire poli, je me décale d’une fesse. Au moment où je baisse un peu ma garde, gagnée par la pitié, il enchaîne.
Tu sais ce que je vais te demander ?

Comme je ne réponds pas, il pose quatre fois la question. Quatre fois, en se rapprochant sournoisement. Je continue à pianoter. Coolitude apparente.
Peu engageante, paupières lourdes. Vas-y ! Demande toujours !
Et son visage, en gros plan près du mien. En apnée, je pense : il s’approche encore, je le mords.

Du chocolat ! Il éclate de rire. Ah, t’as pensé à autre chose 
M.D.R (Mais.Dégage.Relou).
Et t’en prends avec moi.

Dans tes rêves. Je m’éloigne et lui dis de se servir. Toute la tablette si tu veux. Cadeau, que je me tape pas l’épisode à chaque fois qu’il rêve d’un carré en amoureux.

Je ris seule en imaginant sa réaction. S’il savait que quand il dort, je détache ma laisse. Obligée de m’harnacher pour qu’il repose en paix. Alors quand ça ronfle sur le dos, pattes écartées en grenouille, je chevauche le bateau et, à moi la mer, l’air, la lumière. Tu vas pas me ligoter dans ta petite boite pour ta tranquillité.

Je demande, juste pour chambrer comme ça :

T’as pas une ou 2 anecdotes sur ceux qui ont été emportés à la mer, avec une balayette et une pelle ? Je prends les devants. Parce qu’à chaque initiative, il me liste les accidents. J’abonde dans son sens. Tu sais, un mec est mort une fois en s’étouffant avec un pois chiche ? J’imagine que ça a déjà dû arriver.

Et puisqu’il sait que tout peut vriller en un claquement de doigts, je lui parle dans sa langue. Le voyant m’espionner, je mets bien en évidence le gobelet, et annonce :

Gobelet en plastique ! 

S’ensuit un ping-pong verbal. Et balle de match.

C’est obligé, ça ou le fouet.
Un coup de fouet et t’es mort.

Et comme il ne s’arrête jamais, il dit non, je n’ai jamais frappé une femme, c’est pas aujourd’hui que je commencerais….Sauf exception. Il se trouve malin. Alors je lui renvoie sa boule puante. Moi pareil, jamais tué quelqu’un sauf le jour où ça arrivera.

Je n’hésite pas à me montrer inquiétante. Je me demande si quand on sera pas à portée de wifi, à Raroia, je ne vais pas me jeter à l’eau avec son BIB pour être secourue. Je demande des précisions sur le mode d’emploi du canot de sauvetage.

J’en rêve, mais en réalité, j’en profiterai juste pour regarder les billets retour depuis Nuku Hiva, notre destination !

CHAPITRES

Je me ravise. Surfe comme une désespérée sur la vague wifi !

Lui aussi a enclenché le turbo. Direction plein Nord. Après avoir pondu une encyclopédie des réseaux : ….Edge c’est de la merde, et la 3G, la 4G, on captera pas ici. Ronchon et négatif. Samsung c’est plus sensible. En fait je le préfère grognon et taiseux, là, euphorique, je flippe. Le sens prêt à me piquer mon telephone et me priver des messages de la famille qui se téléchargent en torrent silencieux, pour se fournir sa dose de bulletins météo. J’ai droit à un comparatif gros futé sur tous les appareils, opérateurs, travaux d’installation 3G, 4G, 5G par Archipels, Motus et par année … Et le voilà qui capte aussi, télécharge vite les infos, et avant que j’ai eu le temps de recevoir tous les joyeux Noels de France et de Tahiti, il fonce à 3 nœuds, quelle patate, au moteur, direction les Marquises et s’éloignant de ce fait de l’antenne hebdomadaire. Ça y est. Coupure. Tant pis pour le billet retour et les transferts CIC. Ou tant mieux, car là aussi théorie de JM parano. Tu sais si tu fais ton transfert …les hackers…

Ben voyons. Tu sais pas faire marcher ton mac et tu vas m’expliquer les sites sécurisés.

