- MENAGE 5 ETOILES
- CRASH TEST – ptits chefs 1
- PTITS CHEFS – ptits chefs 2
- SANGSUE – ptits chefs 3
- ALLERGIE
- 9 MOIS
1 – PEUT-ÊTRE UN DETAIL POUR VOUS…
2 – LOTO
3 – NOIR C’EST BLANC
4 – CHAMPIONNE
5 – EN ROUTE POUR LA MEDAILLE
6 – SOUS LE MASQUE
7 – ENQUÊTE
8 – TAXES MENSONGES ET VIDEO
9 – L’ECRIVAINE
10 – LANCEUSE D’ALERTE
11 – AVALANCHE
12 – LA GOUTTE D’EAU
13 – COUP DE GRIFFE
14 – CASCADES
15 – PEREMPTION
MENAGE 5 ETOILES
Imagine. Madonna qui t’annonce, oui, en ce moment, je fais des ménages dans un 4 étoiles.
Tu dirais. Ah bon ? Pour un rôle ? Ou juste nnhon. Puis silence. Mâchoire décrochée.
Dans ta tête, en chuchotant, en rallongeant toutes les voyelles : Merde. Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? La loose.
Ben figure-toi que l’an dernier, j’étais « la » Madonna de Lorenzo. On était potes, collègues, on travaillait sur les réseaux. Parés de nos profils Facebook, on formait un duo de choc. Des barres quotidiennes en échangeant des vocaux sur WhatsApp, qu’on écoutait en accéléré. Lui, petite trentaine, super BG charme ravageur et ultra canon dans la vraie vie aussi, « trop » amoureux de son chéri. Pro du feed, il m’avait repérée, moi, la quinqua éclatée, dingo de montages vidéo fun et kitch, à peu près glam et assez cash.
Aujourd’hui, inactive sur la toile, j’en suis là. La Madonna de Lolo a lâché Insta et découvert la finance. Elle boursicote, a jeté son dévolu sur l’or, XAU/USD pour les intimes. Un monstre merveilleux. Ma liberté et aussi, piège temporaire . Dont j’essaie de sortir victorieuse.
Pendant que mes trades tournent avec 25 K bloqués, je prépare 10 chambres d’hôtel pour les aoutiens qui viennent visiter la cathédrale de Chartres.
Comme la diva en moi ne peut pas se réduire à « femme de ménage » , j’écris au saut du lit. Déjà sous ma couette, les mots coulent. Nouvelle page. Je les pose. Douche mentale, puis je passe à l’étape body. Le savonner, coiffer, maquiller, t-shirt noir pour la tenue, avec touche cool affichant « girls supporting girls ». En chemin, je chantonne l’alléluia de Léonard Cohen/Jeff Buckley, version personnelle dédiée à mes amis alicantins.
Je l’ai dit en entretien, pour un poste de vendeuse prêt-à-porter : voyez ? J’espère ne pas vous paraître trop prétentieuse, mais je suis ce tailleur de pierres. Il casse des cailloux… certes, mais toujours, en ligne de mire, sa vision. Chaque pas me rapproche de ma *cathédrale. Du coup, je prends, cailloux, fringues, plateaux de petits déj’ ou un chiffon. Tout me va.
Je suis sûre d’être au bon endroit, au bon moment. Même si à première vue … je sais : pas évident. Partant du principe que la vie est parfaite. Chacun à sa place. Les papillons en l’air. Et les fourmis par terre. Moi chambre 218, mal calculé mon coup, la douche du plafond se déclenche. Me voilà trempée. Et ça ne m’étonne presque pas. Je ris. _La Chèvre avec Pierre Richard. Je suis la fille qui s’assomme contre la porte en verre à l’aéroport, dès le début du film. Ou à la fin ? Et il reconnaît son alter ego._ Prête. J’accomplis mon destin.
Comme toute certitude, celle qui consiste à croire que faire le ménage est simple, se prend d’entrée les pieds dans le fil de l’aspirateur. Oublie. Faire le ménage, ce n’est pas juste physique.
Mille infos ; du bordage de drap aux couleurs des produits. Un pli, facile crois-tu ! Mais essaie de plier comme une enveloppe, une texture drap propre souple et rêche, tout en soulevant un matelas qui pèse un âne mort. En position lanceuse de poids pour protéger ton dos. Et en vitesse. Une chambre c’est un quart d’heure te dit ta formatrice à piles.
Rien qu’au moment de choisir les draps, plats, housse de couette, taie carrée, rectangulaire, tu peux passer de longues minutes à bugger face à ton charriot. Deux mètres de haut, il contient tout ton linge propre, et blanc. Tout est blanc. Blanc sur blanc. Format invisible de chez invisible. Comme sa porte grillagée que tu dois rabattre, qu’un client mal réveillé ne se la prenne pas direct au détour d’un couloir.
Dire qu’il y a 15 jours, avec ma voisine Marie-Jo, on se faisait un couette dating. Partager un café, et l’aider à enfiler sa housse. Je lui ressortais ma vieille technique apprise grâce à Dechavanne dans Coucou c’est nous il y a 35 ans ! Et même à deux, on a galéré !
Là, Gwen me dit, facile, tu vois, étiquette en haut. Ah ok, bon, là elle est en bas.
_Oui, on s’en fout, c’est pareil.
Court-circuit de neurones. Je dis ok, même si je n’ai rien compris.
Tout est comme ça. Du logique bof logique pour moi. Mais ça viendra se rassure-t-on.
Produit bleu dans le trou. On ne dit pas cuvette. Pas le temps. Le vert, c’est pour le trou ET la faïence. Enfin, elle ne dit pas faïence non plus, juste là et là. Et pas là. Surtout pas là ! Tout ça en quelques secondes. Sur le plastique de la lunette, ça tâche. Donc, le bleu oui, mais celui des vitres cette fois, pareil pour la chasse.
Si on n’a pas atteint un niveau de technicité Nasa ! Ou labo CNRS à minima. Manquerait plus qu’elle me donne les dosages. Ouf, ça reste simple. Tu pschittes. Pschitt vert. Pschitt bleu…voire rose. Ou transparent pour la bouilloire.
Loin du foutage de gueule finalement, cette nomenclature ! Profession scientifique : « technicienne de surface »….
Alors je cherche les astuces. Couleur de produit assorti à la lingette. Pour la housse, faudra tester. Nouvelle idée, parce que là, je n’en mets pas une dans le filet. Temps écoulé. Largement. Quatre fois quand je referme enfin la porte de la chambre.
Elle me prévient pour demain. Aujourd’hui c’est formation. On s’arrête là. Mais demain, poursuit-elle, tu finiras tes chambres.
Comme pour tout le reste, je dis oui-oui. Et comme pour tout le reste, je n’ai pas vraiment saisi.
Le lendemain, au lieu d’y passer le mi-temps prévu sur le contrat, je finis huit heures plus tard. A jeun. Mon podomètre affiche 7 km et 10 000 pas.
*sur mon compte en banque : ma 1ere paie. 40 euros pour 4 heures. Réglées par « CHARTRES CATHEDRALE »…ça ne s’invente pas.( petit nom de cette succursale Mercure)
Par curiosité, je googlise « Mercure » : extracteur d’or.
Plutôt bon signe. Le puzzle de ma vie avance.
CRASH TEST 1998
ptits chefs 1
Au départ de ce premier voyage professionnel au pays du graphisme, je pense retrouver la magie rencontrée dans l’acrylique d’où émergent des beaux visages de femmes. Mais surtout, éviter la voie de la clochardisation. Car peindre, c’est bien beau. Mais il serait temps de te trouver un vrai métier. Phrase épouvantail de fin de conversation à chaque appel téléphonique. Un peu comme les parents de séries américaines concluent par I love u, comme on pourrait aussi dire, pense à acheter du PQ/mettre ton écharpe.
Enchantée que mon chemin me conduise vers cette beauté. Un signe, le nom de l’agence : Picture Perfect. Explicite, mais également dans ce qu’il porte comme promesse de carotte. Quel anglophone dirait Picture Perfect. Dans cet ordre ?
Créée par un beau gosse du Sentier, très amateur de top models et de coupés décapotables, incapable d’orthographier 3 mots sans faire 6 fautes, gentil mais se laissant volontairement diriger par 2 de ses 4 employés, ses 2 bras droits. Ce qui explique peut-être les difficultés d’écriture.
L’un d’eux, vieux routier de la mode, italien et folle, A-u(ou)-ro, se présente-t-il en te tendant la main à baiser, passe sa vie à aller draguer les agences pour ramasser des contrats et livrer la marchandise à bord de son vieux scoot. Il traite 98% des splendides filles qui constituent notre fond de commerce, toutes approchant le fameux 90-60-90, de grosses vaches. Début de phrase type, l’autre grosse vache, la Claudia. La belle époque des Evangelista, Christensen et autres Campbell. A part ses deux ou trois chouchoutes, toutes les autres, nulles. Zéro. Des mochetés. Moue de dédain.
Accueillie de mauvaise grâce par le second bras droit, qui, aux essais, m’a préféré une autre candidate au poste à pourvoir, je suis dans mes petits souliers au démarrage. Ma froide marraine, bras droit numéro 2, cliché de femme de mode rigide, ersatz d’Ana Wintour, m’apprend l’art du composite : intégrer de sublimes photos dans une composition visant à mettre en valeur le mannequin. Sorte de carte d’identité pour agence de modèles exposant un portrait, 3 ou 4 visuels en pied, et les fameuses mensurations.
J’arrive tant bien que mal à faire ma place, à gagner quelques galons, grâce aux échos positifs de clients très satisfaits qui parviennent jusqu’au bureau du boss.
Au fur et à mesure que je progresse, le peu de sympathie que j’ai commencé à épargner de la part du double noyau caractériel, avec des efforts démesurés, se mue en guillotine. Malgré moi, en plein mois d’aout, je commets LA faute. Passible du pire.
Madame sa Majesté de Picture Perfect est en congés. Certainement en train de se nourrir de clopes au rouge à lèvres à l’ombre d’un parasol, en insultant son mari, d’une parce que gros (elle s’en plaint régulièrement à Auro) et parce qu’il n’a pas vu le soleil descendre à temps, menaçant de la cribler de tâches de rousseur. Elle racontera tout à son acolyte dès son retour, qui ponctuera de Ma Chérie, comme s’il écoutait.
Pendant ce temps, donc…Un grand photographe américain qui réactualise son composite, de passage à Paris, me demande de m’en charger. Je tente de le faire patienter jusqu’au retour de la doyenne, qui, je subodore, n’appréciera que moyennement que je traite la commande de ce prestigieux client.
J’avoue aussi au client la peur de me planter, et celui-ci, très chaleureux, m’encourage et finit par exiger que je m’en charge, avec l’aval du boss, dont les 2 bras droits sont à la plage, l’un enduit de Monoï, l’autre plâtré à l’écran total.
Je baigne dans les auras de Sharon Stone, Carole Bouquet, la douceur des Sépia, le temps d’exécuter le job.
Et devinez. Le client est ravi, et se permet même en récupérant la commande, de demander au boss, de travailler avec moi pour ses prochains travaux.
Voilà, comment dans le mois qui suit, je retrouve des dossiers urgents, mystérieusement déplacés dans des lieux improbables. Je dois fouiller de fond en comble l’agence, sans aucune aide, pour trouver une ramette de papier dont on vient « fortuitement » de prendre l’initiative de modifier l’emplacement en « oubliant » de m’en avertir. On omet de me transmettre des messages persos et professionnels. J’entends par hasard, à l’accueil, que je suis responsable de la coquille sur les mensurations de Carla…..dont je n’ai jamais touché le composite, jalousement stocké sur le bureau de mon bourreau. Enfin, c’est ce qu’il me semble comprendre, car la folle ritale, parle de l’autrrre connasse là bas. Et je doute qu’il s’agisse de sa Chérrrie.
Voilà, j’apprends plus tard que cela porte un nom. Harcèlement moral.
Je tente, à la sortie de travailler dans un gros label. En test, faire une pochette pour boy’s band. Rassurée par cette armée de décideurs. Ils n’oseront pas se mettre en horde à mes trousses pour overcompétence.
Ils sont chauds. Mais au 7e entretien, finissent par m’annoncer qu’ils ne créent pas le poste. Revers de la médaille. Trop de décideurs tuent l’action.
Je fonce dans l’Interim. Convertis mes mois d’expérience en âge de chat sur le cv, pour avoir le droit de travailler.
Transition douce, on bosse sur un catalogue de beauté au naturel. Bon, c’est basique, rien d’hypercréatif, même si on a droit à des échantillons de crèmes et autres nouveautés.
Hélas, je me frotte à nouveau à un petit chef. Décidément.
J’en fais un poème… Et achève naturellement ma mission, juste avant que ça n’explose.
Au bout de quelques mois, je me retrouve à faire du Ikéa en néerlandais au kilomètre. J’ai comme l’impression de m’être égarée. Le pays du graphisme s’est mué en placard, puis en cul de sac.
Seul objectif à atteindre. Avoir terminé hier. Ils se marrent. C’est pour quand ? Pour avant-hier. 10 ans plus tard on dirait LOL.
Je craque malgré moi. Projet « La Grande Récré ». Ok, la couleur pète, je me motive comme je peux. Tout est prêt. Je demande, pendant ma pause, à faire un test de retouche dans la salle d’à côté parce que je ne me vois pas faire du catalogue les 30 prochaines années.