Pas de vent, pas grave. On mettra 7 jours au lieu des 4 prévus initialement annonce-t-il joyeux, et espérant me voir déconfite par l’annonce de ce long séjour en sa compagnie ! Et 2 ou 3 jours de moteur qui pue. Ça m’apprendra. Je le sens passer en mode gros con. Je me dis un de plus, un de moins, j’en ai croisé des bataillons, je devrais résister.

D’ailleurs je passe la journée à fouiller dans sa biblio. Rétention d’info pour me punir de ne pas être une bonne pute de compagnie ? T’inquiète, j’en apprendrai plus dans les bouquins. Du coup ton sourire de ce matin, quand tu te réveillais et retirais la main de ton caleçon, et me disais « salut la pin up », effacé. Toi aussi, t’as un livre à lire. Et je te vois, sans expression, ou celle d’un mec qui vient de se prendre une droite, mâchoire décrochée, absorbé pour la première fois dans un roman… « L’homme qui voulait être roi « . Roi des beaufs, mode d’emploi ?

Tu t’attaches ! Et tu commences pas à désobéir. Voilà. On a franchi un échelon.

Ça à commencé par. Tu vas dormir ?

Dix huit heures, j’ai pas sommeil.

Ah mais tu vas être crevée pour ton quart 21h minuit.

Oh, c’est bon ! Je verrais bien. Si je suis crevée, demain, je dormirai avant.

5 mn après il se venge.

Tu regardes dehors là !

Faudrait savoir. Tu vas te calmer. Mon quart c’est 21h. Je dors ou je regarde. Faut me lâcher maintenant !

5 mn plus tard, je ressors de la cabine. Tu t’attaches, là !

Il l’a cherché. Clash.

Je lui rappelle les bases. Le contrat.

Depuis le début, il trouve que je me comporte de façon dégueulasse avec lui. Qu’il ne peut pas parler plus de 10 mn avec moi parce que je pète un cable.

Je lui enverrai mon journal. S’il veut que je mette des points-poings sur la gueule de ces I.

Oui ! S’excite-t-il, Monsieur j’ai une grande maîtrise de mes nerfs. Le bateau, (petit index pointé), c’est un révélateur de personnalité. Je m’abstiens de répondre que depuis 2 mois dans le monde des voileux, j’ai entendu ça, disons bien 10 fois, si c’est pas 100. J’ai envie d’ajouter « na ! ». Tellement le vieux garçonnet immature en bermudas qui pique sa crise est pathétique. Ton comportement avec moi est dégueulasse. J’ai envie de répondre Dégueulasse, c’est quoi dégueulasse, mais à part Laurent Gerra, je ne connais aucune de ses références culturelles, et je ne sais même pas s’il sait qui est Godard. Et tu commences pas à désobéir, c’est compris ? Si on n’était pas dans le noir, je le verrais, tout rouge, avec un ou 2 postillons suspendus à la moustache.

CHAPITRES

Je réponds que tout ça n’était pas convenu au départ. Et je serai un gentleman, et je n’attends rien de toi, et je veux juste que tu fasses les quarts pour dormir. Puis une fois à bord, c’est tu t’attaches dès que je dors, et l’eau par ci, et les chiottes par là, et le tiroir, ok, je le retiens, parce que s’il tombe, t’en retrouveras pas un identique, ou tu devras le commander à un artisan d’art, et là, t’es pas radin, t’as toujours eu les moyens, mais tu parles quand même beaucoup d’argent, et aux Marquises, tu te souviens que le thon est à 500 francs, et le budget du pilote automatique neuf ou d’occase, incollable ! Sauf sur le prix des couronnes en céramique. Et celui à payer si tu commences à trop me chercher. Combien ton tiroir s’il tombe par terre ? Oh dommage …ça gitait du mauvais côté.