On me donne quelques instructions et pendant 30 mn, j’affine un grain de peau, intensifie le vert de l’iris. J’ai retrouvé mon élément. Et un peu d’espoir. Verdict. Ok, pas mal, mais ça fait 10 ans qu’elle bosse bien. Si un jour elle part, on te fait signe. Promis. J’ai adoré, mais je n’ai plus eu la moindre nouvelle. En revanche, quand je reviens à mon poste après cette bouffée d’espoir et d’oxygène, je perçois une fébrilité.
Le responsable s’acharne sur les commandes du clavier de mon mac, l’air soucieux.
Comme demandé, j’ai déplacé le fichier sur CD, gravé un 2e CD pour nous.
Aucun des 2 ne s’ouvre, et, la boulette, j’avoue, je n’ai pas conservé de copie de la copie.
Fin de mission dans une ambiance d’enterrement. L’interim, c’est mort.
Auto-virée cette fois. Je me suis Hara-kirisée.
PTITS CHEFS – slam 1998
Ras le bol des ptits chefs et chefesses
Marre de leur autorité de mes fesses
De leur façon de gueuler Bonjour !
Genre ça va chier dans la basse-cour
Privilèges ça mousse ça brille
Faux-culs faut justifier la grille
Te faire croire que t’es pas nickel
Sans eux juste bonne pour la poubelle
Mais laisse les se baratiner
Déjà petits pour avancer
Aux coups bas se sont entrainés
Jouer réglo c’est quoi ce mot ?
Soumis petits soldats du système
A tous les ordres réponse Amen
Sans rébellion dans leur tripe molle
Juste la pression qui les affole
Mais oyez oyez aujourd’hui
« Bizut -»« esclav- »age, abolis
Bé non il est pas encore né
Le p’tit chef qui me fera plier
SANGSUE
ptits chefs 3
Ah mais t’aurais dû me prévenir hier. Là c’est trop tard !
Rouge comme une tomate mûre. Limite pourrie.
Avec un air de reproche. Genre ça y est t’as merdé. A cause de toi, c’est la fin du monde.
Te prévenir ? Mais de quoi ? Du décompte des taies d’oreiller qui vont manquer dans 3 jours ? Ouhou ! Le niveau d’anticipation !
Récapitulons, j’aurais dû, c’était donc mon «devoir», prévenir 5 jours avant, alors que je bosse ici depuis 3 semaines, et que j’arrive tout juste à distinguer les tailles de serviettes, prévenir qu’on manquerait probablement de taies d’oreiller, parce que j’aurais dû savoir, moi qui n’ai jamais exercé dans ce domaine, deviner que les clients, cette semaine, allaient tous piocher dans le placard, les oreillers supplémentaires et en consommer double ration !?
Nostradama, c’est moi !
Je crois toujours ce qu’on me dit. Alors j’essaie de comprendre. La logique. Parce qu’il y en a forcément une. Non ?
Je tourne le truc dans tous les sens. Vois pas.
Pas la première à me chercher des poux. Je cherche. Ma faute, ma très grande faute. Ok, je suis cette crotte à qui tu parles en te pinçant le nez. Avant toi, dans ma propre famille, puis 2 tarés, en sixième. L’un des deux m’envoyant en cachette des mots d’amours et, une fois avec avec son pote, me poursuivant dans la cour : on va te violer ! Si j’avais réfléchi….un sgueg de 2 cm et pas de couilles.
Sauf que je suis terrorisée. Coupable. Honteuse. Nulle à ce point ? Mais à force de me pincer le nez moi-même en me regardant derrière ma main, comme si j’étais un film d’horreur, et ce durant plusieurs décennies, en ressassant le dialogue, parfaitement intégré, m’est revenu le fameux : « C’est celui qui dit qui y est ».
Toi-même, incompétente ! Toi-même, film d’horreur ! Voilà pourquoi l’odeur te suit partout !
Et toutes ces tranches de vie à grumeaux que j’aurais pu vivre différemment. Parce que je me lave moi. Je me scrute, en mode toc, je me remets en question. Une couche, deux couches de déo.
Je recommence, je retravaille. Me chronomètre en faisant le lit au carré. Je prends tout au sérieux. Ménage de compétition. J’ai même étudié sur Youtube comment enfiler cette housse de couette récalcitrante. La technique du burrito ! A l’époque, j’apprends tous les chapitres du pavé Photoshop quand je commence à l’enseigner. Huit cent pages.
Te prévenir, toi, dans le métier depuis un quart de siècle, qui compte jusqu’à 12 pour remplir correctement un verre de vin, « ah ben…comme on m’a appris à l’école ! « , qui met la moitié du temps que je mets à nettoyer une chambre, mais en la nettoyant seulement à moitié. Je sais, maintenant. Je suis allée vérifier hier. En douce. Peur de me faire piéger, mais basta ! Je monte ton dossier. Illustré. Photo des serviettes balancées sur le sèche-serviettes étiquette bien en vue. Exactement comme il ne faut pas. Le plaid déco de lit posé comme par un chiot pressé, avec quelques bosses, quelques plis, rien à voir avec la belle écharpe de Miss chambre bleue que je dépose en fin de préparation de cette jolie suite avec terrasse, comme sa cerise ciel en pilou-pilou enrubannant la jolie suite repimpée.
Tu m’as vue venir. « T’es trop rigolote ! et cette énergie ! »…constates-tu avachie pendant que je passe le balais, après 4 heures de ménage et 1 heure de plonge. Puis tu parles de moi à ton collègue de mari, comme si « elle » était derrière ton écran de téléphone, un personnage, ou un objet d’un des jeux que tu scrutes bouche ouverte, et caches quand je surgis en bas de l’escalier. Tu n’en reviens pas, quand tu lui fais remonter, redescendre les escaliers à la mascotte. Fais voir ? Avec un sac de linge propre ? Fais voir avec 2 ? 2 de sale, mais seulement après avoir tout vidé, et trié, seulement les taies et les petites serviettes. Je suis ton nouveau jouet. Tu ne vois pas que ta poupée serre les dents et qu’un de ces quatres elle va te dévisser la tête.
Si t’es pas une putain de grosse sadique ! Je te le dis en rigolant. En enlevant «putain» et «grosse ». Mais mon rire jaunit au fil des jours et se transforme, une semaine plus tard et après quelques jeux de bizutage imposés :
– Non ! Mais non ! Tu m’aides que dalle !
Je me tais à temps pour ne pas lâcher un gros fuck-va te faire foutre !, en traduction simultanée.
Et comme je l’ai lu sur internet, merci google coach de vie, «soyez froide et distante», je passe de la « poilante, regarde comme tu peux lui faire faire n’importe quoi », à « fais gaffe, j’ai croisé son regard toutal et ça m’a crevé l’œil gauche ». Genre vraiment bipolaire la fille !
Tellement payant ! Résultat instantané. Le lendemain, je passe la meilleure journée de taf de mon mois. De ma vie de salariée. Parce que les psychopathes de boulot, j’en ai déjà une petite collection.
Depuis celle, clope au bec « rouge baiser » qui ne voulait pas de moi pour le poste de graphiste. Jusqu’au boss d’une entreprise de levage, monde des grues et poids lourds, Monsieur Sakovich, bonne tête de Monsieur Propre sur un corps d’anxieux. Je débarquais chez les grutiers avec mon gilet à plumes pailletées, salut Sako ! Je vais prendre le profil atypique avait-il annoncé à l’agence d’Interim.
Il teste ses coups, de plus en plus tordus quand la pression augmente sur les chantiers, jusqu’au jour où je réponds à un des grutiers en colère : ben demande lui à l’autre gros con, (Sako à 1 m de moi), c’est ses ordres mon ami !
Dénouement logique, dès le lendemain matin. Arrivée en avance, il me tourne autour avec des questions bizarres, des kilomètres de factures de gasoil qu’il faudrait revérifier sans faute à la première heure. Non, pas le temps de prendre un café. Vas-y. Liasse balancée. Ouaf ! Ouaf ! Ni lui, ni moi ne le savions, mais c’était là sa dernière occasion de m’aboyer dessus. Le temps d’enfiler mon manteau, de lui signer l’autographe sur ma feuille d’ heures, je démarre en Twingo Flamme à la « Charlie’s Angels ».
L’envie leur prend de tester la candidate singulière. Comme une petite lubie. Et heureuse d’être élue, je déchire tout. Dans l’immobilier, je fais l’unanimité côté client. Résultats imbattables. Revers de la médaille, les 10 collègues dans le panier de crustacés, à mes trousses. Aujourd’hui, l’hôtellerie, certains clients s’enflamment sur booking. Un matin, l’appréciation « + » se limite à un « Sophie » suivi d’un point d’exclamation.
Alors, face de pastèque, ça la chatouille. Elle aussi voudrait des compliments. Du coup elle se met à faire des courbettes, quand je me contente de laisser passer le courant. Elle envahit, moi je déguste. Petites capsules de condensé de regards, sourires, paroles, que je savoure encore, bien après leur passage. M’en fous de pas être la parfaite serveuse de petit dej qui tient les comptes des draps de bain. Mon moteur, c’est le scénario de ma vie que j’apprends à déchiffrer. Que je découvre chaque jour, époustouflée par les guest stars qui défilent, et mon rôle en or. On passe des minutes magiques et ils laissent un petit quelque chose ! Quelques mots, un hug, et ou un billet.
Ça fait des vagues. Au retour de la collègue doyenne graphiste, au siècle dernier, je l’entend criser de jalousie. Elle ne m’a pas vue. Protégée par l’écran géant du mac : Et maintenant il veut que ce soit cette connasse pour tous ses prochains projets !
Vingt cinq ans plus tard, la tomate aux yeux acier vocifère dans sa cuisine. C’est ça ! Ton père…Oui, une parenthèse s’impose. Ce patron, qui m’a engagée est son beau-père détesté. Avant chacune de ses visites, elle s’envoie dans les circuits une overdose de CBD pour ne pas péter une durite… Ton PERE lui laisse l’hotel pour elle toute seule ? Mais elle aura pas un chat. Elle va le faire couler ! Bien fait. Tant mieux. Rien à foutre moi. Je serai pas là. (J’espère tellement). (C’est pas gagné…jour off ou pas, toujours une bonne raison de te montrer : un colis, un truc à récupérer, à déposer. Même quand tu donnes ta dém’, acceptée, tu te ravises aussitôt, telle une crêpe qui saute et s’aplatit sur le carrelage, « oui je serai gentille, oui, avec Sophie aussi »). Et au secours, tu réapparais dès le lendemain. Sourire crispé en plastique et voix qui déraille. Parce qu’elle ne ment pas, sur un simple « bonjour », qui lui aussi fait une Shy’m.
Mon statut a changé direct. Dans ses deux cases restantes, épargnées par les cannabinoïdes, je suis passée de «ah regarde, on dirait une petite taupe», à, «ok, je vais me la faire. Qu’elle en bave, finisse en tas de ruine en bas des 3 étages, étouffée par le fil d’aspirateur, enterrée sous 3 sacs de linge sale».
Les petits jeux initiatiques sont devenus des pièges fourbes dissimulés. Un sac de linge propre à récupérer sur un tas d’oranges, dont une pourrie. Poubelle non vidée, drap disparu. 3 étages à monter, quand je m’en aperçois, en faisant le lit. Photo. Photo. Photo. Je range ça dans « coups de pute », un dossier créé dans ma galerie en son honneur.
Le problème avec les super héros, c’est que plus tu les cherches, plus leurs ailes de Maléfique poussent gigantesques. Plus tu essaies de l’humilier, plus Beckham te met dans les dents le triple trophée jamais emporté, des salves de buts les plus miraculeux jamais marqués sur aucun des terrains du monde.
Là je me sens pousser des Hulks à l’intérieur. Careful, it’s heavy, or j’ai l’impression, alors qu’il y a un mois j’avais de la compote dans les bras, de porter une valise vide, que je regrette presque de ne pas avoir à monter au dernier étage pour ces nouveaux venus.
Je sais que je devrais me réjouir. Dans mes bras ! parasite, voire la nuée, la horde de cafards baveux. Attirés. Eux seuls voient. Moi la miro, je ne les vois pas scintiller tous ces petits saphirs qui les aimantent. Qu’ils veulent extraire en me pressant, me broyant en purée de pois chiche.
Même si c’est énorme. Huge. Pour qui saurait lire ce monde parallèle, je suis embauchée au pied de la cathédrale, dans un lieu qui étymologiquement signifie, le Paradis.
Pas besoin d’être Nostradamus. La suite de l’histoire sera sûrement magnifique. Si on n’appelle pas les pompiers pour venir dérouler le tuyau de l’aspirator constrictor.
***
ALLERGIE
– Et là tu poses ton téléphone !
– Ah impossible. Je dois le garder sur moi, mon mari est malade.
J’aurais pas dû mentir. Juste lui dire non. Ou rien. Efface karma ! Je voulais que mon non soit imparable. Question de vie ou de mort. Secret médical. Juste pour qu’il me lâche.
– Ben tu le poses devant alors.
Il insiste. S’il n’arrive pas à t’envoyer au tapis, essaie au moins de te mettre à quatre pattes.
Je pivote sur la chaise, lui tourne le dos et garde l’objet du délit sur moi.
Manip terminée, je me retourne. M’explique pour stopper ses élans, récidives de plus en plus fréquentes :
– J’ai pas besoin qu’on me donne des ordres. Juste besoin qu’on m’explique comment fonctionne le logiciel et comment accomplir nos 5 tâches quotidiennes. Pour le reste, ça va aller.
Il bafouille, voix limite sortie de piste : mais c’est pour toi, c’était pas un ordre. Et c’est pour pas que tu te fasses engueuler par la direction. Moi après…
– Si quelqu’un de la direction a quelque chose à me dire, il viendra me le dire. Aucun lien de subordination avec toi, rien qui ne te permette de m’apprendre la vie. Je sors de 9 mois avec avis dithyrambiques de la clientèle sur google, hotel de standing supérieur, alors tes remarques concernant la relation client...
…en tout cas, tant que tu les accueilleras en faisant la gueule et en sentant à plein nez la sueur de la veille…
Non, ces deux derniers points, je les garde. Ils finiront par chuter du bout de ma langue sur le bureau du directeur, quand il me convoquera deux jours plus tard.
A mon démarrage, Chris se porte volontaire pour le rôle du maîtres des lieux, expliquant à la réceptionniste débutante, les différences entre les trois catégories des 66 chambres. Se mettant ça et là en valeur dans la 324, oui, parce que moi, avec mon mètre quatre-vingt, pas géniale la hauteur de plafond, blablabla.
Le tout au pas de course, cliquetis de clés et de pass, « la lingerie, les lits twins, seulement la 202, 206, 409, 217, 342, 681. Compris ? Pas de clim de la 301 à la 317, et la 427 et 436 non plus. Tout bon ? Enregistré ? Des questions ? »
Son style, c’est top chrono. Pour vite aller poser un cul à l’accueil et faire semblant de batailler avec le site de réservations. En marmonnant.
T’es occupé ?
– Ben je me bats avec Booking là….mais ça va ! Genre, je peux gérer de front tes questions de CP et le monstre….J’imagine le combat. Un changement de date ? Confirmation au client allemand peut-être, ce qui va l’obliger à ouvrir DeepL, le meilleur traducteur au monde, écrit Google et me répète-t-il comme un robot encodé, sans les fonctions joie, intérêt, partage, goût de transmettre. Juste le programme basique monocorde lisse et gris, rien à signaler à part la goutte qui suinte à intervalles réguliers, trahissant l’option « se fait dessus dès qu’un truc dépasse ». « Pas bon là » : « T’as inversé : pas OK MAIL, MAIL OK dans tes commentaires« . « Là, t’as pas validé…Ou trop tard. C’est pas bon ». « Ça va pas, rajoute-t-il ». Tout son langage est raccord. Noir sur noir. Une version en négatif, s’articulant autour du mot « pas » et quelques expressions et pensées fétiches : « Pas bien », « pas ça », « pas lui répondre », « pas l’aider », « pas sourire », « pas reconnaitre que je suis une pauvre tâche », « pas de breakfast pour lui ».
Ben non, voyons ! Un motard, bosniaque, qui paie cash, maigrichon avec un sourire adorable bien qu’édenté. Forcément un sale type, un pauvre qui ne lâchera pas un euro de plus que le rack (prix de la chambre sans extras). Ben voilà. Tu peux corriger ta petite fiche de réceptionniste profiler à certitudes, empaillé par 7 ans d’exercice. Non seulement notre passionné des 24h du Mans viendra breakfaster, mais dès le soir, il lâchera un billet pour le dîner au restaurant.
Au retour à l’accueil, je m’étonne que l’affichage sur l’écran ne propose plus le planning. Je l’interroge.
– Si, il y est. Pour toute réponse.
Il replonge le nez sur son dossier, fin de l’explication.
Je sais que j’ai souvent la berlue. Impossible de voir le rouleau de scotch sous mon nez ou autre.
Alors je mets mon cerveau en mode, concentre-toi. Il ne veut pas t’aider, tu vas trouver.
Sauf que blague. Sur le menu que je scrute, configuré par ses soins, Monsieur a enlevé l’icône du planning, puisqu’il suffit d’appuyer sur la touche F4 pour aller le chercher.
Voilà, il a 4 commandes dans sa boite à outils, ignore que j’enseignais la suite Adobe et Macromédia, cinq logiciels qu’on manipulait, avec mes 700 élèves, par la batterie de raccourcis clavier atteignant facilement la centaine pour les plus courants. Pomme maj T, Pomme U, Pomme alt Maj Z….
Heureuse de ne m’être engagée que pour deux mois, quand je constate les effets produits sur ce cerveau à peine démoulé. Emoussés le sens critique, la sensibilité, le discernement…Un septennat à dire bonjour aux mêmes clients, à leur serrer la main fièrement, entre bonshommes, entre couilles. La même avec cette belle femme, cheveux à la désireless à peine adoucie et joli visage, franc-parler comme si elle devait aussi afficher en passeport une paire de testicules parce qu’elle évolue avec une floppée de commerciaux, techniciens, habitués de cette zone….Artisanale, complète le boss me voyant hésiter. Il est plutôt cool, lui. Discret malgré son T-shirt corail qui lui moule la brioche. J’aurais dit Industrielle, tellement le secteur est jonché de hangars cubiques et métalliques, abritant les enseignes qu’on retrouve dans toute la France à un quart d’heure de chaque ville, petite, moyenne ou grande de notre beau pays. Des grappes de verrues excentrées, ayant fait leur apparition entre deux poteaux télégraphiques et des champs à perte de vue, lacérés par des pans d’autoroute.
Oui, F4. Lâche-t-il entre ses mâchoires à peine desserrées. Il adore, parler sans articuler et avec débit de mitraillette. Surtout quand il demande : do you want the invoice ? The lift here, on the left first floor. Des français parlant comme le cliché, ont du le complimenter sur son niveau d’Anglais.
Des années qu’il répète trois phrases. Même les natifs de Grande Bretagne sont parfois obligés de demander de répéter, et se prennent en réponse, une deuxième rafale au sujet des horaires, dîner, petit-déjeuner et check-out. Jargon hôtellerie, paramètres, option vitesse x 2.
Pardon ?
– Pour le planning, c’est F4 !
Le planning s’affiche. J’ai envie de prendre le disque dur et de le lui balancer sur sa face blafarde de vieil ado trentenaire, fier d’avoir trouvé une planque dans cet hotel trois étoiles, insiste-t-il comme si il les portait en médaille et que l’établissement les lui devait, une cachette où ramasser son smic amélioré en fin de mois en se confortant dans sa suffisance et sa prétention, en formant à tour de bras des novices qu’il peut à loisir, rabaisser et malmener, le temps que ça dure.
Entre l’ordre de poser mon téléphone et ce petit piège mesquin qui m’a fait perdre des précieuses minutes et connexions neuronales, se déclenche une quinte de toux dont je me demande si je vais sortir un jour, la plus puissante en 3 semaines d’allergie. Avec l’avantage qu’il ne peut plus en placer une, pensant sûrement, affaire classée, j’appelle le SAMU, elle n’aura pas fait long feu celle-là.
Même si ce rhume des « foins » s’explique par la saison, les moissons etc. Une idée, comme une intuition me traverse. Et si les crises s’aggravaient, symptômes décuplés en présence de « fions ». Petit jeu de langage de l’univers. Un « i » qui joue à saute-moutons. La clé dans l’inversion des lettres. Désignant le facteur aggravant ou cause profonde.
Le lendemain, je m’arme d’antihistaminiques naturels pour affronter la journée, m’immuniser en toute circonstance, toute présence de spécimens de son espèce. Réponse réflexe : une attitude de crétin ? Je gobe illico une gélule d’orties. Ça a l’air de fonctionner.
Mon coéquipier, au téléphone, doit de nouveau répéter. Parce qu’à force de prononcer le nom de l’hôtel, mixé avec son prénom et un bonjour mécanique, il en a fait une contraction qui ressemble à un éternuement. Puis débite au client au comptoir les formules : Soirée étape ? Petit déjeuner ? Pas de verbe ni de complément ni de sourire, on clique, dégaine la carte magnétique, répète le parcours, ascenseur à droite, premier étage.
– T’es sûr ? Pour l’ascenseur ? Avec la coupure de courant ?
Le vieux maître d’école avec son odeur et son ton aigres reprend l’interro surprise.
– A ton avis !
Je me dis qu’il y a peut-être un générateur au cas où mais ne réponds rien. Je ne vais pas me la jouer spécialiste Otis, pour décrocher un bon point ou une gueule fermée sur laquelle se lira : « t’es con ou quoi ? »
Il rappelle son client sur le champ. Et comme si c’était évident et que le client était un peu limité et qu’il le sauvait d’une fâcheuses situation. Prenez plutôt l’escalier Monsieur. En attendant que la coupure soit terminée.
Comme s’il avait le choix.
Par acquis de conscience, j’y vais cinq minutes plus tard constater que l’ascenseur est bien HS.
Le mec… Incapable de reconnaitre le moindre tort, tant il est occupé à son jeu de te faire trébucher à chaque pas, t’ayant montré les manips une fois et se délectant de te voir ramer entre les différents fichiers pour les reproduire. Quand t’auras bien cherché, tu n’oublieras plus, ajoute-t-il pour justifier son sadisme et sa méthode « à l’ancienne » de formation.
Alors je décide. Je l’emmerde. Et à chacune de ses nouvelles intervention sensées me faire trembler, j’ironise.
Dix minutes de patience et j’entends :
– Oh là-là ! Là, ça va pas. Y’ a un problème.
Silence pendant lequel je suis sensée sursauter. M’affoler. Implorer le pardon en lui tendant le fouet.
Détachée, sourcil au plafond, je le fixe. Il me regarde rarement en face. Je dis donc à son profil voûté après quelques secondes de silence : un gros problème j’espère…un drame au moins?
Il suffisait en effet de cocher une case.
Le personnage est cerné. Faire des caisses sur la moindre bourde de non- initiée, pour la résoudre en un clic en se faisant passer pour un crack.
Voyant que j’ai enfilé mon gros imperméable mental pour me protéger de sa médiocrité d’employé frustré, constatant que je me passe de ses vices, il baisse de 5 tons et me dit, n’hésite pas si tu as besoin. Oui, tu peux aller en pause. Alors qu’on est sensés y aller en même temps et comme si j’avais besoin de son autorisation. Monsieur jeûne. Le lendemain, même cirque, et intervention de la cuisto-pâtissière, personnage rustre, double-format, regardant dans le vide pour lâcher une phrase, ponctuée par des cet enculé, ou qu’il aille se niquer sa race, me parlant de son ancien patron. Elle alterne, sans se préoccuper de répétitions. Ça peut sans problème donner : cet enculé, qu’il aille se niquer sa race, m’a virée et grillée dans toute la ville, alors, qu’il aille se faire enculer cet enculé. Enfoiré ! Qui explique pourquoi elle travaille à 20 mn en vélo de chez elle. Le bout du monde pour une native de Fadaville. Ton monocorde, joli oeil vert surmontant ce jeune corps déjà affaissé, et petit doigt d’honneur pour manifester sa colère.
Cette même personne toute en délicatesse, pleine d’empathie, semblerait-il pour mon nouveau formateur en réception d’hotel 3 étoiles, me sort à la moitié de ma pause, à peine avalée la dernière lentille froide, ben tu peux aller le remplacer. Il va encore pas manger le pauvre Chris. Hier. Il a pas mangé.
Sidérée. Je me contente de respirer, m’attrapant le menton en m’accoudant à la table. Elle attend ma réaction un temps et replonge sur son portable. Il serait donc allé pleurnicher en cuisine et me brandir en empêcheuse de jouir de ses droits et besoins élémentaires.
Le soir, je tchecke l’équipe au coup de poing, geste que j’ai adopté dès que j’ai senti les bises bizarres. Entre les deux tours des élections légistlatives où la vague de fachos menace, ils se tapent des barres quand ils se passent le relais entre deux services, ah ben moi, pas doute, j’aurais été collabo, avec une sorte fierté, et la certitude, cette fois, de passer au deuxième tour. La bise se fait comme si on était des aimants négatifs. Les joues ne se touchent pas, ou se cognent. Alors, 2e jour, c’est tcheck au coup de poing. Celui civilisé, que je ne leur balancerai pas dans les dents. Ils tournent le dos. Le veilleur de nuit et mon maître es réception. Alors, je pivote. 23h pile, mains rangées, au fond des poches, et lâche un Salut à leurs épaules qui font semblant d’être face aux écrans de lancement de la fusée Ariane, alors que tout l’hotel dort, tout le monde est arrivé, la caisse est nickel et la boite mail vide de toute réservation à traiter.
Quarante minutes de marche, SAS de décompression.
Le lendemain matin. Petit sms au boss. … »J’ai accepté le changement de planning demandé par Chris, avec d’autant plus de plaisir que mon équipe avec Paloma fonctionne très bien. Si on pouvait désormais nous associer plus souvent »… Aucun mot sur le binôme bancal.
Dès mon arrivée, convocation dans le bureau de la direction sur un ton sec.
Ça commence par une tentative de me faire porter le chapeau. Peu habituée au travail en équipe, c’est ça ? Je coupe net. Balance tout. L’image le son et l’odeur. Concluant par : « si vous voulez que je remballe, il reste deux jours en période d’essai, je ne vous en voudrai pas, mais pour moi, impossible d’accepter de travailler en cumulant le fait d’être sous-payée et de subir le harcèlement d’un collègue ».
Je remercie pour l’écoute, me lève et retourne derrière le comptoir. Apparemment sereine, mais tremblant légèrement, émue d’avoir expulsé l’alien en ce temps record.
Au tour de Paloma.
Une heure à papoter dans le salon, convoquée par le directeur.
Le soir, elle me raconte. J’apprends, quand ils sont tous partis, que le boss est confus. Il lui confie que Chris a été à un poil de se faire virer il y a 1 an, qu’ils ne sont pas allés au bout de la démarche. Il regrette maintenant. Depuis, 5 personnes ont donné leur dem’, la veille du jour où le planning les prévoyait en collaboration petit C.