Tu t’essaies aux représailles ; un règlement où plein de petites astérisques fleurissent. On arrête le chargement des piles parce que ton tableau multiprise a des problèmes ? Je ne dois pas utiliser, pardon, trop « jouer » avec Navionics, ton appli GPS de la mort parce qu’elle peut bloquer ? Alors que tu te branles, pardon, branches, H24 dessus ? Alors que j’ai besoin d’une ficelle, tu me sors une vieille truelle attachée avec ficelle et nœud calcifié.
Non seulement je défais ce nœud que tu crois impossible à défaire, mais je n’en ai plus besoin. Je te rends ta cordelette du moyen âge, des fois qu’on vous mette au musée tous les 2.

Un reset tous les matins. Après chaque embrouille. Lui n’y arrive pas. Devient de plus en plus silencieux. Se ranimant quand l’idée d’un petit coup bas le traverse.

Tiens, toi qui es très à cheval sur la bouffe, tu sais que c’est du maïs OGM.

Et dans ta purée, sûr qu’il y a du lait. Pas possible autrement.

Bien sûr. J’imagine qu’il a aussi une théorie sur un complot de listes d’ingrédients incomplètes.

Grâce à ma commande reset, je me libère de jour en jour. Je chante avec mon ukulélé, plus fort que le moteur. Pas gênée puisqu’il m’y encourageait le premier jour. Alors je progresse. Chant, compo, photos de ce milieu extraordinaire, je lis, écris.

I can do whaterver I do
I can go wherever I go (bon même si là, encore bloquée quelques jours à bord)
I can be wathever I be
I can feel whatever I feel
I feel free
I feel independant
I feel independently free

Ça tourne nickel sur le ukulélé acheté au marché à mon arrivée à Tahiti, il y a 2 mois déjà. Et c’est pas un mec dans le public, qui fait la gueule, qui va entâcher le paradis dans lequel je navigue. Tout l’univers est avec moi. Les lunes qui se couchent en pyjama orange, les étoiles, les étoiles filantes qui plongent, les petites et grandes constellations, ourses…les nuages qui me racontent des histoires, les soleils qui se lèvent, nous couvent, nous distraient se voilant de camaïeux d’orangers, puis de mauve.

Alerte évènement, après 2 jours de moteur. La chasse d’eau ne posera plus de problème. On gîte désormais côté remplissage des toilettes ou côté coucher de soleil selon l’angle sous lequel on voyage.

Je vais regretter ce temps où un inconnu pouvait se présenter à la porte des wc pour proposer un seau d’eau !

Il ne répond pas quand je dis bonjour. Vais-je avoir droit à une journée de silence ? De paix ?

J’ai le droit de rêver. Cinq minutes et il commence à dérouler les prévisions météo et ses petits souhaits comme si cette science inexacte allait en plus prendre en compte ses désidératas. On dirait un joueur de poker débutant qui tente toutes les mains en se disant que cette fois, ça pourrait.

A chaque fois qu’il réouvre le chapitre, ma réponse est plus concise, jusqu’à ….on avisera le moment venu.

Le voilà qui commence à jouer sur les prévision de planning ; et si la lune, et si pas la lune. Résultat, on est passés de 4 jours à 5, puis 6, et aux dernières nouvelles, 8 jours à cocher.

Si c’est pas de la provoque, car à moins de continuer à la rame, on est à 10 h de l’arrivée. Bon, possible qu’il débute en bateau à moteur, et son penchant pour sa mécanique de tracteur marinisée dont il est si fier, bloquée sur 1800 tours pour économiser le carburant.
Ma réponse brève entre 2 siestes, car mes journées sont désormais rythmées par un empilement de siestes, seule issue possible pour échapper aux conversations soporifiques. On verra bien.

Il se rase tous les matins, mais si j’ai bonne mémoire, pas pareil pour les douches. Du coup, je lutte entre l’air qui refoule du moteur et l’air qui capte l’empreinte JM. Motivée pour m’intéresser aux masses d’air et aux vents.