Ça nous rapproche, Paloma c’est ma best. Echange de tel. Même si j’ai deux fois et des poussières son âge.
Ça tombe bien, on se voit déjà en équipe de choc les semaines à venir.
J’imagine le tête-à-tête directeur-sous-directrice : On fait quoi ? Paloma et la nouvelle ? Trop de vagues. On va plutôt les séparer. Fais sauter leurs deux jours ensemble, je vais la prendre avec moi.
Je les remercie quand même. Dans deux jours, terminés les petits jeux avec le sadique en papier mâchouillé et sa bande.
Et avec ma best, on s’envoie des sms. Encore plus fun. La résistance à l’oeuvre. Et les fachos n’ont plus qu’à se chercher des poux entre eux. La cible idéale, dernière arrivée leur fait faux bond. C’était pourtant pratique, se souviennent-ils nostalgiques, la bouche pleine, l’oeil sur leur téléphone, entre deux bouchées de carbonara du chef. Toujours les derniers arrivants, qui débarquent, rien à faire qu’ils aient survécu aux traversées en mer, tu parles, aux déserts, c’est pour venir nous voler nos femmes, nos allocs, nos jobs et nos logements. Puisque Jordan le dit… Y verront bien dans deux ans. Qui c’est qui commande ici….
***
9 MOIS
1 – Peut-être un détail pour vous….
Convoquée à 14 h. Tenue de rendez-vous pro ? Pas le temps. Pas la peine. J’irai direct en sortant du travail actuel où je mets un point d’honneur à cultiver la joie, la fantaisie, la liberté. Chignon à baguettes et mèches folles, longue robe tablier et pull bisounours. Rose. Comme une bouée. Dans le foyer d’enfants où je joue aux Dames de maison, de 6 à 13 heures, je coulerais si j’enfilais la blouse et le regard triste de leur gentille Chouchou, que je remplace, pour arrêt maladie à prolongations.
Depuis le niveau où j’évolue, au rez-de-chaussée du système économique français, l’employeur se défend, ah non, nous on refuse de vous payer au smic ! 9,23 euros nets, vous rigolez ? Grands princes, 11 euros de l’heure, sachant que le menu du sushi voisin est à 20 euros. Voilà. Deux heures de taf pour nourrir le précaire bon-survivant. Qui entretient ainsi méticuleusement ses dettes et échelonne ses factures pour continuer à faire comme si, à ce tarif, il pouvait flotter et se permettre d’arroser ses patates à l’huile d’olive bio.
Au Foyer D’urgence, je leur presse du jus d’orange frais, regarde tous leurs trésors quand ils m’invitent dans une chambre entre deux coups de balais pour admirer les posters de chevaux et autres collections de Naruto. Jouant mon rôle, façon « Cercle des Poètes Disparus », je poursuis mes luttes en ces temps de missions enchainées. Rester vibrante et fleurie, même avec une paire de gants en latex pour remettre à neuf des poubelles qui n’ont pas vu le jet d’eau depuis des mois. Acceptant l’aide des volontaires, on partage la fantaisie, les espoirs, les rêves. Un peu comme si on simulait une scène « corvées de ménage » tout en s’offrant une séance poétique de coaching reboosting en sous-terrain, mode résistant. Ne pas s’attacher ? Trop tard. Impossible de ne pas agripper les petites mains qu’ils te tendent, de refuser la richesse de ces précieux moments.
Trac du premier « date » pour un nouveau job, je traverse un parc, trait d’union entre l’enfance cabossée et le tourisme vernis, après une journée bien remplie amorcée aux aurores, et me présente au pied de la Cathédrale. En attendant que la porte moyenâgeuse s’ouvre, je me check-liste, coche l’accroche, « venez comme vous êtes ». Complétant fataliste « vous ne serez plus le même en sortant ». Inch’allah, en positif ! J’espère secrètement trouver l’ascenseur social derrière cette porte.
Evidemment, vous vous habillez comme vous voulez, dit-il quand j’évoque le sujet pendant l’entretien. Hôtellerie en famille. Comme ça, c’est très bien ajoute-t-il chaleureux.
Sinon, ça vous dérangerait de mettre des gants sur la main tatouée, et chignon bien tiré ? Ce sera parfait, conclue Adeline par téléphone quelques heures plus tôt. RH au Grand Souverain, où on s’attend à voir le voiturier en tenue devant la porte monumentale. Bizarrement, journée ensoleillée et pluie de propositions. J’y réfléchis, merci. Elle semble étonnée que je ne saute pas sur l’opportunité en toc. Le smic, Madame, c’est la grille. Oublie le standing, les tarifs pratiqués ne se propagent pas jusqu’au salaire du petit personnel. Je décline le lendemain, puisqu’on me propose mieux payé moins guindé au centre historique de la ville.
9 MOIS
2 – Loto
Je me dis que ouf, enfin, ça y est. Me poser. Comme souvent, je crois voir la sortie, l’arrivée. Ma place. Je débarque quelque part à l’improviste, et je me sens chez moi. Même au bout du monde, en terre, en job inconnu. Dès la descente d’avion, sur le tarmac, les racines prennent. Direct. Papeete, Alicante. Géographie, métier ; du pareil au même. Je suis Tahitienne, Alicantine, prof de piano, agent immo, toiletteuse graphiste et créatrice …ou tiens, nous y voilà : hôtelière…. Et pourquoi pas ?!
A l’inverse de « l’Aquoiboniste », je suis « la pourquoipaïste ».
Dans les vœux que j’envoyais à l’univers, sous le ciel étoilé de Polynésie, je n’oubliais jamais « l’hôtel ».
Y vivre. Un rêve depuis longtemps, qui je le sentais, allait finir par se goupiller. Parce que de toute évidence, sous ces latitudes, ma vie s’agençait par magie, comme une colonne de légos. Tout s’emboitait. J’étais allée me renseigner à la réception du Manava. Y habiter en résidente permanente. Pas d’intendance, et de nouveaux amis au gré des saisons et des réservations. Option piano & piscine si possible.
Ironie du sort, l’univers a fait sa tambouille : Voilà mon chou, dit-il, on y est ! Les clés, et pas qu’une chambre, tiens ! Tout l’hôtel, c’est cadeau. 12 heures par jour, un bon début ? A une heure de Paris. Le projet, visiblement, ficelé à l’arrache.
D’après les experts en gratitude et autres lois de l’attraction, Maître Univers ne connaît ni les chiffres, ni la négation…et j’ajouterais que la géo, c’est pas vraiment son fort non plus. Il note la recette brute, en liste d’ingrédients. Après, ce n’est plus son problème. « Pas de » « ménage » dans la prière ? Il prend note : « Ménage »…mmmh, voyons. Se gratte la tête perplexe, hausse les épaules, exauce.
Tout fier, il annonce joyeux : …J’ai pas oublié. Comme demandé, tes nouveaux amis en seront exemptés…
Un peu comme s’il avait son propre projet me concernant. Mon souhait à sa sauce. La cerise ok. Mais sous le gâteau. Me fait plaisir pour la forme, puis il tient son cap. Un hôtel, d’accord. Mais tu travailles dedans. Et je dois composer avec, m’accrocher, voir où tout ça me mène.
Pas exactement le tableau que j’imaginais. Je plonge quand même.
Depuis trois mois, j’ai le trousseau, les passes, les doubles, des chambres, des suites, du placard à balais. A la tête de l’hôtel de l’Eden pour passer les fêtes et l’hiver. C’est imminent : lancement sur orbite en solo après un trimestre de formation intensive. Les patrons s’envolent sous les tropiques, me confient le bébé, et dans la foulée, le départ de la sangsue enfin acté. Cette collègue accrochée en bandoulière, qui m’a cherché des poux tout le temps de l’apprentissage. C’était elle ou moi. Elle a profité de la fin de saison pour donner sa dem’ après 9 ans à répéter au patron, impatient qu’elle mette enfin sa menace à exécution, me confiait il : ok ben si c’est ça, moi, je démissionne.
Cap décisif et irréversible. Le grand Maître Cosmique affirmatif récidive. « Pas » d’empêcheurs de tourner en rond ? Jaloux-ses, envieux-ses et autres névro-socio-psychopapathes ?
Passe moi la liste. Je rajoute. C’est noté ! Livraison confirmée, sans délai, en vrac. J’ai tout mis. Tu verras. All inclusive buffet à volonté !
Mi-décembre, confiante et impatiente de savourer ma paix méritée, j’adresse un message au boss, bouclant ses valises : Trop hâte ! La communication avec lui a toujours été fluide, il répond à mes questions, de plus en plus rares, donne un conseil quand je le demande. Collaboration idyllique. Je bosse, ça tourne, je sais qu’il est là en cas de besoin, ou juste pour un petit échange complice et cordial. Etonnamment, pas cette fois.
Son silence m’alerte, laissant résonner une micro-voix dissonante. Inquiète, je fais mine de ne pas l’entendre, ou réponds, quand elle insiste : Chut, tais-toi. Non-non. Juste une de tes angoisses. Oublie. Mais j’entends, le son fantomatique persiste. Le lendemain. Et surlendemain : et si collègue-sangsue n’était qu’un avant-goût…? J’envoie la suite ? Ho ! ho ho…
En apnée, mains sur la tête, craignant le pire, je me garde d’intervenir. Mon avis semble compter pour du beurre, j’ai beau penser super fort, oh noooon, pas ça ! La scène suivante est lancée. Roulement de tambour : dans la famille boulet …j’appelle…Jacqueline !
9 MOIS
3 – Noir c’est blanc
– Ben si, c’est ce que je t’ai dit, c’est à droite là !
– Ah ben d’accord, à gauche alors.
– Oui, oh, t’as compris, c’est pareil…
Je confonds. Depuis toujours, la droite et la gauche.
Avec mes copilotes successifs on s’en amuse. Un jeu de pile ou face où il y aurait à mes yeux, deux « pile ». Encore une spécificité de mon activité neuronale, qui me fait parfois naviguer dans une dimension parallèle. Je fais avec. Et sans.
Même confusion entre le normal et l’idéal. Au travail. On te dit blanc. Enthousiaste, tu dis ok, tiens, blanc. Bonne idée. T’as préparé tes pots. Conditionnée, sur les starting blocks. Dernière minute, un petit soucis, une longue explication de la hiérarchie sur un détail qui ne te concerne pas. Un vague dossier d’indemnisation, obstacle administratif incontournable, imprévu, qui change la donne. Finalement, c’est noir.
Croire, quand ils t’ont convoquée, annoncé : cet hiver, pendant qu’on décompresse au soleil, tu communiqueras avec Philippe, que t’allais effectivement communiquer avec Philippe. Voilà. Ça c’était normal pour toi. Puis approche ce jour, tu te réjouis parce que vous avez testé le binôme et vous fonctionnez bien. Envoi d’un petit message pour partager ton impatience… Pas de réponse. Te parvient quelques jours plus tard un message de l’épouse du boss : Philippe va être très occupé ces prochaines semaines. Elle me sert des explications-excuses : entrée, plat, les restes du plat de la veille, fromage et dessert, sans oublier l’indigestif en conclusion : “Je vais prendre le relais”. Jacqueline.
Comme par hasard. Elle. Avec qui, après avoir été « copines », il y a eu fritage, crise, tirage de gueule, silence radio. Et voilà, c’est donc avec cette entité, avec qui l’incompatibilité d’humeur est désormais manifeste, que tu vas devoir collaborer. Les six prochains mois. Normal.
Idéalement, on t’aurait dit quelque chose qui aurait été conforme à la réalité. Mais non, la norme, c’est que finalement, c’est pas à Hawaï. Le tournage se fera à Palavas, ou tiens, un fond vert dans un studio, fin fond du 9.3, mi-janvier.
T’as pas entendu quand ils t’ont demandé si les conditions te convenaient toujours ? Pas étonnant, ils ne t’ont pas demandé. Mais ça passe, puisque c’est parfaitement bien, mal, ou pas expliqué. Pareil.
Voiture bélier dans mes illusions. Sous anesthésie locace.
La saison est lancée. Maillot de bain enfilé, Jacqueline tapote sur son clavier de téléphone avant de faire un plouf dans la piscine de sa résidence tropicale. N’oubliant pas de signer au cas où j’aurais des doutes sur l’expéditeur qui m’annonce la bonne nouvelle.
La voilà, la « couille dans le potager » comme je l’ai lu sur le web, par un de ces auteurs de nouvelles expressions accidentelles, métamorphosées au gré des réseaux sociaux et autres émissions de téléréalité.
Jacqueline remplaçante, la patronne et copropriétaire, belle-mère de ma parasite éjectée, s’apprêtant à prendre la télécommande, entre deux longueurs de brasse coulée.
Le deal était pourtant carré. En trois mois, j’avais fait mes preuves. On opérait à l’identique, sauf qu’au lieu de m’envoyer le planning le matin depuis sa résidence principale de Beaulieu, Philippe me l’enverrait depuis son transat, confiant, assimilant la vitamine D par réverbération.
Trop simple. Plan-plan. J’imagine l’équipe de scénaristes :
– Ben voilà. Saison 1 terminée. Elle a bien galéré, tu te demandais si l’autre dingue allait finir par la balancer dans l’escalier. Et là, tu la vois saison 2, se friser, à la fenêtre du donjon, gérant le flot de touristes en faisant son petit salut reine d’Angleterre ? Excuse moi, mais là, je décroche direct !
– Vas-y, t’as raison, qu’est-ce que tu penses de ça ? :
La beldoche. JacqueIine. Jacky la maléfique…in extrémis…une usurpation d’identité, de rôle. Genre la doublure faisant son entrée sur scène, sans prévenir, sans permission du boss, et avec son zèle de première dame aux commandes, ajoutant des astérisques au contrat de sa grouillotte, comme un lancé de confettis, pour fêter ça. Style folasse tu vois ?
– Elle a tué son mari ?
– T’abuses ! Juste maté.
9 MOIS
4 – Championne
Je rencontre Philippe, propriétaire des lieux, le jour de l’entretien d’embauche. Ben oui, je suis un peu gêné dit mon interlocuteur. C’est lui qui a fixé le rendez-vous et me propose de m’attabler dans la salle de restaurant, face à lui. Air détendu, facétieux, il poursuit. Valet de chambre, c’est l’intitulé de l’offre….quand je vois votre CV ! Oh ! Anglais ET Espagnol ? Courant ? Les précédentes parlaient difficilement le français…
Pendant ce préambule, je m’imagine en habit. Un uniforme un peu ridicule avec des chaînettes et un chapeau biscornu.
Comme lui, j’ai quelques craintes, mais c’est un peu mieux payé qu’ailleurs, j’ai besoin d’argent, et dans le package, le poste est pluripolyvalent. A un point que je ne soupçonne pas alors. Un set de cordes supplémentaires à ma harpe professionnelle. Pourquoi pas.
Il a l’œil de l’enfant espiègle, la douceur et l’humour, semble droit. Donne sa parole, évoque des perspectives alléchantes. Je signe.
Sans calculer son pendant. Binôme. Epouse. Présente, dans l’ombre. Qui a suivi tout l’entretien, en faisant mine de faire ses comptes derrière ses lunettes, comme l’écolière à ses devoirs, mais qui aujourd’hui, je présume, en a profité pour me saucissonner, et tenté d’observer mes lamelles sous son prisme. M’envisageant en souris de laboratoire.
Ça va la soulager. Dit-il comme si elle n’était pas à 2 tables de nous dans une pièce déserte, et qu’elle était si concentrée sur sa tâche qu’elle ne nous entendait pas ou ne comprenait plus notre langue. Besoin que quelqu’un prenne le relais. Sa mère malade, elle pourra lâcher le bébé. Vous formera le temps nécessaire, et nous on ira sur un autre continent, souffler au soleil.
Elle est au téléphone quand je repars, et me fait un sourire un peu mécanique, que j’excuse, empathique. Sa mère qui disjoncte, pas drôle, probable qu’elle n’ait pas envie de faire risette avec la candidate.
La formation est joyeuse. Intensive, elle me montre comment astiquer les parois de douche, bavouillant au passage sur sa belle-fille, histoire de nouer une complicité, interprétais je alors sans m’y attarder.
Appliquée, j’essaie de faire un avant/après spectaculaire, pendant qu’elle commence probablement à se frotter les mains et à rire sous cape. Quinze ans qu’on y laisse l’eau calcaire imprimer ses motifs, et la nouvelle, armée de son pulvérisateur de vinaigre qui s’acharne, finit sa séance échevelée, miroir en pied, mural et grossissant dans chaque chambre pour témoins.
Idem pour l’aspi. Elle me montre. Enlève l’embout, se met à 4 pattes et me dit : Moi je fais comme ça. Méthode centimètre par centimètre qu’on quadrille, chaque poil sucé par l’engin. Trois mois, il me faut, pour capter le coup de bluff. Depuis son île hivernale, elle doit amuser la galerie dans ses soirées habillées en souvenir de la belle époque coloniale, dépeignant le tableau de sa nouvelle employée quadrupède surdiplômée, tête baissée à gratter ses tapis. « Un peu » défraîchis. Elle repousse l’échéance. Pas de frais. Avec succion quotidienne, ils passeront l’hiver.
Jamais vu ça. Du 10/10 dans les avis booking. Philippe me félicite : je te l’avais prédit ! et me vanne sur un projet de fan club. Quinze ans qu’elle forme, femmes de chambre en série, en mettant la barre au plafond, espérant que ses élèves iront au moins jusqu’à faire la poussière de sa table basse.
Il se réjouit. Elle idem, en écho un peu poussif.
9 MOIS
5 – En route pour la médaille
A ce stade, je ne me doute de rien. Concentrée et favorite pour le podium, je trace.
Je commence tout juste à m’interroger. Les médisances sur la bru seraient-elles fondées ? Au départ, on était potes avec Mallaury. Un peu brute, cheveux courts et raides, les joues et le nez rouges en permanence, elle commentait mes débuts en hôtellerie-restauration, plonge, maladresses et étonnements : oh là là, elle me fait trop rire. D’une demie génération en moins, elle admirait et me questionnait sur mon énergie. En hypersensible aux vibrations humaines, mes ondes haute fréquence, disait-elle, lui donnent la migraine le premier jour. Selon elle, je suis chargée. A bloc ! On en plaisantait, ça nous détendait. Dans le speed d’un service, c’était bon enfant. Puis ça s’est dégradé, sans que je ne comprenne comment. J’ai mis 7 mois, après enquête poussée, rewind, ralentis, arrêts sur image, pour dater et expliquer précisément le moment de bascule.
A mon premier retour de congé hebdo, Mallaury-collaboratrice complice a chaussé la casquette de contrôleuse. Tendance complétée peu à peu, à mesure que les semaines s’empilent, par une panoplie total look de « Mallaury harceleuse ». Je subis des remarques, coups bas, et lorsque je riposte, attise l’excitation que semble lui procurer ce nouveau jeu auquel elle devient addict, de plus en plus assidue et inventive quand il s’agit de poser ses pièges pour tenter de ruiner mes journées et mon moral. Penchant qui semble confirmer les critiques de la patronne et belle-mère-supérieure. Accordant ma confiance à cette dernière, en package avec Philippe, je me permets de demander une intervention, leur protection bienveillante de patrons, pour éviter que la situation ne dégénère, essayant de ne pas jeter d’huile sur le départ de feu.
S’ensuit une embrouille. Un quiproquo. Alors que je me défends de cette partenaire, de plus en plus directive, Jacqueline, bizarrement, se sent visée, prend pour elle mes remarques, boude deux semaines, puis se pointe un jour gueule de travers, me balançant des c’est moi la patronne, je vais te faire comprendre qui commande ici, et ok, t’as des supers avis sur la plateforme, accueil, ok, ça, ok ! Super ! Elle buggue. Mais moi je te trouve un peu lente…
Sur le coup je n’entends pas. Je jette ces paroles dans la case malentendus. Me demande combien d’épisodes j’ai sauté. La regarde perplexe avec sa couronne brinquebalante au-dessus d’un petit visage renfrogné. Simple malentendu ? Une saison plus tard, je retournerai chercher ce premier indice au fond du tiroir. Tellement aux antipodes des accords initiaux. Du pied d’égalité, respect, voire pointe d’admiration de départ (feinte?) et encouragements satisfaits de Philippe. A part le salaire en bémol, dissonant avec les responsabilités, confiance et charge de travail…que je justifiais par mon statut de totale débutante, impossible à l’époque, à moins d’être parano, de prendre cet épisode comme un avertissement…
9 MOIS
6 – Sous le Masque
Première fois que je vois son autre visage. Le mois d’essai est passé. Fois deux. Dans l’engueulade, poursuivie entre deux étages, je lui balance qu’elle n’avait qu’à se réveiller plus tôt. Je fais volte-face dans l’escalier, rétorque : Y’a pas de qui commande ! Je te parle d’humaine à humaine, va t’agiter ailleurs et laisse-moi travailler en paix !
Je vois maintenant cette folingue, qui te fait aspirer chaque poil de tapis un par un, désincruster des stalactites et cueillir des champignons, oui, j’ai cru rêver. Un joli petit bouquet de champignons, de dix cm, que j’ai photographié. Dans la pénombre d’une des salles de bains. Ainsi, la gouvernante du palace décati est dubitative sur ma vitesse d’exécution. Et vas-y qu’elle en rajoute. Ah, ben oui, les parties communes, c’est quotidien. Evidemment, le calcaire dans la bouilloire, idem, c’est du ménage courant. Les tâches consignées comme hebdo deviennent désormais quotidiennes. Je reprends les comptes pendant qu’elle entre en transe _fameux jeté de confettis du scénariste machiavélique_, mets bout à bout chaque tâche, plus celles qu’elle ajoute au fur et à mesure que son baromètre grimpe… ben forcément, quand tu fais les carreaux du couloir, tu voies s’il manque l’embrase*. Elles m’ont coûté très cher. Où elle est ! Hein, où elle est !
Pardon ? Je chercherai sur Google, je ne connais pas ce mot et on n’a jamais parlé de lavage de vitres, pas plus que des murs, plafonds… vaguement évoqués en ménage de printemps prévu à son retour.
*Ah ! Merci Google. On dit « Embrasse de rideau. » Elle non plus ne parle pas le français chic. Embrase, embrasement, c’est quand je commence à voir les flammes qui jaillissent entre tes incisives de bipophrène**
**Bipolaire et schizo.
Je serais donc sensée ajouter une page à ma liste de tâches à rallonge, moi qui suis déjà « lente » selon les critères de Madame, sans oublier de raccrocher les rideaux du couloir, dit-elle, « si je puis me permettre » sur un ton qui me donne envie de la catapulter de l’autre côté de la cathédrale, en espérant qu’elle atterrisse sur une des deux flèches.
Je dis ok ! En courant faire mon taf d’une chambre à l’autre. Pas le temps d’écouter ses récriminations. Les clients arrivent dans une heure. Cause toujours ! J’enfile ma cape de DiCaprio-attrappe-moi-si-tu-peux ! Elle a muté en vase à débordement. Bain à remous, piscine à vagues. Emballement. Flot d’ordres aboyés en cascade.
9 MOIS
7 – L’enquête
L’hiver m’ayant ouvert les yeux sur les différents rôles, masques, complots et autres manigances au sein de cette société familiale, invisibles pour tout être idéaliste, rêveur, naïf et ne faisant pas le distinguo entre sa droite et sa gauche, j’invite Mallaury, ma collègue bête noire des débuts, à boire un pot.
Si elle avait été la serial tarée qu’elle incarnait avec application, l’atmosphère aurait dû être assainie dès son départ. A l’opposé, l’ambiance s’était insidieusement dégradée.
J’organisais cette cérémonie en tête à tête, convoquant les fantômes que je comptais, avec son aide, congédier. Qu’ils me R.I.P _Rendent Immédiatement ma Paix_ que je récupère l’énergie qu’ils avaient pompé tout l’hiver, me prenant pour leur bobonne de fioul.
En terrain neutre, terrasse de café, notre lieu de travail s’étant chargé d’une sacrée dose de haine et de répulsion pour ma part, je commence par l’innocenter officiellement. Suspecte number one est ravie. Sachant qu’elle s’est quand même bien réjouie de la mission tacite de titiller mes plombs, encouragée, coachée par sa belle-mère-patronne.
Sirotant mon perrier-citron, je la regarde droit dans les yeux :
Je rembobine. Ecoute bien.
En préambule, je reconnais avoir eu non pas tout faux, mais un peu faux sur son compte. En démêlant cette saison catastrophique, l’échec supposé perd instantanément ses allures de drama. Je reconstitue chaque étape, premier jour rappelle toi, nos rigolades. Je vois ses épaules sursauter, un petit rire. Nos regards d’ennemies ont fondu. Une flaque au sol. Je poursuis, déplace les pions, à la lumière de ce que j’ai appris. Elle confirme, me raconte le rouge aux joues, que ça fait …ben attends, depuis mon premier jour dit-elle. Neuf ans que « La Jacqueline » dénigre son travail et la monte contre ses collègues, qui finissent toutes par partir. Cette fois c’était mon tour ! Merci ! On peut dire que c’est grâce à toi. Mais c’est surtout lui qui me déteste.
Elle n’en démordra pas. Ne comprend pas que la belle-mère malaxe nuit et jour beau-papa, bonne pâte, colportant, aggravant tout ce qui pourrait salir l’avis favorable de son mari sur la pacsée de son fils. Grossissant chaque « négligence » comme elle s’est délectée de me les souligner, dès mon arrivée. Non mais regarde, elle ne met même pas les cales sous les tables, ben voyons, tu crois qu’elle penserait à éloigner ce couvert du pot de fleurs ? Ah, ça elle papote ! Je ne comprends pas ce que les gens lui trouvent…. screugneugneugneugneu…. Intarissable. Le front collé au carreau, Jacqueline au poste de surveillance, vue plongeante sur sa belle fille préparant la terrasse, la lapide de torts et de travers.
Le temps, les évènements ont braqué les projecteurs sur les ficelles, tirées par ce personnage rodé depuis des décennies dans sa stratégie, sa façon de « commander ». Face à sa bière, Mallaury me confirme comment peu après mon arrivée, sa belle-mère l’a assignée au poste de contrôleuse, qui espérait elle sûrement était une promotion familiale. Un pas vers le cœur sec et hostile de ses beaux-parents. Jacqueline Introduisait dans notre complicité naissante la substance radicale qui allait la dissoudre et nous diviser jusqu’au rejet irréversible. Et s’empressait de me dire, dès mes premières inquiétudes, dès les premiers coups bas de la collègue, tu vois ? Je t’avais dit qu’elle était tordue ! Preuve du bien fondé de ses avis négatifs concernant la bru que j’avais eu, selon elle, tort d’apprécier sans restriction en début d’aventure.