Impossible de baisser ma garde.
T’as un chien ?
Oui, et je l’ai laissé à un ami, l’ami est génial et Néo très content.

L’enfoiré, alors que j’entrouvre mon petit cœur peiné d’avoir dû quitter mon fidèle compagnon, se jette sur ma tristesse. Je le comprends, dit il en ricanant. Mutisme, sieste. 2H minimum.

Autre stratégie pour gagner du terrain, les techniques de voile, problèmes de capitaine, en profitant pour saupoudrer son discours d’une pointe de misogynie masquée. Tu ne devrais pas avoir de problèmes avec la mécanique, certaines femmes, quand elles sont seules s’en sortent même très bien.

Je rétorque sèche comme une claque. Si les hommes peuvent, les femmes aussi. Pas besoin d’une bite, que je sache, pour bricoler le pilote automatique. Avec tes gros doigts, t’as réussi à mettre la rondelle à l’eau, tu mets 3 plombes à comprendre dans quel orifice tu dois glisser ta vis…

Alors il essaie de se venger. JM professeur. Cours de driss à base de devinettes. Et ça ? Je t’écouteL’écoute, justement, l’écoute de grand voile. Je le zappe. Aucune envie de jouer à ça. Alors, comme si on était en pleine régate, en tête, il se lance dans les manœuvres. Attends pousse toi, je vais avoir besoin de place. Non, le temps que je t’explique….points de suspension. Alors qu’il vient de le faire.
Alors j’attrape le ukulele et satisfaite, finis de noter les accords d’hallelujah. Là, il se retourne et passe en mode skipper. Attrape ! Le winch ! Il a dû voir ça sur les reportages de courses.

Il me tend sa manivelle, que j’insère dans la cavité prévue à cet effet, qu’il pointe du menton. Et là, il se met sur mon dos en mode, plus vite ! Plus vite ! Vas-y.

Il ne m’a pas donné de technique, pas prévenue, je suis en total déséquilibre avec lui dans les pates. Je lâche tout et lui dis, vas-y toi. Plus vite ! Et me casse.

Quand il a fini de s’exciter tout seul sur ses boots, tout fier, il vient me chercher. Alors ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

Fin du cours, je commence à faire ma popotte et par réflexe, pose une question. Tu utilises ton bateau combien de temps à l’année ? Il a les stats, et il est dans les stats. 20 % de l’année. Puis il détourne la conversation avec son cerveau malade et m’informe que certains l’utilisent 0 % en tant que bateau, 100% baisodrome. Je regrette encore une fois d’avoir tenté une conversation.

CHAPITRES

Le vent se lève. Celui qu’on attend depuis 2 jours Est, c’est Est ! Regarde.

Nous voilà lancés à 4,6 nœuds. Wah ! Décoiffé le capitaine.

Dès que ça retombe, au coucher du soleil, pour me convaincre de m’attacher, il égrène son chapelet d’anecdotes glauques. Tabarly noyé, pas de Harnais de sécu. Et tous ces mecs qui pissent depuis le bord, que les gardes côtes retrouvent braguette ouverte.

Petite auto-prière…Plus que 2 nuits. Ne fais pas ton Tabarly Sophie.

Il se lance dans une histoire pince-mi pince-moi. Un pote, qui emmène un coéquipier. Coéquipier tombe à l’eau. Qu’est-ce qu’il reste ? Pote qui tombe dans l’alcool.

Je chambre. Alors il me rassure. Ah mais t’inquiète pas, si tu tombes à l’eau, moi je ne deviendrai pas alcoolique. Ouf ! Comme j’ai eu peur.

Pour me débarrasser de lui, je propose de faire les 2 quarts consécutifs de nuit. Il prend un air détaché pour dire, comme tu veux, mais je vois le petit JM à l’intérieur du vieux mesquin, se frotter les mains, en baver un peu de joie, et se jeter sur son lit, comme un gosse, trop content de se vautrer dans sa toile anti roulis. Toile fabriquée en catimini, un jour où je l’ai uppercuté. A l’occasion d’une nouvelle clause dégainée : quand tu fais ton quart désormais, je prends ta couchette. No way, personne dans ma couchette.