Voilà pourquoi, lorsque je sollicitais la patronne, en soutien avec Philippe, pour me protéger des attaques de plus en plus encombrantes de ma « surveillante », celle-ci réapparaissait, après une parenthèse silencieuse, en dragon. Le but réel n’étant pas celui annoncé au départ. « Madame a besoin de se mettre en retrait, sa mère malade » etc. Tout avait changé.
Etaient-ce les compliments haut débit de son époux à mon égard, lors de congés-test à l’Ile de Ré ? Mallaury raconte…Il ne parlait que de toi ! Consultait les avis Google chaque petit dej, et nous en faisait la lecture à haute voix. Mode théâtre. Parfois, ravi, il remettait ça à l’heure du déjeuner. T’aurais vu sa tête. Elle serrait les mâchoires, approuvait, mais elle commençait aussi un peu à le vanner. Oui ben c’est bon, avec ta Sophie. Lui prenait ça à la rigolade. Remettait une couche. En rentrant, comme si elle avait voulu effacer toute cette gloire qui m’auréolait à distance et dont j’étais loin de me douter, la métamorphose était enclenchée. Par surprise, je me prenais du glacial, avalanche de furie en guise de retrouvailles et de renouvellement des vœux. Remplaçante ? Bras droit ? Confiance et protection ? Connait pas…Philippe d’habitude si bavard, me regardait à peine. Haussant les épaules le temps d’un sourire furtif. Pas un mot.
Occupée que j’étais à ne pas me laisser plus ou moins piétiner par l’ex “partenaire”, qui commence son travail de sape les premières semaines, focalisée sur ma mission et sachant que le temps de cette coéquipière embarrassante est compté, son contrat de saisonnière s’achevant mi-décembre, je ne saisis pas les premiers signaux. Red flag invisible, je poursuis mon chemin en parfaite daltonienne.
« La parasite » telle que je l’ai vécue, n’était qu’un leurre. La vaguelette qui annonçait le tsunami. Mais encore une fois, je n’en suis pas là. Du tout.
9 MOIS
8 – Taxes mensonges et vidéo
Rentrée des classes : 1er matin du premier jour. Je passe l’éponge sur le retard de 5 mn de Jacqueline. Sourires enjôleurs, la patronne ne s’excuse pas et me montre les biches, prises en photo sur son trajet, safari en Beauce qui explique mon poireautage de rentrée. Bêtement, je m’extasie. Très à postériori, j’imagine la scène si je m’étais pointée, d’entrée de jeu, en retard, la gueule enfarinée, avec pour mot d’excuse ma galerie photos…
Cours de petit-déjeuner. En formatrice, un peu déconcentrée, elle oublie d’allumer le four où elle décongèle ses “croissants frais”. Très frais du coup. Et au moment de les servir, m’explique dans le détail comment baratiner le client. C’est jamais de ta faute. Tu fais des petites blagues, tu papotes, tu noies le poisson. Ah, et s’ils ne mangent pas leurs croissants, tour de passe-passe, tu les sers aux suivants. Et ceux qui restent, direction congélo pour le lendemain, surlendemain et ainsi de suite. Jouer la gourde charmante, comme dans les films des années 50. En pense-bête, Audrey Hepburn en portrait géant, toile en noir et blanc servant de porte de placard dans les WC du bas. Madame a du goût. Et du génie, semble-t-elle se dire en croisant son reflet dans le miroir. A moins qu’elle ne révise ses contes…la biche, le chasseur…en présence de son apprentie blanche comme neige.
Débutante pleine de bonne volonté, je dis, oulà…tu m’apprendras. En mémorisant. Croissants, pain au chocolat, 50°C, 15 mn, Yaourts et fruits, confiture, réserve sèche, là-haut, et descends 1 torchon, jamais les mains vides, le chocolat, ici, en bas, 2 cuillerées à soupe, micro-ondes, avec du lait. Les doigts, oui attention, ça glisse, ça fait mal, tu coupes la baguette en 3, les panières à la plonge, le beurre, oui tu le sors, la charcuterie aussi, et tu rajoutes des noix. Au dernier moment le jus d’orange ! Qu’ils entendent le bruit…
Ok les factures, les taxes, 10%, note là, calculette ici, le terminal là-bas, ah oui ! attention ta tête,(trop tard), rebranche sinon t’es cuite, ah, les réservations, arrivée notée dans la colonne de droite, et parking, ou ticket, ou rue, tu inscris colonne de droite…J’enregistre. C’est copieux, mais les infos passent.
En revanche, si je suis bien nulle dans un autre domaine que le ménage, c’est le mensonge. Je lui laisse ses conseils et garde, face aux clients, mon attitude spontanée : Oups, sorry, j’ai oublié d’allumer le four ! Un peu gourde aussi, j’avoue. Sans avoir besoin de simuler. Madame Distraite. Heureusement, les gens sont gentils, me passent tout. Et me remercient pour le sourire.
Le réveil est progressif. Quelques semaines et un accrochage plus tard, je revois mes débuts différemment. Un bras qui se décroche agrippé à un chiffon, un tuyau d’aspirateur, et le déca, tu trouves pas ? T’allonges un peu et tu lui dis que c’est un déca. Papi à quatre-vingts ans bien tassés, gentil comme tout. Elle hausse le sourcil d’un air de dire pas grave s’il nous fait une crise. Elle doit déjà penser à son mito, une énormité…. Accusera le fournisseur de What Else de s’être mélangé les capsules.
La cheminée, la baignoire, la tv ne marchent pas ? Ben tu dis….blablablabla. T’inventes. L’architecte de France, la grêle.
Moi aussi j’ai une question qui me picote, alors que je relève les premières bizarreries. Je demande.
La caméra ?
Non, c’est juste pour la nuit. Une société de surveillance. Dérobade pour esquiver un doute en germe. D’ailleurs, elle ne marche pas, le technicien va t’appeler.
Jamais reçu son appel. Ni vu le sticker, à propos, informant le client qu’il est filmé avec, commissure droite, sa miette de pain « frais ».
Dire que j’ai poliment ri à ses fabulations. Qui en réponse à mes quelques demandes légitimes les mois suivants ne m’amuseront plus du tout.
_Tu disais ?
_Jour de congé ! Heures sup ! Récup !
_Plouf-plouf ! Pirouette ! Avec supplément cacahuètes !
9 MOIS
9 – L’ECRIVAINE
A ce stade, ils pourraient se réjouir, se féliciter.
3 mois à peine qu’elle est là et la nouvelle remplace toute l’équipe !
Contrat signé, confirmé, l’employée 10/10 mène la barque en capitaine du navire au tarif du mousse.
Le plan du siècle. Leur crédit remboursé non stop alors que depuis 15 ans, on gèle le business tout l’hiver pour aller faire des stocks de soleil, de sommeil et de Never Die, graine locale sensée rendre madame immortelle. Les orteils en éventail sous le parasol, on se jette comme chaque matin depuis le séjour à l’Ile de Ré sur l’appli Booking, vérifier que la foule est toujours en délire, acclamant leur « femme de ménage-gérante d’hôtel ».
Philippe ravi, m’en fait part parfois. La patronne lui emboite l’intention. Elle pianote, pour faire bonne figure…efface discrètement ses éloges, et choisit un simple émoji : applaudissement…Envoyer ! un sourire forcé sous ses lunettes noires. Elle imagine une trappe. Qui s’ouvrirait pile sous les pieds de l’employée modèle, un beau jour de ménage de printemps.
Ça semble l’inspirer. La cheffe, usurpatrice de poste, tapote sur le clavier. En même temps que son bronzage, elle essaie d’optimiser son employée.
Assez maladroitement. Parsemant deci-delà, en pleine crise de créativité, de nouvelles missions. Une rose dans chaque chambre…oui, dans une flûte, bien sûr tu les nettoies. A la cave…sinon, derrière le meuble. Tu prends le petit escabeau…
Sa seule fonction désormais, m’encombrer. Avec son besoin irrépressible de se distribuer un rôle superflu.
Du coup, la mécanique parfaitement huilée avec boss Philippe fait faux-bond, tape-cul. Comme à l’époque où on fréquentait le bac à sable. La peste qui surgissait, nous entendant rire, dégageait mon amie, prenait sa place à l’autre bout de la balançoire, et touchant le sol avec ses pattes cagneuses, bloquait le mouvement, me faisant sauter comme une crêpe ! Contretemps. A la limite de m’envoyer dans le décor, si je ne m’étais pas agrippée, la connaissant. Communication cafouilleuse, et comme je dois garder le cap, j’ai du boulot, et pas vraiment le temps de peaufiner notre correspondance, je réduis la fréquence des réponses.
_ Ok, Jacqueline, je m’en occupe.
_ Ok, c’est noté.
_ Ok
_ …
_ …
Jacqueline qui commençait à prendre son pied en envoyant sa prose, en flux continu, poussant au max le volume des messages se vexe. Deuxième brouille. Se met à me secouer à l’aide de rafales d’ordres, vérifications, confirmations, contradictoires, répétitives, criblées de fautes. Ses petits nerfs font un massacre dans l’orthographe. J’opte pour le silence. Aussi long que le temps nécessaire pour relire, traduire et corriger sa logorrhée compulsive. Non, dans son cas ce n’est pas un pléonasme !
Elle teste une nouvelle stratégie. Simplifie :
HE ! OH ! Pour ne rien dire. Juste je suis là, calcule moi. C’EST AUSSI MA MAIQON, finit elle par écrire en majuscules, en ripant sur le « S ».
Je me demande quand tirer la sonnette. Comme je n’ai pas le temps d’élaborer des tactiques complexes, préférant me concentrer sur mes 10 à 12 heures de boulot quotidien, je tranche. Jacqueline sur pause, bloquée quelques jours sur whattsapp.
9 MOIS
10 – Lanceuse d’alerte
J’ai le profil. Je pourrais finir comme lui. Pierre Niney. Boite noire. Avec du sang qui coule de son oreille d’acousticien. Il a entendu des sons qui n’arrangent pas les affaires de la compagnie aérienne pour laquelle il travaille. Il perçoit ce que d’autres tentent de falsifier. Évidemment, ce n’est pas dit comme ça, mais comme on est malins, on le comprend assez rapidement. Et on angoisse à mort pour lui. Parce qu’on se rend bien compte que chercher à savoir comporte quelques risques.
Cette longueur d’onde qu’il détecte et qu’il ne devrait pas entendre, c’est la dissonance des contrats et des millions qui s’envolent. Un pain dans la douce musique du profit.
Un crash aérien. Trois cent morts et un bruit chelou. Pas de quoi en faire des caisses, Pierrot. T’es corporate ou bien ?!
Mais c’est plus fort que lui. L’ouïe de Super Jaimie et ce besoin d’élucider. Même quand plus personne ne veut vraiment ce rapport sur ce qu’il s’est réellement passé.
Sans se préoccuper des conséquences, il trace tout droit, se fait éjecter de son couple, son taf, et sa vie.
Heureusement, la vérité lui survit grâce à une manip in extrémis. Il balance ses preuves sur Go transfer. On suit en apnée la progression en pourcentage. Ouf. Transmise juste avant qu’on ne l’aide à s’emplâtrer dans le décor.
Voilà. Désolée de vous spoiler le film. Et la vie. Maintenant que je commence à y voir un peu plus clair. C’est normal les amis qu’un employeur donne l’impression au départ de se préoccuper de tes intérêts. Tu signerais franchement, s’il te disait, là, tu vas bosser 11 ou 12 heures, au lieu de 8 par jour, et tu seras payée pareil. Oh oui, à peine plus qu’un smic. 1800 net pour 39 heures.
Mais bien évidemment, les heures seront récupérées, enfin, quelques-unes après qu’on ait tout recalculé selon des règles mathématiques spéciales et inédites, qui permettent de délayer ton temps de travail sur les mois précédents, puis on te donnera tes dates dès que possible, selon le calendrier des vacances de nos petits-enfants. Ah et pendant la grasse mat de ton unique jour de congé, tu répondras néanmoins au client énervé parce qu’il se retrouve devant un hôtel fermé, sous la pluie avec sa valise de 50 kg, de retour de voyage en Chine. Ben oui, puisque t’es pas là et que t’es seule à faire tourner le business. Logique, réfléchis ! Le lendemain, tu le reverras au petit déj, et avec un bon petit café accompagné d’un croissant industriel décongelé et chauffé à cœur, tu le retourneras comme un pancake.
C’était pas vraiment présenté comme ça. J’ai donc signé.
Et quand le discours calibré du départ a commencé à cafouiller, réponses vides ou à côté, le carnaval bon-enfant qui vire au Fyre Festival apocalyptique, j’ai commencé à faire mon Pierre Niney, ma Erin Brocovich, à poser les questions qui s’agglutinent, bouchonnent, font gentiment la queue derrière les dents serrées la nuit, ajoutant quelques heures d’insomnies à mon emploi du temps. En rafales : euh, normal que je bosse non stop H12 ? Que mon jour de congé ait sauté ? Qu’on soit full tous les jours alors que même en haute saison, je n’ai jamais eu une telle fréquentation. Autant de chambres à faire ? Seule ? Chaque jour ?…
Là on t’explique. On adore te dispenser des petites leçons de comptabilité. En formation continue généreusement improvisée.
Au programme :
« Les pourcentages de fréquentation, l’obligation de louer moins cher. Les réservations tardives et la chaleur qui descend ».
T’oses même pas répondre. Qu’entends-tu par tardive ? Confonds tu avec précoce ? Parce que si c’est tardif, du coup, ça te laissait du temps pour fermer cette date ?.., et t’es sûre ? Le froid des caves monte ? Même très fatiguée, quelques bribes de bon sens résistent. “Certes on est complet”, écrit-il sur son message larmoyant, “mais les chambres sont bradées, tu comprends ?”
J’imagine que c’est à ce moment-là du script que je dois éclater en sanglots. Gros plan sur la première larme qui déborde. Impossible à contenir. Ou me cacher de honte en me mordant une main. Sous-entendu : Au lieu, égoïstement de te préoccuper pour ta santé, ton temps libre ! Voilà, je te balance tous les chiffres que t’as pas demandé. Et quelques données scientifiques pointues sur les mouvements des masses d’air froides absolument absurdes. Entre la TVA, la commission booking, si là t’es pas en train de tousser asphyxiée par cet enfumage magistral !
Jouer sur les sentiments, avec les chiffres, et mes nerfs. Voilà comment on contient la digue sur la saison. La direction serre les fesses. Pas de raison qu’elle nous lâche. On l’applaudit à intervalles réguliers, pour la faire taire et tenir jusqu’au bout. Stratégie des expat’ saisonniers…allez ! On la tente…
Là encore, je ne réalise pas que la personne qui répond en tartines de marmelade handmade scientifiquement désapprouvées n’est pas Philippe. Au premier trimestre, on échangeait des vocaux. Écrire plus de trois lignes le saoulait. Aujourd’hui, déclic après déclic, je me souviens d’une des remarques de Madame, s’agaçant de mes réponses laconiques. Je ne comprends pas, tu ne réponds pas alors que vous vous parliez à longueur de journée, masquant sa rage sous ses airs d’ingénue.
Aucune différence pour elle. Trop subtil. Échanges des petits tchecks vocaux d’encouragement avec Philippe, et avec elle, Jacqueline, submersion sous un tas de conseils et instructions poisseuses et avariées. L’un t’envoie une petite tape dans le dos qui sent le jasmin, l’autre te balance son caddie, son sac à dos, et ses semelles crottées et lestées chaque matin en guise de bonjour, demi-journées de congé comprises…et s’indigne de la qualité de la relation ?
9 MOIS
11 – Avalanche
De passage en métropole, entracte d’hiver au soleil, Jacqueline apparaît, bonne mine et sale gueule, sans prévenir pendant le service de petit déjeuner, me tend la main à serrer, façon patronne du 19 e siècle qui envisage naturellement qu’on se fende d’un baise-main. La scène m’amuserait si j’avais une seconde à lui consacrer. Je serre furtivement son gant, sans me douter de ce qui se trame pour ma matinée.
Agacée, ces derniers temps, de voir ma tête se relever de temps en temps, pour décoder ce qui se cache entre les lignes du contrat, elle lance « l’opération avalanche ». Faire diversion. Me rendormir, m’occuper, m’assommer. Son projet du jour : m’imposer un nouveau cadre. Plus strict. A gros coups de marteaux. A base de punitions. Tu laves ta vaisselle. Sur place.
Je retiens la remarque : « dans le lavabo où il a craché le dentifrice ? », rassure la révoltée foutraque en moi, te bile pas, on fera comme d’hab. Pourquoi cette règle ? Parce qu’à chaque initiative, je te pondrai une règle. Juste pour t’emmerder. Ça évidemment je le devine. La menteuse n’est pas courageuse. Et ici, on fait comme je t’ai appris. Et 1 seul frigo. Pareil, fais bien attention aux lumières dans les chambres. Tu feras un récap’ pour le cash...n’oublie pas les siphons, un petit coup de vinaigre sur la résistance de la plonge, nouvelle liste interminable de tâches rébarbatives supplémentaires refourguées en catimini, l’air supérieur et dégagé. On charge la mule, comme si la polyvalence pouvait s’étendre à l’infini, sans commencer à faire frémir le chiffre du salaire.
Courant de chambre en chambre sans la calculer, je l’entends s’emballer dans sa course poursuite. Lancer à la cantonade : Des décennies dans l’hôtellerie, j’ai bien quelques petits conseils blablabla…..je zappe ses recommandations périmées, les enroule dans le linge sale, je tasse et vlan ! coup de pied pour les voir dévaler l’escalier.
Parce que je ne finirai pas la mission avec un dos en macédoine de légumes, pour défriper ta petite moue renfrognée de gremlin compulsif.
Sinon c’est parfait ce que tu fais. Dit-elle par message le lendemain. Après le cataclysme. Comme le bouquet de roses blanches après la torgnole mentale de la veille.
Échaudée, je recommence à espacer les messages et à les réduire à l’essentiel. Effet immédiat, elle en rajoute. Un seul lave-vaisselle. Economie. Les leds. La place des meubles, réponds, et reprend son refrain en chœur avec toutes les folles qui peuplent sa tête : C’EST MA MAISON. Comme si on jouait aux Playmobils et que je lui avais piqué la ferme. Avec les animaux.
T’as peut-être tamponné une voiture. Le téléphone de mon mari est cassé, il est très occupé. Tu ne me donnes pas les tenants et les « aboutissements »... Voudrais-tu dire « aboutissants », Madame la gouvernante ? Elle pédale dans le vide. Lancement réussi. Je crois que je l’ai propulsée dans l’espace. Catapulte mentale en action, vient de franchir le mur du son, dépassant tous mes espoirs.
Les fêtes de fin d’année terminées. 50 heures sup au compteur. Des journées doubles, aucun jour de repos. Des réponses fumeuses. Une charge boule de neige, je commence à vaciller. Perçois comme une petite odeur persistante de doute quant aux heures à récupérer et jours de pause hebdomadaire. Alors, je balance un premier stop. 2 jours off, à telle date. Non négociable.
Que je paie illico. Ne trouvant plus rien pour allonger sa liste de tâches, elle en créée une seconde : tout incident matériel, sur mon dos ! La fuite de lave-vaisselle, machine à café défectueuse, le linge manquant… L’aspirateur lâche, à force de tirer le fil…Sous-entendus perfides… la lavette… t’as mal rincé le bitoniau…reproches, critique, fautes. Mensonge, mauvaise foi ; De mon côté aussi , je répertorie chaque cran, chaque étape franchie, chaque nouvelle digue qui saute.
Le niveau augmente, je sens l’eau effleurer les narines.
9 MOIS
12 – La goutte d’eau
Bravo pour les notes. Tu vois je sais aussi dire quand c’est bien.
Sentant l’amertume monter en arrière-goût à la lecture du message, je l’imagine, cliquant sur envoyer. Fière d’elle.
Quelques jours sont passés depuis la visite surprise. Conclue sur ses dernières remontrances lâchées sur le ton du mépris absolu.
Et voilà qu’elle me félicite. Pour une note Booking. Le bon point. Encore quatre et j’aurais une image ! J’ai évoqué la prime de Noël, plus appropriée et gratifiante, mais bizarrement, aucune réponse quand tout message de ma part, même d’une ligne, appelle plusieurs pavés de déblatérations que j’ai finalement décidé de ne plus lire. C’est plus fort qu’elle. Je la bloque et elle réapparait instantanément sur le whatsapp de son époux. Parfois je me demande si elle ne l’a pas tué. Il m’est apparu pour la dernière fois, le jour du recadrage express, m’adressant des mimiques complices, sans un mot. Son coupé. Doux et émotif, elle doit se contenter de brandir son regard psychotique pour suggérer que le reste de son anatomie pourrait être menacé .
Je réponds Merci Jacqueline.
Mais en marchant, je me rejoue l’instant.
Non, j’aurais dû dire. Non merci.
Ou bravo. Comme elle, émoji applause. Bravo ma grande, tu serais donc capable de donner un sucre à ton employée modèle après l’avoir fouettée ?
Je me retiens. Je commence à penser à la sortie. Sans esclandre. Parce qu’il faut bien des raisons pour avancer, enquiller sur la scène suivante ; s ‘ils étaient réglos et généreux, reconnaissants, je donnerais tout. Avec mes phalanges à vif, en osselets fusionnés au chiffon.
Se frayant un passage entre les avis positifs sur Booking, un grincheux, qui malgré tout me félicite pour la gentillesse de l’accueil, écrit, en remarque négative, un haiku :
Le lit rond c’est original, mais on y dort très mal.
Il n’en fallait pas plus pour qu’elle rompe un silence de 15 jours. Rechute. La voilà qui se déchaîne, me pond une notice, pour me donner 3 ou 4 instructions supplémentaires.
Sommier, matelas….elle décortique chaque couche du lit circulaire, tu n’as qu’à séparer et resserrer l’assemblage des 4 portions, me détaille le plan à suivre, minimisant chaque effort par des « simplement, juste, vite fait, en passant », m’offrant ainsi l’opportunité de me casser au choix, une vertèbre lombaire ou thoracique au choix, selon l’étape.
Impatiente de recevoir le mode d’emploi « parquet », au prochain poème satirique d’hôte insatisfait. Juste sous le lit-camembert. En effet, en manipulant les portions de ce dernier, je m’aperçois que les lattes de bois massif sont dans un sale état. M’ordonnera-t-elle de les poncer avec les dents ?
9 MOIS
13 – COUP DE GRIFFE
Le cerveau, explique cette scientifique dans un doc sur le hasard, est fait pour qu’on donne du sens. Sinon, illustre-t-elle, le promeneur verrait un ours et ne réagirait pas. Oh ! Il m’a mordu. Fin de l’histoire, de la vie du mec, de l’humanité. Equipé de cette faculté, l’humain évalue la situation : ça ressemble à une bestiole, oui, je dirais même assez grosse pour m’envisager en Kebab. Stratagème pour lui faire peur ou stratégie de fuite, et ainsi, l’espèce se perpétue.
Ce que la chercheuse ne précise pas, dans le reportage, c’est que certains d’entre nous ont été élevés dans une famille d’ours. Pas Bisounours, pas Booba, ou si, celui qui sort les crocs et punchlines explosives. On a essayé de t’infuser violence, brutalité, en niant tes prouesses de papillon. D’oiseau ? Toi-même tu ne sais plus. Seulement que tu n’aimes que le chant des fleurs et la danse libre du vent, et que pour survivre parmi eux, t’es juste obligée d’effacer tes couleurs. D’ailleurs, pour faire simple, ils te coupent les ailes. Comme à Angelina Jolie. Voilà Maléfique, sache que c’est pour ton bien !
Alors, en bonne élève, dès qu’elles repoussent, conditionnée, tu continues, régulièrement, à aller de toi-même, te faire faire une coupe. Oui effacez la couleur aussi, ça devient trop visible, les racines…on commence à me faire des remarques : Continuez, restez comme vous êtes, vous avez égayé notre journée. Tu leur dis oui-oui et tu sens ton petit cœur qui palpite, qui ne demande que ça . Mais tu sais aussi, que ce n’est pas du goût de tous. Que maman ours, derrière son écran de contrôle, va débouler, ou envoyer une de ses Jacquelines, pour éteindre ta lumière dès qu’elle va percevoir un mot de cette conversation.
Alors la vie s’en mêle. Vas-y, envoie lui l’accident. Plus rien à perdre.
Il faut toujours un début à la fin. Quand tu t’es trompé d’histoire. De vie. Que t’es bloqué dans l’intro. Quand tu jongles avec les aménagements, t’adaptes, ouais, c’est confort, je vais surfer là, tranquille….petite sieste sur les lauriers, sous les cocotiers. Finalement, ils avaient raison. Je rentre bien dans cette case. En coupant un peu ce qui dépasse, plumes, rêves, idéaux. Le scripte s’énerve : mais putain ! Qu’est-ce qu’elle fout ? Elle croit quelle est arrivée là ? Bouge ! Dans un premier temps, aveugle, sans recul, diluée, tu te sens trimballée, dégagée, ouste ! Puis tu dégaines les neurones qui flottent encore, tu en fais un petit radeau, et t’essaies de comprendre ce qu’il t’arrive.
Il a encore fallu qu’elle revienne à la charge plusieurs fois. Pour que je réalise. Que je suis encore très loin de la destination prévue pour moi. Pour me dégouter de cette mission dans laquelle je me voyais déjà monter ma chaine de maisons d’hôtes, all around the world, elle a dû s’acharner, m’accuser de crimes contre la lavette et maltraitance de matériel, minimiser les nuisances que m’inflige l’aspirateur, qui lâche son fil dans mes pattes quand je dévale l’escalier, espérant la chute à chaque marche, rayant le parquet, pour m’obliger, tel un enfant roi : Aux bras ! Aux bras ! Sinon, je nique tout !
Jacqueline bétifie : Mais non, “je ne pense pas qu’il raye, c’est son petit derrière arrondi qui caresse gentiment le sol” …maîtrisant ses tremblements à l’idée d’investir dans un appareil sans-fil professionnel…
A califourchon sur ma bouée de sauvetage, je décortique le cas « Yves St Laurent ». Si Dior ne l’avait pas poussé dehors, hein ? Il n’ y aurait pas eu d’YSL.
Dans la Maison Monument fondée par Christian, il se croyait arrivé. Au sommet ! Impossible d’imaginer alors qu’il allait créer, le top du top. Du top.
Il fallait un gros déclencheur. Un réacteur supersonique pour propulser son génie. Casser des œufs pour la tortilla. Le big bang, la guerre. Yves, appelé…
La vie euphorique, en phase maniaque. Pas la carrure ? Pas le mental ? Justement ! Exactement ce qu’il me faut ! Culotée ? Sadique ? Géniale ? Elle regarde ce qu’elle vient de jeter dans la marmite, poings sur les hanches, ses yeux se frottent les mains. Bizarre ? Oui la vie est parfois bizarre.