6 heures de paix. Quelques ronflements. Mais c’est toujours mieux que sa voix.

Il argumente qu’un de ses super coéquipiers qu’il a adoré et avec qui insiste-t-il ça c’est super bien passé, lui proposait, tellement il aimait les quarts comme moi décide-t-il subitement, (sachant toujours ce que j’adore, ce qui est bon pour moi et ce que je dois faire les 10 prochaines années), de faire la nuit non stop. Il ne le réveillait pas. Casque branché sur les oreilles avec Miles Davis en continu. Voilà ! Intelligent le gars avait tout compris.

Protéger ses oreilles, abritées, qu’on ne s’en serve pas en benne à ordures.

Pour une purge complète, je devrais jouer du ukulele avec le casque sur les oreilles.

L’autre avantage, aux quarts nuits successifs, il devait probablement dormir toute la journée et ainsi, réduire le temps de cohabitation.

Il y a eu ce moment, magique, où on a enfin vu une ombre, une masse floue, la terre. Où la mécanique a commencé à lâcher. Je tenais la barre pendant qu’il bricolait des instruments de fortune. Je m’envolais sur les vagues et me cramponnais, heureuse, les yeux plantés sur la montagne.

Une journée entière à barrer jusqu’à ce que la lune nous guide, longeant la roche noire de nuit, pour arriver jusqu’à la passe. Ses frayeurs avec les belles vagues de finir fracassés, tu vois (dans l’obscurité), là bas, on restera au large, très dangereux, piège final.

Je suis les instructions, garde son cap, et en ce 30 décembre, on rejoint à minuit, moteur coupé, les voiliers de la baie, encerclés par les silhouettes rocheuses.

Heureuse d’être arrivée, j’envisage presque au réveil de partager une coupe de champagne pour le réveillon. Lorsqu’à la simple question ça va ? Je me ravise. Le croisant sur le pont alors que je pense être seule à découvrir cette terre au lever du soleil ? Il me fait la liste de ses emmerdes avec la banque, ses mails, malentendus avec les assurances. Stop ! Je le coupe. Lui demande s’il peut me déposer à terre dans la demie-heure.

Je fais gaffe comme jamais. Que le pc ne tombe pas à l’eau, mes sacs bien calés dans l’annexe. Déjà loin, l’esprit à quai, j’entends ses derniers reproches. N’a connu aucune personne ne pouvant tenir une conversation de 15 mn…sans s’énerver.

J’imagine ses longues journées d’échanges profonds avec son radar. Quand plus personne ne tombera dans le piège du coéquipier. Il s’y prépare, aura pour équipe, le modèle qu’il a coché. Et là, JM pourra ronfler des nuits complètes, pendant que le moteur du voilier tourne. Quand je m’intéresse à son cas de marin, je me demande ce qu’il aime, dans la navigation, à part prendre des otage pour avoir un peu de compagnie. Il déteste tirer les bords, décide à la moindre contrariété météo de tracer au moteur, et lucide parfois, se flagelle. C’est une navigation minable. Je reste silencieuse, l’approuvant.

Si je faisais mon Jean Marie, je dirais. Tu sais ce qui serait bien pour toi ? Ou, la meilleure chose à faire pour toi ? Vendre ton bateau, et acheter un bateau à moteur, ou attends, non, un studio en bord de mer, et prendre l’avion pour aller d’un point A à un point B. Tu battrais tous tes records !

Silencieuse, je regarde le quai m’accueillir.

Il me demande si j’ai pris des cours pour être aussi méchante.

Et toi, pour être aussi inintéressant ?

Au fond j’exulte. Dans 2 mn, mes oreilles sont à terre.

CHAPITRES

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