Yves chute. Fait une dépression. Puis rebondit. Sous l’œil bienveillant de son Bergé, il sort sa mythique griffe.
Comme Christopher Reeves, ex-Superman, cloué à son fauteuil. Il volait trop loin de lui-même. Pour que papa le reconnaisse enfin. Immobilisé, il réalisait. Que devenir champion toute catégorie ne valait pas les liens d’amour. La présence de ses proches. Parler. Partager ces moments. Tout ce que son père n’avait pas su faire avec lui, le privant d’attention, jamais cependant de mépris, l’envoyant tacitement en satellite, sur orbite, seul en combi lycra. Dans le mur, sur son trône.
Ou Iglesias lancé pour être un roi du foot stoppé net dans la course, réchauffant le cœur des femmes. Et Grand corps malade. Justement. Voilà où je me situe. Petit corps en galère. A bout.
9MOIS
14 – CASCADES
Je me réveille la nuit, mal au dos. Mais comment allongée, je peux avoir mal au dos? Comme quand le rêve est récurrent. T’obligeant à faire le ménage. Dans ta tête. Dans ta vie, ce bazar ! Tu le refoules à base de oh, beurk, le truc horrible. Bah, non, dégueu, comme s’il t’était servi par quelqu’un d’autre que toi, équipée de ce pauvre cerveau cramé. Disons, angoissé, peureux, agité, un brin perturbé….Et si créatif ! Rêves, maux : il titille vertèbres, phalanges, tout, partout. Les fourmis te réveillent, dans un bras engourdi, douleur dans la mâchoire. Ta solution ? Coller des étiquettes. L’angoisse te tend le paquet de pensées flippantes. Pioche ! Hypocondriaque tu t’exécutes. Os de verre. Mal de Pierres, cancer des os. Se lassant de te voir faire joujou avec ta peur, le sommeil t’échappe. T’essaies de te forcer à te rendormir. Une habitude. Même le jour. Tu ne veux pas ouvrir les yeux. Pas réaliser que tu ne tiens plus dans ce bocal. Que le formol ça pue, qu’il est temps de bouger. Tu serres les paupières, recroquevillée, poing droit serré sous le coude gauche. Tordue au max, calée dans cette crise, en attendant que l’alarme te sorte du lit.
Alors ça commence à vibrer, premières secousses. En allant travailler, je marche, seule dans la ville déserte, sur un sol immaculé. En train de planer, soulagée dès que j’entends le signal : action ! Je me délecte du décor, des guirlandes dans les platanes, par temps de neige, qui jouent les maîtres es Photoshop. Réglages, Teinte/Saturation. Je me shoote aux couleurs. Chartres en vert, en rose…. en jaune! 7H 22, le bruit de mes dents qui claquent d’un coup sec. Une brûlure à la racine du sourcil. Je vérifie du bout des doigts. C’est froid, sec. Pas une goutte de sang. L’arcade sourcilière pourtant. Un morceau est tombé sur la neige, mais ça ne m’appartient pas. Un bout d’écorce. Apparemment entière malgré le choc, juste cassé un bout d’arbre. Rien n’est ouvert, l’arbre m’a percuté la tête, et certainement maintenue debout. Je ne vois pas par quel miracle. Je poursuis mon trajet, sonnée. Dans la vraie vie, j’aurais dû me ramasser. Je rejoue la scène en pensée : suis-je dans le Truman Show version cartoon ? Talon qui glisse, je serais sur le dos. La pointe aurait ripé ? Tellement bizarre. Reconstitution d’accident complètement fantaisiste, n’obéissant à aucune loi physique en vigueur sur cette planète. Tout en pressant le pas pour ne pas arriver en retard, j’appuie fort. Mes doigts glacés en compresse. Manquerait plus que je me présente à l’hôtel en Elephant Woman.
Une heure plus tard, sujet de conversation tout trouvé pour faire l’animation dans la salle où je distribue les petits déjeuners. Aucune trace. Je passe peut-être pour une mytho en servant l’anecdote à mes hôtes.
Deux jours passent, le piège est différent. Celui qui tire les ficelles s’impatiente : mais non elle sourit ! Electrochocs ! Tout brille dans la nuit. Le trottoir est tapissé de petits globules transparents. Comme des gouttes de pluie. Perles solides, microbilles de cristal. Que je contemple fascinée en marchant sur la route d’un pas alerte. J’entends une voiture approcher, remonte sur le trottoir, petit bond, et me retrouve en grand-écart. Coup de poing réflexe au sol, espérant rebondir ? L’humeur fait un looping : la joie, écrasée au sol. Putain merde fait chier! Une pensée pour Bacri et je rebascule en mood joyeux. Sur pied, je poursuis, me rejoue la scène. Et ça me fait rire. De désespoir ? Tout m’amuse. Est-ce qu’au moment de mourir, je serais bidonnée, comme si j’avais 4 ans, devant un épisode de Oui-Oui et d’Isidore Macaque…hermétique à la guerre ? Dedans…dehors, partout.
Rien à faire. A poings fermés. T’es là à te lever chaque jour à l’aube. Comme si t’étais née réceptionniste médaillée pour touristes de cathédrale, à te la jouer fée du logis, toi, ex-cata en ménage, à galoper tes 10000 pas sur 3 étages. Voilà bravo ! T’as appris a faire un lit au carré, à changer 5 housses de couette quotidiennes, à presser du jus d’orange, utiliser sans la casser la machine à café, éditer des factures, pianoter sur le terminal, manip qui jusque là te paraissait totalement mystérieuse. Avec l’impression de gagner, à chaque fois que le ticket de carte bleue sort émettant son petit bruit de roulement de mini-tambour au bord de l’apoplexie. Limite prête à te constituer un dossier de presse des avis Booking où les clients enthousiastes vont jusqu’à te nommer, t’acclamer, où te prendre pour la propriétaire. Fière d’être apte à remplir la mission. Même si une boule bizarre pousse entre deux phalanges. En t’agrippant au chiffon, aux draps housses ajustés au max, tu martyrises tes os, tes tendons, ta synovie s’épanche…!. Ces 3 étages que tu parcours non stop ne sont-ils pas ceux de ta maison Dior ? Attends-tu, comme Yves, d’être appelée sur le front ? La civière ? La dépression ?
Claques. Chutes. Fouet. Pas de déclic. Le platane en témoigne. J’ai la tête dure.
9 MOIS
15 – PEREMPTION
Pour que l’histoire avance, il lui faudra sortir le grand jeu : crescendo. Après ses tirades du dix-huitième siècle, que ça te plaise ou non, JE commande, tout ébouriffée, premières poussées autoritaires de Jacky, on passe aux séances d’infantilisation. Par petites averses. Au fil du temps, les pluies de messages se transforment en torrents de boue : ordres, mauvaise foi, mensonges. Flots toxiques.
On arrive en fin de saison. Vue l’ambiance, peu de chances qu’on renouvelle nos vœux. Je nage vers la rive à contrecourant.
J’essaie de rationaliser. Reprends les comptes, en demande à la direction : jours à récupérer et congés.
J’ai alors vue imprenable sur l’étendue de la dinguerie de la dame.
La première fois, elle répond en dates. Pas celles des vacances, non. Son fils, chargé de faire l’inventaire aurait vu une DLC presque atteinte… Damned, elle qui sert les croissants recongelés à l’infini, les assiettes de charcuterie, préparées la veille, sans gants et sans lavage de main préalable, recyclées sur plusieurs jours me remonte les bretelles pour un lot de yaourts à 3 jours de périmer ? Faire diversion pour régler nos affaires ? Elle n’oserait pas. Pourtant, j’ai beau lire chaque ligne et même entre, pas un mot sur les modalités de rattrapage. M’accuserait elle d’un crime au lactose avec préméditation, pour me regarder m’enfuir sans ma paie, à poil et verte de honte jusqu’à France Travail ?
Zappant le sujet allègrement, elle tente, jusqu’au bout de m’optimiser. « Oui Philou, on va l’occuper. Jusqu’à L’AVC ». Ecoute, maintenant tu en es capable, tu finis ton ménage tout en les accueillant. Téléphone en poche, mon numéro affiché sur chaque porte d’accès, je suis désormais sensée me démener sur 3 étages sans ascenseur, lustrer 5 suites, accourir quand on me sonne. Ah vous avez oublié la lampe de poche sous les draps ? Faux départ. Recevoir les nouveaux, porter les valises et sourire en déroulant la visite des lieux, parfois en simultané quand 2 chambres arrivent en même temps, par deux entrées opposées.
En fin de journée, ou pendant le service du petit déjeuner suivant si je me suis écroulée la veille, je reprends toutes les feuilles de pointage. En mission vérité, carré de l’hypoténuse et règle de trois. Après quelques jours, calculs au propre, je redemande un petit point. Sur mes droits. Timide.
_ Ça ferait combien de jour de congés cumulés ?
_ Bravo, tu as eu un 10 sur Booking à l’instant même.
Pardon ? Tu relis plusieurs fois. Stupéfaction. Tu screenes, outil crayon rouge vif, encercles rageuse la réplique hors sujet. Renvoies ta question avec la capture d’écran. Fin des messages.
Je parle temps libre et je reçois un bon point. Et de 5, super, t’as droit à une image. Et un « bravo », « et voilà mon petit : un joli smiley clin d’œil ». Youpi.
Je rumine. Prête à dérailler. Fous toi bien de ma gueule. Plus que deux mois. Dont un de congés payés d’après ma copie de Maths.
La semaine suivante, j’évoque en termes administratifs cordiaux, une probable sortie anticipée. L’idée : me payer en temps libre. Jacqueline dégaine le téléphone de Philippe et se fend d’une longue explication pour conclure sur un résultat magique : 15 heures ! Tu nous les “dois” …Mais oui, tu sais bien… avant la saison ? Trois mois plus tard, on la joue comme à la Caf, ou aux Assedics… Ah ben là madame, ça pianote, ça pianote, vous ne nous aviez pas déclaré les revenus d’auto-entrepreneur…Oui en 1895, pardon 1995, rire jaune pipi. Du coup, on ne vous doit pas 1200 euros par mois, en revanche, vous nous devez 8000 euros.
Ils ressortent la poubelle de l’époque, fouille méthodique. Pour te faire fermer ta boite à questions. Tu demandes ton dû et on va enquêter loin, dans tes vies antérieures, pour te trouver des dettes au moins aussi balèzes que le trou de la sécu.
Du coup, dans leurs rêves, ils se disent : ben ça va la calmer, avec ses petites épaules osseuses, dans cinq minutes, elle court nous acheter des chouquettes et demander si on peut effacer l’ardoise.
Comme cette prétendue erreur. Grille de pointage épluchée par Madame. J’aurais confondu ¾ h, et 34 h….Un peu gros, mais en ajoutant quelques lignes de baratin et en serrant les fesses, elle se dit “t’inquiète, elle va gober et s’excuser”. Oh dis donc ! Merci de m’éclairer. A genoux, lustrant le parquet : désolée ! J’avais pas vu la barre! Je me disais aussi….Trente quatre heures sup en une journée, c’est pas un peu beaucoup ? Consciente que la longueur de tes messages déclenche chez moi allergies et nausées, tu mitrailles. Interminables monologues avec “voir plus…” où le lecteur, assommé, doit encore cliquer pour s’apercevoir qu’il reste le triple de lignes à se coltiner. Encyclopédie Universalis tome complet de mots sans queue ni tête. Qui partent dans toutes les directions. Panique et moulinets. Comme tu le vois très bien, insistes tu, peur de rien, increvable la bestiole, tu récupères le coffre à malices de ton usine à entourloupes : il s’agit de ton écriture. En lisant, j’entends le ton sirupeux, voix nasillarde.
Je vérifie quand même. Page 4. Ben justement, non. Comme un nez greffé à la place d’une oreille : deux écritures différentes sur la grille. La mienne, l’autre. Un nez, une oreille .
Sa passion, écrire pour ne rien dire. Juste des trucs que tu sais déjà, qui ne servent à rien, ou à faire des prouts de fumée sous forme de lignes, de longs pavés qu’elle expédie en alertes régulières, tout au long de ta journée de travail, puis incontinence sévère, cascade et chutes d’Iguaçu, si t’as le malheur de rétorquer, jusqu’à ce qu’achevée, tu poses la tête sur l’oreiller.
Têtue, je reviens à la charge. Pose cette fois le problème des congés. Concise. Sous forme d’équation : 1+1 = ?
En avoir le cœur net. Savoir jusqu’où elle peut aller ? Sans tarder, je reçois la réplique. En guise de réponse, une question. Même technique que la première fois. “T’as bien pensé à encaisser le client Duchmoll ? » Il ne s’est pas présenté. Trop excitée pour résoudre l’opération vacances. Elle a réussi à louer la chambre deux fois. Je relis. Ecrit en capitales bold en interligne : « SI TU SAVAIS COMME JE M’EN BATS DE TES JOURS OFF, LA SEULE CHOSE QUI M’INTERESSE, MA GRANDE, C’EST DE RENTRER DU CASH ». Ligne suivante « Parce que les banquiers…”et tout un couplet sur leur intransigeance. « Et que si on n’encaisse pas ce monsieur qui n’est pas venu »….ben… je fais couler la boite, j’imagine. Peut-être chuter le PIB de l’Union Européenne.
Je continue à décoder le vide. « SI TU ES AVEC NOUS, OUBLIE TES VACANCES TES HEURES SUP, ET TREMBLE AVEC NOUS DEVANT KARABA LA BANQUIERE! »
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